L'art de l'amour au temps des Geishas à la Pinacothèque de Paris

l-art-de-l-amour-au-temps-des-geishas-les-chefs-d-oeuvre-interdits-de-l-art-japonais_xlOh, oh, oh, la Pinacothèque réchauffe les corps en ce début d’automne… Second volet de sa saison consacrée à l’Art et l’Erotisme en Orient, présentée en complément de la superbe exposition Kâma-Sûtra, spiritualité et érotisme dans l’art indien, L’art de l’amour au temps des Geishas réunit quelques 250 œuvres, essentiellement des gravures sur bois, mais aussi quelques objets du quotidien, pour évoquer la représentation érotique japonaise au temps de l’ère Edo (1603-1867).

Les estampes japonaises ont été découvertes en France après 1868, quand le Japon s’est ouvert à l’Occident. Pierre Loti et les Goncourt les ont évoquées dans leurs écrits, Samuel Bing et une foule d’artistes tels Monet les ont collectionnées et certains peintres y ont été sensibles dans l’élaboration de leurs propres œuvres. On pense à Manet, à Toulouse-Lautrec, mais aussi à Van Gogh (cf. l’exposition Van Gogh, Rêves de Japon présentée il y a deux ans à la même Pinacothèque).

Ces dernières années, l’art japonais a été abondamment montré à Paris, avec par exemple l’exposition Hiroshige, L’art du voyage, à la Pinacothèque toujours, Hokusai au Musée Guimet en 2008 ou encore la collection de Claude Monet au Musée Marmottan Monet encore avant. Pour autant, c’est la première fois que le genre est traité à travers le thème de l’érotisme. Autant dire que ces œuvres à ne pas mettre sous n’importe quels yeux…

L’exposition replace ces œuvres dans le contexte historique, culturel et social dans lequel elles ont été créées. A la période Edo, une nouvelle classe sociale émerge. Loin de la classe dirigeante guerrière des Samouraï pétrie de la rigueur morale du néo-confucianisme, cette nouvelle bourgeoisie (chônin), aisée et citadine, constituée de commerçants, médecins, enseignants et artistes, embrasse une vision hédoniste de la vie. Ces chône sont à l’origine du mouvement culturel ukiyo-e, littéralement « images du monde flottant », que le poète Asai Riyoi décrit ainsi en 1661 : « Vivre uniquement dans l’instant présent, se livrer tout entier à la contemplation de la lune, de la neige, de la fleur de cerisier et de la feuille d’érable, chanter, boire du saké, ressentir du plaisir rien qu’à ondoyer, ne pas se laisser abattre par la pauvreté et ne pas la laisser transparaître sur son visage, mais dériver comme une calebasse sur la rivière, c’est ce qui s’appelle ukiyo ».

Les artistes abordent cette conception à la fois esthétique et morale de la vie à travers la représentation d’un idéal de beauté féminin (les bijinga, « peintures de belles femmes ») et les estampes érotiques (les shunga, « images de printemps »).

L’exposition montre ces deux thèmes en réunissant un grand nombre d’artistes, parmi lesquels naturellement les plus célèbres que sont Utamaro, Hokusai et Hiroshige, mais aussi d’autres moins connus mais tout aussi séduisants, tels Utagawa Kunisada ou Katsukawa Shuncho.

Ainsi à l’étage, par où commence la visite, sont montrées des estampes de femmes se préparant à l’art de la séduction : on ne sait lesquelles on préfère tant elles sont raffinées et gracieuses, tant les compositions sont réussies et souvent carrément modernes, les détails soignés, le trait efficace et délicat, et les couleurs, tantôt sourdes, tantôt vives, enchanteresses. Habillées, ces geishas s’affairent avec une fausse ingénuité qui fait sourire; et l’on rêve aussi parfois devant dans des paysages empreints de poésie.

La suite de l’exposition est carrément crue et peut sembler répétitive (ce qui est inhérent à son sujet). Bien vue, la présentation d’objets du quotidien, témoignant d’un mode de vie luxueux et recherché, tels des kimonos et des éventails, de petites boîtes, notamment une très jolie en bois, peau de serpent, laque et poudre d’or (fin XVIII°-début XIX°), ou encore un nécessaire à pique-nique laqué avec compartiments à nourriture, coupelle… et bien sûr deux flacons pour le saké !

L’art de l’amour au temps des Geishas

Pinacothèque de Paris

28 place de la Madeleine – Paris 8°

Tous les jours de 10h30 à 18h30 sauf le mardi

Nocturnes les mercredis et les vendredis jusqu’à 20h30

25 décembre et 1er janvier de 14h à 18h30

Jusqu’au 15 février 2015

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Le Pérugin, maître de Raphaël

Le Pérugin, Saint Jérôme pénitent, Fin du XV siècle, Huile sur bois, 29,7 x 22,5 cm, Vienne, Kunsthistorisches Museum, Gemäldegalerie © Kunsthistorisches Museum Vienna
Le Pérugin, Saint Jérôme pénitent, Fin du XV siècle, Huile sur bois, 29,7 x 22,5 cm, Vienne, Kunsthistorisches Museum, Gemäldegalerie © Kunsthistorisches Museum Vienna

L’art a ceci de merveilleux qu’il ne finit jamais de nous révéler ses splendeurs, et notamment celles issues des grands maîtres du passé que les siècles ont quelque peu éclipsées.

Tel est le cas du Pérugin, de son vrai nom Pietro di Christoforo Vannucci, né vers 1450 près de Pérouse et mort en 1523, grand peintre de la Renaissance italienne dont le musée Jacquemart-André a réuni une cinquantaine d’œuvres.

