Cantegril. Raymond Escholier

Il manque un nom sur la couverture du roman primé par « La Vie heureuse » (futur Fémina) 1921. C’est celui de Marie-Louise Escholier, car les époux ont en réalité écrit à deux mains la plupart des romans publiés sous le seul nom de Raymond Escholier, dont ce Cantegril. Paradoxe d’un jury féminin, mais il paraît que Marie-Louise n’a accepté d’apparaître publiquement que quelques années plus tard.

Auteur de très nombreux écrits sur l’art (il a été conservateur du musée Victor Hugo et directeur du Petit Palais à Paris) Raymond partageait sa vie entre la capitale et la petite ville de Mirepoix en Ariège, où vivait Marie-Louise.  C’est dans cette région que se situent les histoires cocasses de Philou Cantegril, aubergiste qui a appris, enfant, du père Bireben (saint homme dont « les vignes du Seigneur illustraient de leur pourpre insigne sa grosse face glabre de montagnard trapu ») ce qu’était vraiment la vie : la bonne chère, la joie, le rire. A titre personnel il a ajouté quelques aventures galantes.

Treize historiettes nous renvoient dans cet univers que l’on pourrait qualifier de gaulois si le florentin Boccace n’avait montré le chemin dès le 14ème siècle. Les Escholier y joignent la truculence du Midi, et son parler disparu depuis, car on n’entend plus dans le sud-ouest ces expressions occitanes : « Milo Dious », « maquarel », « hil de puto », et autres « biettazé » dont on taira l’étymologie. Un style très alerte aux métaphores qui sentent bon la campagne : « son rire jaillit et pétille comme la mousse d’une bouteille de blanquette, et ses dents apparaissent toutes à la fois, plus blanches que des amandes fraîchement pelées ».

On rira des aventures vécues dans le dernier voyage en diligence avant que le train n’impose son trajet qui ignorera le plaisir de s’arrêter à la moindre occasion pour boire un verre de vin en bonne compagnie,  ainsi que des bonnes blagues de Philou Cantegril  à ses amis. On sourira lorsque celui-ci, pourtant mécréant, emmène sa vieille mère à la procession de la Fête Dieu. Devant ses voisins étonnés il explique : « J’ai conduit ma sainte mère de reposoir en reposoir, et je disais : Mon Dieu, la voilà. Elle est bien bonne, bien vieille. Son fils vous l’amène, ne l’oubliez plus. Pour les années, il y a bien le compte. Tant de jeunes sont passés devant ». Témoignage d’une société où l’ordre des choses était une valeur à respecter !

Andreossi

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Le nouveau Musée Rodin à Paris

Le nouveau parcours dans l'hôtel Biron restauré
Le nouveau parcours dans l’hôtel Biron restauré

Après plus de trois ans de travaux, qui l’ont consolidé et embelli de fond en comble sous la direction de Richard Duplat, architecte en chef des Monuments historiques, l’hôtel Biron, qui abrite le Musée Rodin à Paris (1) depuis 1919 a rouvert ses portes le 12 novembre dernier. C’est une grande réussite, dans le sens où tout a été pensé pour mettre en valeur les œuvres, mais aussi pour permettre au visiteur de mieux comprendre le travail de l’artiste.

L’hôtel particulier du XVIII° siècle, où Auguste Rodin (1840-1917) prit ses quartiers à partir de 1908 et jusqu’à sa mort, a été magnifiquement restauré. Il en avait grand besoin ; ses planchers ployaient sous le poids des bronzes et des marbres, mais aussi des quelques 700 000 visiteurs (dont 80 % de touristes étrangers) qui s’y précipitent chaque année.

Edvard Munch (1863 -1944), Le Penseur de Rodin dans le parc du docteur Linde à Lübeck, vers 1907, Huile sur toile, H. 22 cm ; L. 78 cm
Edvard Munch (1863 -1944), Le Penseur de Rodin dans le parc du docteur Linde à Lübeck, vers 1907, Huile sur toile, H. 22 cm ; L. 78 cm

Les parquets « Versailles » qui le pouvaient ont été remis en état, les autres remplacés. Les plafonds et moulures ont subi le même sort. Mais le plus spectaculaire – si l’on peut dire, car on réalité on l’oublie très vite, tant elle sied à l’ensemble – est la réfection des murs. Le blanc a cédé la place à des taupes, gris et verts assourdis qui permettent de faire ressortir tant le blanc des marbres et des plâtres que les reflets des bronzes. Le mobilier aussi se fait discret : des socles en chêne, des vitrines sans arrêtes visibles et même, le plus souvent, pas de vitrine du tout. On circule autour des sculptures à loisir, à la lumière naturelle grâce aux grandes fenêtres qui donnent sur le parc. Un éclairage artificiel high tech à l’intensité et à la température variables sur mesure, grâce à des spots réglables individuellement et à distance selon l’heure et la saison, donne à chaque œuvre des conditions de visibilité optimales. Enfin, la sécurité et l’accessibilité (accès à l’étage par ascenseur pour les personnes à mobilité réduite) ont été mises aux normes d’aujourd’hui. Le tout pour une enveloppe de 16 millions d’euros, dont la moitié provient de l’Etat et le reste financé sur fonds propres, notamment grâce aux ventes de tirages de bronzes, dans la limite du nombre de fontes prévues par le sculpteur.

