Anatole. Arthur Schnitzler au théâtre de Menilmontant

Anatole, Arthur Schnitzler, theatre MenilmontantC’est toujours un plaisir de retrouver Arthur Schnitzler qui, de son écriture simple et élégante dépeint à merveille la société viennoise de la fin de XIXème siècle.
Dans Anatole, l’écrivain, dramaturge et médecin autrichien (1862-1931) décrit les amours d’un homme du monde, coureur de jupons devant l’éternel, épris de trop de femmes pour en respecter vraiment une seule.

Le spectacle qu’en propose la compagnie Populart Theatre restitue tout l’humour et toute la finesse de la pièce.

Anatole, impeccablement interprété par André Salzet, croit aimer les femmes mais en joue, gonflant sa gorge et se berçant lui-même des beaux mots qu’il débite et des stratagèmes qu’il invente. Ses compagnes, sincères amoureuses ou déjà anciennes amies, débordent de vie et de spontanéité. Le jouisseur narquois, mais souvent un peu perdu, amateur de petites femmes du peuple, a pour ami un Max beaucoup plus prosaïque.
Celui-ci, fidèle conseiller et témoin ne se départit jamais de son pragmatisme, et tente, en un réjouissant contrepoint aux discours mousseux du dandy, d’insuffler une certaine sagesse. Ses répliques, énoncées d’un ton pince-sans-rire, sont irrésistibles. Michel Feder y est parfait.

Claire Mirande, qui joue tous les personnages féminins, le plus souvent avec une cocasserie enjouée, se révèle véritablement dans la dernière pièce, par un jeu délicat, dont surgit, sous une nuit bleutée, un très beau moment d’émotion.

Anatole de Arthur SCHNITZLER
Théâtre de Menilmontant
15, rue du Retrait – Paris 20ème (M° Gambetta)
Du mercredi au dimanche à 19 h, jusqu’au 31 décembre 2007
Avec André SALZET, Claire MIRANDE et Michel FEDER
Mise en scène Laurent CARUANA

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Ce que mes yeux ont vu. Laurent de Bartillat

Ce que mes yeux ont vu, Laurent de BartillatCe que mes yeux ont vu est ce que mes yeux verront si je prends la peine de regarder ce qu’il y a réellement, si je découvre ce qui est caché "derrière". Ainsi pourrait se résumer le propos de ce joli film un peu bancal, non exempt de défauts mais qui en définitive convainc et ne manque pas de séduire.
Lucie, étudiante en histoire de l’art, interprétée par Sylvie Testud, axe ses recherches sur Antoine Watteau. Son directeur de mémoire (Jean-Pierre Marielle), qui a effectué ses propres travaux sur le peintre du Gilles et des fêtes galantes, suit son travail de très près. Mais lorsque Lucie se trouve sur la piste qui pourrait l’amener à éclaircir le mystère de la femme que l’on retrouve sur différents tableaux du maître, toujours de dos, le professeur essaie de la détourner de ses recherches.
Ce que le film a d’original et de tout à fait réussi est de rendre l’enquête autour de la peinture de Watteau aussi haletante que n’importe quelle intrigue policière.
La faiblesse d’exploitation des personnages (Bartillat ne va guère plus loin que l’esquisse) est bienheureusement contrebalancée par l’apparition d’un jeune homme pour le moins hors norme. Vincent, joué par notre très cher James Thierrée, est sourd-muet. Il fait le mime (façon statuaire) dans la rue ; son comportement est étrange ; il semble obsédé par la jeune femme.
Dans une très belle scène, sur le trottoir d’une rue de Paris, il s’agenouille au dessus d’une bouche d’égouts et lui fait signe de faire de même. En dessous coule la Bièvre. Métaphore simple et efficace pour signifier ce qui est caché, ce qui est dessous. Et c’est lui qui mettra l’étudiante-enquêteuse sur le chemin de la vérité… avant de disparaître à jamais, emportant le mystère de son personnage avec lui.
Entre temps, il aura contribué à imprimer à ce film son originalité et une ambiance aussi singulière qu’attachante non dénuée de charme.