Si la plupart des tableaux ont été prêtés par de grandes institutions italiennes, d’autres viennent de Washington (magnifique Vierge à l’enfant), du Royaume-Uni, de musées français, notamment du Louvre, comme un Apollon et Daphnis, longtemps attribué à tort à Raphaël. D’ailleurs, le musée Jacquemart-André donne en quelque sorte tout son sens à cette confusion, en soulignant, en fin de parcours, l’influence du Pérugin sur le jeune Raphaël, dont on ne ne sait pas s’il fut directement le maître, mais dont l’héritage est visible à travers les dix œuvres de Raffaello Sanzio exposées. On admire notamment une douceur des traits qui semble relever d’une commune parenté. Si par la suite Raphaël ira plus loin dans ce soin apporté au dessin des visages et des corps, Pérugin n’est pas allé jusqu’à cette idéalisation, privilégiant quant à lui un certain naturel. Et c’est tant mieux ! Malgré les nombreuses influences des artistes entre eux à cette époque d’ébullition artistique, d’échanges, d’enrichissements mutuels et d’émulation, chacun a développé son art, son propre style.

Celui de Il Perugino, tel que le restitue la très belle exposition concoctée par Vittoria Garibaldi, ex directrice de la Galleria Nazionale d’Ombrie, apparaît comme une heureuse synthèse des différents apports du Quattrocento renaissant. La perspective et le recours à l’architecture initié par Piero della Francesca et des maîtres florentins, le modelé de Botticelli, le sfumato des paysages de Léonard, la lumière et les gammes chromatiques des Vénitiens et notamment de Bellini… et même la virtuosité que permettait l’usage de la peinture à l’huile venue des maîtres flamands.

Le Pérugin Sainte Marie Madeleine, Vers 1500-1502, Huile sur bois, 47 x 35 cm, Florence, Galleria Palatina, Palazzo Pitti © Soprintendenza Speciale per il Patrimonio Storico Artistico ed Etnoantropologico e per il Polo Museale della Città di Firenze
Le Pérugin Sainte Marie Madeleine, Vers 1500-1502, Huile sur bois, 47 x 35 cm, Florence, Galleria Palatina, Palazzo Pitti © Soprintendenza Speciale per il Patrimonio Storico Artistico ed Etnoantropologico e per il Polo Museale della Città di Firenze

Avec  cela, un sens de la composition tout en souplesse et une expressivité des traits tout humaine. Pas étonnant qu’il ait été, au tournant du XVI° siècle, le peintre de la péninsule le plus admiré de ses contemporains. Laurent de Medicis et Isabelle d’Este furent de ses nombreux commanditaires. Le pape lui-même, Sixte IV, le fit venir à Rome sur le grand chantier de la chapelle Sixtine, où il peint des épisodes de la Vie de Moïse et de la Vie du Christ, œuvres dont témoigne un petit film en introduction à l’exposition. En témoignent également à leur façon les portraits exécutés par certains des peintres ayant participé avec lui à la décoration de la célèbre chapelle de Saint-Pierre-de-Rome : Botticelli et Rosselli. Ils sont présentés à côté de portraits du Pérugin, parmi lesquels celui représentant Francesco delle Opere, dont il place avec modernité une main sur le bord du tableau. Le spectateur ne saurait en être plus près.

Huit salles, dont les dernières sont plus spécifiquement consacrées au rapprochement avec Raphaël, retracent les grandes étapes de la carrière du peintre de Pérouse. Des vierges pleines de grâce et de douceur sur arrière-fonds paysagers empreints de sérénité. Une Marie-Madeleine on ne peut plus méditative. Un diptyque composé d’un Christ en couronne d’épine et d’une Vierge d’une remarquable efficacité : simplicité, beauté, émotion, tout y est. Des saints poignants, tels ce Saint-Jérôme pénitent. Citons encore le splendide polyptyque de San Pietro, qui réunit avec bonheur des tableaux venus de Nantes et de Rouen, notamment un Baptême et une Résurrection dont la clarté, l’harmonie des couleurs, l’humanité des expressions et la perfection de la composition n’en finissent pas d’enchanter le regard.

 

Le Pérugin, maître de Raphaël
Jusqu’au 19 janvier 2015
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Les Impressionnistes en privé. Musée Marmottan Monet

 Claude Monet, Hémérocalles au bord de l’eau, vers 1914-1917, collection particulière par l’intermédiaire du Museum of Fine Arts, Houston © Collection particulière

Claude Monet, Hémérocalles au bord de l’eau, vers 1914-1917, collection particulière par l’intermédiaire du Museum of Fine Arts, Houston © Collection particulière

C’est le 21 juin 1934 que l’hôtel particulier de la rue Louis-Boilly dans le 16ème arrondissement de Paris, ancien relais de chasse du duc de Valmy acquis par l’industriel Jules Marmottan en 1882, a ouvert ses portes au public. Disparu en 1932, Paul Marmottan, fils de Jules, souhaitait en effet que le lieu devienne un musée pour présenter sa collection de mobilier, d’objets d’art décoratif et de tableaux Premier Empire.

Enrichi progressivement par donations, le fonds Marmottan va prendre une teinte résolument impressionniste à partir de 1957, avec le legs de Victorine Donop de Monchy, fille de Georges de Bellio, médecin et grand admirateur des Impressionnistes. C’est grâce à elle que le Musée détient le fameux Impression, Soleil Levant de Monet, considéré comme « l’acte de naissance » de l’Impressionnisme. En 1966, le legs de Michel Monet, le second fils du peintre, place le Musée Marmottan au premier rang mondial des collections d’œuvres de Claude Monet. Enfin, le legs Thérèse Rouart fait du Musée la première collection publique d’oeuvres de Berthe Morisot.