Auguste Rodin (1840 -1917), La Danaïde, 1889, marbre, H. 36 cm ; L. 71 cm ; P. 53 cm
Auguste Rodin (1840 -1917), La Danaïde, 1889, marbre, H. 36 cm ; L. 71 cm ; P. 53 cm

Les 1 200 m² d’espaces d’exposition déploient désormais un parcours continu articulé en 18 salles présentant près de 600 œuvres. (2) La progression est à la fois chronologique et thématique. La visite commence donc avec la formation de l’artiste pour s’achever, de façon plus inattendue, avec des peintures modernes, en particulier Le Penseur de Rodin de Munch, l’un des deux seuls tableaux du peintre norvégien conservés à Paris (l’autre est au Musée d’Orsay). Il faut dire que pour mieux présenter le processus créatif du sculpteur, Catherine Chevillot, la directrice du Musée, a fait le choix de montrer également des œuvres de la collection personnelle de Rodin. Elles traduisent ses sources de réflexion et d’inspiration, ses goûts, ses amitiés. Du reste, il les exposait dans ce même hôtel Biron, à côté de ses propres créations. Ainsi on admire, entourant les sculptures du maître, aussi bien des tableaux de choix (de Van Gogh, Monet, Carrière…) et des fragments d’Antiques romains que des antiquités orientales ou même une Vierge à l’Enfant du Moyen-Age. Une galerie expose aussi, par roulement, des dessins de l’artiste (une passion du sculpteur dont on a déjà parlé ici, mais aussi ) et des photographies. Enfin, comme auparavant, la grande Camille Claudel bénéficie d’une salle dédiée, avec en son centre L’Age mûr, mais aussi Les Causeuses, La Vague..

S’agissant des sculptures de l’auguste Rodin, les plus remarquables sont bien sûr réunies, de L’Age d’Arain à L’Homme qui marche, en passant par son Saint Jean-Baptiste, La Danaïde, La Porte de l’Enfer (dont Le Baiser en marbre au centre de la pièce), les études pour Les Bourgeois de Calais, Balzac, le Monument à Victor Hugo… Impossible de citer tous ces chefs d’œuvres, désormais plus beaux et passionnants que jamais, grâce à un travail de mise en valeur tout en intelligence et délicatesse.

Musée Rodin

77 rue de Varenne, 75007 Paris – Tél. 01 44 18 61 10

TLJ sauf le lundi, de 10h à 17h45, nocturne le mercredi jsq 20h45

Le musée Rodin est fermé les 1er janvier, 1er mai et 25 décembre.
Fermeture anticipée les 24 et 31 décembre à 16h45

Entrée 10 €

 

(1) L’autre Musée Rodin est située à Meudon (Hauts-de-Seine), également atelier et lieu d’exposition du vivant du sculpteur.

(2) Pour mémoire, le fonds du musée compte plus de 30 000 pièces, dont 6 775 sculptures, presque autant d’Antiques collectionnés par l’artiste, 9 000 dessins et estampes, 11 000 photographies…Facebooktwitter

Le musée Soulages à Rodez

Eau-forte VIII, 1957 Donation Pierre et Colette Soulages
Eau-forte VIII, 1957
Donation Pierre et Colette Soulages

« Les musées ne m’inspirent pas vraiment. Le regard sur le passé m’a toujours ennuyé. Mais ennuyé au point que le mot n’est pas assez fort… Ce qui me préoccupe, ce n’est ni aujourd’hui ni le passé, c’est ce que j’ai envie de faire demain. »

En lisant ces mots de Pierre Soulages, l’artiste contemporain français le plus connu dans le monde, on comprend que l’installation d’un musée à son nom n’a pas été simple. Cette aventure est très bien expliquée dans la revue Urbanisme (été 2015, n° 397), dans laquelle on peut lire aussi l’intégralité de l’entretien dont sont issus les extraits cités ici.

