Public Enemies. Michael Mann

Michael Mann, Public enemiesIl est beau comme un dieu (Johnny Depp lui va bien), porte magnifiquement le long manteau et le costume à rayures, plaît aux femmes et aux journalistes.
Avec son gang, il est capable de vider une banque en une minute quarante secondes. C’est dire la maîtrise du métier, l’organisation (l’appui de la mafia est utile pour la logistique), la personnalité du bonhomme.

Les braquages s’enchaînent, les halls de banque coulés marbres et or semblent du beurre. Les Une des journaux se suivent et se ressemblent, quand John Dilliger, puisque tel est son nom, ne paraît pas pressé d’arrêter ses lucratives activités.
Bref, Dilliger est devenu en quelques mois l’ennemi public n°1, une star en vérité qui fait même l’objet de films.

Côté police, Edgar J. Hoover et ses suivants n’en peuvent mais de celui qui leur file toujours sous la main et les tourne en ridicule. Ils vont devoir affiner leurs méthodes de recherche et de filature, se mettre au niveau de l’élite des dévaliseurs.
En marge des coups de feux, une idylle romantique à souhait se noue au quart de tour entre John qui veut « tout, tout de suite » et une très séduisante brunette, employée de vestiaire de son état. Marion Cotillard incarne à merveille cette jeune femme mi-fatale mi-innocente, aimantée sous les frissons par ce Dilliger qui lui promet un bonheur luxueux pour très vite.

Film de gangsters « classique », Public Enemies déploie sa somptueuse réalisation dans l’univers très bien restitué des années 1930. Plans et mouvements de caméras, esthétique de la photo, jeux des acteurs, le ballet signé Michael Mann est une splendeur.
En son centre, John Dilliger-Depp cache ses passions sous un calme – une minéralité même – impressionnantes. Le mystère qu’il dégage n’a d’égal que son irrésistible charisme.
Si Public Enemies est un de ces thrillers dont on oublie les détails de la trame aussitôt sorti de la salle, sa beauté et l’aura de son personnage, elles, restent longtemps en mémoire, comme un plaisir des yeux qui aurait laissé sa trace.

Public Enemies
Un film de Michael Mann
Avec Johnny Depp, Christian Bale, Marion Cotillard
Durée 2 h 13

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Une journée particulière. Ettore Scola

Scola, Une journée particulièreC’est l’histoire d’une rencontre entre deux êtres infiniment beaux mais usés par le travail et l’humiliation. Sophia Loren incarne une mère de famille, Marcello Mastroianni un homme de lettres homosexuel. Rien de les prédisposait à se réunir, si ce n’est le hasard de cette « journée particulière ».
Nous sommes à Rome en 1938, Hitler rend visite à Mussolini, occasion d’une manifestation de propagande exemplaire. Hommes, femmes et enfants se rendent sur la voie du cortège pour applaudir dans la liesse le succès des régimes fascistes, après avoir déployé les étendards sur les façades des habitations et noué les bruns foulards autour du cou.
Trop occupée par les charges de son foyer, Antonietta ne se rend pas au défilé. Gabriele non plus, parce qu’il est anti-fasciste.
Dans l’immense immeuble à l’architecture mussolinienne, vidée de ses occupants, il ne reste qu’eux deux et la concierge.
L’oiseau échappé de sa cage amène Antonietta à aller frapper à la porte de Gabriele pour tenter de le récupérer.
Cet homme et cette femme que tout oppose vont passer la journée ensemble, à se découvrir, à se heurter autant qu’à s’attirer.

Chef d’œuvre sombre teinté d’un soupçon de comédie, élégantissime, ce film d’Ettore Scola de 1977 impressionne sur le plan historique et politique – avec des scènes effrayantes sur l’efficacité de l’endoctrinement fasciste -, émeut sur le plan humain et terrasse littéralement sur le plan cinématographique.
Les plans de Scola montrant l’immeuble à l’architecture vertigineuse, où tout le monde peut surveiller tout le monde, et l’appartement de la famille d’Antonietta, univers auquel se limite sa vie, sont stupéfiants.