Pour fêter son 80ème anniversaire, le Musée Marmottan rend hommage à son histoire, en montrant son attachement aux collectionneurs, sans lesquels il n’existerait pas, et sa fidélité à la veine impressionniste de son fonds. Il a ainsi réuni, en une exposition exceptionnelle, une centaine de tableaux, dessins, pastels et sculptures, tous détenus par des particuliers. 51 collectionneurs exactement, dont une bonne moitié étrangers, ont ainsi prêté leur concours à l’événement. Beaucoup d’œuvres n’ont jamais été exposées au public, ou il y a fort longtemps. Autant dire qu’il s’agit là d’une occasion unique de les découvrir, d’autant que la plupart sont de premier rang, et même certains des chefs d’œuvres.

Le parcours est très simple, très lisible. On commence par les prémices de l’Impressionnisme, avec à droite de belles marines du Hollandais Jongkind et à gauche celles de Boudin, qui apprit la peinture de plein air à Monet, ainsi que des paysages de Corot, d’une finesse inouïe comme toujours. Le travail sur la lumière des deux premiers, le pinceau légèrement flouté du troisième annoncent les recherches et les développements des Impressionnistes. Le père de la peinture moderne, Manet, est également au rendez-vous, avec la version préparatoire du Bar aux Folies Bergère.

Alfred Sisley, Une cour à Chaville, vers 1879, collection de la famille Curtin (service presse / Musée Marmottan Monet) ©
Alfred Sisley, Une cour à Chaville, vers 1879, collection de la famille Curtin (service presse / Musée Marmottan Monet) ©

Puis voici l’émergence des Impressionnistes, avec leur première exposition de 1874 (qui fut un échec) et les années de travail ensemble. Pissaro, Sisley, Cézanne, Monet, Guillaumin, Renoir, Morisot, ils sont tous là. Les paysages se suivent, se complètent, s’apparentent mais ne se ressemblent pas. Sisley fait des merveilles aussi bien au bord de l’eau (Tournant du Loing à Moret. Printemps) que sous la neige (Une cour à Chaville) ; on découvre Monet sur les planches à Trouville ; on retrouve Pissarro dans les foins. Cézanne et Renoir se saluent d’un bouquet, l’un de géraniums, l’autre de roses et de pivoines. Tout cela est tour à tour ou tout à la fois merveilleusement coloré, lumineux, paisible, gai, léger… tout simplement très beau.

Paul Cézanne – Géraniums et pieds d’alouette dans un petit vase de Delft, vers 1873 hst 52 x 39 cm Signé en bas à gauche : P. Cézanne, Collection particulière, France © Christian Baraja
Paul Cézanne – Géraniums et pieds d’alouette dans un petit vase de Delft, vers 1873 hst 52 x 39 cm Signé en bas à gauche : P. Cézanne, Collection particulière, France © Christian Baraja

La dernière partie de l’exposition traite les artistes séparément : en effet, avant la fin du siècle, chacun a pris son propre chemin. Un nouveau peintre a aussi fait son apparition : Caillebotte, dont on admire ici de magnifiques tableaux aux plans « photographiques » : œuvres parisiennes comme Rue Halévy, vue du sixième étage, mais aussi peintures de sa propriété en extérieur, dont les véritables sujets semblent être les massifs fleuris, comme Les soleils, jardin du Petit-Genevilliers ou encore Les Dahlias. Degas est magnifiquement représenté par des pastels tels que La toilette après le bain mais aussi par la splendide sculpture Petite danseuse de 14 ans. Et l’on a même droit à un clin d’œil de Rodin, dont est présentée une étude en terre cuite du Penseur.

L’exposition se termine avec deux tableaux du « dernier » Monet, hyper-modernes, à la limite de l’abstraction : un étonnant Leicester Square (Londres), la nuit (très nocturne effectivement !) et des Hémérocalles au bord de l’eau, dans la veine des Nymphéas, mais qui justement n’en sont pas et dont les belles teintes orangées claquent merveilleusement sur le fond vert et bleu des végétaux aquatiques et de l’eau.

 

Musée Marmottan

2, rue Louis-Boilly – Paris XVIème

Tél. : 01 44 96 50 33

TLJ sauf le lundi, de 10h à 18h, le jeudi jusqu’à 20h

Entrée 10 euros, tarif réduit 5 euros

Jusqu’au 6 juillet 2014

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Carl Larsson, L'imagier de la Suède

 

 Carl Larsson, Le peintre en plein air, 1886, huile sur toile © Nationalmuseum, Stockholm

Carl Larsson, Le peintre en plein air, 1886, huile sur toile
© Nationalmuseum, Stockholm

Quelle découverte merveilleuse ! Carl Larsson (1853-1919), grand peintre suédois, fait pour la première fois l’objet d’une rétrospective en France. Elle est présentée au Petit Palais à Paris, « en contre-point de l’exposition Paris 1900 » ainsi que le souligne le musée.

Mais attention, si cette dernière exposition, qui rencontre un grand succès est visible jusqu’au 17 août, en revanche celle dédiée à Carl Larsson s’achève dès le 7 juin.

Cent vingt œuvres sont réunies, en majorité des aquarelles, mais aussi des peintures à l’huile, des dessins préparatoires et quelques eaux-fortes. Tout enchante. Carl Larsson, qui fit ses débuts dans la peinture d’histoire et dans l’illustration de presse, manifestant d’emblée un don pour le dessin évident, s’installa en France dès 1877 et pour une bonne dizaine d’années, espérant s’y faire connaître. Il passa quelques temps avec l’école de Barbizon et fréquenta la colonie d’artistes anglo-saxons et scandinaves établie à Grez-sur-Loing près de Fontainebleau. Mais ses espoirs furent déçus : ce n’est pas en France qu’il connut le succès.

 Carl Larsson, Dans le jardin potager, 1883, aquarelle © Nationalmuseum Stockholm
Carl Larsson, Dans le jardin potager, 1883, aquarelle © Nationalmuseum Stockholm

L’exposition s’ouvre avec ces tableaux, peintures à l’huile et surtout aquarelles, exécutés France. Ce sont des scènes d’extérieur montrant des paysans et des potagers, peints d’une main douce et vaporeuse, avec des teintes printanières claires et gaies, que les touches blanches d’une coiffe ou d’un tablier font joliment twister.

