Proust ou les intermittences du coeur

Ballet de l'Opéra, Roland Petit, Proust ou les intermittences du coeur
Roland Petit s’est toujours attaché à mettre en lien la danse et la littérature.
En 1974, celui qui allait rester à la tête du Ballet national de Marseille pendant vingt-six ans créé à l’Opéra de Monte-Carlo Proust et les intermittences du cœur.
Il est alors le premier à proposer une adaptation chorégraphique de La Recherche.
En 2007, le ballet entre au répertoire du Ballet de l’Opéra national de Paris. Sa reprise cette saison est l’occasion de découvrir ou de redécouvrir ce magnifique spectacle.

Accompagné d’un choix séduisant de compositeurs du XIXème, les deux actes réunissant au total treize tableaux sont dédiés successivement aux univers féminins puis masculins du roman. Après une ouverture sur le clan Verdurin – esprit duchesse de Guermantes, ce qui est déjà un programme en soi – Roland Petit s’attèle à ce qui constituera le fil conducteur de sa "lecture dansée" de Proust : les passions.

L’évocation de la sonate de Vinteuil – cette phrase musicale devenue pour Charles Swann symbole de l’amour – surgit d’un splendide duo, tendre, fluide, à l’épure émouvante. Viendront ensuite les aubépines de l’enfance du narrateur et sa prime passion pour Gilberte, puis Balbec et ses jeunes filles en fleur et, déjà, les soupçons quant aux amours d’Albertine et Andrée. Son incurable jalousie conduira le narrateur à faire d’Albertine sa prisonnière. Ce dernier tableau La regarder dormir, se clôturant sur la disparition d’Albertine, extrêmement métaphorique, est d’une splendeur à couper le souffle.

Tout au long de ce premier acte, la délicatesse puis la force des sentiments, mais aussi la finesse d’écriture de Marcel Proust sont merveilleusement transposés, tandis que les costumes et les décors (que Roland Petit a fait recréer pour l’entrée du ballet au répertoire de l’Opéra de Paris), où dominent blancheur et transparence illustrent élégamment le propos.

La deuxième partie nous plonge dans l’univers tourmenté des hommes et du vice, notamment celui du terrible baron de Charlus, sempiternellement aux prises avec ses passions et ses démons. Un acte beaucoup plus sombre, où la duplicité de Morel, le jeune violoniste dont Charlus est amoureux fou s’incarne dans un contraste de noir et de blanc, où les maisons de plaisir apparaissent dans un classique rouge et noir, où le supplice du baron est teinté de gris.
L’obscurité de la ville privée de ses lumières pendant la guerre donne lieu à un tableau de corps dénudés en ombres chinoises d’une troublante beauté.
Enfin, sur une musique de Wagner, survient "Cette idée de la mort…", ballet macabre où les mondains hier si brillants apparaissent comme de pauvres automates dont les années ont figé les traits, où la duchesse de Guermantes elle-même se révèle dans toute sa vanité, où le narrateur, face au miroir que constitue cette société réalise que le temps a passé et que la mort ne va pas tarder.

Proust ou les intermittences du cœur
Chorégraphie et mise en scène : Roland Petit
Musiques : Ludwig van Beethoven, Claude Debussy, Gabriel Fauré, César Franck, Reynaldo Hahn, Camille Saint-Saëns, Richard Wagner
Décors : Bernard Michel, cosumes : Luisa Spinatelli
Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction musicale : Koen Kessels
Opéra national de Paris
Palais Garnier – Place de l’Opéra, Paris 2ème (tel. : 08 92 89 90 90)
M°Opéra, bus 20, 21, 22, 27, 42, 66, 68, 81, 95
Du 27 mai 2009 au 8 juin 2009
Tous les jours sauf le dimanche à 19 h 30
Places de 6 € à 85 €

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Commémoration de la Retirada : expositions Joan Jordà dans l'Aude

Expositions Joan Jorda à Montolieu et CarcassonneDe fin janvier à début février 1939, près d’un demi-million de Républicains fuient l’Espagne, où la victoire de Franco – soutenu par les régimes totalitaires allemands et italiens – a sonné le glas de la 2ème République.
La France n’est pas préparée à les accueillir et, lorsque la plupart d’entre eux arrivent en Languedoc-Roussillon, tandis que les femmes et les enfants sont répartis dans des centres d’hébergement, les hommes sont groupés sur les plages du Roussillon (à Argelès-sur-mer notamment) à même le sable en plein hiver. Ils sont ensuite internés dans différents camps dans le sud de la France. Beaucoup de ces exilés sont enrôlés dans des Groupements de Travailleurs Etrangers, certains sont déportés vers les camps d’extermination nazis. D’autres s’engagent dans la Résistance Française.

