Au-delà des étoiles : le paysage mystique de Monet à Kandinsky

Vincent Van Gogh, Le semeur, 1888

L’expérience mystique ne se décide pas, elle vient d’elle-même ou elle ne vient pas. A découvrir la très belle exposition organisée par le Musée d’Orsay jusqu’au 25 juin, on s’aperçoit qu’elle a, du reste, du mal à être partagée.

Maurice Denis, La solitude du Christ, 1918

Les peintres, pourtant, au tournant du XX° siècle, à côté du développement du rationalisme, n’ont pas renoncé à essayer d’exprimer sur la toile les sentiments qu’ils ressentaient face à la nature. Une nature avec laquelle ils se sentaient en fusion ou dont ils percevaient les signes du sacré voire la possibilité d’une union avec le Divin : la nature représentée comme lieu d’interrogation et d’expériences spirituelles par « les chercheurs de l’intérieur dans l’extérieur », pour reprendre les mots de Kandinsky.

Maurice Denis, La dormeuse au Bois magique, 1892

Panthéistes, symbolistes, divisionnistes, impressionnistes, nabis, peintres européens y compris de l’Europe du Nord, peintres canadiens, l’exposition les réunit tous et en organise la visite en sept sections.

Énormément de chefs-d’œuvre et beaucoup de découvertes (en particulier venues du Canada, grâce au rapprochement avec l’Art Gallery of Ontario à Toronto) signent la réussite de ce parcours.

Vincent Van Gogh, Les oliviers, 1889

Qui aime la peinture et la nature ne peut que s’y délecter, mais peut aussi quitter l’exposition avec l’impression d’être passé en face de magnifiques représentations du paysage mais totalement à côté du thème.

Ferdinand Hodler, Le mont Niesen, 1910

Avec le recul on s’aperçoit que c’est certainement la dimension développée dans la première section – la contemplation de la beauté de la nature – qui peut animer toute la visite et qu’elle suffit parfaitement pour apprécier la totalité du parcours (excepté sa toute fin, sur le cosmos, dont les représentations sont peu convaincantes). L’expérience mystique quant à elle se vit sans doute davantage in situ, face à la nature notamment : la méditation de l’œuvre peinte pour l’éprouver apparaît dès lors illusoire. Il n’en reste pas moins que, vu la beauté du résultat, on sait gré à tous ces artistes d’avoir tenté de l’exprimer.

Tom Thomson, Le Vent d’Ouest, 1916-1917

Au-delà des étoiles : le paysage mystique de Monet à Kandinsky

Musée d’Orsay – Paris 7°

De nombreuses visites et des ateliers sont proposés : consulter le site du Musée d’Orsay

Jusqu’au 25 juin 2017

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Icônes de l’art moderne. La collection Chtchoukine

Gauguin, Eh quoi, tu es jalouse ? (1892)
Aha oé feii ? (Eh quoi, tu es jalouse ?), Paul Gauguin, Tahiti, Papeete, été 1892. / Musée Pouchkine, Moscou

Jean-Yves est allé admirer la collection Chtchoukine à la Fondation Vuitton à Paris. Son coup de cœur est tout à fait partagé : les Cézanne à eux seuls valent le détour! Mag

S’il y a un événement qu’il ne faut pas manquer aujourd’hui, c’est bien l’exposition Chtchoukine à la Fondation Louis Vuitton. Cette exposition réunit, en effet, 130 œuvres faisant partie de la collection que le riche industriel russe avait constituée dans son palais de Moscou entre 1898 et 1914. Après avoir été nationalisée en 1918, la collection fit l’objet d’une partition entre le musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, d’une part, et le musée Pouchkine à Moscou, d’autre part. Après une longue mise à l’index, certains tableaux refirent leur apparition vers la fin des années 1950, quelques-uns d’entre eux étant même autorisés à être présentés à l’étranger. Mais c’est la première fois qu’autant d’œuvres majeures voyagent en si grand nombre et c’est en cela que l’événement est exceptionnel.

L’exposition est organisée en différentes séquences, chacune dédiée à un thème particulier. Dès la première galerie, le ton est donné. A l’enseigne des « peintres et le collectionneur », on peut d’emblée admirer des autoportraits de Cézanne et Gauguin, le portrait de Benet Soler par Picasso, dans sa période bleue, un Van Gogh et le superbe « Homme à la pipe »  de Cézanne.

Se succèdent ensuite des salles aux accrochages les plus admirables. « Le déjeuner sur l’herbe » (Monet) figure avec deux Pissarro, un Sisley et un Signac dans l’ensemble « Paysages Impressions ». La salle suivante (« Paysages constructions ») est, selon nous, l’une des plus belles, puisqu’elle propose deux tableaux de Cézanne (dont « La Montagne Sainte-Victoire vue des Laures », annonciatrice du cubisme et de l’art abstrait) et un mur cubiste composé de trois Picasso, d’un Braque et d’un Derain.

Femme à l’éventail (Après le bal), Pablo Picasso, printemps-été 1908. / © Succession Picasso 2016. Crédit photo : Musée d’Etat de l’Ermitage,Saint-Pétersbourg, 2016
Femme à l’éventail (Après le bal), Pablo Picasso, printemps-été 1908. / © Succession Picasso 2016. Crédit photo : Musée d’Etat de l’Ermitage,Saint-Pétersbourg, 2016

La visite se poursuit dans un ensemble constitué exclusivement d’œuvres de Gauguin, qui se prolonge par une série de « Portraits de la peinture » faisant l’état des lieux des inventions plastiques qui bouleversent alors l’art contemporain (Degas, Renoir, Toulouse-Lautrec, Cézanne, Picasso, Matisse…).