Déjà, on remarque le regard respectueux, presque aimant, de ce peintre d’extraction très modeste à l’égard des travailleurs. On admire aussi dès le début le sens de la composition et le cadrage moderne de l’artiste suédois – cadrage qui deviendra de plus en plus audacieux avec le temps. Le superbe Le peintre en plein air réalisé en Suède en témoigne. La perspective de cette scène de neige est construite en douce diagonale, qui permet de montrer le peintre entouré des siens sur le côté, tout près du spectateur, et en même temps la profondeur du paysage si simple et si beau qu’il s’apprête à peindre. Ce que l’on découvre enfin dès ces premières oeuvres est la façon dont Carl Larsson donne vie à tout ce qu’il représente. Il est en cela un illustrateur extraordinaire. Avec lui, on n’est jamais dans la théorie ou la poésie. Les personnages, personnes pour la plupart mais aussi animaux domestiques, sont vibrants de vie. Leurs regards parlent – il n’a pas son pareil pour restituer la naïveté ou l’espièglerie dans les yeux d’un enfant -, leurs corps expriment l’abandon du repos ou l’attention soutenue de l’activité qui les anime. Les portraits, tels l’impressionnant dessin au fusain d’August Strindberg, son vieil ami devenu ennemi, ou celui, ô combien touchant de son menuisier, sont ceux de personnalités qu’il nous semble pouvoir connaître.

 Carl Larsson, "Murre". Casimir Laurin, 1900, aquarelle © Nationalmuseum Stockholm
Carl Larsson, « Murre ». Casimir Laurin, 1900, aquarelle © Nationalmuseum Stockholm

La suite de l’exposition confirme ces talents, magnifiquement épanouis dans le genre qui lui valu un très grand succès dans son pays et en Allemagne : la peinture d’intérieur. Sur ses aquarelles d’une grande finesse s’étale le bonheur familial du peintre à l’enfance malheureuse, entouré de son épouse, de leurs enfants, de leurs domestiques, sans oublier ni le chien ni le chat. Un film de cette vie-là montré vers la fin du parcours confirme l’ambiance gaie et apaisante des scènes représentées par Carl Larsson. Mièvre ? Pas du tout ! D’abord parce que comme on l’a dit, tout cela regorge de vie, mais aussi parce que les intérieurs – à savoir la maison de campagne de la famille – sont très surprenants. Ce sont des meubles aux couleurs vives (orange, vert, bleu), des murs aux décors plein de fantaisie (et néanmoins très harmonieux), des tissus clairs et modernes, des plantes souples et des fleurs du jardin en veux-tu en voilà… bref, tout sauf les atmosphères bourgeoises confinées voire étouffantes de l’époque.

Il faut dire que Mme Karin Larsson – peintre elle-même avant son mariage – était également dotée d’un grand sens artistique. Elle tissait ses propres tissus, dessinait des meubles (son support à plantes n’est-il pas extra ?), composait de splendides bouquets. Tout cela fait le cadre frais et chaleureux d’une vie domestique calme et joyeuse, si brillamment exécutée que l’on se demande pourquoi la France a boudé – ou tout au moins ignoré –  l’œuvre de Carl Larsson si longtemps.

Carl Larsson, L’imagier de la Suède

Petit Palais

Avenue Winston Churchill, 75008 Paris

Tous les jours sauf lundi et jours fériés, 10h-18h, nocturne le jeudi jusqu’à 20h

Entrée : 8€ / 6€ / 4€ (gratuit jusqu’à 13 ans)

Jusqu’au 7 juin 2014

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Van Gogh – Artaud. Le suicidé de la société. Musée d'Orsay

Vincent Van Gogh (1853-1890) Route de campagne en Provence de nuit 1890 Huile sur toile H. 92 ; L. 73 cm Otterlo, collection Kröller-Müller Museum © Kröller-Müller Museum
Vincent Van Gogh (1853-1890) Route de campagne en Provence de nuit 1890 Huile sur toile H. 92 ; L. 73 cm Otterlo, collection Kröller-Müller Museum © Kröller-Müller Museum

A la veille de l’inauguration d’une rétrospective consacrée à Vincent Van Gogh (1853-1890) présentée au Musée de l’Orangerie à Paris de janvier à mars 1947, le galeriste Pierre Loeb propose à Antonin Artaud (1896-1948) d’écrire un texte sur le peintre hollandais.

D’abord peu emballé, c’est lorsque il découvre dans la presse des extraits du livre du docteur Beer intitulé Un démon de Van Gogh que, fou de rage face au jugement porté par le médecin (et la société) sur la santé mentale de Van Gogh, il écrit, pratiquement d’un jet, Van Gogh, le suicidé de la société. Le texte, dicté à son assistante Paule Thévenin entre le 8 février et le 3 mars 1947, publié la même année, recevra le prix Sainte-Beuve.

L’exposition à voir jusqu’au 6 juillet 2014 au Musée d’Orsay redonne vie à cet essai dans lequel Artaud s’élève contre la médecine psychiatrique, laquelle avec la complicité de la société aurait poussé Van Gogh au suicide, tout en tressant une couronne de lauriers au peintre dont l’œuvre criait « d’insupportables vérités ».

Des extraits du texte servent de fil conducteur au parcours qui réunit une bonne quarantaine de tableaux, des aquarelles et des dessins du peintre, issus pour partie des collections du musée d’Orsay mais aussi de collections muséales et privées internationales.

S’y ajoutent des dessins d’Antonin Artaud et des photographies, principalement de Denise Colomb, ainsi qu’une de Man Ray de 1926 rappelant les liens de l’homme de théâtre avec le groupe des Surréalistes.