Soixante dix ans après, d’octobre 2008 à l’été 2009, la région Languedoc-Roussillon a voulu commémorer la Retirada (Retraite en espagnol), en encourageant la recherche historique et en organisant des manifestations avec les partenaires associatifs et institutionnels, afin que le passé ne soit pas oublié, et transmis aux jeunes générations.

Montolieu dans l’Aude (aujourd’hui, village du Livre et des Arts graphiques – véritable paradis des bibliophiles en terre cathare) hébergea l’un de ces camps. A son emplacement, outre quelques cachots, on peut y lire une plaque inaugurée le 11 avril dernier : "Ici dans l’ancienne usine furent internés du 30 février au 2 septembre 1939 des Républicains espagnols (au moins 400 détenus) fuyant le fascisme franquiste. Passant souviens-toi."

Expositions Joan Jorda dans l'AudeAgé de dix ans lors de la Retirada, Joan Jordà connaît l’exil, le dénuement, les camps et l’éclatement de la famille. Il se fixe définitivement à Toulouse en 1945. Pratiquement en auto-didacte, il se lance dans la peinture dès 1947. Sa première exposition personnelle, en 1976, montre son engagement dans la dénonciation de la violence des pouvoirs dictatoriaux. Egalement sculpteur, il créé pour la ville de Toulouse le mémorial en bronze L’Exode des Républicains d’Espagne. Il a aussi illustré des ouvrages de Joseph Delteil, Miguel Hernandez, Arthur Rimbaud…

On peut voir les différents aspects de son travail à travers deux expositions complémentaires, à Montolieu et à Carcassonne, la première consacrée aux œuvres sur papier et la seconde aux toiles, sculptures et livres illustrés.
Si certaines œuvres sont abstraites, la plupart des figurations sont des scènes de souffrance, d’enfermement ou d’exil. Les corps des hommes comme ceux des animaux sont brisés, désarticulés ou ligotés. L’œil est effrayé et on croit entendre des cris s’échapper des bouches.
Dans les thématiques et dans certaines compositions, on pense au Picasso de Guernica, alors que la manière, larges aplats, peu de volumes, parfois couleurs pures, cernes noirs, évoque Miró. Quoi d’étonnant à ce que le peintre, qui s’inscrit dans l’Histoire, soit influencé par ses compatriotes, eux-mêmes marqués par leur culture nationale ? On retrouve ainsi chez Jordà la présence de la tauromachie, mais surtout des oppositions, des luttes et la thématique du chaos, dans une recherche de sens et d’humanité qui lui est propre et qui fait de ses peintures des œuvres fortes et émouvantes.

Joan Jordà, Oeuvres sur papier
Jusqu’au 30 septembre 2009
Musée des Arts et Métiers du Livre
Rue de la Mairie – 11170 Montolieu (Tel. 04 68 24 80 04)
Du lun. au sam. de 10 h à 12 h et de 14 h à 18 h
Le dim. de 14 h à 18 h
Entrée libre
Joan Jordà, Peintre et sculpteur
Jusqu’au 13 juin 2009
Centre Joë Bousquet et son Temps
53, rue de Verdun – 11000 Carcassonne (Tel. 04 68 72 50 83)
Du mar. au sam. de 9 h à 12 et de 14 h à 18 h
Entrée libre

A paraître : Joan Jordà, Peintre et sculpteur (coédition Centre Joë Bousquet et son Temps / Association Montolieu Village du Livre et des Arts graphiques), 112 p. sur papier ivoire, souscription 10 € au Centre Joë Bousquet et son Temps

Programme des manifestations organisées pour la commémoration de la Retirada sur le site de la région Languedoc-Roussillon

Voir également le billet consacré au livre de Jordi Soler "Les exilés de la mémoire".