Le « Salon rose » est un hommage à Matisse, dont le collectionneur a acquis 37 toiles, avec qui il dialogua et qui le guida dans ses choix. Si les emblématiques « La danse » et « La musique » ne sont pas présentes dans l’exposition, on peut néanmoins voir « La desserte – harmonie en rouge », commandée par l’industriel en tons bleus, mais que le peintre réalisera, selon sa propre volonté, dans un rouge explosif.

Après avoir traversé les salles consacrées aux « Natures mortes » et aux « Totems et tabous », on arrive à la Cellule Picasso : Chtchoukine avait décidé de consacrer une salle entière de son palais à l’œuvre du peintre, malgré les fortes réticences que celle-ci soulevait alors.

La visite se termine par trois salles où est mise en exergue l’influence que la collection Chtchoukine exerça sur la peinture russe avant-gardiste de l’époque (Malevitch, Klioune, Tatline, Rozanova…). A la fois collectionneur au goût très sûr, mécène, amateur (il ne revendait pas les œuvres acquises), Chtchoukine souhaitait, en effet, donner une large expansion aux mouvements artistiques qu’il défendait et il n’avait pas hésité, à cet effet, à rendre son palais accessible au public dès 2008.

L’exposition est donc aussi un hommage à Serguei Chtchoukine, dont la vie fut traversée par des circonstances familiales tragiques et qui trouva peut-être dans sa collection une échappatoire à la douleur. On retiendra, enfin, qu’après avoir fui la Russie en 1918, ce grand visionnaire s’exila en France où il est mort en 1936 sans avoir revu sa collection.

Jean-Yves

Fondation Louis Vuitton

Icônes de l’art moderne. La collection Chtchoukine

Entrée 16 euros (tarifs réduits 5 et 10 euros)

L’exposition est prolongée jusqu’au 5 mars 2017

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Le nouveau Musée Rodin à Paris

Le nouveau parcours dans l'hôtel Biron restauré
Le nouveau parcours dans l’hôtel Biron restauré

Après plus de trois ans de travaux, qui l’ont consolidé et embelli de fond en comble sous la direction de Richard Duplat, architecte en chef des Monuments historiques, l’hôtel Biron, qui abrite le Musée Rodin à Paris (1) depuis 1919 a rouvert ses portes le 12 novembre dernier. C’est une grande réussite, dans le sens où tout a été pensé pour mettre en valeur les œuvres, mais aussi pour permettre au visiteur de mieux comprendre le travail de l’artiste.

L’hôtel particulier du XVIII° siècle, où Auguste Rodin (1840-1917) prit ses quartiers à partir de 1908 et jusqu’à sa mort, a été magnifiquement restauré. Il en avait grand besoin ; ses planchers ployaient sous le poids des bronzes et des marbres, mais aussi des quelques 700 000 visiteurs (dont 80 % de touristes étrangers) qui s’y précipitent chaque année.

Edvard Munch (1863 -1944), Le Penseur de Rodin dans le parc du docteur Linde à Lübeck, vers 1907, Huile sur toile, H. 22 cm ; L. 78 cm
Edvard Munch (1863 -1944), Le Penseur de Rodin dans le parc du docteur Linde à Lübeck, vers 1907, Huile sur toile, H. 22 cm ; L. 78 cm

Les parquets « Versailles » qui le pouvaient ont été remis en état, les autres remplacés. Les plafonds et moulures ont subi le même sort. Mais le plus spectaculaire – si l’on peut dire, car on réalité on l’oublie très vite, tant elle sied à l’ensemble – est la réfection des murs. Le blanc a cédé la place à des taupes, gris et verts assourdis qui permettent de faire ressortir tant le blanc des marbres et des plâtres que les reflets des bronzes. Le mobilier aussi se fait discret : des socles en chêne, des vitrines sans arrêtes visibles et même, le plus souvent, pas de vitrine du tout. On circule autour des sculptures à loisir, à la lumière naturelle grâce aux grandes fenêtres qui donnent sur le parc. Un éclairage artificiel high tech à l’intensité et à la température variables sur mesure, grâce à des spots réglables individuellement et à distance selon l’heure et la saison, donne à chaque œuvre des conditions de visibilité optimales. Enfin, la sécurité et l’accessibilité (accès à l’étage par ascenseur pour les personnes à mobilité réduite) ont été mises aux normes d’aujourd’hui. Le tout pour une enveloppe de 16 millions d’euros, dont la moitié provient de l’Etat et le reste financé sur fonds propres, notamment grâce aux ventes de tirages de bronzes, dans la limite du nombre de fontes prévues par le sculpteur.