Pierre Soulages, l’enfant de Rodez, qui y vit le jour en 1919, n’était en effet pas favorable à un musée monographique, qui selon lui perd de son attrait au bout de quelques années. Pour le décider, il a fallu repasser par Conques : ce sont d’abord les travaux préparatoires aux célèbres vitraux de la splendide abbatiale de Sainte Foy de Conques, que l’artiste a accepté d’exposer, compte tenu de la proximité géographique avec Rodez. « Les cartons, puis les gravures, ce qui est sur papier, et la peinture, les peintures d’enfance… de proche en proche, l’ensemble s’est construit progressivement, ce n’était pas une pensée constituée dès le départ » raconte l’artiste qui a finalement consenti deux importantes donations au musée, réunissant quelques 500 pièces au total (peintures sur toiles, sur papier, ensemble des estampes, bronzes, cartons des vitraux de Conques).

Il s’agit désormais de la plus grande collection au monde de Pierre Soulages, abritée dans un écrin conçu par les architectes catalans RCR Arquitectes. De l’extérieur, ce sont de grands cubes de verre et surtout d’acier Corten (couleur rouille, comme celle du brou de noix utilisé par le peintre) ; à l’intérieur, de l’acier encore, d’un gris profond celui-ci, recouvre les sols et les murs des premières salles. Conformément à ce que souhaitait l’artiste, afin d’éviter l’écueil de « l’usure » de la monographie dans le temps, sur les quelques 6 600 m² du bâtiment, 500 m² sont réservés aux expositions temporaires, afin d’accueillir d’autres artistes contemporains.

Dès l’ouverture du musée le 30 mai 2014, le succès a été au rendez-vous : sur la première année, plus de 250 000 visiteurs se sont déplacés dans la préfecture aveyronnaise, qui compte 57 000 habitants agglomération comprise.

Le conservateur du musée, Benoît Decron, également directeur des musées du Grand Rodez, a mis en place un billet unique (9 € en plein tarif) qui permet de visiter en plus les deux autres musées ruthénois : le musée Fenaille, musée de l’histoire du Rouergue, où sont exposés notamment les célèbres statues menhir (lire le billet d’Andreossi sur ce point), ainsi que le musée des Beaux-Arts Denys-Puech, tous deux ayant du coup enregistré de belles hausses de fréquentation. Cette variété de propositions est judicieuse et en définitive très agréable pour le visiteur qui, autrement, n’aurait peut-être pas eu l’idée de découvrir ces deux autres musées.

Dernière chose importante à savoir : Michel et son fils Sébastien Bras, à la tête du célèbre restaurant triplement étoilé sur l’Aubrac, ont ouvert au musée Soulages un « Café Bras » où l’on peut soit « grignoter » leurs créations, soit s’installer pour un repas complet à prix raisonnable (31 €) et de très belle qualité gustative et de fraîcheur. Même sans les étoiles, il serait dommage de passer à côté, il est donc plus sage de réserver (en deux clics sur le site).

Voilà pour l’essentiel du « factuel ». Reste le « sensible »…

Pierre Soulages Peinture, 162 x 114 cm, 27 août 1958, huile sur toile Donation Pierre et Colette Soulages
Pierre Soulages
Peinture, 162 x 114 cm, 27 août 1958, huile sur toile
Donation Pierre et Colette Soulages

Le bâtiment, l’artiste le dit lui-même, est « magnifique ». Il va comme un gant à l’endroit où il se situe, dans le jardin du foirail, au pied de la cathédrale de grès rose (à admirer au soleil du soir, et en profiter pour la visiter, elle est remarquable).

L’intérieur est un enchantement : on adore l’exposition des œuvres sur ce fond acier, qui tranche avec ce qu’on avait vu à Beaubourg (inoubliable rétrospective de 2009-2010, qui avait accueilli plus de 500 000 visiteurs), merveilleusement mis en scène sur fond blanc. Ici, le gris intense satiné fait ressortir la profondeur des œuvres, qu’il s’agisse des peintures ou des fragiles œuvres sur papier. On n’est guère surpris par les explications présentant les différentes techniques (eaux-fortes, lithographies, sérigraphies) : elles renvoient à la passion de Pierre Soulages pour l’artisanat, la fabrication, les essais, les aléas de la création… La rue où l’artiste a vu le jour à Rodez (la rue Combarel) était en effet à l’époque truffée de toutes sortes d’artisans, chez qui l’enfant était toujours fourré. Il raconte lui-même qu’ils l’ont beaucoup marqué. En admirant les différents supports qu’il a travaillés, on retrouve bien cet attrait pour le matériau, les outils, le travail d’élaboration…

L’ensemble de l’œuvre depuis 1946 est représenté, y compris (elles sont rares) des sculptures en bronze. Devant certains tableaux et estampes, on est pris d’une forte émotion. Jamais l’on ne saura ce que nous disent vraiment ces œuvres abstraites, et pourtant comme cette mystérieuse parole faite d’huile et d’encre touche à quelque chose d’essentiel… Les outre-noirs sont exposés avec un éclairage très particulier, quelques spots savamment dirigés et beaucoup de lumière naturelle filtrée. On ne voit presque plus de noir, mais du gris, des reflets marrons, jaunes, et évidemment beaucoup de matière. Très surprenant !