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Cai Guo-Qiang : Je veux croire au Guggenheim à Bilbao

Le musée Guggenheim à BilbaoL’étonnement tient d’abord à l’architecture de Frank O. Gehry : certaines photos peuvent faire croire à un monstre de métal.

Les écailles miroitantes qui recouvrent la structure annulent l’effet métal, et la forme qui ne renvoie pourtant à aucune forme pré définie efface l’effet monstre.

Avant d’entrer, déambulez le long du Nervión qui coule aux pieds du musée, remontez vers le parvis où est assis le grand chien végétal, de façon à capter les métamorphoses des volumes proposés par Gehry.

A l’intérieur, Richard Serra nous plonge dans la Matière du Temps. Sept énormes sculptures faites de plaques d’acier invitent à déambuler autour, dedans, à se perdre dans des univers où les parois se mettent à pencher dangereusement, à déformer les sons, à figurer des villes fantomatiques grâce à l’activité des oxydes sur les surfaces. Dans une salle à côté, on découvre les maquettes de Serra : les formes sont étonnamment simples, et banales, et c’est bien la monumentalité des plaques d’acier qui nous renvoie à notre dimension petitement humaine.

Cai Guo-Qiang à BilbaoLes expositions temporaires nous proposent des œuvres de Cai Guo-Qiang, artiste chinois connu pour ses feux d’artifice déployés au cours de la cérémonie d’inauguration des derniers Jeux olympiques, et de Takashi Murakami, peintre Japonais représentant de la génération néo-pop. Seules certaines œuvres du premier nous ont arrêté.

Cai Guo-Quiang est un artiste du feu. Des vidéos, hélas souvent projetées sur des écrans trop exposés à la lumière qui rendent les images bien ternes, montrent sa passion pour les flammes qui courent, (sur la Muraille de Chine), les feux qui embrasent (le drapeau rouge à Varsovie), la fumée qui se déploie (un sombre arc en ciel). Il fait aussi dessiner le feu, en enflammant la poudre à canon disposée sur de grands panneaux de papier marouflé.
Ses installations peuvent être particulièrement spectaculaires. Sa thématique privilégiée ressurgit à travers ces 8 voitures blanches, comme jetées dans les airs, desquelles partent des bouquets de feu d’artifice en tubes fluorescents.

De plein fouet, Cai Guo-QiangCe sont celles qui témoignent d’un autre registre, celui de la longue durée, qui provoquent davantage de méditation. « De plein fouet » : 99 loups se précipitent en un grand bond contre une paroi vitrée, en ressortent plus ou moins assommés, et repartent, à terre, d’où ils viennent. Si les 99 loups sont figés dans leur mouvement, l’ensemble est perçu comme dynamique, et on entend presque le choc contre le verre.

« Réflexion ? Un cadeau d’Iwaki », est l’œuvre la plus sensible : une vieille et grande barque a été déterrée d’un marécage japonais par la population locale. Il en reste une charpente élaborée, puissante et en même temps défaite. Les clous qui tenaient les chevrons dépassent, les rafistolages en fer montrent combien cette barque a vécu. Elle est à moitié recouverte par des débris de porcelaine blanche, comme si son chargement ancien s’était répandu à l’échouage. Une vie rude de marins s’évade de l’installation et nous atteint.

Musée Guggenheim
Avenida Abandoibarra, 2 48001 Bilbao – Espagne
L’exposition Cai Guo-Qiang : Je veux croire est visible jusqu’au 6 sept. 2009
et l’exposition © Murakami jusqu’au 31 mai 2009
Ouvert du mardi au dimanche, de 10 h à 20 h

Sur le travail de Richard Serra, voir aussi  »Promenade » – Monumenta 2008

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Echauffements climatiques au Théâtre Fontaine

Echauffements climatiques, théâtre FontaineDans un petit immeuble parisien appartenant à une dame d’âge certain mais encore très alerte à bien des égards, Géraldine débarque avec le projet (et l’idée fixe, car son diplôme en dépend) de transformer ce nid de plomb et d’amiante en un modèle d’immeuble écologique.