Ce que mes yeux ont vu. Laurent de Bartillat
Avec Sylvie Testud, Jean-Pierre Marielle, James Thierrée
Durée 1 h 28

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Souffle. Kim Ki-duk

Souffle, de Kim Ki-dukCe souffle est celui d’une histoire d’amour passionnelle. Une histoire d’amour singulière, impensable, interdite.
Jang Jin est condamné à mort pour avoir assassiné sa femme et ses deux enfants. Dans sa cellule, il essaie pour la deuxième fois d’attenter à ses jours. Ses compagnons gravent des femmes nues sur les murs décrépis. L’un d’eux entoure Jang Jin d’un amour tendre et exclusif. Entre eux, aucune parole ne sera jamais prononcée.
A des kilomètres de là, dans sa vaste villa, une femme est en proie à l’abandon de son mari. Elle dessine calmement avec sa petite fille ; modèle des sculptures dans la terre grise. Sans un mot, tout en elle exprime le désarroi, la solitude, l’élan brisé.
Le journal télévisé se fait l’écho de la nouvelle tentative de suicide de Jang Jin. L’épouse trompée est hypnotisée par cet homme. Elle entre dans un magasin de fleurs. Se rend à la prison. Offre en plein hiver une fête de printemps à Jang Jin. Revient le lendemain, encore plus dénudée malgré la glace, pour cette fois lui jouer l’été. Elle lui parle. De ces mots, de ces chansons et de ces décors de rêve créés dans un parloir par une femme triste devenue fée éclot une histoire d’amour.
L’improbable devient évident. Le silence – durant tout le film on n’entendra pas la voix de Jang Jin – est éloquent ; les non-dits sont des cris ; les sourires des brèches dans le cours du monde.
Jamais annoncée, l’émotion surgit par surprise au détour d’un regard, de flocons de neige qui s’envolent, d’une chanson qui libère, de corps qui brusquement s’étreignent.
Délicat, beau, limpide, le dernier film du virtuose Kim Ki-duk (1) n’a rien d’une démonstration de talent.
Fort et troublant sur l’ambivalence des sentiments et de la passion amoureuse, Souffle est bien sûr aussi un film très physique. Il tire de l’étrange comme du prosaïque une atmosphère poétique inattendue, et surtout, ne souligne jamais. Absolument magnifique.

Souffle (titre original Soom)
Un film sud-coréen de Kim Ki-duk
Avec Chang Chen, Jung-woo Ha, Ji-a Park
Durée : 1 h 24 mn
Sélection officielle Festival de Cannes 2007
(1) Kim Ki-duk a réalisé notamment Printemps, été, automne, hiver…et printemps et Locataires

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La Tour des Miracles de Georges Brassens en BD. Par E. Davodeau et D. Prudhomme

La Tour des Miracles de Georges Brassens en BDAlors que les rues de Montmartre sont banalement fréquentées par des pupazzi de pacotille, en haut de la Tour des Miracles vivent Corne d’Auroch, Courte-Patte et autre Huon de la Bièvre.

Ils n’en descendent qu’exceptionnellement, par exemple lorsqu’ils sont contraints de célébrer le mariage, autrement dit de "faire estampiller l’amour par l’Etat comme les bourgeois", de Voirie-voirie et d’Annie Pan-Pan-Pan. Mais même dans ce cas, les choses ne se passent pas tout à fait classiquement. Le cortège nuptial croise un convoi funèbre, dont le défunt ayant changé d’avis décide de sortir de sa bière, ce qui n’empêche pas la camorra d’adopter immédiatement la veuve en la baptisant au passage Chenille funambulesque.

Achevé en 1950, Georges Brassens n’a accepté la publication de son second roman que quelques années plus tard, pour faire plaisir à "tant de gens". « Sauf en amitié, en tendresse, et en souvenir, je suis très infidèle, et ce petit bouquin n’échappe pas à mes infidélités » déclarait-il simplement.
Tout n’était pas à jeter pour autant, loin de là, si l’on en juge par la bande dessinée haute en saveurs qu’en ont tirée Davodeau et Prudhomme. Il faut dire que le récit est quelque peu rabelaisien ; il nous fait passer des gigantesques fesses de Pile-face, au figuier "hors la norme" de tonton Sosthène, lequel de ce fait "se livrait à une consommation pantagruélique de figues"
Point de souci d’une quelconque construction narrative, mais une trame ondoyante où la fantaisie (voire le surréalisme), l’humour et la poésie sont les seuls fils conducteurs.
Surtout, l’on y retrouve un concentré du petit monde de Brassens, avec ses personnages anti-conformistes, son sens de l’amitié à toute épreuve, certaines situations, audacieuses évoquées dans ses chansons.
Et sur le dessin débridé et réjouissant de David Prudhomme, se découpe le verbe ciselé, truculent, toujours précieux du très grand Georges.