Last but not least (c’est même l’origine du musée, au contraire, comme on l’a dit) : la salle consacrée aux travaux préparatoires des vitraux de Conques. Cartons, échantillons de verre, explications et passionnant film montrant le patient et obstiné processus créatif de ceux-ci par Pierre Soulages.

Le bleu de l'oeil Claude Levêque
Le bleu de l’oeil
Claude Levêque

C’est donc sur ses propres mots (comme on l’aime le voir et l’entendre, on pourrait y rester des heures !) que la visite se termine. Sauf à la prolonger de quelques minutes, ce qui est conseillé, pour découvrir, jusqu’au 27 septembre 2015, l’installation lumineuse de l’artiste contemporain Claude Levêque, « Le bleu de l’oeil », dans la salle d’exposition temporaire. Elle est très belle, à la fois enveloppante et ouverte sur d’autres champs, et ne contraste pas autant qu’on l’aurait pressenti avec l’œuvre de Pierre Soulages. Comme si, ici, tout se tenait.

Musée Soulages

Jardin du Foirail, avenue Victor Hugo – 12 000 Rodez

Entrée 9 € (TR 5 €) – billet unique (valable 1 mois), donnant accès aux musées Soulages, Fenaille et Denys-Puech

Café Bras

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Rodin, le laboratoire de la création. Musée Rodin

E. Druet, le Baiser vers 1898 épreuve gélatino argentique. ph373
E. Druet, le Baiser vers 1898 épreuve gélatino argentique. ph373

En attendant la fin de la rénovation de l’Hôtel Biron et la nouvelle muséographie prévue pour l’automne 2015, le Musée Rodin à Paris propose jusqu’au mois de septembre une passionnante exposition très justement intitulée « Le laboratoire de la création ».

Il s’agit de plonger dans l’atelier d’Auguste Rodin (1840-1917) pour approcher son œuvre d’un œil différent : découvrir les sculptures en train de se faire. Pour construire ce parcours, le musée a sorti de ses réserves quelques 150 plâtres et terres cuites et, plus inattendu, y a ajouté de nombreuses photos montrant l’artiste et surtout ses créations au cœur de son atelier ou telles qu’elles furent exposées à l’époque. Ces photographies rendent le propos particulièrement vivant, quand les œuvres plastiques soulignent toute la dynamique du processus de sculpture.

De L’Age d’Airain qui l’a fait connaître en 1877 à la Muse Whistler, en passant par les grandes commandes publiques que furent La Porte de l’Enfer (avec Ugolin, Le Penseur…) et les monuments aux Bourgeois de Calais, à Victor Hugo et à Balzac, le public peut ainsi redécouvrir l’ensemble de la carrière d’Auguste Rodin. Il peut aussi en profiter pour aller revoir, après la visite de l’exposition, les bronzes et les marbres exposés dans le jardin, plein de charme en toutes saisons, histoire de compléter ce joli tour d’horizon.

Charles Bodmer, tête de St Jean-Baptiste sur une sellette vers 1886
Charles Bodmer, tête de St Jean-Baptiste sur une sellette vers 1886

Outre la splendeur et la force de vie incroyables que dégagent les sculptures de Rodin, qu’elles soient d’ailleurs achevées ou en cours de modelage, l’importance et la qualité des photographies constituent l’autre point frappant du parcours.

En fait, Rodin s’est servi de la photographie tout au long de sa carrière, au début, pour illustrer les articles de presse qu’on lui demandait, puis tout simplement pour faire connaître et diffuser l’ensemble de son œuvre. Les photographes sont divers, qu’il s’agisse d’Eugène Druet, amateur imposé par l’artiste, de professionnels comme Charles Bodmer, Freuler et Victor Pannelier, Jacques-Ernest Bulloz, ou encore de photographes de l’école pictorialiste comme Edward Steichen, qui a passé une nuit entière à photographier le Balzac de Rodin sorti de l’atelier de Meudon. Le résultat, superbe, fit dire à l’artiste, pour qui cette sculpture fut un échec : « Enfin, le public va comprendre mon œuvre ! ». Les autres photographies méritent aussi le détour. Pour n’en citer que quelques unes : La tête de Saint Jean Baptiste en plâtre par Charles Bodmer (vers 1887), Le Penseur en terre retouché à la mine de plomb par Victor Pannelier (1882), Rodin au milieu de ses œuvres dans le pavillon de l’Alma à Meudon (1902) par Eugène Druet ou encore l’Essai d’installation du monument à Victor Hugo dans les jardins du Palais Royal en 1909 : comme si on y était !