La propriétaire n’est pas contre… une fois calculé que les subventions de l’Ademe pouvaient rembourser son redressement d’ISF. Mais tous les résidents n’auront pas la même motivation pour trier leurs déchets, prendre leur douche à heure fixe, ou risquer de se cogner la tête contre l’éolienne en ouvrant les volets.

Heureusement, pour soutenir les efforts de notre candidate au Master de Dévoloppement durable, Jean-Marc Bidet, prof de SVT, se montre lui aussi concerné par l’avenir de notre planète…

Echauffements climatiques est la nouvelle pièce de Sylvie Audcoeur et Olivier Yéni, les auteurs de Court sucré ou long sans sucre et de 1-2-3 Sardines. La mise en scène est assurée par Xavier Letourneur, dont le travail pour J’aime beaucoup ce que vous faites a été un tel succès qu’après 1 400 représentations, la pièce est encore à l’affiche à la Comédie Caumartin.

Au milieu d’un décor d’une simplicité géniale, les comédiens jouent à fond un registre qu’ils connaissent par cœur, celui de l’humour.
Les répliques fusent comme il se doit dans ce type de soirée, air du temps "écolo-concerné" en plus, et plaisir de la troupe tout à fait au rendez-vous.
Dans le rôle du professeur gentil mais maladroit, aimant mais repoussé, bref, du tendre qui s’endurcira, Dominique Bastien est excellent et contribue largement à l’hilarité de la salle d’un bout à l’autre du spectacle.

Echauffements climatiques
Une pièce de Sylvie Audcoeur et Olivier Yéni
Mise en scène : Xavier Letourneur
Avec : Sylvie Audcoeur, Olivier Yéni, Dominique Bastien, Sophie Le Tellier
et Martyne Visciano
Décor : Pascale-Joanne Rabaud
Théâtre Fontaine
10 rue Fontaine, 75009 Paris – Tel : 01.48.74.74.40
Du mercredi au samedi à 21 h, matinée le samedi à 18 h
Places 30 € – Opération « soyez les premiers aux premières » (50 % jusqu’au 30 mai) – 10 € pour les moins de 26 ans du mercredi au vendredi

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Dans la brume électrique. Bertrand Tavernier

Dans la brume électrique, Bertrand TavernierBertrand Tavernier est allé en Louisiane pour tourner son dernier film, et il y a mis tout ce qui fait l’histoire et l’essence des Etats-Unis : la guerre de Sécession, la justice privée, les armes, les inégalités sociales, les rapports raciaux, l’alcool, la drogue, la mafia, le cinéma, l’argent, la prostitution, l’immigration mexicaine, les flics et le FBI.

Et, sur le bayou, pour accompagner son héros, inspecteur aux prises d’une méchante enquête criminelle, interprété par Tommy Lee Jones, il y a ajouté les fantômes.
Brumeuse, troublante communication avec les morts. Ce n’est pas pour rien si "dans les temps anciens, les gens mettaient des pierres sur la tête des mourants". Même bien plus tard, on n’est jamais à l’abri de la visite d’un défunt.

L’assemblage de tant d’éléments aurait pu donner un film brouillon, frôlant tous les thèmes sans en aborder aucun et assommant pour le spectateur.
Il n’en est rien. Dès les premières scènes, dès les premiers mots de la voix off – le récit de l’inspecteur Robicheaux – le plaisir de cinéma est là. La fluidité et l’efficacité de la caméra de Bertrand Tavernier embarquent immédiatement dans le "ici et maintenant" du film, à savoir l’enquête de Robicheaux, mais aussi son passé, son règlement avec les morts. Autant dire qu’il est difficile de démêler ce qui captive le plus, de la macabre énigme – crimes atroces commis contre de jeunes femmes belles et pauvres -, ou du cheminement personnel de l’enquêteur.
Plus encore, il est impossible, après avoir suivi passionnément Tommy Lee Jones pendant deux heures, d’imaginer une seule seconde un autre acteur dans la peau de Robicheaux.
Poliment, il est dit ici que le comédien a collaboré de façon très serrée non seulement à la manière de jouer, mais aussi au scénario du film de Tavernier. Ailleurs, on comprend qu’il a été des plus pénibles à diriger. Ce que l’on voit à l’écran est une interprétation qui semble aller de soi, magnifique, juste, émouvante. Elle est au service d’un vrai regard de cinéaste, original, humaniste, et, visiblement, envers et contre tout, amoureux fou des Etats-Unis.