La Tour des Miracles de Georges Brassens
Adaptée par Etienne Davodeau et David Prudhomme
Delcourt, Hors Collection (2004)
72 p., 14,95 €

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In memoriam. Linda Lê

Linda Lê, In memoriam, Christian BourgoisAu bord de l’abîme et dans le refus du deuil, le narrateur raconte son amour perdu : l’histoire encore brûlante et tragique de Sola, romancière de l’extrême qui finit par se suicider.
Lui-même écrivain, il tombe amoureux des livres de Sola avant de tomber amoureux fou de la femme, y voyant son double féminin et trouvant dans ses mots ceux qu’il ne peut écrire lui-même.
Dans le désarroi de cette disparition qui l’a laissé sans réponse, il refait le chemin, celui de la mystérieuse Sola, avec le peu d’éléments qu’il tient d’elle, mais aussi ce que fut sa propre vie jusqu’à ce qu’il rencontre celle qui l’a révélé à lui-même. Une enfance placée sous le signe de la douleur, dans l’ombre du frère aîné Thomas, le plus beau, le plus doué, le plus actif, le plus aimé. Thomas devenu brillant avocat, richement marié, à qui le narrateur présente un jour Sola. Coup de foudre immédiat, il devra désormais partager son amour avec ce frère exécré… jusqu’à ce que la belle les laisse chacun face à eux-mêmes, avec leurs questions, leur souffrance, leur culpabilité, à jamais transformés par cet être exceptionnel.

Tombeau encore ouvert, recueil de regrets et d’échecs, In memoriam est le livre de toutes les douleurs, à commencer par la perte et l’abandon, mais aussi la souffrance de vies impuissantes, comme celles du narrateur et du père de Sola, mais encore les blessures de l’enfance qui ne guérissent pas et semblent interdire à jamais la joie.
Il faudrait être de pierre pour rester insensible à tant de noirceur. Mais cette monochromie pose sa limite à la portée du roman, car à trop vouloir démontrer et souligner, Linda Lê prend le risque de dérober au lecteur sa propre émotion.

In memoriam. Linda Lê
Christian Bourgois (2007)
190 p., 17 €

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Chefs-d'oeuvre islamiques de l'Aga Khan Museum. Musée du Louvre

Chefs-d'oeuvre de l'Aga Khan Museum, exposition musée du LouvreLe musée du Louvre met en lumière l’art islamique autour de deux expositions, l’une est consacrée à l’art de l’Iran safavide, l’autre aux chefs-d’oeuvre de l’Aga Khan Museum.
Exposition resserrée, Chefs-d’oeuvre islamiques de l’Aga Khan Museum offre un parcours de choix très réussi.
Dans une passionnante entrée en matière, l’on y découvre la marque des influences européennes et extrême-orientales sur l’art de l’Islam mais aussi les apports de celui-ci à l’Europe et à la Chine. Ainsi, le De materia medica de Dioscoride, ouvrage médical du 1er siècle, a été traduit du grec et du syriaque en langue arabe (une page illustrée en est montrée) avant d’être retransmis à l’Occident médiéval. Par le biais de l’Espagne, le monde islamique a en effet restitué à l’Europe une partie des connaissances issues de la civilisation grecque, tout en lui faisant bénéficier dans le même temps de ses propres découvertes mathématiques et astronomiques.
L’influence de la Chine est aussi très visible. Si les poteries fournissent de bons exemples d’entremêlement des styles sur un même support, les inspirations plus ou moins lointaines s’observent ici encore dans les productions scientifiques. Par l’emploi du lavis et la stylisation des représentations animales, la page du Livre de l’utilité des animaux daté de 1300 env. révèle clairement la veine extrême-orientale de cet objet en provenance d’Irak ou de l’Ouest de l’Iran.
L’exposition met ensuite l’accent sur l’aventure de la figuration, puis celle de la narration dans le monde islamique.
Interdite dans la sphère religieuse, la représentation des êtres animés abonde dans les ouvrages littéraires et poétiques.
Les pages illustrées du Livre des rois (1) sont à tomber par terre : densité des scènes narratives, richesse et mariage de couleurs vives et pâles associées à l’or, finesse des motifs, délicatesse des décors végétaux… de merveilleuses gouaches à détailler sans fatigue.
Mais c’est avec la religion que l’on entre dans l’art de l’écriture. Fondateur du dernier monothéisme et du monde islamique, le Coran, texte révélé en langue arabe a conféré à l’écrit une aura considérable. Celui qui copie le texte coranique accomplit un acte pieux et jouit à ce titre d’un immense prestige. C’est ainsi que se développe la calligraphie, dont on admire ici de beaux exemples avec des manuscrits variés, notamment de très anciens sur support en parchemin.
Par la suite, à partir du IXème siècle, la calligraphie est appliquée aux objets profanes, l’écriture devenant alors un véritable répertoire décoratif. Que ce soit sur des objets mobiliers, sur des éléments d’architecture, la souplesse de l’écriture arabe est largement utilisée par les artistes. Tantôt rond, tantôt anguleux, plus ou moins aéré, l’observation de la diversité des styles calligraphiques permet d’appréhender toute la créativité qui peut s’exprimer grâce à ce formidable "matériau".