 

Rodin, le laboratoire de la création
Musée Rodin

79 rue de Varenne – Paris 7ème

Du mardi au dimanche de 10 h à 17h45, le mercredi jsq 20h45

Entrée 9 euros (TR 5 et 7 euros)

Jusqu’au 27 septembre 2015Facebooktwitter

Mille francs de récompense au Théâtre de l'Odéon

Mille francs de récompense mis en scène par Laurent Pelly

Alors que les feux sont braqués sur les écrans cannois, il se passe en ce moment sur les planches parisiennes un grand moment de théâtre, un de ces spectacles intelligents et populaires que l’on attend longtemps et ne vit que trop rarement.

Le texte a près de 150 d’âge et n’est presque jamais joué. Son auteur est pourtant illustre, mais allez savoir pourquoi cette pièce écrite par Victor Hugo en 1865 n’a été éditée qu’en 1934 et montée pour la première fois… en 1961.
Et elle a en tout cas gardé toute sa fraîcheur.

C’est à Laurent Pelly que l’on doit la grâce de (re)découvrir cette œuvre, avec un travail de mise en scène des plus réussis.

Dans cette vaste pièce trépidante, qui tient en quatre actes comme autant d’épisodes d’un feuilleton illustré, l’on croise un député qui parle davantage de finance que de politique, un nouveau riche dégoulinant de vanité qui retourne sa veste à chaque changement de régime, méprisant avec les faibles et obséquieux avec les puissants, un homme né dans le ruisseau qui a tâté trois ans de cachot pour douze sous de forfait et dort depuis à la belle étoile, une fausse veuve-vraie fille, une demoiselle aussi pauvre qu’amoureuse, un huissier vendu au plus offrant, un grand-père malade, musicien, aimant et faussement italien, sans compter un richissime banquier prétendument espagnol et un juge de bois vert…
Avec tout ça, une vraie intrigue, qui tourne autour de mille francs de récompense pour quatre mille à retrouver, mais pour mieux accompagner les véritables questions de la pièce, qui sont celles de la dissimulation, de l’identité et de la fidélité.

La pièce est merveilleusement écrite, pleine d’humour notamment grâce au personnage du vagabond Glapieu qui se fait aussi observateur et commentateur de l’histoire. Victor Hugo, défenseur de la liberté, de l’honneur, du pauvre, de la veuve, du vieux, de la fille et de l’orphelin, y dresse un formidable tableau social du Paris sous la Restauration… dans lequel, hélas, le spectateur de 2011 trouvera bien des thèmes d’actualité.

Ce qu’en fait Laurent Pelly est formidable, à la fois respectueux de l’époque à travers des costumes et des décors impeccables, évitant la surcharge du XIXème dans le premier acte – idée géniale de figurer l’appartement et ses annexes en décor filaire -, faisant tomber la neige nocturne du 2ème sur un somptueux décor, et capable de faire ressortir la modernité de la pièce grâce à un rythme et une direction d’acteurs des plus justes. Tous les comédiens excellent, qui dans l’humour, qui dans l’émotion la plus touchante, tout en mettant en évidence ce que la pièce a de plus classique : cette variété de mensonges petits et grands, bien et mal fondés, ce jeu permanent et cette hypocrisie qui donnent à la vérité toute sa valeur…

Mille francs de récompense
De Victor Hugo
Mise en scène Laurent Pelly
Théâtre de l’Odéon
Jusqu’au 5 juin 2011
Dramaturgie : Agathe Mélinand
Scénographie : Chantal Thomas
Costumes : Laurent Pelly
Lumières : Joël Adam
Son : Aline Loustalot
Avec Vincent Bramoullé, Christine Brücher, Emmanuel Daumas, Rémi Gibier, Benjamin Hubert, Jérôme Huguet, Pascal Lambert, Eddy Letexier, Laurent Meininger, Jean-Benoît Terral, Émilie Vaudou, avec la participation de François Bombaglia
Durée : 3h15 avec un entracte
Places : 10 euros à 32 euros

Créé le 14 janvier 2010 au TNT – Théâtre national de Toulouse Midi-Pyrénées, production TNT – Théâtre national de Toulouse Midi-Pyrénées

photo © Polo Garat-Odessa

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L’art d’être grand-père de Victor Hugo au Lucernaire

L'art d'être grand-père, Victor Hugo, par Vincent ColinVincent Colin a adapté, pour mieux les mêler, deux textes qui se répondent tendrement : celui de Victor Hugo, L’art d’être grand-père, ouvrage poétique de 1877, et celui de Georges, son petit-fils, qui a publié un texte de souvenirs de son aïeul en 1902.