«Le Fauteuil de Gauguin», 1888. (Photo Amsterdam Van Gogh Museum. Fondation Vincent Van Gogh)
«Le Fauteuil de Gauguin», 1888. (Photo Amsterdam Van Gogh Museum. Fondation Vincent Van Gogh)

L’exposition évoque ainsi la personnalité et le parcours d’Artaud : une vie et une œuvre profondément marquées par la maladie mentale (depuis l’enfance), l’enfermement (neuf années en hôpital psychiatrique), mais aussi le théâtre (il fut comédien et créateur de décors scéniques), le dessin (significatif des plus grands tourments et de tentatives de « rassemblement »), et bien sûr l’écriture.

Le lien avec Van Gogh se fait évidemment autour de « la folie » qui était d’ailleurs le motif pour lequel Pierre Loeb, galeriste d’Artaud, lui avait suggéré cet écrit. Ce lien, à travers les extraits du texte, amène et présente les tableaux du peintre suicidé à 37 ans.

Malgré le caractère inédit et l’indéniable intérêt de l’exposition, une autre évidence se fait plus criante : l’œuvre de Van Gogh n’a besoin d’aucun avocat. Les tableaux « écrasent tout » sur leurs cimaises, y compris le texte d’Artaud à certains moments. Couleurs, touches, composition, regard : autoportraits, portraits, paysages et natures mortes ne sont que splendeurs. On redécouvre et découvre cette incroyable peinture et, cruellement, le reste semble presque anecdotique. Il est vrai que les propos d’Artaud, aussi beaux, poétiques et émouvants soient-ils, résonnent comme des adresses faites contre les docteurs autant pour son propre compte (on peut le comprendre, tant il a souffert) que pour celui de Vincent Van Gogh, pourtant sujet de son texte brillant.

Vincent van Gogh / Antonin Artaud. Le suicidé de la société
De 9h30 à 18h les mardi, mercredi, vendredi, samedi et dimanche et jusqu’à 21h45 le jeudi
Métro Solférino, RER C, station Musée d’Orsay, bus 24, 63, 68, 69, 73, 83, 84, 94
Entrée 11 euros (tarif réduit 8,50 euros), gratuit le 1er dimanche du mois
Jusqu’au 6 juillet 2014
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Gustave Doré. L'imaginaire au pouvoir

"Le Chat botté", publié dans "Charles Perrault, Contes",  illustré par Gustave Doré, gravé par Adolphe François Pannemaker (1822-1900), Paris, Hetzel, 1862, in-fol. 43 x 31 x 4,5 cm © Bibliothèque Nationale de France
« Le Chat botté », publié dans « Charles Perrault, Contes », illustré par Gustave Doré, gravé par Adolphe François Pannemaker (1822-1900), Paris, Hetzel, 1862, in-fol. 43 x 31 x 4,5 cm © Bibliothèque Nationale de France

Gros coup de cœur pour cette exposition rudement bien pensée. Merci au Musée d’Orsay de mettre à l’honneur cet artiste prolifique et protéiforme qui est peu exposé et assez mal connu en France, sauf pour ses illustrations des classiques de la littérature (et encore sans doute pas par toutes les générations). Gustave Doré (1832-1883) fut un caricaturiste, illustrateur, graveur, aquarelliste peintre et sculpteur qui, s’il ne révolutionna pas la peinture comme Edouard Manet son contemporain, fut aussi un moderne à sa façon.

En fait, il semble avoir appartenu à trois époques différentes : celle qui finissait quand lui commençait, l’époque Romantique, celle bien de son XIXème siècle, avec des dessins satiriques dans la veine de Daumier et des illustrations de la littérature classique (Dante, Rabelais, La Fontaine, Cervantès, Perrault, Milton, Shakespeare), de la Bible, mais aussi des écrivains de son temps (Balzac, Poe, Hugo…), et enfin l’époque des générations à venir, avec des dessins qui évoquent ce que seront plus tard la bande dessiné et le cinéma.

L’exposition est un bonheur car elle montre toutes les facettes de l’art de Gustave Doré, y compris celles que l’on connaît moins : notamment ses étonnantes sculptures mais aussi ses grandes peintures d’histoire qui valent le détour, comme le monumental Christ quittant le prétoire dans sa version de Nantes.

Souvenir de Loch Lamond, 1875 Huile sur toile, 131 x 196 cm New York, collection © French & Company, New York
Souvenir de Loch Lamond, 1875 Huile sur toile, 131 x 196 cm New York, collection © French & Company, New York

Surtout, c’est la variété et l’intérêt des sujets illustrés qui rendent le parcours captivant : l’on passe de l’actualité du XIXème vue de Paris avec un regard sans concession (du grand Salon de peinture au communisme) à un reportage à Londres des plus saisissants (de la misère des bas-fonds aux milieux les plus huppés), de l’illustration de Gargantua (un délice) à celle de la Bible (poignante). Mais ce n’est pas tout : fervent patriote, Doré a aussi peint la terrible guerre de 1870 contre la Prusse et la Commune de Paris, en puisant dans le répertoire allégorique et en renouant avec la noirceur de certaines de ses illustrations fantastiques ; alpiniste passionné, il a commis d’exquises aquarelles et des toiles de paysages montagneux lesquelles, des Pyrénées à l’Ecosse, témoignent d’un sens du sublime digne des peintres germaniques.

Dessinateur virtuose et précoce (il a débuté sa carrière dans l’illustration de presse à 15 ans), Gustave Doré a traité tous ces sujets avec un égal talent même si, faiblesse pour les livres illustrés et joie devant sa puissance imaginative et son sens du romanesque aidant, ce sont ses illustrations si soignées qui donnent le plus envie de prolonger le plaisir de l’exposition.

 

Une exposition réalisée par le musée d’Orsay et le musée des beaux-arts du Canada, en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France.

Elle sera présentée au musée des beaux-arts du Canada (Ottawa) du 12 juin au 14 septembre 2014.