Chefs-d’oeuvre islamiques de l’Aga Khan Museum
Musée du Louvre
Jusqu’au 7 janvier 2008
TLJ sauf le mardi de 9h à 18h, jusqu’à 22h mercredi et vendredi
Entrée avec le billet "collections permanentes"

Image : Shâh Abû al-Ma‘alî, signé par Maître Dûst musavvir, Inde, vers 1556, gouache sur papier

(1) Le Shâhnâmeh ou Livre des Rois est une vaste épopée retraçant l’histoire légendaire et historique de l’Iran depuis les origines jusqu’à la conquête arabe. Il fut achevé par le poète Ferdowsî à l’orée du XIe siècle en Iran oriental.
Le récit s’organise selon plusieurs cycles : les premiers rois civilisateurs, puis la longue épopée des rois Kâyânides, à la cour desquels vivent les grands héros dont le fameux Rostam. Cette période est marquée par la lutte de l’Iran contre le Tûrân (Asie centrale). L’épopée aborde ensuite les temps historiques, marqués par le cycle d’Iskandar (Alexandre le Grand), et s’attarde sur la dynastie sassanide, faisant alterner récits de bataille, aventures romanesques et considérations morales.
Le Shâhnâmeh a été une source inépuisable d’inspiration pour les artistes iraniens. De nombreuses copies illustrées ont été réalisées depuis le XIVe siècle au moins. L’une des plus fameuses est sans doute le manuscrit réalisé à Tabriz entre 1522 et 1535 pour le souverain safavide Shâh Tahmâsp. Ce manuscrit, aujourd’hui dispersé dans diverses collections, comprenait 258 peintures, de la main des plus grands artistes de l’époque. (Voir le mini-site du Musée du Louvre consacré à l’exposition)

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Les Diablogues. Morel et Gamblin au théatre du Rond-Point

Les Diablogues, au théâtre du Rond-PointDeux bonshommes en costumes gris sur fond de cosmos, deux fauteuils et la lumière pour décor.
Epure et jeux de mots : c’est parti pour 1h30 de saynètes enchaînées, ping-pong verbal dont les joueurs sont François Morel et Jacques Gamblin.

A l’origine du texte, des sketchs radiophoniques que Jean Tardieu commande en 1953 à Rolland Dubillard. Elles sont données quotidiennement sous le nom de Grégoire et Amédée. En 1975, l’auteur les adapte en pièce : voici Les Diablogues.

Ces dialogues mi-cocasses mi-absurdes nous plongent dans des situations qui n’existent que par le verbe, dans un monde qui se révèle par l’exploration du langage.

La densité de certaines scènes confère par moments au spectacle une profondeur prenante, telle celle où les compères essaient de comprendre pourquoi l’un dit "Je ne supporte pas de me promener sous la pluie". Ils déroulent alors les questions comme autant de pelotes, dans une tentative d’avancée un peu désespérée. Le duo, qui a le langage pour seul bagage, prend ainsi quelque reflet touchant.
La conviction et l’engagement des deux comédiens dans cette aventure sont forcément communicatifs, si bien que l’on finit par prendre du plaisir à suivre les joutes verbales, pourtant très datées et assez inégales.
Et l’on rit même parfois, sous l’effet de l’irrésistible talent comique de François Morel à qui cette absurdité sied plutôt bien. Jacques Gamblin, lui, en tout point son opposé – y compris physiquement, petit format sec et nerveux – joue sur le "tragique" des situations. Mais rien de sérieux dans tout cela. La soirée est à conseiller pour découvrir l’auteur si on ne le connaît pas et pour la performance des comédiens. Mais peut-être ne faut-il pas en attendre davantage.