Ettore Scola, Une journée particulièreLa personnalité d’Antonietta, bon sujet du régime, prête à faire un énième enfant pour recevoir la médaille du gouvernement touche par sa naïveté – facilement explicable compte tenu de sa condition et de l’ignorance pour ne pas dire le mensonge dans laquelle elle est tenue – mais aussi par sa façon, non dénuée d’humour, d’accepter son sort d’épouse, de mère et de fée du logis modèles : petits mensonges à son mari, commentaires in petto comme ce savoureux : « Il faudrait trois mamans, une pour faire la cuisine, une pour faire le ménage… et une pour se remettre au lit ».
Gabriele, lui, déborde de fantaisie et d’humour, mais ce n’est que pour mieux habiller son désespoir.
Tout comme Sophia Loren est le charme même en mère au foyer résignée, où la fatigue le dispute à une belle vivacité, Marcello Mastroianni en homme mystérieux, souriant et malheureux, est la séduction même. De la rencontre inespérée de ces deux personnages d’âge mur, portés par deux monstres sacrés portant alors magnifiquement leurs années, Ettore Scola a fait un film inoubliable.

Une journée particulière
Un film de Ettore Scola (1977)
Avec Sophia Loren, Marcello Mastroianni, John Vernon, Francoise Berd
1 h 45 min

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Gerhard Richter : photographies peintes

Photographies peintes de G Richter, MadridDans le cadre de PHotoEspaña 2009, la Fundación Telefónica accueille quatre cents photos peintes de l’artiste allemand Gerhard Richter, essentiellement de petits formats, avec quelques grandes œuvres abstraites en noir et blanc.

Cette immense exposition permet d’embrasser l’ensemble des techniques utilisées par Richter pour réaliser ses créations hybrides : peinture fraîche sur laquelle il appose un papier pour donner un relief instantané, projections, coulures, gouttes, raclures, larges aplats étirés, fond de pinceau épuisé de peinture.

Il mêle les couleurs (toutes y sont, des teintes automnales aux mauves, jaunes citron, vert profond…), fait surgir des marbrures, des veinés, des flammées, des nervures et des empâtements. Il recréé les mélanges naturels de la palette du peintre, étale, joue.
Les scènes sont familières, issues du quotidien : promenades en forêt, amis, famille, déambulation florentine, paysages de montages enneigées, moments aux sports d’hiver ou au jardin.

Le plus souvent, les ajouts de peinture ne sont pas illustratifs. Il s’agit plutôt d’un "rideau" que Richter pose sur ses photos. Ce faisant, il délimite un espace clos à la scène photographiée. L’espace plat du cliché devient tridimensionnel : c’est ainsi que l’artiste nous présente ses paysages et ses sujets, pris entre le "fond" de la photo et ce rideau de peinture, plus ou moins couvrant, plus ou moins opaque. A nous spectateurs de deviner ce qui se passe vraiment dans chaque scène. L’artiste joue avec ce caché/masqué : certaines séries sont ainsi constituées de la même vue mais couverte de taches de différents formats et positionnements, comme pour nous intimer de regarder telle partie de la photo. C’est ainsi que Richter introduit une infinie subjectivité dans ses photos du quotidien, qui pourraient n’être qu’"objectives" : voilà la scène donnée, tout le monde pourrait la photographier sous cet angle – l’incommensurable banalité du "cliché" – mais moi, sujet singulier, artiste, j’ai décidé de la présenter comme cela, d’en faire cela. A ce (lieu) commun, j’ai apporté mon regard : ma patte, ma pâte de peinture.

Mais il arrive que Gerhard Richter prolonge la photo, l’illustre. Il ajoute des massifs d’iris (mettons) dans une forêt, des flocons de neige – gouttes colorées dans un paysage de montagne. Coup de pinceau magique qui ouvre soudain le grand livre de la poésie. Onirisme fou de ces grandes bulles de savon orangé qui envahissent le ciel et les cimes. Ailleurs, flocons bleu clair : non sans jubilation, Richter se plaît à recréer le monde. Ostentation de ce que l’artiste peut ? Oui, mais aussi mise en garde contre les apparences, contre ce que l’esprit et l’œil trop imprimés de réflexes ne savent plus remettre en question. Regardez ces grandes photos de bougies (un cierge tout simple avec sa flamme) : voici la lumière, la purification, l’éveil… Une vieille panoplie que Richter nous invite à remballer bien vite, en posant sur ces sages images des taches d’encre de Chine. Pas de feu sans fumée, pas de lumière sans ombre, semble-t-il nous dire. Comme une invite à reconsidérer les choses, le regard que nous y portons.
Revigorant, bien évidemment.

Fotografías pintadas
Gerhard Richter
Jusqu’au 30 août 2009
Fundación Telefónica
Gran Vía, 28 – Madrid
TLJ sf lun. de 11 h à 21 h, le dim. jusqu’à 14 h
Entrée libre

Une exposition organisée dans le cadre du festival PHotoEspaña 2009,  »Lo Cotidiano »

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Whatever Works. Woody Allen

Whatever works, Woody AllenBeaucoup ont applaudi le retour de Woody Allen à Manhattan, se sont réjouis du côté délicieusement vintage de Whatever Works.