Auguste Rodin (1840 -1917), La Danaïde, 1889, marbre, H. 36 cm ; L. 71 cm ; P. 53 cm
Auguste Rodin (1840 -1917), La Danaïde, 1889, marbre, H. 36 cm ; L. 71 cm ; P. 53 cm

Les 1 200 m² d’espaces d’exposition déploient désormais un parcours continu articulé en 18 salles présentant près de 600 œuvres. (2) La progression est à la fois chronologique et thématique. La visite commence donc avec la formation de l’artiste pour s’achever, de façon plus inattendue, avec des peintures modernes, en particulier Le Penseur de Rodin de Munch, l’un des deux seuls tableaux du peintre norvégien conservés à Paris (l’autre est au Musée d’Orsay). Il faut dire que pour mieux présenter le processus créatif du sculpteur, Catherine Chevillot, la directrice du Musée, a fait le choix de montrer également des œuvres de la collection personnelle de Rodin. Elles traduisent ses sources de réflexion et d’inspiration, ses goûts, ses amitiés. Du reste, il les exposait dans ce même hôtel Biron, à côté de ses propres créations. Ainsi on admire, entourant les sculptures du maître, aussi bien des tableaux de choix (de Van Gogh, Monet, Carrière…) et des fragments d’Antiques romains que des antiquités orientales ou même une Vierge à l’Enfant du Moyen-Age. Une galerie expose aussi, par roulement, des dessins de l’artiste (une passion du sculpteur dont on a déjà parlé ici, mais aussi ) et des photographies. Enfin, comme auparavant, la grande Camille Claudel bénéficie d’une salle dédiée, avec en son centre L’Age mûr, mais aussi Les Causeuses, La Vague..

S’agissant des sculptures de l’auguste Rodin, les plus remarquables sont bien sûr réunies, de L’Age d’Arain à L’Homme qui marche, en passant par son Saint Jean-Baptiste, La Danaïde, La Porte de l’Enfer (dont Le Baiser en marbre au centre de la pièce), les études pour Les Bourgeois de Calais, Balzac, le Monument à Victor Hugo… Impossible de citer tous ces chefs d’œuvres, désormais plus beaux et passionnants que jamais, grâce à un travail de mise en valeur tout en intelligence et délicatesse.

Musée Rodin

77 rue de Varenne, 75007 Paris – Tél. 01 44 18 61 10

TLJ sauf le lundi, de 10h à 17h45, nocturne le mercredi jsq 20h45

Le musée Rodin est fermé les 1er janvier, 1er mai et 25 décembre.
Fermeture anticipée les 24 et 31 décembre à 16h45

Entrée 10 €

 

(1) L’autre Musée Rodin est située à Meudon (Hauts-de-Seine), également atelier et lieu d’exposition du vivant du sculpteur.

(2) Pour mémoire, le fonds du musée compte plus de 30 000 pièces, dont 6 775 sculptures, presque autant d’Antiques collectionnés par l’artiste, 9 000 dessins et estampes, 11 000 photographies…

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Les clefs d'une passion. Fondation Louis Vuitton

Edvard Munch, Le Cri, 1893 ?  1910 ? Tempera et huile sur carton non apprêté, 83,5 × 66 cm Oslo, musée Munch Photo © Munch Museum
Edvard Munch, Le Cri, 1893 ? 1910 ? Tempera et huile sur carton non apprêté, 83,5 × 66 cm
Oslo, musée Munch
Photo © Munch Museum

Ouverte au public en octobre dernier, la Fondation Louis Vuitton installée dans l’extraordinaire « vaisseau » que Frank Gehry a amarrée entre le Jardin d’Acclimatation et le Bois de Boulogne, inaugure sa troisième exposition, visible jusqu’au 6 juillet 2015.

Exceptionnelle, Les clefs d’une passion présente une soixantaine d’œuvres, signées des plus grands artistes de la première moitié du XX° siècle, dont certaines rarement prêtées, et plus rarement encore réunies. Les plus grands musées du monde, ainsi que certains collectionneurs ont en effet accepté de prêter leur concours au grand mécène Bernard Arnault. A titre d’exemple, on peut voir le fameux Cri de Munch, qui n’avait pas quitté Olso depuis près de dix ans, après avoir été volé à Vienne et retrouvé deux ans plus tard.

L’exposition a pour ambition de mettre en avant les artistes qui ont révolutionné la peinture dans le premier XX° siècle. Peu d’œuvres, on l’a vu, pour un programme si vaste qu’il compte forcément de grands absents. Pas de litanie de « -ismes » non plus, nombreux à cette période, mais un choix thématique dont la cohérence est dans l’ensemble assurée et qui parfois correspond avec un mouvement de l’histoire de l’art du siècle dernier.

Tel est le cas du premier, expressionnisme subjectif, où le fameux Cri est précédé de trois Giacometti (deux œuvres graphiques, dont le Portrait de Jean Genet et L’Homme qui marche I, eux visibles en France), du Pressentiment complexe de Malévitch, de deux études de Francis Bacon (dont une impressionnante Etude pour un portrait, venu du Chicago), d’un Otto Dix et d’une convaincante série d’autoportraits de la Finlandaise Helene Schjerfbeck, dont les contours du visage perdent de leur netteté au fil des tableaux, nous faisant assister à une accélération du vieillissement et à l’inexorable marche du sujet vers la mort. Ontologique solitude, sentiment de disparition, enfermement, tout dans cette salle exprime de façon poignante l’angoisse fondamentale de l’Homme.