Les Diablogues. Rolland Dubillard
Avec François Morel et Jacques Gamblin
Mise en scène Anne Bourgeois
Théâtre du Rond-Point
A 18 h 30, durée 1 h 30
Jusqu’au 31 décembre 2007

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Faut que ça danse. Noémie Lvovsky

Faut que ça danse, Noémie LvovskyCe film est un pied de nez. Pied de nez au temps qui passe, à l’héritage douloureux, à la maladie et à la mort. Et comme tous les pieds de nez à ce qui fait mal, il est terriblement réjouissant.
Salomon, quatre-vingt ans, interprété par Jean-Pierre Marielle vit séparé de sa femme, laquelle (délicieuse Bulle Ogier plus que lunaire) vogue sur une douce folie.
Il se repasse Fred Astaire en boucle, prend des cours de claquettes, danse tout seul à la maison. Cherche une compagne par petite annonce, ne doute de rien et séduit. Son âge, il l’oublie, ou plutôt a l’air de ne s’être jamais vu l’atteindre. Sa fille lève les yeux au ciel mais l’adore tendrement. Tiens, la voici enceinte, d’ailleurs. Pour une déclarée stérile de 41 ans (jouée par Valeria Bruni Tedeschi, très convaincante aussi), c’est une belle surprise ; elle en engueule le labo qui n’a pu que se tromper…
Tout part comme ça, et ne s’arrête pas. Ainsi déboule la piquante Sabine Azema, alias Violette, la petite amie que Salomon a dégotée grâce au journal. Et le garde-malade de la mère foldingue qui l’embarque en Suisse pour trouver quelque argent. Et enfin le bébé qui décide de naître dans la bibliothèque de l’hôpital psychiatrique. Cela peut paraître décousu et simplement loufoque.
Evidemment, et alors ? Car cette comédie déjantée est tout sauf vaine. Bien au contraire, sous cette légèreté qui a l’air de partir dans tous les sens, il y a une véritable cohérence, et un propos d’autant plus savoureux qu’il n’est jamais dit.
L’obstination de la mémoire qui fait mal, la maladie, la vieillesse, la mort qui vient, le tragique donc, oui. Mais voici que sur ces drames pousse un brin de folie, surgissent une rencontre, une étreinte, une danse, une ballade, une engueulade pleine d’amour… tout ce qui bouge, et même tout ce qui paraît improbable et que seul explique cet élan de vie débridé, enviable et souverain.

Faut que ça danse. Noémie Lvovsky
Avec Jean-Pierre Marielle, Valeria Bruni Tedeschi, Sabine Azéma, Bulle Ogier, Arié Elmaleh…
Durée : 1h 40 mn

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Ni d'Eve ni d'Adam. Amélie Nothomb

Amélie Nothomb, Ni d'Eve ni d'AdamLire toute la production d’Amélie Nothomb exposerait à deux risques, celui de la lassitude et, pire, celui de tomber de temps en temps sur de piètres écrits.
Mieux vaut donc choisir ; et savourer le bon grain.
Le dernier est de ceux-là.
Peut-être Amélie Nothomb n’est-elle d’ailleurs jamais aussi convaincante que lorsqu’elle embarque son lecteur au Japon. L’on pense à Stupeurs et tremblements et à Métaphysique des tubes mais avec un petit quelque chose en mieux.
Donc notre Amélie, à 21 ans, retourne seule au Japon après de longues années de manque. Bien décidée à devenir une vraie Japonaise, elle se dit que pour apprendre la langue, le plus efficace est certainement de donner des cours de français à un Japonais. Aussitôt dit, aussitôt fait.
L’éducation de son élève est exemplaire, sa famille riche, son profil parfaitement dessiné. Et voici qu’il tombe amoureux de son jeune professeur. Et elle ? Elle, elle se contente de le trouver à son goût. Ce qui, pour Amélie, est déjà beaucoup, car, dit-elle "Si j’avais déjà flambé à maintes reprises, jamais encore je n’avais eu de goût pour quiconque".
Donc Ni d’Eve ni d’Adam, c’est Amélie et son fiancé certes, mais Amélie au Japon avant tout. Folle de joie seule dans la montagne enneigée, elle entre en transe devant le Mont Fuji qu’elle appelle son ami. Elle loue la beauté des arbres et cite Brassens à l’occasion, tout en passant de l’exaltation la plus délirante à l’angoisse la plus irrationnelle, de la surexcitation physique et mentale à l’évanouissement. Et si elle adore les bains bouillants et la neige glacée, elle aime davantage encore les deux à la fois. Terrible et délicieuse Amélie, toujours en mouvement, toujours si vivante. Elle ne s’oublie jamais Amélie ; ce n’est pas un fiancé, fût-il tokyoïte, qui la détournerait d’elle-même.
Elle donne en tout cas l’heureuse impression de sincérité, d’une "personnalité" qui se raconte. On s’attache, on rit, on rit d’elle (et de nous parfois au passage) ; on aime.