Appréciation vraie, mais qui en même temps a tendance à balayer un peu vite la réussite de ses films précédents, les "Européens", en particulier le dernier de la série, Vicky Cristina Barcelona. Il avait une fraîcheur revigorante, due en partie à la grâce de ses actrices, mais aussi à son scénario bâti autour de ces Américaines qui découvraient avec ingénuité et tonicité une Espagne de carte postale, dont les reliefs n’étaient pas pour autant des plus attendus.

Avec Whatever Works, notre so New-Yorkais revient au bercail et si cela lui va très bien, si on passe avec ce film un moment extra, il faut tout de même reconnaître que c’est cette fois un Woody Allen beaucoup plus convenu que les précédents. Il ne s’agit pas de bouder son plaisir, mais le revers de la tradition retrouvée a une couleur quelque peu sépia…

L’histoire est celle d’un septuagénaire grincheux, hypocondriaque et misanthrope, mais non dénué de génie (génie pour quoi ? est l’une des questions du film ; on sait très vite qu’il a quand même raté de peu le Prix Nobel de physique). Notre Boris, donc – un double de Woody Allen incarné par Larry David de façon très convaincante – rencontre (ou plutôt est alpagué par) une gamine de vingt ans tout fraîchement débarquée de sa province, aussi idiote que ravissante. Comme elle a tout à apprendre, de New-York comme de la vie, elle s’attache à ce lucide vieux cinglé, adopte à sa façon sa vision désabusée et lui demande de l’épouser. Il refuse, puis il accepte, les voilà mariés et peu après débarquent les beaux-parents, séparément puisqu’ils sont désormais séparés, mais aussi ploucs républicains dégoulinants de religiosité l’un que l’autre. C’est ainsi que la galerie de portraits hilarants se complète, au fil de dialogues jubilatoires de bout en bout.

Mais ce que Whatever Works a de profondément séduisant tient en même temps à la petite philosophie qui s’en dégage, dont la pierre fondamentale est posée d’emblée par notre physicien de génie (voici donc la réponse à la question initiale) : Le tout est que ça marche. Ce qui n’est dit qu’au fur et à mesure du film, c’est l’implicite de la maxime : "Le tout est que ça marche… ici et maintenant en tout cas". Alors l’union d’une écervelée et d’un nobellisable, OK, tant que ça marche. Et le reste, idem.
Mais s’il se trouve que la vie – "le destin" ! – fait évoluer les choses, et bien tant pis, et bien tant mieux, tout est bouleversé, les personnes changent de point de vue, d’idées, d’envies, de vie… "le tout est que…".
Bref, Woody Allen ouvre ici grand la porte au hasard, fait de son anti-héros associable et angoissé un philosophe qui accepte les événements tels qu’ils viennent, et délivre dans ce film une morale des plus vivifiantes, où rien ni personne n’est figé, où ce qui fait évoluer, les surprises et les rencontres constituent tout le sel de l’existence.

Whatever Works
Une comédie de Woody Allen
Avec Larry David, Evan Rachel Wood, Ed Begley Jr., Patricia Clarkson, Henry Cavill, Michael McKean…
Durée 1 h 32

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Les mondes de l'Islam à Madrid

Los mundos del Islam en la coleccion del Museo Aga KhanMagnifique exposition à la Fondation La Caixa à Madrid, qui, autour d’une sélection de cent-quatre-vingt oeuvres issues de la collection du futur Musée de l’Aga Khan de Toronto, embrasse l’art des différentes dynasties historiques du monde islamique.

Ce sont ici plus de mille ans que l’on traverse, découvrant ou redécouvrant les différents styles, matériaux et techniques sur les diverses aires d’influence de l’islam.

Le parcours débute avec l‘al-Andalus de l’Espagne, en suivant les pérégrinations de Cordoue et du Maghreb au Proche-Orient, avec le voyage à La Mecque et les routes qui menaient les étudiants et les érudits à Damas et à Bagdad pour y enrichir leur culture.
Après avoir exploré les développements de l’art islamique en Egypte, en Anatolie, en Syrie, en Iran… il s’achève avec l’Empire Mongol en Inde à partir du XVI° siècle.