Henri Matisse (1869–1954), La Danse, 1909–1910, Huile sur toile, 260 × 391 cm, Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage © Succession H. Matisse Photo : © The State Hermitage Museum, Saint Petersburg, 2015/ Vladimir Terebenin, 2014
Henri Matisse (1869–1954), La Danse, 1909–1910, Huile sur toile, 260 × 391 cm, Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage © Succession H. Matisse Photo : © The State Hermitage Museum, Saint Petersburg, 2015/ Vladimir Terebenin, 2014

Les trois salles suivantes, dédiées à la ligne contemplative, sont un réconfort. S’y déploient d’abord les paysages, tous autour de l’eau, de Ferdinand Hodler, de Gallen-Kallela, d’Emil Nolde, de Monet. Leur succèdent les lignes abstraites de Malévitch et de Mondrian et l’intensité d’un rouge Rothko. Après les mers, les lacs et les nymphéas de la salle précédente, le contraste est fort ; mais, après tout, le début du XX° siècle est fait de tout cela. Retour au figuratif ensuite, avec un superbe (mais c’est presque un pléonasme) Eté de Bonnard. Il est entouré d’un remarquable ensemble de Picasso, une sculpture et trois tableaux, très sensuels, tous inspirés du modèle Marie-Thérèse Walter, dont le peintre espagnol a magnifié les courbes féminines dans les années 30. La première vient d’une collection particulière et les tableaux de New-York, Londres et Paris : jolie réunion au sommet.

La section suivante, dite popiste, fait entrer dans une autre dimension, celle de la culture populaire, avec des œuvres de Picabia et de Robert Delaunay, inspirées des illustrés de charme pour l’un et de la publicité pour l’autre. Dans la même section, mais d’un tout autre intérêt pictural, trois grandes toiles de Fernand Léger, sur ses thèmes classiques, dont Les constructeurs à l’aloès, qui a fait le chemin depuis Moscou.

La quatrième et dernière étape est dédiée à la musique, à travers des tableaux de Kandinsky, Kupka, Severini et, last but not least, Matisse : l’immense Danse, du Musée de l’Ermitage, maintes fois vu en reproduction, comme le Cri de Munch, mais dont l’original fait ici aussi l’effet d’une découverte, et La tristesse du Roi du Centre Pompidou, un très grand et beau collage sur la musique et la danse. Histoire de finir dans la joie, après avoir commencé dans l’angoisse. C’est sans doute mieux dans ce sens.

 

Les clefs d’une passion

Fondation Louis Vuitton

8, avenue du Mahatma Gandhi, Bois de Boulogne, Paris 16e
De 10 h à 20 h, du lundi au dimanche, nocturne le vendredi jusqu’à 23 h

Jusqu’au 6 juillet 2015

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La toilette, naissance de l'intime. Musée Marmottan Monet

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Eugène Lomont. 1898. Huile sur toile. 54 x 65cm. Beauvais, Musée départemental de l’Oise © RMN Grand Palais / Thierry Ollivier

La nouvelle exposition du musée Marmottan Monet, qui succède à Les impressionnistes en privé et Impression, soleil levant est une belle surprise.

Le musée, habituellement associé au XIX° siècle, élargit considérablement son horizon, pour couvrir une période courant du XVI° au XXI° siècles, tout en zoomant sur un sujet passionnant : celui de la toilette. Car à parcourir les salles, on s’aperçoit qu’à travers ce thème, c’est toute une étude, à la fois sociale et esthétique que l’on suit. Cette double lecture historique – histoire des mœurs et histoire de la représentation –  transcende ainsi la découverte (ou la redécouverte) de la centaine d’œuvres réunies ici, un ensemble de haute tenue.

Le parcours, chronologique, nous rappelle qu’après les bains collectifs (les étuves) fréquentés au Moyen-Age, période traumatisée par la peste, la Renaissance se méfie de l’eau comme… de la peste justement, accusée de transmettre les miasmes. On ne rencontre guère que Montaigne pour, dans ses Essais, considérer « En général le baigner salubre ».

La défiance se poursuit au XVII° siècle, dans un contexte moral et religieux qui rejoint les préoccupations médicales. La toilette est sèche, c’est-à-dire que l’on se nettoie avec du linge blanc, censé purifier. Autant dire que son usage est plus fréquent dans les milieux aisés que chez les plus pauvres. Si l’eau reste réservée aux mains, en revanche, on recourt largement aux fards et aux parfums, ainsi qu’au soin apporté à la coiffure. Évidemment, nul besoin d’intimité pour tout cela.

Le XVIII° siècle apparaît comme le plus tiraillé sur ce sujet. Les manuels de médecine se mettent à reconnaître les effets bénéfiques des ablutions. Les bains, tout en restant exceptionnels et réservés à l’aristocratie, font leur apparition. S’ils sont alors associés à une certaine sociabilité, tel n’est pas le cas d’une autre invention : le bidet. Celui-ci, associé à une vie lascive et dissolue, fait scandale. Il reçoit grand accueil dans les romans libertins et donne lieu à une iconographie quelque peu coquine, dont on voit de forts jolis exemples dans l’exposition (Jeune femme à sa toilette de François Eisen et bien sûr l’ensemble « secret » – et pour cause – de François Boucher, qui lui traite notamment du bourdalou). C’est à ce moment-là qu’on va commencer à considérer que la toilette n’a pas forcément à être publique et qu’il faut lui réserver quelque endroit et moment d’intimité… Dans le tableau d’Eisen, on voit une fillette qui est priée de quitter les lieux…

Pierre Bonnard, Nu dans la baignoire, sans date (vers 1940 ? ). Aquarelle et gouache sur papier, 23,5 x 31,5 cm.  ADAGP Courtesy Galerie Bernheim-Jeune, Paris/Christian Baraja
Pierre Bonnard, Nu dans la baignoire, sans date (vers 1940 ? ). Aquarelle et gouache sur papier, 23,5 x 31,5 cm. ADAGP Courtesy Galerie Bernheim-Jeune, Paris/Christian Baraja

Mais c’est le XIX° qui est fondateur de notre approche actuelle de la toilette – et par là-même de l’idée d’intimité. Lavage à l’eau et hygiène deviennent indissociables. La table de toilette, avec son dessus en marbre sur lequel on pose broc et cuvette, s’installe dans les milieux bourgeois dès 1830. Plus tard, pour mieux laver le corps, on se met debout dans le tub (grande cuvette en zinc), dans lequel on peut s’asperger. Si au début du XX° siècle les salles de bains privatives ne sont pas encore très courantes, il n’empêche, avec cette évolution de l’hygiène, la toilette a désormais lieu dans un espace clos. C’est ainsi, dans ces instants « pour soi », que naît l’intime, et finalement, d’une certaine manière, qu’est reconnu l’individu.