Dans la brume électrique
Un film de Bertrand Tavernier
Adapté du roman de James Lee Burke
Avec Tommy Lee Jones, John Goodman, Peter Sarsgaard
Durée : 1 h 57

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Elégance et modernité 1908-1958 : un Renouveau à la Française

Les amateurs d’arts décoratifs ne peuvent que trouver leur bonheur dans la nouvelle exposition visible depuis le 5 mai à la Galerie des Gobelins. La quatrième depuis sa réouverture en 2007 et, une fois de plus, une démonstration de la richesse et de la qualité du fonds détenu par le Mobilier national et les Manufactures nationales.

Avec Elégance et modernité 1908-1958, la sélection embrasse cinquante ans de production mobilière, période passionnante puisqu’elle fut celle d’une étroite collaboration entre les trois établissements des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie (réunis administrativement en 1937 seulement). De plus, phénomène tout aussi nouveau, l’association entre les artistes qui dessinèrent les meubles et ceux qui en réalisèrent la « peinture » en tapisserie fut également très forte.

Ce processus créatif a eu pour résultat une nette cohérence entre la forme et le motif. D’où l’élégance parfaite des meubles, un régal pour l’œil, qui tourne autour des dossiers finement sculptés, descend vers les pieds délicatement courbés, caresse les laques et les essences de bois précieux, flatte la marqueterie, la dorure, le galuchat et la patine.
Ces joliesses constituent l’écrin de pièces de tapisseries tout aussi recherchées. Car à partir de 1908, le directeur des Gobelins, puis celui de Beauvais en 1917, et ensuite leurs successeurs ont initié un renouvellement des motifs pour ce mobilier destiné à orner les palais de la République, demeures présidentielles et ambassades.
Représenter le savoir-faire et le bon goût français encore et toujours, mais en le modernisant. On fait appel aux grands décorateurs de l’époque pour créer les cartons : Raoul Dufy, Paul Vera, Odilon Redon, André Groult, proches du monde de la haute-couture et du luxe national.
Avec Paris, ensemble composé d’un spectaculaire paravent et de multiples sièges, Dufy réalise un tableau de la capitale des plus bucoliques, où les monuments les plus célèbres sont magnifiés dans un décor tout de rose, de bleu et de mauve, réalisé sur un tissage extrêmement serré, héritage de la finesse de travail atteinte au XIXème siècle.

Ce renouveau thématique est visible tout au long de l’exposition. On représente (en poétisant beaucoup) les régions de France, les Pyrénées, la Provence…, les fleuves, mais aussi des oiseaux exotiques et des scènes arabes ; on illustre les contes de fées ; on montre les villes et la nature à la manière des peintres. En haut de l’escalier d’honneur, il ne faut pas manquer (sa pâleur pourrait la faire passer inaperçue, à côté d’une profusion de couleurs) « l’adaptation tapissière » des Nymphéas de Monet : quelle délicatesse, quel fondu, et quel contraste aussi entre la transparence du motif et la chaleur du support !
La production du Mobilier national reflète aussi les aspirations de son temps. Apparaissent ainsi les thèmes du sport et des loisirs, vogues nées dans cette première moitié du XXème siècle. Dans ce registre, au rez-de-chaussée, l’on découvre avec ravissement, sur canapé et fauteuils, Les beaux dimanches de Paul Vera et René Prou, ode nette et pimpante à l’heureux temps des loisirs, ou encore le surprenant Plaisirs de la plage, où modernité et histoire se mêlent : sur un divan aux formes pures et contemporaines, dans des coloris très clairs et lumineux, les plaisirs de la plage prennent les traits de figures mythologiques, comme pour faire un dernier clin d’œil à la tradition du noble motif…

Galerie des Gobelins
42, av. des Gobelins – Paris XIIIème
Jusqu’au 26 juillet 2009
Tlj sauf le lundi de 12 h 30 à 18 h 30
Entrée : 6 € (TR 4 €)
Visite avec conférencier les mer., ven. et sam. à 15 h 30 et 17 h (10 €, TR 7,50 €)
Gratuité le dernier dimanche de chaque mois

Images : Augustin HANICOTTE et Eric BAGGE, Les Pyrénées, paravent, 1926 © Isabelle Bideau / Mobilier national
et CHOUASNARD, sac à main, 1928, © Isabelle Bideau / Mobilier national

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Henri Cartier-Bresson à vue d'oeil. MEP, Paris.