A découvrir de partout : l’exposition virtuelle sur le site de la BNF

Gustave Doré (1832-1883). L’imaginaire au pouvoir

Jusqu’au 11 mai 2014

Retrouvez tous les renseignements pratiques sur le site du Musée d’Orsay

 

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Les Pléiades, Les trente ans des Fonds Régionaux d’Art Contemporain

Pleiades, trente ans des FracOù se cachent les œuvres d’art contemporain quand elles ne sont pas dans les appartements privés, les galeries et quelques musées ?

En France on en compte 26000, réalisées par 4200 artistes français et étrangers, qui appartiennent aux FRAC, les Fonds Régionaux d’Art Contemporain (1).

En réalité ces œuvres ne sont pas si cachées que cela puisque une sur trois environ est présentée au public grâce à une politique de mobilité qui permet de les apprécier dans les divers lieux où on peut les installer temporairement, des musées aux établissement scolaires, des hôpitaux aux associations de quartier.

Car les FRAC n’ont pas de lieu d’exposition à eux. Sauf pour leur trentième anniversaire cette année, lorsque le musée des Abattoirs propose ces « Pléiades » en donnant carte blanche à 23 FRAC afin qu’ils rendent compte chacun à leur manière de leur travail dans l’histoire de l’art contemporain. Ainsi sur un même lieu nous sont présentées 23 expositions, car les artistes sont devenus commissaires lorsqu’on leur a confié la mission
d’organiser cette présentation pour leur région.

Nous avons donc 23 visions d’artistes sur la production d’art contemporain depuis trente ans, à la fois regards sur leur travail et sur celui de leurs pairs. On ne s’étonnera pas d’être confronté à une diversité extrême dans les approches et dans les œuvres, et pour éviter l’errance peu fructueuse d’un objet à l’autre, en espérant une révélation soudaine au détour d’une installation, on préférera s’immiscer dans chacun des univers à l’aide du
livret distribué à l’entrée du musée. L’art contemporain se donne peu immédiatement et on doit profiter des vertus de la polysémie des œuvres : les « discours d’accompagnement » sont utiles, non parce qu’il faudrait croire à l’interprétation des commissaires, des critiques ou même des artistes eux-mêmes (qui sont loin d’être les meilleurs commentateurs de leurs productions), mais pour laisser traîner son imaginaire et sa pensée au sein de ces discours multiples.

Les trente ans des FRAC aux Abattoirs à ToulouseDe l’œuvre n°1, Holey Glory,(navire sur roues) présentée par le FRAC Languedoc-Roussillon aux vidéos de Dora Garcia (webcam installée dans une salle d’exposition), qui nous vient du FRAC Lorraine, les occasions ne manquent pas de s’interroger sur la place de l’art dans nos vies. Nous ne nous arrêterons que sur un aspect qui saute aux yeux : le contemporain est largement le passé qui va advenir.
Evidemment une commémoration d’anniversaire provoque la réflexion dans ce sens : le collectif Claire Fontaine (FRAC Haute Normandie) a choisi l’inventaire des œuvres acquises en 1983, comme dans une exposition classique, mais avec un clin d’œil aux numéros d’ordre d’entrée des œuvres dans la collection. Par chance on trouve cette année-là, par exemple, Olivier Debré et Tal Coat.

La thématique du papier peint, reprise dans les expositions des FRAC des Pays de la Loire, de Basse Normandie, de la Réunion, nous incite à nous arrêter sur ces éléments de la vie quotidienne qui datent une époque, qui ont en quelque sorte arrêté le temps. Plusieurs artistes travaillent la question de l’archéologie (Fouilles d’Erik Dietman et Accumulator 2 de Félix Schramm proposés par le FRAC Alsace), autre manière d’introduire la réflexion sur
l’aujourd’hui qui deviendra passé ; mais lorsque Marc Bauer, du FRAC Auvergne, organise son exposition autour du crâne peint par Denis Laget, nous revoilà sur les « vanités » si classiques en peinture, objets symboliques du temps qui passe.

Le caractère éphémère des choses et des vies, c’est le rappel constant que les artistes ravivent. L’art a d’abord été contemporain, à toutes les époques bien sûr, mais a beaucoup signifié, alors, qu’il ne croyait pas beaucoup à son présent.

Les Pléiades
30 ans des Fonds Régionaux d’Art Contemporain

Musée Les Abattoirs
Toulouse
Jusqu’au 5 janvier 2014

(1) On peut retrouver les collections des FRAC accessibles pour la première
fois sur un portail unique : http://lescollectionsdesfrac.fr

Images :
Denis Laget, sans titre et Erik Dietman, Fouilles

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La Renaissance et le Rêve au Musée du Luxembourg

La Renaissance et le Rêve au musée du LuxembourgA travers cette passionnante exposition à voir jusqu’au 26 janvier prochain, le Musée du Luxembourg à Paris se propose de répondre à la question : comment les artistes de la Renaissance ont-ils représenté le rêve ?

En près de 80 œuvres dûment éclairées, essentiellement des peintures et des gravures, y compris un splendide émail peint, le parcours permet de se faire une belle idée du sujet.

Tout commence par le sommeil, comme d’évidence, car l’on ne parle pas ici de rêve éveillé mais bien de songe nocturne : c’est Michel-Ange, avec une sculpture pour le tombeau des Médicis dans la basilique San Lorenzo à Florence qui en a dessiné le canon, sur lequel les peintres du XVI° siècle se sont alignés. Le sommeil est figuré par une femme nue au corps plantureux, lovée sur elle-même, aux yeux clos et à l’expression énigmatique. Les interprétations de Ghirlandaio et de Battista Dossi sont d’une extraordinaire richesse avec animaux, masques, autant de symboles à tenter de décrypter mais dont l’ambiguïté voire l’érotisme du message ne peut passer inaperçu.