Autant de splendeurs, pages de livres légendes illustrés, bassins et candélabres sculptés, étoffes, céramiques ornées aux couleurs lumineuses de vert, d’or et de bleu, aux motifs géométriques et végétaux à défaut d’autres figurations possibles. Naturellement, l’écriture apparaît comme l’ornementation la plus courante.
D’ailleurs, tout un espace de l’exposition est dédié au Coran, à ses différents supports manuscrits (à partir du Xème siècle, le papier remplace le parchemin, mais ces supports pouvaient aussi être des feuilles de châtaignier, des pierres ou des coquillages) et aux divers styles calligraphiques (indien, qatar, mongol, safavi…), dont les possibilités de création paraissent infinies.
L’importance du Coran comme source d’inspiration se retrouve au demeurant tout autant dans les objets mobiliers que dans l’architecture, dont on peut également admirer des éléments.

Progressif, documenté et fourni, le parcours de l’exposition se suit comme un voyage à travers le temps et les continents, et se vit à Madrid avec le regard curieux et attentif d’un pays sur un pan riche de son histoire.

Los mundos del Islam
Jusqu’au 6 septembre 2009
CaixaForum Madrid
Paseo del Prado, 36 – 28014 Madrid
TLJ de 10 h à 20 h
Entrée libre

Image : Libro de los Reyes del Shah Tahmasp. Irán, s. XVI (c) Aga Khan Trust for Culture

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Loin de Paris ? Plein d'expos encore !

Ailleurs qu’à Paris, les propositions ne manquent pas pour passer cet été tout en culture.

Rappelons tout d’abord la singulière exposition présentée en diptyque Dream-Time, temps du Rêve, Grottes, Art Contemporain & Transhistoire, un pan à Toulouse et l’autre dans l’Ariège, dans la grotte du Mas d’Azil, vivement conseillée par Andreossi.

Toujours dans le sud, il faut absolument passer par le magnifique pays cathare, et en profiter pour faire une halte au village de Montolieu : tout près de Carcassonne, s’y concentrent dans une belle humeur de nombreuses librairies – principalement de livres anciens mais sans exclusive. Ce sera peut-être pour vous l’occasion de découvrir les œuvres sur papier de Joan Jordà, peintre d’origine espagnole marqué par l’exil à la suite de la Guerre Civile et les violences totalitaires (jusqu’au 30 septembre, au Musée des Arts et Métiers du Livre).

Tout ailleurs, bien plus près de la capitale, à Giverny, vous avez jusqu’au 15 août pour vous délecter, au nouveau Musée des Impressionnismes, de l’exposition Le jardin de Monet à Giverny : l’invention d’un paysage. A partir du 23 août, ce même musée accueillera un grand peintre de l’abstraction lyrique, Joan Mitchell, ce qui ne devrait pas être mal non plus…
Pourquoi ne pas pousser encore un peu plus vers le Nord pour aller voir des dessins du sculpteur Charles Gadenne, présentés au LAAC de Dunkerque jusqu’au 20 septembre prochain ?

A l’étranger ? Direction l’Espagne : au Musée Guggenheim de Bilbao, l’exposition Cai Guo-Qiang : Je veux croire y est visible jusqu’au 6 septembre.
Quant à PHotoEspaña 2009, festival de photos et d’art visuel madrilène largement recommandé dans ces pages, bien de ses expos durent encore tout l’été (voir dans ce sens le billet du 15 juillet dernier). Quitte à être à Madrid, profitez-en pour visiter Les mondes de l’Islam, à la Fondation de La Caixa, où est réunie une splendide sélection de 180 œuvres issues de la très riche collection de l’Aga Khan.

A voir à Berlin en ce moment au Deutsches Historisches Museum (jusqu’au 6 août) : l’exposition 1989-2009. Le Mur de Berlin. Artistes pour la la Liberté, un choix fait par Sylvestre Verger à l’occasion du 20ème anniversaire de la chute du mur de berlin : les 40 oeuvres présentées sont des fragments de 1 m sur 1,20 m prélevés dès 1990 sur le mur sécuritaire et qui ont servi de support à des créations d’artistes internationaux comme Daniel Buren, Richard Long, Robert Longo, Arman… Après avoir été montrée en mai et juin 2009 dans les jardins du Palais Royal à Paris, l’exposition sera visible à Moscou aux mois de novembre et décembre 2009.

Pour finir avec chic et fraîcheur, on nous signale trois expositions autour du Lac Léman cet été qui s’attarderont jusqu’à l’automne : Rodin et les arts décoratifs au Palais lumières d’Evian (jusqu’au 12 septembre), De courbet à Picasso au Musée Pouchkine de Moscou à la fondation Gianadda (jusqu’au 22 novembre) et Passions partagées, 25 ans de la fondation de l’Hermitage jusqu’au 25 octobre.

Voyageurs d’un jour ou de l’été, bien du bon temps à toutes et à tous !