Ni d’Eve ni d’Adam. Amélie Nothomb
Albin Michel (2007), 252 pages, 17,90 €
Prix de Flore 2007

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Dans le café de la jeunesse perdue. Patrick Modiano

Dans le café de la jeunesse perdue, Patrick ModianoVoici le monde délicat des âmes errantes, des habitants de la ville qui ne s’ancrent véritablement que dans les rues et les cafés, dans ces lieux de passage qui, chez Modiano, deviennent des lieux à part entière, et même au-delà, des lieux de mémoire.
Car il n’est pas uniquement question de noms de rues, de stations de métro et de bars, mais aussi de cheminement dans le temps : dans le café de la jeunesse perdue, la topographie se fait évocatrice de souvenirs, la géographie se fait histoire.
Le moment "historique" – mêlant faits et personnages réels à la fiction – que le roman retrace est celui de la jeunesse de Louki, morte défenestrée à 22 ans, suicide qui n’a en rien dévoilé le mystère qui l’entourait.
Alors, tour à tour, plusieurs personnages parlent de la belle Louki. Au milieu, elle aussi se raconte.
Et c’est avec une parfaite maîtrise de l’art de l’esquisse que Modiano, empruntant plusieurs voix, mais toutes bien siennes, tente de dire qui était Louki.
Cette approche détournée de la jeune femme, avec toute l’ombre qu’elle réserve, est particulièrement convaincante en ceci qu’elle renvoie aux questions Que connaît-on d’une personne au fond ? Qui est-elle véritablement ? Elle-même sait-elle pourquoi elle a agi de la sorte ?. Pourquoi Louki s’est-elle mise à fuguer un soir ? Pourquoi a-t-elle recommencé le lendemain ? Et pourquoi s’est-elle enfuie après son confortable mariage à Neuilly ? Pourquoi s’est-elle mariée d’ailleurs ?
Avec beaucoup de subtilité, Modiano soulève plus d’interrogations qu’il ne donne de réponses, traçant autour de son personnage de simples pointillés, auxquels chacun de ses narrateurs ajoute quelques touches.
Une chose est sûre : le point de départ. L’enfance a légué à Louki la solitude pour principe et les liens avec les autres pour exception. Et le vagabondage dans la ville pour quotidien, la ville devenue point fixe, devenue pays avec ses frontières et ses barrières douanières. En lisant ce roman, l’on ne peut s’empêcher d’entendre résonner l’écho de l’autobiographique et très beau Pedigree, le précédent livre de Patrick Modiano.
Et l’on ne peut s’empêcher de citer ce passage sur "les liens" :

Sans doute la phrase qu’il avait prononcée tout à l’heure m’avait donné cette idée : "On essaie de créer des liens…" Rencontres dans une rue, dans une station de métro à l’heure de pointe. On devrait s’attacher l’un à l’autre par des menottes à ce moment-là. Quel lien résisterait à ce flot qui vous emporte et vous fait dériver ? Un bureau anonyme où l’on dicte une lettre à une dactylo intérimaire, un rez-de-chaussée de Neuilly dont les murs blancs et vides évoquent ce qu’on appelle "un appartement témoin" et où l’on ne laissera aucune trace de son passage… Deux photomatons, l’un de face, l’autre de profil… Et c’est avec ça qu’il faudrait créer des liens ?

Dans le café de la jeunesse perdue. Patrick Modiano
Gallimard, 2007, 148 p.

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