Les peintres ont merveilleusement saisi ces instants (et les sculpteurs aussi, tel Degas) : voir les toiles de Toulouse-Lautrec, Degas, Bonnard, mais aussi Steilen. Le XX° siècle ne sera que la généralisation de ce principe, ce qui n’empêchera pas les artistes de continuer à illustrer, inlassablement, le thème de la femme à la toilette, avec leur nouveau langage bien sûr (Kupka, Léger, Picasso). La période la plus récente, elle, inscrit ces représentations dans une perspective davantage publicitaire et dans la banalisation apparente de cette intimité. Mais c’est surtout un retournement de situation que nous propose les dernières oeuvres du parcours : les femmes ne sont plus épiées (cf le sujet ancien de Suzanne et les vieillards), ce sont elles qui, dans leur bain, recherchent le regard du spectateur.

 

La toilette, naissance de l’intime

Musée Marmottan Monet

Du mardi au dimanche 
de 10 h à 18 h, nocturne les jeudis jusqu’à 21 h

2, rue Louis-Boilly 75016 Paris

Jusqu’au 5 juillet 2015

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L'art de l'amour au temps des Geishas à la Pinacothèque de Paris

l-art-de-l-amour-au-temps-des-geishas-les-chefs-d-oeuvre-interdits-de-l-art-japonais_xlOh, oh, oh, la Pinacothèque réchauffe les corps en ce début d’automne… Second volet de sa saison consacrée à l’Art et l’Erotisme en Orient, présentée en complément de la superbe exposition Kâma-Sûtra, spiritualité et érotisme dans l’art indien, L’art de l’amour au temps des Geishas réunit quelques 250 œuvres, essentiellement des gravures sur bois, mais aussi quelques objets du quotidien, pour évoquer la représentation érotique japonaise au temps de l’ère Edo (1603-1867).

Les estampes japonaises ont été découvertes en France après 1868, quand le Japon s’est ouvert à l’Occident. Pierre Loti et les Goncourt les ont évoquées dans leurs écrits, Samuel Bing et une foule d’artistes tels Monet les ont collectionnées et certains peintres y ont été sensibles dans l’élaboration de leurs propres œuvres. On pense à Manet, à Toulouse-Lautrec, mais aussi à Van Gogh (cf. l’exposition Van Gogh, Rêves de Japon présentée il y a deux ans à la même Pinacothèque).

Ces dernières années, l’art japonais a été abondamment montré à Paris, avec par exemple l’exposition Hiroshige, L’art du voyage, à la Pinacothèque toujours, Hokusai au Musée Guimet en 2008 ou encore la collection de Claude Monet au Musée Marmottan Monet encore avant. Pour autant, c’est la première fois que le genre est traité à travers le thème de l’érotisme. Autant dire que ces œuvres à ne pas mettre sous n’importe quels yeux…

L’exposition replace ces œuvres dans le contexte historique, culturel et social dans lequel elles ont été créées. A la période Edo, une nouvelle classe sociale émerge. Loin de la classe dirigeante guerrière des Samouraï pétrie de la rigueur morale du néo-confucianisme, cette nouvelle bourgeoisie (chônin), aisée et citadine, constituée de commerçants, médecins, enseignants et artistes, embrasse une vision hédoniste de la vie. Ces chône sont à l’origine du mouvement culturel ukiyo-e, littéralement « images du monde flottant », que le poète Asai Riyoi décrit ainsi en 1661 : « Vivre uniquement dans l’instant présent, se livrer tout entier à la contemplation de la lune, de la neige, de la fleur de cerisier et de la feuille d’érable, chanter, boire du saké, ressentir du plaisir rien qu’à ondoyer, ne pas se laisser abattre par la pauvreté et ne pas la laisser transparaître sur son visage, mais dériver comme une calebasse sur la rivière, c’est ce qui s’appelle ukiyo ».

Les artistes abordent cette conception à la fois esthétique et morale de la vie à travers la représentation d’un idéal de beauté féminin (les bijinga, « peintures de belles femmes ») et les estampes érotiques (les shunga, « images de printemps »).

L’exposition montre ces deux thèmes en réunissant un grand nombre d’artistes, parmi lesquels naturellement les plus célèbres que sont Utamaro, Hokusai et Hiroshige, mais aussi d’autres moins connus mais tout aussi séduisants, tels Utagawa Kunisada ou Katsukawa Shuncho.

Ainsi à l’étage, par où commence la visite, sont montrées des estampes de femmes se préparant à l’art de la séduction : on ne sait lesquelles on préfère tant elles sont raffinées et gracieuses, tant les compositions sont réussies et souvent carrément modernes, les détails soignés, le trait efficace et délicat, et les couleurs, tantôt sourdes, tantôt vives, enchanteresses. Habillées, ces geishas s’affairent avec une fausse ingénuité qui fait sourire; et l’on rêve aussi parfois devant dans des paysages empreints de poésie.