HCB à vue d'oeil à la MEP, Berlin« Ma passion n’a jamais été la photographie "en elle-même", mais la possibilité, en s’oubliant soi-même, d’enregistrer dans une fraction de seconde l’émotion procurée par le sujet et la beauté de la forme, c’est-à-dire une géométrie éveillée par ce qui est offert.
Le tir photographique est un de mes carnets de croquis. »
(HCB, 8 février 1994)

L’exposition réunit cent vingt tirages parmi les quelques trois cent quarante du fonds détenu par la Maison européenne de la photographie. On ne peut que la conseiller, tant Henri Cartier-Bresson (1908-2004) reste le plus grand et le plus émouvant des photographes du XXème siècle.

Un grand nombre des clichés présentés ici, appartenant aux séries Les Européens et Paris sont très connus, comme celle de Jean-Paul Sartre sur le pont des Arts en 1946, Giacometti traversant le passage clouté de la rue d’Alésia sous la pluie en 1961, ou encore les photos des bords de Marne à l’époque des premiers congés payés.
Pour autant, on ne se lasse pas de les regarder.

Muni de son Leica, celui qui fonda avec Robert Capa, David Seymour, William Vandivert et George Rodger l’agence Magnum en 1947 est allé partout dans le monde, au Mexique, en Europe de l’Est, aux Etats-Unis, en Afrique, en Extrême-Orient. Il était en Inde lorsque Gandhi fut assassiné, en Indonésie durant l’indépendance, en Chine au moment de l’avènement de la République Populaire.
En 1954, après la mort de Staline, il fut le premier photographe étranger à se rendre à Moscou. Sur ses photos de centres de vacances organisés par les usines, on voit de petites filles courir à la douche et s’amuser dans un décor constitué d’immenses portraits des hommes forts du régime soviétique.

Aux quatre coins de l’Europe, à Dublin, à Séville, à Varsovie comme à Aubervilliers, le pionnier du photojournalisme a montré la misère, les maisons dénudées, les baraquements de fortune. Il a photographié les rues et ceux qui s’y trouvaient, révélant, sans juger, les inégalités ; là, des enfants pauvres, ici, les privilégiés de la bonne société. Et partout, l’humain dans sa vérité et son émotion, comme ces visages bouleversés, pris de très près, aux funérailles de victimes de Charonne à Paris en 1962.

Henri Cartier-Bresson a témoigné des guerres, des déchirements du siècle dernier, en mettant toujours l’homme au centre de son objectif, comme ces hommes dans Berlin coupée en deux, hissés pour voir « de l’autre côté », ou encore cette fameuse photo prise à la libération d’un camp de déportés en Allemagne où une femme reconnaît l’indicatrice de la Gestapo qui l’a dénoncée. Tout un pan de l’histoire de l’Europe à nouveau éclairé, et, une fois encore, le sentiment que les photographies de celui que Pierre Assouline a baptisé « l’œil du siècle » ne sont pas usées, qu’elles n’ont en rien fini de parler.

Henri Cartier-Bresson à vue d’œil
Jusqu’au 30 août 2009
Maison européenne de la photographie
5-7, rue de Fourcy – Paris 4ème
M° Saint-Paul et Pont-Marie
Du mer. au dim. de 11 h à 20 h
Entrée 6,50 € (TR 3,50 €), gratuit le mercredi à partir de 17 h
Les actes du colloque Revoir Henri Cartier-Bresson, publiés aux éditions Textuel, accompagnent l’exposition.

A voir aussi bientôt : Henri Cartier-Bresson, l’imaginaire d’après nature, une exposition présentée au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris du 19 juin au 13 septembre 2009.

Image : Le mur, Berlin, ex-RFA, 1962 © Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos

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Somewhere… la Mancha. Théâtre des Bouffes du Nord

Somewhere... la mancha, théâtre des Bouffes du NordTrès sympathique soirée au théâtre des Bouffes du Nord où, après le succès de En attendant le Songe la saison dernière, Irina Brook revient avec sa troupe pour nous proposer cette fois une version totalement libre et déjantée du Don Quichotte.