A une époque où la religion est extrêmement présente malgré la redécouverte des philosophes de l’Antiquité, beaucoup d’œuvres représentent ce que l’on appelle les « rêves vrais », autrement dit des visions révélées par le divin, souvent en prenant leur source dans l’Ancien Testament. Ainsi l’on découvre plusieurs versions de l’échelle de Jacob, métaphore de l’élévation de l’âme vers Dieu, ou encore du rêve de Pharaon qui voit sept vaches maigres dévorer sept vaches grasses, annonçant la famine qui suivra la prospérité, mais également la vision de Sainte-Hélène, dont la superbe, claire et mélancolique signée Véronèse, venue de la National Gallery de Londres.

Véronèse, le rêve de Sainte-HélèneDans un registre toujours religieux mais plus politique, impossible de passer à côté du Rêve de Philippe II du Greco, prêté par le Monastère royal de l’Escorial à Madrid et montré pour la première fois en France. Les couleurs d’une modernité incroyable, presque acidulées, l’habile et audacieuse composition et la puissance iconographique jusque dans les détails feraient presque tomber à genoux, à l’exemple de son commanditaire figuré au premier plan.

Pour finir, à défaut de pouvoir citer toutes les œuvres dignes d’intérêt, voici une série de peintures qui remportent un grand succès : les visions cauchemardesques de Jérôme Bosch. Venu d’Ottawa, La Tentation de Saint-Antoine, truffé de monstres aussi mystérieux que repoussants place le Saint au centre du tableau comme abandonné dans un monde gagné par les pires vices et condamné aux ténèbres. Quant à l’ensemble de quatre panneaux Visions de l’Au-delà du même Bosch, on y lit une volonté toute « pédagogique » : d’un côté l’Enfer peuplé d’effrayantes créatures, où une terrible chute mène sans ménagement, d’un autre un Paradis fait de douceur et de lumière et entre les deux l’ascension vers le divin, symbolisé par une blanche lumière.

C’est bien la Renaissance, certes, mais elle reste marquée par les temps tragiques du Moyen-Age et ses obscurantismes et annonce des affrontements religieux non moins violents. De tout cela, le travail de Bosch et de ses suiveurs témoigne et, on dirait, avec une certaine délectation. Délectation visiblement encore pleinement partagée par les visiteurs quelques cinq siècles plus tard…

La Renaissance et le Rêve
Bosch, Véronèse, Le Greco…
Musée du Luxembourg
Paris 6ème
TLJ de 10 h à 19 h 30, les lun. et ven. jsq 22 h
Jusqu’au 26 janvier 2014

Images :
Paris Bordone, Vénus endormie et Cupidon, Venise, collection G. Franchetti © 2013. Cameraphoto/Scala, Florence – Photo Scala, Florence – courtesy of the Ministero Beni e Att. Culturali
Véronèse, La Vision (le rêve) de sainte Hélène, vers 1570-1575, huile sur toile, Londres, The National Gallery © The National Gallery, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / National Gallery Photographic Department

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Félix Vallotton, Le feu sous la glace

Felix Vallotton, Le feu sous la glaceNé à Lausanne en 1865, Félix Edouard Vallotton s’installe à Paris en 1882, fait de la France son pays d’adoption et s’y éteint en 1925 à l’âge de 60 ans.

Peintre prolifique – il laisse à sa mort plus de 1 700 tableaux – c’est d’abord par la gravure qu’il devient célèbre et ce, dès les années 1890. C’est pendant cette période également qu’il se rapproche du groupe des Nabis et entame avec Vuillard une étroite relation d’amitié. Rapidement, il se consacre essentiellement à la peinture et, bien qu’exposé avec les Nabis chez Berheim-Jeune en 1901, il ne se revendique d’aucune école.
Il ne privilégie pas davantage tel ou tel genre, embrassant aussi bien le paysage, la nature morte, la scène de genre, le portrait que la peinture d’histoire.

De cette diversité et de cette liberté, la grande rétrospective organisée par le Grand-Palais témoigne avec panache, à travers 170 œuvres, dont 110 tableaux et 60 gravures couvrant toute la carrière de Félix Vallotton. Le parcours thématique se déroule dans une scénographie sobre marquée par un resserrement progressif. Sans doute est-ce le bon choix, car à quelques exceptions près – notamment la série de six planches sur la guerre en toute fin – plus on avance dans l’exposition plus l’on a de réserves sur l’intérêt des tableaux.

Les œuvres les plus passionnantes se trouvent dans la première partie du parcours, au premier niveau. Là sont exposés de magnifiques paysages empreints de mystère, qui nous placent entre deux lumières, à la fin du jour, ou dans une brume neigeuse, où les détails bien dessinés voisinent avec des zones floues, et dont les lignes de fuite bousculées et les couleurs réinterprétées en renforcent l’étrangeté. Il y a du symbolisme là-dedans, du japonisme aussi. L’ensemble demeure fort personnel, très beau et d’une émouvante poésie.

Valloton, Le feu sous la glace

Autre point fort de Félix Vallotton : la peinture de mœurs, dans des scènes d’intérieur qui sont pour lui l’occasion d’élaborer une peinture très critique de la comédie sociale bourgeoise. Ce sont tromperies et fâcheries chez des couples, légitimes ou non, dans des salons étouffants, des chambres dissimulées derrière une enfilade de portes, des salles de spectacle où l’on s’ennuie à périr.
Dans ces scènes, le décor, très présent, y compris en termes chromatiques, concourt efficacement à la puissance de la satire.
Mais c’est par son seul dessin que Vallotton se fait dénonciateur dans ses séries de gravures où, associé à de grands aplats noirs et blancs très découpés, son trait se fait scalpel. Malgré l’éloignement graphique, l’ironie mordante ne manque pas d’évoquer celle des Caprices de Goya, un rapprochement auquel incitera à nouveau, plus loin, ses gravures sur la Première Guerre Mondiale.