A la mort prématurée de son fils Charles, Victor Hugo joue auprès de ses petits-enfants Jeanne et Georges à la fois le rôle de père et celui de grand-père. Surnommé par eux "Papapa", il en était totalement gâteau. Il leur racontait des histoires, dessinait pour eux des petites images qu’il leur donnait à titre de bon point, imitait les animaux, les promenait en forêt, et même essayait de leur décrocher la lune… Eux l’adoraient, ravis de trouver en cet adulte impressionnant un fidèle complice.

Ce lien magnifique, le travail de Vincent Colin le fait merveilleusement revivre, notamment grâce à un Albert Delpy étonnant de justesse dans sa barbe blanche et son ventre convexe : ses yeux roulent de malice, son sourire n’est que tendresse, sa voix veloutée se fait l’écrin idéal pour restituer la beauté des vers de Hugo.
Évoquant les souvenirs des enfants, la pétillante Héloïse Godet lui rend la réplique avec bonheur, tour à tour boudeuse, espiègle ou bondissante.
Dans un dispositif scénique très simple, le caricaturiste Victor Hugo est mis à l’honneur, quand, à d’autres moments, le même rond de lumière se prête aux jeux d’ombres chinoises pour mieux illustrer "le souvenir"…
Tout en émotions, voici un bel exemple de mise en scène de la poésie très réussie.

Extrait (La sieste) :

Elle fait au milieu du jour son petit somme ;
Car l’enfant a besoin du rêve plus que l’homme,
Cette terre est si laide alors qu’on vient du ciel !
L’enfant cherche à revoir Chérubin, Ariel,
Ses camarades, Puck, Titania, les fées,
Et ses mains quand il dort sont par Dieu réchauffées.
Oh ! comme nous serions surpris si nous voyions,
Au fond de ce sommeil sacré, plein de rayons,
Ces paradis ouverts dans l’ombre, et ces passages
D’étoiles qui font signe aux enfants d’être sages,
Ces apparitions, ces éblouissements !
Donc, à l’heure où les feux du soleil sont calmants,
Quand toute la nature écoute et se recueille,
Vers midi, quand les nids se taisent, quand la feuille
La plus tremblante oublie un instant de frémir,
Jeanne a cette habitude aimable de dormir ;
Et la mère un moment respire et se repose,
Car on se lasse, même à servir une rose.
Ses beaux petits pieds nus dont le pas est peu sûr
Dorment ; et son berceau, qu’entoure un vague azur
Ainsi qu’une auréole entoure une immortelle,
Semble un nuage fait avec de la dentelle ;
On croit, en la voyant dans ce frais berceau-là,
Voir une lueur rose au fond d’un falbala ;
On la contemple, on rit, on sent fuir la tristesse,
Et c’est un astre, ayant de plus la petitesse ;
L’ombre, amoureuse d’elle, a l’air de l’adorer ;
Le vent retient son souffle et n’ose respirer.
Soudain, dans l’humble et chaste alcôve maternelle,
Versant tout le matin qu’elle a dans sa prunelle,
Elle ouvre la paupière, étend un bras charmant,
Agite un pied, puis l’autre, et, si divinement
Que des fronts dans l’azur se penchent pour l’entendre,
Elle gazouille… — Alors, de sa voix la plus tendre,
Couvrant des yeux l’enfant que Dieu fait rayonner,
Cherchant le plus doux nom qu’elle puisse donner
À sa joie, à son ange en fleur, à sa chimère :
— Te voilà réveillée, horreur ! lui dit sa mère.

L’art d’être grand-père
Textes de Georges et Victor Hugo
Le Lucernaire
53, rue Notre-Dame- des-Champs – Paris 6°
Du mardi au samedi à 20 h et dimanche 17 h
Compagnie Vincent Colin, adaptation et mise en scène : Vincent Colin
Avec Albert Delpy et Héloïse Godet
Scénographie : Marie Begel
Lumières : Alexandre Dujardin, costumes : Cidalia Da Costa
Durée : 1h10
Places : de 15 à 30 €
Jusqu’au 8 mai 2011
Texte publié aux Ed. de L’Harmattan

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Juliette Drouet. Mon âme à ton cœur s'est donnée … Victor Hugo (suite et fin)

drouet 2La vie que Juliette Drouet, immense amoureuse de Victor Hugo, dédie tout entière à l’écrivain n’est pas pour autant une vie cloîtrée.
Pendant plusieurs années, durant l’été, le couple part régulièrement en Normandie, en Bretagne, en Belgique, dans le Nord de la France, au bord du Rhin. Ces voyages sont source d’inspiration pour Victor Hugo ; il évoquera les paysages, en particulier la mer dans ses poèmes mais aussi ses peintures et dessins.