La suite de l’exposition est carrément crue et peut sembler répétitive (ce qui est inhérent à son sujet). Bien vue, la présentation d’objets du quotidien, témoignant d’un mode de vie luxueux et recherché, tels des kimonos et des éventails, de petites boîtes, notamment une très jolie en bois, peau de serpent, laque et poudre d’or (fin XVIII°-début XIX°), ou encore un nécessaire à pique-nique laqué avec compartiments à nourriture, coupelle… et bien sûr deux flacons pour le saké !

L’art de l’amour au temps des Geishas

Pinacothèque de Paris

28 place de la Madeleine – Paris 8°

Tous les jours de 10h30 à 18h30 sauf le mardi

Nocturnes les mercredis et les vendredis jusqu’à 20h30

25 décembre et 1er janvier de 14h à 18h30

Jusqu’au 15 février 2015

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Les Impressionnistes en privé. Musée Marmottan Monet

 Claude Monet, Hémérocalles au bord de l’eau, vers 1914-1917, collection particulière par l’intermédiaire du Museum of Fine Arts, Houston © Collection particulière

Claude Monet, Hémérocalles au bord de l’eau, vers 1914-1917, collection particulière par l’intermédiaire du Museum of Fine Arts, Houston © Collection particulière

C’est le 21 juin 1934 que l’hôtel particulier de la rue Louis-Boilly dans le 16ème arrondissement de Paris, ancien relais de chasse du duc de Valmy acquis par l’industriel Jules Marmottan en 1882, a ouvert ses portes au public. Disparu en 1932, Paul Marmottan, fils de Jules, souhaitait en effet que le lieu devienne un musée pour présenter sa collection de mobilier, d’objets d’art décoratif et de tableaux Premier Empire.

Enrichi progressivement par donations, le fonds Marmottan va prendre une teinte résolument impressionniste à partir de 1957, avec le legs de Victorine Donop de Monchy, fille de Georges de Bellio, médecin et grand admirateur des Impressionnistes. C’est grâce à elle que le Musée détient le fameux Impression, Soleil Levant de Monet, considéré comme « l’acte de naissance » de l’Impressionnisme. En 1966, le legs de Michel Monet, le second fils du peintre, place le Musée Marmottan au premier rang mondial des collections d’œuvres de Claude Monet. Enfin, le legs Thérèse Rouart fait du Musée la première collection publique d’oeuvres de Berthe Morisot.

Pour fêter son 80ème anniversaire, le Musée Marmottan rend hommage à son histoire, en montrant son attachement aux collectionneurs, sans lesquels il n’existerait pas, et sa fidélité à la veine impressionniste de son fonds. Il a ainsi réuni, en une exposition exceptionnelle, une centaine de tableaux, dessins, pastels et sculptures, tous détenus par des particuliers. 51 collectionneurs exactement, dont une bonne moitié étrangers, ont ainsi prêté leur concours à l’événement. Beaucoup d’œuvres n’ont jamais été exposées au public, ou il y a fort longtemps. Autant dire qu’il s’agit là d’une occasion unique de les découvrir, d’autant que la plupart sont de premier rang, et même certains des chefs d’œuvres.

Le parcours est très simple, très lisible. On commence par les prémices de l’Impressionnisme, avec à droite de belles marines du Hollandais Jongkind et à gauche celles de Boudin, qui apprit la peinture de plein air à Monet, ainsi que des paysages de Corot, d’une finesse inouïe comme toujours. Le travail sur la lumière des deux premiers, le pinceau légèrement flouté du troisième annoncent les recherches et les développements des Impressionnistes. Le père de la peinture moderne, Manet, est également au rendez-vous, avec la version préparatoire du Bar aux Folies Bergère.

Alfred Sisley, Une cour à Chaville, vers 1879, collection de la famille Curtin (service presse / Musée Marmottan Monet) ©
Alfred Sisley, Une cour à Chaville, vers 1879, collection de la famille Curtin (service presse / Musée Marmottan Monet) ©

Puis voici l’émergence des Impressionnistes, avec leur première exposition de 1874 (qui fut un échec) et les années de travail ensemble. Pissaro, Sisley, Cézanne, Monet, Guillaumin, Renoir, Morisot, ils sont tous là. Les paysages se suivent, se complètent, s’apparentent mais ne se ressemblent pas. Sisley fait des merveilles aussi bien au bord de l’eau (Tournant du Loing à Moret. Printemps) que sous la neige (Une cour à Chaville) ; on découvre Monet sur les planches à Trouville ; on retrouve Pissarro dans les foins. Cézanne et Renoir se saluent d’un bouquet, l’un de géraniums, l’autre de roses et de pivoines. Tout cela est tour à tour ou tout à la fois merveilleusement coloré, lumineux, paisible, gai, léger… tout simplement très beau.

Paul Cézanne – Géraniums et pieds d’alouette dans un petit vase de Delft, vers 1873 hst 52 x 39 cm Signé en bas à gauche : P. Cézanne, Collection particulière, France © Christian Baraja
Paul Cézanne – Géraniums et pieds d’alouette dans un petit vase de Delft, vers 1873 hst 52 x 39 cm Signé en bas à gauche : P. Cézanne, Collection particulière, France © Christian Baraja

La dernière partie de l’exposition traite les artistes séparément : en effet, avant la fin du siècle, chacun a pris son propre chemin. Un nouveau peintre a aussi fait son apparition : Caillebotte, dont on admire ici de magnifiques tableaux aux plans « photographiques » : œuvres parisiennes comme Rue Halévy, vue du sixième étage, mais aussi peintures de sa propriété en extérieur, dont les véritables sujets semblent être les massifs fleuris, comme Les soleils, jardin du Petit-Genevilliers ou encore Les Dahlias. Degas est magnifiquement représenté par des pastels tels que La toilette après le bain mais aussi par la splendide sculpture Petite danseuse de 14 ans. Et l’on a même droit à un clin d’œil de Rodin, dont est présentée une étude en terre cuite du Penseur.