La fille de Peter Brook a transposé le grand roman de Cervantès aux Etats-Unis, transformant l’épopée espagnole en un road movie, où une valise à roulettes fait office de monture de Don Quichotte et un caddie chargé à ras bords de mulet de son écuyer.
Au fil de cette fameuse route 66, vont se succéder des rencontres typiques du mythe américain. Voici une danseuse de flamenco qui ondule sous un air de country, un gang de motards, des mexicains hystériques, des divas de la disco en auto-stop,… notre chevalier à la triste figure et son fidèle Sancho Panza prendront plus de coups qu’ils n’en donneront.

Le spectacle regorge d’humour décalé, de musique, de danse et de chants, menés tambour battant par une troupe endiablée. Mais il est aussi une mine de références, musicales bien sûr mais aussi cinématographiques et littéraires. Le personnage de Sancho Panza en comédien raté et réaliste mais à qui le noble chevalier a su redonner espoir, est particulièrement convaincant, plein d’énergie et attachant.
Mais on regrette un peu que le héros de Cervantès, au début bien posé dans son rêve de combat contre les géants du capitalisme, s’efface trop vite du premier plan, et avec lui son idéalisme si émouvant.

Somewhere… la Mancha, d’après Don Quichotte de Cervantès
Mise en scène : Irina Brook
Assistée de : Marie-Paule Ramo
Avec : Lorie Baghdasarian, Jerry Di Giacomo, Gérald Papasian, Christian Pélissier, Augustin Ruhabura, Bartlomiej Soroczynski
Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis, boulevard de la Chapelle – 75010 Paris
Réservations au théâtre, sur le site Internet et par téléphone au 01 46 07 34 50
Jusqu’au 9 mai 2009
A 21 heures, les samedis à 15 h 30, relâche les dimanche et lundi
Durée : 2 heures
Places de 12 € à 26 €

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L'Ordinaire à la Comédie Française

L'Ordinaire de Michel Vinaver à la Comédie FrançaiseLa pièce entre au répertoire de la Comédie Française cette saison.
L’entrée est double pour son auteur, Michel Vinaver (né en 1927), qui en assure également la mise en scène, avec la collaboration de Gilone Brun.

Michel Vinaver a fait le choix de l’épure, où seuls les vêtements et quelques accessoires tiennent lieu de décor. La scène, avancée vers l’orchestre, amène les acteurs au plus près du public. Le dispositif n’est pas artifice mais au contraire cohérent avec l’option de l’auteur-metteur en scène : porter le texte au spectateur. Non pas le lancer, comme on le voit trop souvent. On est davantage dans l’offrande que dans la projection.
Dans ces circonstances, tout paraît reposer sur les épaules des comédiens. Ils sont tous très bons, voire même excellents – en particulier Léonie Simaga dans le rôle de Sue, Elsa Lepoivre dans celui de Pat, Sylvia Bergé dans celui de Bess ou encore Jean-Baptiste Malatre qui interprète Bob.
Mais ce serait faire fi de la direction d’acteurs, précise, réfléchie, pleine de sens. La troupe semble se l’être appropriée corps et âme.
L’on sent un plaisir, une conviction, et ceux-ci sont totalement partagés avec le public.

Le texte (dont la lecture seule vaut déjà le coup) prend sa source dans une histoire réelle qui a marqué les esprits : celle d’un avion tombé dans la neige de la cordillère des Andes et dont les rescapés ont dû, pour survivre, se résoudre au cannibalisme.
Michel Vinaver a transposé l’histoire dans le monde de l’entreprise – dont il est familier en sa qualité d’ancien PDG de la société Gillette. Le groupe de survivants compte le président de l’entreprise Housies, spécialisée dans l’implantation de logements préfabriqués, sa secrétaire, son épouse, ses vices-présidents, la fille de l’un d’eux et la maîtresse d’un autre. Autrement dit, à la fois la classe décidante et un cercle aux contours plus fluctuant qui gravite autour.
La pièce est passionnante en ce qu’elle montre ce que devient cette structure ultra établie et rigide une fois transposée en conditions extrêmes. Où l’on voit que l’obsession de ceux qui ont le pouvoir n’est autre que de le conserver tandis que la priorité de ceux qui ne l’ont pas (ou plutôt de celles qui ne l’ont pas, puisque bien sûr il s’agit des femmes) est de vivre, voire de vivre mieux, en trouvant apaisement ou épanouissement. La situation d’isolement, de danger, de manque et d’incertitude dans laquelle les protagonistes se trouvent est traitée sans détours ni pathos. L’Ordinaire a près de trente ans, mais, hormis le contexte politique – on était sous l’ère Reagan – le texte paraît bien peu daté.