De son côté, Juliette attend avec impatience ces escapades estivales :

3 juin 1839, matin
Je sens couver en moi la la maladie du voyage et je suis sûre même que ce que j’attribue à l’effet de la vaccine vient de la fièvre périodique du voyage. Et je ne crois pas qu’il y ait d’autre ordonnance pour ce genre de maladie qu’un passeport, d’autre pharmacie que des auberges, d’autres émollients ou cataplasmes que les banquette de diligence ou de cabriolet. Qu’en dites-vous ? Moi j’en dis que je vous adore.
Juliette

Viendront ensuite les combats politiques : lors de la tourmente de 1848, Juliette Drouet tient un journal de l’insurrection que Hugo retranscrit parfois mot pour mot.
Puis, en 1851, c’est elle qui l’aide à quitter clandestinement Paris.
Durant les 19 années d’exil, elle restera fidèle à son amour, le suivant partout, s’installant près de lui à Guernesey.
Elle lui apportera un soutien sans faille :

Guernesey. 24 février 1870 jeudi matin 8 h
Bonjour, mon cher grand bien-aimé adoré, et salut à la République dont le 22ème anniversaire se lève aujourd’hui. Puisse-t-il te rendre à ta chère France cette année, afin que tu lui apportes tout ce qui lui manque depuis que tu l’as quittée : Lumière, Honneur, Paix et Bonheur. C’est le voeu héroïque et désintéressé de mon mon coeur (…)
Juliette

Après le retour à Paris en 1870, Juliette demeurera aux côté de Hugo, l’aidant, l’assistant, veillant sur le foyer comme une épouse, continuant à l’adorer comme l’amante qu’elle n’a jamais cessé d’être, poursuivant son écriture malgré la fatigue de l’âge :

Paris 11 juillet 1882 mardi matin 7 h ½
(…) Je ne sais quand, ni comment cela finira, mais je souffre tous les jours de plus en plus et je m’affaiblis d’heure en heure. En ce moment, c’est à peine si j’ai la force de tenir ma plume et j’ai grand peine à garder la conscience de ce que je t’écris. Je me cramponne cependant à la vie de toute la puissance de mon amour pour ne pas te laisser trop longtemps sans moi sur la terre. Mais hélas ! La nature regimbe et ne veut pas (…)
Juliette

Elle s’éteindra en 1883 ; Victor Hugo deux ans plus tard seulement.

L’homme infidèle aura été pour Juliette le poète fidèle :

Quand deux coeurs en s’aimant ont doucement vieilli,
Oh ! quel bonheur profond, intime, recueilli !
Amour ! hymen d’en haut ! ô pur lien des âmes !
Il garde ses rayons même en perdant ses flammes.
Ces deux coeurs qu’il a pris jadis n’en font plus qu’un.
Il fait, des souvenirs de leur passé commun,
L’impossibilité de vivre l’un sans l’autre.
(Juliette, n’est-ce pas, cette vie est la nôtre !)
Il a la paix du soir avec l’éclat du jour,
Et devient l’amitié tout en restant l’amour !

Victor Hugo, Toute la lyre, VI, 64 (1ère publication en 1897)

A la fin de l’exposition, un très beau et émouvant tableau représentant Juliette Drouet au soir de sa vie (image), fait écho aux portraits de la jeune Juliette exposés au début du parcours : celui de Champmartin, représentant Juliette toute fraîche, rebondie, belle, et celui de Léon Noël qui souligne l’ovale parfait du visage, ses grands yeux noirs, ses cheveux bruns et épais, ses épaules en courbes, ses lèvres charnues.
Juliette Drouet est désormais une vieille femme, ses longs cheveux sont devenus blancs, sa peau est ridée.
Mais ses yeux noirs ont la même profondeur, expriment le même mélange de résignation, de calme, de pugnacité et d’ardeur.
Comme si son amour fidèle avait conservé son énigmatique beauté, imprimé en elle une présence passionnée à la vie, gardé intacte, visible alors dans la seule expression du regard, une éternelle jeunesse.

Quand je ne serai plus qu’une cendre glacée,
Quand mes yeux fatigués seront fermés au jour,
Dis-toi, si dans ton coeur ma mémoire est fixée :
Le monde a sa pensée, moi, j’avais son amour !

Victor Hugo. Dernière Gerbe LXIX
Épitaphe de Juliette Drouet

Juliette Drouet. Mon âme à ton cœur s’est donnée … Victor Hugo
Maison de Victor Hugo
Hôtel de Rohan-Guéménée
6, place des Vosges
Paris – 4ème
Tél. : 01 42 72 10 16
Jusqu’au 18 mars 2007
Tlj de 10 h à 18 h sauf lundi et jours fériés
Entrée : 7 € (TR : 5,5 € et 3,5 €)
Catalogue de l’exposition : 34 €

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Juliette Drouet. Mon âme à ton cœur s'est donnée … Victor Hugo

drouetJulienne Gauvain (Juliette Drouet) est née le 10 avril 1806 à Faugères.
Elle n’a pas 2 ans lorsque ses parents, artisans-tailleurs, la laissent orpheline.