L’exposition se termine avec deux tableaux du « dernier » Monet, hyper-modernes, à la limite de l’abstraction : un étonnant Leicester Square (Londres), la nuit (très nocturne effectivement !) et des Hémérocalles au bord de l’eau, dans la veine des Nymphéas, mais qui justement n’en sont pas et dont les belles teintes orangées claquent merveilleusement sur le fond vert et bleu des végétaux aquatiques et de l’eau.

 

Musée Marmottan

2, rue Louis-Boilly – Paris XVIème

Tél. : 01 44 96 50 33

TLJ sauf le lundi, de 10h à 18h, le jeudi jusqu’à 20h

Entrée 10 euros, tarif réduit 5 euros

Jusqu’au 6 juillet 2014

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Le jardin de Monet à Giverny : l'invention d'un paysage

Le bassin aux nymphéas à GivernyA Giverny dans l’Eure, le musée des Impressionnismes – installé dans les murs de l’ancien Musée d’Art Américain, à proximité des jardins de Claude Monet – présente sa toute première exposition.
S’appuyant sur des photographies, lettres, documents administratifs (notamment une lettre du préfet autorisant le peintre aménager un bras de l’Epte pour y créer son bassin aux nymphéas), elle retrace l’installation des célèbres jardins du père de l’impressionnisme.
Complétée d’une vingtaine de très beaux tableaux de l’artiste, elle rend compte de quelques unes des recherches picturales développées par Claude Monet à Giverny.

Le parcours montre bien les deux processus créatifs qui s’y sont succédés : d’abord l’aménagement du "modèle" (le jardin à la française, suivi du bassin aux nymphéas, d’inspiration plus orientale, avec son illustre pont japonais), puis l’élaboration de l’oeuvre peinte.
Monet attendra que les décors végétaux, et la pièce d’eau dans un second temps, soient en place avant de se mettre à les peindre. Cette entreprise de passion – Monet était fou de jardins -, amorcée en 1883 avec son arrivée à Giverny alors qu’il avait 43 ans ne s’achèvera qu’à sa mort en 1926. Elle trouvera un déploiement et un aboutissement spectaculaire avec la merveilleuse suite des Nymphéas réalisée pour l’Orangerie à Paris.

Avant d’arriver à ce résultat aux limites de l’abstraction, et depuis ses toiles impressionnistes du XIXème, l’évolution de l’oeuvre de Monet est bien lisible à travers les tableaux présentés ici : on y observe un travail de plus en plus précis sur la manière de transposer les changements de lumière, le fouillis et les couleurs du végétal, la transparence, les reflets et le miroitement de l’eau.

Giverny, les jardins de Claude MonetProlongement naturel ou introduction à cette didactique exposition, une promenade dans les jardins de Monet tout à côté nous plonge au cœur des paysages savamment et patiemment construits par l’artiste et ses nombreux jardiniers.
Une balade courte mais si belle que l’on prend le temps, en s’arrêtant à chaque changement de perspective, d’admirer les massifs d’iris et de roses et de mille autres espèces, le petit étang et ses saules si émouvants, le pont sous lequel s’étalent les nénuphars… Une visite qui permet aussi de renouveler son regard sur l’oeuvre de Monet, de l’apprécier mieux encore, rendue ainsi beaucoup plus vivante et attachante.

Le jardin de Monet à Giverny : l’invention d’un paysage Jusqu’au 15 août 2009
Musée des Impressionnismes
99, rue Claude Monet – Giverny (27)
Tel. : 02 32 51 94 65
TLJ de 10 h à 18 h (jusqu’au 13 juillet)
TLJ sf le lun. de 10 h à 18 h (du 14 juillet au 31 octobre)
Entrée 5,5 € (TR 3 € et 4 €)
Gratuit le premier dimanche du mois

Du 23 août au 31 octobre 2009, le musée des Impressionnismes accueillera une exposition consacrée à Joan Mitchell, peintre de l’abstraction lyrique qui a vécu à Vétheuil, tous près de Giverny

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Aller voir les Nymphéas

Aller voir les Nympheas de Monet à l'OrangerieSi vous avez envie de peinture mais craignez de rencontrer la foule chez Picasso & Co, profitez donc de la lumière automnale et de ces belles journées pour aller vous perdre dans le jardin aquatique de M. Monet.

L’Orangerie, construite sous Napoléon III pour y entreposer les plantes fragiles du jardin des Tuileries pendant l’hiver abrite depuis en 1927 les Nymphéas de Claude Monet. Une installation conforme au vœu de l’artiste, qui avait décidé, dès les années 1910, de les offrir à l’Etat. Les deux salles en ellipse qui en sont tapissées (les toiles ont été marouflées à même les murs) ont été créées spécialement à cet effet.

Les travaux aboutis en 2006 ont permis de mettre fin aux errements qui perduraient depuis les années 1960, époque où, pour accueillir la donation Walter-Guillaume, des aménagements avaient privé les Nymphéas de leur positionnement de choix.