Entre ces séries de gravures, encore beaucoup de tableaux, mais dont certains laissent froid. Tel est le cas de la peinture mythologique de Vallotton, qui apparaît aussi simpliste qu’anachronique. Pire encore, les tableaux au vitriol contre les femmes présentées explicitement comme de violentes et sanguinaires prédatrices des hommes : l’outrance du propos le dénue de portée.

L’on découvre avec davantage d’intérêt ses nus féminins, fort nombreux. Beaucoup d’ambiguïté, voire d’érotisme dans des œuvres où le peintre semble vouloir chercher la caution de ses aînés, Ingres et Manet très visiblement. Mais on n’est pas Manet après Manet, et n’a pas la grâce de Dominique Ingres qui veut. Et surtout, où est la sensualité dans tout cela ? Seules ou à deux, souvent entourées d’animaux ou d’objets à la charge symbolique forte, les femmes que Vallotton a peintes apparaissent moins comme de belles séductrices que comme de dangereuses provocatrices que le peintre, tout en dévorant du regard leurs courbes attirantes, semble vouloir tenir à distance en ne montrant pas leur visage et en donnant à leur chair de tristes couleurs, allant parfois jusqu’au gris blafard. Décidément très étonnant notre Vaudois de Vallotton.

Félix Valloton
Le feu sous la glace
Grand Palais, entrée Clemenceau
Jusqu’au 20 janvier 2014

Crédits photos :
© Kunsthaus Zurich et © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

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Georges Braque au Grand Palais

Braque au Grand PalaisSuperbe. Tel est le mot qui vient aux lèvres en sortant, émerveillé et ravi, de la rétrospective à voir absolument au Grand Palais d’ici le 6 janvier prochain.

Première grande exposition depuis 40 ans de l’œuvre du peintre (mais aussi graveur et sculpteur) disparu il y a 50 ans, l’exposition, en près de 240 pièces, essentiellement des peintures, est une découverte pour une grande partie du public.
Non que la peinture moderne soit absente des grandes manifestations parisiennes – loin de là – mais ces dernières décennies ont bien davantage mis en valeur des artistes comme Picasso ou Matisse que Georges Braque, dont la production, déroulée sur plus de 50 ans, de 1907 à sa mort en 1963 a été extraordinairement riche.

Héritier d’abord des Fauves, puis surtout de Cézanne, Braque a été avec Picasso l’inventeur du Cubisme, le pionnier dans le collage sur toile, initié dès les années 1910, puis n’a cessé de poursuivre ses recherches formelles sans jamais se couper de la figuration.

Ce qu’il y a de passionnant dans son œuvre, c’est qu’elle échappe à toute simplification, au résumé. Elle reste ambiguë, mystérieuse, à explorer encore et encore.
Alors même qu’il est un chercheur habité de thématiques obsessionnelles, il n’y a rien de systématique, de prévisible dans l’œuvre de Braque.
Il semble rejeter la couleur au profit de la forme et du modelé ? Il laisse pourtant la place à de superbes camaïeux de bruns et de verts, avant de laisser revenir sur sa toile des contrastes de couleurs, non pas vives comme à ses débuts empreints de l’influence de Matisse, mais néanmoins très présentes, comme le jaune citron ou le rouge amarante.
Il bouscule la figuration pour rechercher à travers le Cubisme la représentation multi-dimensionnelle ? C’est pour mieux, quelques années plus tard, plaquer sur la toile des papiers peints puis des lettres, motifs à plat s’il en est.
Il semble, dès sorti de sa période fauve, abandonner définitivement le paysage ? Que nenni, il y reviendra – et avec quel talent, quelle épure – dans ses dernières années.
Il rejette le classicisme avec force ? C’est pour mieux rendre hommage, toile après toile, après Chardin puis Cézanne, à la nature morte, avec moult compotiers, pichets et autres poissons morts.
Quant à l’esthétisme de la peinture, que tout moderne qu’il est il jette aux orties, il le ménage malgré tout en plaçant parfois sur ses toiles de belles plages décoratives.
Et, à côté de cela, il a ses récurrences, comme l’omniprésence de la musique – guitares, mandolines et pianos à foison – mais aussi de la poésie ou encore de la peinture elle-même, avec palettes et tableaux, très présents dans sa série des Ateliers évidemment.
Quand il peint des personnages, ce sont soit des nus féminins (magnifiques, auxquels ont peut ajouter les étonnants Canéphores), soit des hommes mélancoliques (poignantes toiles peintes pendant l’Occupation), soit des héros grecs (quelle puissance !).

Son amitié avec Picasso, compagnon de route du Cubisme, avec Paulhan (qui l’a baptisé "le Patron") et avec Satie, Normand comme lui, sa collaboration, à travers des recueils illustrés, avec les poètes Pierre Reverdy et René Char sont rappelées. Son installation à Varengeville (où il est enterré, dans le cimetière marin) est également évoquée.
Le thème de l’oiseau (qu’il a introduit au Louvre en 1953) et son absolu lyrisme concluent joliment cette rétrospective en tous points réussie, au parcours chronologique et à la scénographie claire et sobre qui laissent toute leur place, sinon à la compréhension, du moins à l’admiration des œuvres de cet immense peintre.

Georges Braque
Galeries nationales du Grand Palais
Av. Winston-Churchill – Paris 8ème
Jusqu’au 6 janvier 2014

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La petite église de Varengeville-sur-Mer, où l’on retrouve Georges Braque aussi bien dedans que dehors
Lettera amorosa de René Char, illustré par Jean Arp et Georges Braque

Image : Grand Nu, hiver 1907- juin 1908. Huile sur toile ; 140 x 100 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, dation Alex Maguy-Glass, 2002. © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist.RmnGrand Palais / Philippe Migeat, © Adagp, Paris 2013

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