Rosie Carpe, Marie Ndiaye.

Si, enfant, on n’a pas été aimé, comment peut-on aimer ensuite ? Telle semble être la question qui traverse ce sombre roman de Marie Ndiaye, primé du Fémina en 2001. Les personnages sordides ne manquent pas dans cette histoire, qui se déroule en deux temps, d’abord dans la banlieue parisienne puis en Guadeloupe.

Dans une première partie, le roman suit Rosie qui a quitté Brive-La-Gaillarde et une famille sinistre pour travailler dans un hôtel. Elle tombe sous l’emprise du gérant, marié, qui lui fait un enfant et l’utilise pour tourner des films pornographiques. Cet enfant, c’est Titi, petit être mal aimé qui inspire l’image d’une méduse : « Il la suivait des yeux avec confiance et gravité, ne sachant pas sourire bien qu’il eût amplement dépassé l’âge d’apprendre à le faire, se contentant de balloter sa tête pesante en fixant Rosie d’un œil solennel, tragique, dilaté de la foi qu’il avait en elle et en elle seule, et cependant, même à elle, ne sachant pas sourire ».

Rosie devient alcoolique, se fait faire un autre enfant sans conscience, qu’heureusement elle perd, et décide de rejoindre en Guadeloupe son frère et ses parents, qu’elle rêve de retrouver un jour comme une vraie famille. Car son frère Lazare, bon à rien de profession, est allé faire fortune là-bas, entraîné par un ami plus que louche.

En Guadeloupe, c’est à l’Antillais Lagrand que le roman s’attache. Sa personnalité tranche dans ce monde de perturbés. Il passe beaucoup de temps à rendre service : « Il se sentait vif et invulnérable, il avait l’impression, généralement jusqu’à midi, que le moindre de ses actes avait un sens et une justification limpides- alors, se demanda-t-il, pourquoi allait-il les chercher ? (…) Pour quelle raison aller, en plus, chercher ces gens qui ne lui étaient rien et dont il découvrait l’existence ? ».

Il aide Lazare, Rosie, il sauve de la mort Titi, que sa mère, pour la seconde fois, a mis en danger. C’est que lui-même est obsédé par l’abandon de sa mère, internée en hôpital psychiatrique : « Il revit sa mère en jaune pointant deux doigts vers lui en feulant : Pschttt !, persuadée qu’il était mauvais, lui, son fils, et qu’elle devait le craindre au point de quitter sa propre maison, de l’y laisser seul (…) ».

Rosie retrouve, béate, une famille bien plus toxique que celle qu’elle a quittée. Et l’autrice nous entraîne, d’une écriture envoûtante, vers un final en droite ligne du roman, où le cynisme l’emporte haut la main.

Andreossi

Facebooktwitter

Deborah et les anges dissipés. Paula Jacques.

Deborah, citoyenne américaine, veut assister aux cérémonies de la création de l’État d’Israël, en 1948, mais s’arrête auparavant au Caire. Elle rend visite ainsi aux membres d’une association de bienfaisance juive financée par son père. Sa visite provoque l’affolement de la petite communauté censée utiliser rigoureusement l’argent américain : l’orphelinat pour jeunes filles qui aurait dû être créé n’a jamais existé, les divers membres de l’association ont toujours trouvé mieux à financer, en particulier leurs propres besoins.

Cette intrigue digne du cinéma burlesque a valu le prix Fémina 1991 à son autrice. C’est que le lecteur s’attache à ses personnages hauts en couleurs, au vocabulaire très imagé, mais aussi peut découvrir le cadre historique, au moment où la nouvelle nation naît dans la violence. Certes l’autrice, qui intervient dans le cadre de son récit, ne veut pas s’engager dans la réflexion politique : « Combien de morts faudra-t-il encore à la liberté pour être libre ? Point de calcul et de méditation qui échappe pour l’instant à ma compétence, chacun son métier, le mien est de raconter cette histoire ».

Il n’en reste pas moins que les Juifs du Caire sont victimes d’une grande rafle : « Le commencement de la patrie juive instaurait la fin des juifs en pays arabes ». Avant cela, il a bien fallu que nos associatifs trouvent une solution pour duper Deborah. C’est le policier Klapish qui en a l’idée : transformer le bordel local, occupé par ses « animatrices », en orphelinat pour jeunes filles le temps de la visite de l’américaine. On ne dévoilera pas ici si le stratagème réussit à convaincre, mais on peut assurer qu’on a là l’occasion de situations assez cocasses.

Les dialogues entre les complices sont particulièrement savoureux, et les expressions pittoresques présentes quasiment dans toutes les pages, du type « On a beau prendre les précautions nécessaires, sait-on jamais comment le destin vous fait la figue ? ». Ou : « Il pensait qu’il est des gens qui mangent les dattes et d’autres sur lesquels on lance les noyaux ».  Belardo, qui se fait disputer par sa femme : « Ah, Dorette, Dorette, dit Belardo, Dieu n’a pas créé l’homme et la femme l’un contre l’autre, mais l’un après l’autre ! ». Le portrait d’un banquier : « Il avait le menton si doublé que le mendiant imagina qu’il y serrait son argent ».

Andreossi

Facebooktwitter