Ils sont désormais et comme à l’origine superbement et simplement éclairés à la lumière du jour, offerts à la contemplation du visiteur venu ici se poser un peu, se fondre dans ces étendues de couleurs, d’eaux et de végétaux. Il y reviendra certainement tant est vrai qu‘"un paysage ne vous imprègne pas en un jour".
Monet a prononcé cette phrase magnifique et prometteuse pour expliquer les quatre années qu’il a laissé passer entre la création de son "jardin d’eau" à Giverny et le début de son entreprise picturale. Sa justification s’est d’ailleurs avérée prophétique puisque de 1897 à sa mort en 1926, il ne cessa de peindre encore et toujours le jardin de sa propriété des bords de Seine, avec son pont japonais, ses iris et ses nénuphars blancs.
Si cette longue fresque d’eau (91 mètres de long au total des huit compositions) est si apaisante, les teintes de bleu constellé de blanc, de vert, de brun et parfois de rose n’y sont pas pour rien ; on est loin du verdâtre morbide des eaux stagnantes. Ici se reflètent les nuages, une ondulation douce semble parcourir le bassin, les fleurs éclore, les saules pleureurs couler avec une tranquillité extrême, la nature suivre son lent mouvement.
Un temps, en 1909, Claude Monet avait envisagé "d’employer à la décoration d’un salon ce thème des nymphéas : transporté le long des murs, enveloppant toutes les parois de son unité, il aurait procuré l’illusion d’un tout sans fin, d’une onde sans horizon et sans rivage ; les nerfs surmenés par le travail se seraient détendus là, selon l’exemple reposant de ces eaux stagnantes et, à qui l’eût habitée, cette pièce aurait offert l’asile d’une méditation paisible au centre d’un aquarium fleuri".
Le peintre a fait mieux que cela, en offrant au public ce moment de grâce qu’il a si bien décrit et qui, un siècle après, lui est toujours aussi nécessaire.

Musée de l’Orangerie
Jardin des Tuileries – 75001 Paris
TLJ sf le mardi, le 1er mai et le 25 décembre, de 9 h à 18 h
Métro : 1, 8, 12 station Concorde
Bus : 24, 42, 52, 72, 73, 84, 94 arrêt Concorde
Entrée : 7,5 € (TR : 5,5 €)
Gratuit le premier dimanche de chaque mois

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Chefs-d'oeuvre de la galerie Vollard : Paul Cézanne

Les trois baigneuses, Paul CézanneAujourd’hui, suite et fin de la visite de l’exposition De Cézanne à Picasso, chefs-d’oeuvre de la galerie Vollard.

On a vu ce que Renoir et Cézanne pensaient des oeuvres de van Gogh : "une peinture de fou !" (lire le billet Galerie Vollard : autour des livres d’artistes et de van Gogh).

Les relations entre les artistes à cette époque paraissaient pourtant le plus souvent marquées par l’admiration.

D’ailleurs, si l’opinion des artistes sur les oeuvres de leurs semblables mérite d’être soulignée dans l’exposition organisée autour d’Ambroise Vollard, c’est parce qu’ils étaient souvent les premiers acheteurs de tableaux.

Ce fut le cas de ceux de Cézanne – dont on rappelle qu’il fut véritablement lancé par le marchand d’art grâce à la première exposition monographique qu’il lui consacra en 1895.
Ses premiers "clients" furent Degas, Monet et Pissarro.

Comment ne pas s’extasier, en effet, devant ses superbes paysages, mais aussi ses portraits d’une touchante humanité, mettant en scène des hommes démunis, tels Le fumeur accoudé (1891), Les joueurs de carte (1893) ou encore des êtres mélancoliques comme ce pensif Garçon au gilet rouge (1888-1890) ?

On trouve aussi chez Cézanne de belles correspondances avec d’autres artistes. Son admiration pour Delacroix était telle qu’il conserva toute sa vie dans son appartement une aquarelle du peintre représentant un bouquet. Un jour, il finit par se décider à réinterpréter ce tableau. Les deux oeuvres sont accrochées côte à côte : un beau chemin…

Cézanne avait également peint, en 1870, en écho à la provocante Olympia de Manet (1863), Une moderne Olympia. Quoi de mieux que ces réinterprétations d’un même sujet pour apprécier ce qui fait la singularité et en l’occurrence le talent de chacun des artistes, à savoir le style ?

Cézanne admirateur donc, mais ensuite admiré à son tour. Touchante anecdote que celle autour de son tableau Trois baigneuses (1876-1877) : c’est Matisse qui l’acheta, mais à crédit sur douze mois… et lorsqu’il l’offrit au Petit-Palais en 1936, il déclara que l’oeuvre l’avait "soutenu moralement dans les moments critiques de mon aventure artistique. J’y ai puisé ma foi et ma persévérance".

Tel fut aussi le grand mérite d’Ambroise Vollard : avoir permis ces liens, ces admirations et cette stimulation entre les plus grands.

De Cézanne à Picasso, chefs-d’oeuvre de la galerie Vollard
Musée d’Orsay
Jusqu’au 16 septembre 2007
Du mardi au dimanche de 9h30 à 18h
nocturne le jeudi jusqu’à 21h45
RER C, bus 24, 68 et 69, M° ligne 12
Entrée 7,50 € (TR 5,50 €)

Catalogue d’exposition
Collectif, sous la direction d’Anne Roquebert
Musée d’Orsay / RMN, 56 €

Image : Les trois baigneuses de Paul Cézanne (1876-1877)

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