Son oncle la recueille et l’emmène avec lui à Paris ; puis la place au couvent de Sainte-Madeleine, rue Saint-Jacques.
Elle y restera 5 années.

Elle est une adolescente âgée de 15 ans à peine lorsque elle en sort pour faire à Paris l’apprentissage de la liberté.

En 1825, la belle jeune femme elle devient le modèle et la maîtresse du sculpteur James Pradier. De cette courte liaison naîtra Claire son unique enfant.

Très vite, celle qui prend alors le nom de Mlle Juliette décide de devenir comédienne, faisant ses débuts sur les planches au Théâtre du Parc à Bruxelles. Encouragée par la critique, elle revient rapidement à Paris.
Au début de l’année 1833, elle interprète la princesse Negroni dans la pièce de Victor Hugo Lucrèce Borgia au théâtre de la Porte Saint-Martin : l’auteur est complètement sous le charme de Juliette, alors âgée de 27 ans.
Le dramaturge et la comédienne deviennent amants dans la nuit du 16 ou 17 février 1833.

Du premier billet « Viens me chercher ce soir chez Mme K. Je t’aimerai jusque là pour prendre patience – et ce soir oh ! ce soir ce sera tout ! Je me donnerai à toi toute entière. » et de la première nuit s’ensuivront cinquante années de passion et cinquante années de correspondance ininterrompue, dont témoignent les 20 000 lettres écrites par Juliette Drouet à l’écrivain.

A travers l’exposition organisée à la maison Victor Hugo autour de lettres, gravures, dessins, peintures (de Manet, Redouté, Corot, Champmartin …), sculptures, costumes, c’est avant tout le destin d’une amoureuse qui nous est restitué.
Mais c’est également de celui de Victor Hugo – car toute la vie de Juliette Drouet aura été indissociable de celle de l’écrivain – et à travers lui, d’une partie de l’histoire du XIX° siècle dont le couple illégitime à la longévité exceptionnelle témoigne.

A la suite de son échec retentissant dans le rôle de Jane dans Marie Tudor, Mlle Juliette tente en vain durant 5 années de jouer de nouveau .
Mais en 1839 à la demande de Hugo, elle abandonne définitivement la carrière théâtrale, se retire du monde et se voue à l’adoration de l’écrivain.

De femme de scène, la muse de Victor Hugo devient femme « de lettres » : l’écriture destinée à son amant devient son activité quotidienne :

12 septembre 1851. vendredi après-midi 2 h ½
O mon Dieu inspirez-moi la confiance puisque vous ne pouvez pas m’ôter l’amour. Faites que je croie en lui puisque je ne peux cesser de l’aimer (…) vous savez ce que je vous dis à vous seul,ô mon Dieu, avec toutes les larmes de mes yeux, avec toutes les tendresses de mon cœur, avec toutes les adorations de mon âme. Faites qu’il soit heureux, n’importe avec qui, n’importe comment pourvu qu’il le soit, et faites de moi ce que vous voudrez (…)

Elle sera aussi sa première lectrice, toujours attentive, admirative, passionnée, « vivant » véritablement les romans de Victor Hugo :

J’ai eu toutes les peines de m’endormir (…). Je ressens toutes les atroces tortures de ce pauvre « Jean Tréjean » (1) et je pleure malgré moi sur le sort de ce pauvre martyr, car je ne connais rien de plus navrant que cette pauvre Fantine et de plus douloureux que ce pauvre être abruti de « Champmathieur ». (…) Je partage leurs douleurs comme s’ils étaient de vrais personnages en chair et en os et tant tu les as faits nature. (…)

Ecrit-elle le 3 février 1848 après que l’écrivain lui a fait lecture à voix haute de passages des Misérables.

Mais le dévouement, l’adoration exclusive de Juliette pour Hugo ne sera pas qu’enfermement ; l’amoureuse passionnée partagera la vie de l’homme de lettres et de l’homme politique dans ses pérégrinations et ses combats.

A suivre demain.

(1) nom de Valjean à cette époque de la rédaction du roman qui avait alors pour titre Les Misères.

Juliette Drouet. Mon âme à ton cœur s’est donnée … Victor Hugo
Maison de Victor Hugo
Hôtel de Rohan-Guéménée
6, place des Vosges
Paris – 4ème
Tél. : 01 42 72 10 16
Jusqu’au 18 mars 2007
Tlj de 10 h à 18 h sauf lundi et jours fériés
Entrée : 7 € (TR : 5,5 € et 3,5 €)
Catalogue de l’exposition : 34 €

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