L’œuvre au noir. Marguerite Yourcenar

L’œuvre au noir apparaît comme le Fémina le plus prestigieux de l’histoire du prix. Paru en 1968 il se lit toujours avec le même intérêt, soutenu par la curiosité que nous manifestons pour le protagoniste mis en scène et par le sentiment de pénétrer, grâce au talent de Marguerite Yourcenar dans une période de l’histoire qui a vu naître les fondamentaux de notre monde moderne.

Zénon est un personnage fictif, mais comme l’explique l’autrice, il résume nombre de ces hommes qui ont fait le XVIème siècle européen : l’imprimeur Dolet, les médecins Vésale et Paré, les ingénieurs Cardan et de Vinci, les philosophes Bruno, Campanella et Paracelse. L’intérêt de ces savants n’était pas réduit à la discipline qui peut les résumer aujourd’hui, et certains ne dédaignaient pas la recherche alchimique, comme Zénon lui-même, l’œuvre au noir étant la première étape du processus alchimique.

Ce qui pouvait les réunir était une intense curiosité à partir du moment où l’on prenait une distance à l’égard de certains des principes de l’Église catholique. Zénon défend une sorte de réalisme scientifique qui peut éviter les controverses embarrassantes : « Suis-je cet âne (…) pour risquer de me faire brûler à petit feu sur une place publique en l’honneur de je ne sais quelle interprétation d’un dogme, quand j’ai en train mes travaux sur les mouvements diastoliques et systoliques du cœur, qui m’importent beaucoup plus ? »

Cette passion de la découverte ne l’empêche pas de réfléchir sur l’utilité sociale des inventions techniques, et en cela nous pouvons l’apprécier selon des réflexions tout à fait contemporaines : « Mais une méfiance l’avait pris dans ces rallonges artificielles à ajouter aux membres de l’homme. (…) Peu importait surtout qu’on trouvât moyen d’enregistrer la parole humaine, qui déjà ne remplissait que trop le monde de son bruit de mensonge ».

Ceci dit cette volonté de comprendre ne va pas sans quelques mouvements d’impatience vis-à-vis des conservatismes de l’époque : « La révolte qui vous inquiète était en moi, ou peut-être dans le siècle », répond Zénon au chanoine qui veut le protéger. Car le médecin est condamné au bûcher, accusé de divers méfaits, qui semblent se résumer surtout au pêché d’incroyance.

On ne peut oublier la précision de l’écriture de Marguerite Yourcenar, et la réussite heureuse de bien des formules : « Rentré chez lui, il s’était dit qu’il était temps de tâter à son tour de la rondeur du monde ».

Andreossi

Facebooktwitter

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Loading Facebook Comments ...