L’audace de Michel Vinaver d’avoir monté la pièce avec tant de sobriété et de confiance dans la troupe est admirable. On se demande comment ça tient.
C’est que, pendant 2 h 30, sur ce proscénium pentu et dénudé, les comédiens, par la seule force de la langue, créent le froid, la faim, la soif, la neige, la carlingue de l’avion et la chaîne rocheuse. Un brin d’éclairage, une couverture et une tranche de viande font le reste. Il y a de la magie dans ce théâtre là, qui prend le texte à bras-le-corps sans craindre de jouer grand et franc, mais sans cri, presque tranquillement.

L’Ordinaire
Pièce en sept morceaux de Michel Vinaver
Mise en scène de Michel Vinaver et Gilone Brun
Avec Sylvia Bergé, Bess – Jean-Baptiste Malartre, Bob – Elsa Lepoivre, Pat –
Christian Gonon, Jack – Nicolas Lormeau, Joe – Léonie Simaga, Sue – Grégory Gadebois, Jim – Pierre Louis-Calixte, Dick – Gilles David, Ed – Priscilla Bescond, Nan – Gilles Janeyrand, Bill
Comédie Française
Salle Richelieu – Place Colette 75001 Paris
Jusqu’au 19 mai 2009
En matinée à 14 h et en soirée à 20 h 30
Places de 5 € à 37 €
Renseignements et location : TLJ de 11 h à 18 h aux guichets du théâtre, par téléphone au 0825 10 16 80 (0,15 € la minute) et sur le site internet

La pièce est publiée chez Actes Sud (Babel, janvier 2009, 255 p., 7,50 €)

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Ponyo sur la falaise. Hayao Miyazaki

Ponyo sur la falaise, MiyazakiUn petit poisson rouge du genre féminin vivait en eau profonde avec ses sœurs et sa mère, enfermées dans un royaume sur lequel régnait un savant un peu fou. Ennemi des hommes, il préparait le retour du monde marin sur la terre et surveillait de près ses nombreuses créatures.
Juste de l’autre côté du rivage, tout en haut de la falaise, vivaient le petit Sosuke et sa jeune maman, toute énergique et très aimante de ses prochains. Quant au papa, on ne le voyait jamais que sur son bateau, d’où il envoyait des mots tendres, en morse, à Lisa son épouse et à leur fils.

Mais le destin de nos deux petits êtres changea le jour où, aventurée hors de sa prison dorée, le petit poisson rouge rencontra Sosuke sur la plage. Ils s’aimèrent immédiatement et n’envisagèrent plus de se quitter. C’était oublier le vieux luné des fonds marins qui n’escomptait pas laisser son poisson hors de l’eau où, rebaptisée Ponyo, elle deviendrait une petite fille…

Bienvenue dans un monde où le quotidien côtoie le merveilleux, le prosaïque le magique et la modernité de notre temps l’imaginaire le plus débridé. Au fil d’une narration qui captive petits et grands de bout en bout, Miyazaki nous plonge dans un très bel univers, débordant de couleurs et accueillant.
Il dessine des personnages singuliers, totalement incarnés, auxquels il attache le spectateur sans que son histoire ne frôle la mièvrerie.
Il suffit d’aimer les grands contes pour abandonner sa raison et se laisser embarquer, deux heures durant, dans ce voyage japonais où l’amour et l’authenticité rendent la grâce possible. A coup sûr qu’à tout âge, on en reviendra enchanté.

Ponyo sur la falaise De Hayao Miyazaki
Avec les voix de Tomoko Yamaguchi, Hiroki Doi, Kazushige Nagashima…
Durée : 1 h 41 min
Film pour enfants à partir de 6 ans

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