Image : Charles Gadenne, sans titre, 2002, collection de l’artiste Jacques Quecq d’Henriprêt

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DreamTime. Temps du rêve. Grotte du Mas d’Azil

Exposition au Mas d'AzilAprès l’univers des grottes évoquées (voire reconstituées) par l’art au Musée des Abattoirs de Toulouse, nous voici dans cette cavité aux volumes imposants qui accueille les œuvres des mêmes artistes : la grotte du Mas d’Azil en Ariège.

Voûte bien vaste ouverte par la rivière ancienne, où passent même les automobiles, sans se douter qu’elles longent les « favelas d’Azil » de Pascale Marthine Tayou, faites de centaines de petites maisons de carton, accrochées à la pente.
Bien au-dessus de la rivière, comme tracé à la craie, un dessin qui rappelle à la fois les thèmes des aborigènes d’Australie et le relevé topographique d’un réseau souterrain est projeté sur le plafond de la voûte.
Dans la fraîcheur et l’opacité du monde sous terre, Delphine Gigoux Martin a pensé à l’éclairage : deux lustres de tessons de bouteilles ont attiré les papillons pendant que l’ombre de chauves souris tourne sans cesse. La salle du chaos est immense, et permet l’installation de plusieurs œuvres. Les plus frappantes sont celles de David Altmejd. Sept êtres fantastiques, plus ou moins ailés, ressortent terriblement blancs, juchés sur des hauteurs différentes, en attente du visiteur qui vient chercher l’aire de départ pour le rêve. Paul-Armand Gette ne déroge pas à sa réputation, sa photo de figue ouverte fait bien écho à un thème exploré par les spécialistes de l’art pariétal : la représentation symbolique des sexes. Jean-Luc Parant a profité d’une pente naturelle pour installer au sommet un « Parantosaure », pondant des milliers d’œufs qui dévalent la pente. Les bronzes de Miquel Barceló sont posés sur le sol du petit musée et renvoient aux objets archéologiques de la vitrine.

Exposition Dream Time au Mas d'AzilCharley Case et Thomas Israel ont assimilé un des caractères de la peinture paléolithique : son apparence mouvante, lorsque la figure, qui a profité des reliefs de la paroi, semble bouger à la lumière vacillante des torches. Ici, point de torches, mais une vidéo intègre astucieusement dans le creux de la roche l’image d’une femme qui donne la vie. Sur une surface plus plane, passe une femme nageant. Une belle réussite. On retrouve dans un coin de la « salle des chamans » le travail de Serge Pey avec ses bâtons de mots et ses dessins à la craie. Les trois squelettes d’ours des cavernes de Mark Dion surgissent grâce à leur peinture fluo et Virginie Yassef nous fait vivre l’orage tellurique juste avant de revenir à la lumière du jour.

L’amateur d’art contemporain se déplace ici dans un milieu inhabituel : la température, qui reste basse, l’impression d’humidité, les odeurs de roche, l’irrégularité du sol. Les œuvres, du coup, se respirent autrement. Parfois, cet amateur devra s’échapper quelque peu de l’emprise des sympathiques guides de la grotte, dont le rôle premier est de conter la préhistoire…

DreamTime. Temps du rêve
Grotte du Mas d’Azil
09290 Le Mas d’Azil – Tél : 05 61 69 97 71
Jusqu’au 11 novembre 2009
Visites guidées de la Grotte et de l’exposition DreamTime :
En juillet et août,TLJ de 10h à 18h
En septembre, du mar. au dim. de 10h à 12h et de 14h à 18h
Visites libres de la Grotte et de l’exposition DreamTime :
En juillet et août, TLJ de 10h à 13h et de 17h à 18h30
En septembre du mar. au dim. 10h à 12h et de 16h30 à 18h
Visites guidées spécifiques « Art contemporain – DreamTime » :
En juillet et août TLJ à 17h
Tarifs : Adultes : 6,10 € (TR 4,60 €), enfants de 6 à 15 ans : 3,10 €

Cette exposition est présentée parallèlement à celle du Musée des Abattoirs de Toulouse (lire le billet du 1er juillet 2009), où sont présentés les travaux préparatoires ainsi que des œuvres existantes des mêmes artistes ou des productions conçues en écho à la grotte du Mas-d’Azil. Une contremarque « DreamTime » donnant droit au tarif réduit pour l’entrée de la Grotte est remise aux visiteurs du Musée des Abattoirs et inversement.

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PHotoEspaña. Zhao Liang. Escenas urbanas

Zhao Liang, escena urbana, photoespana 2009A Madrid, l’historique et magnifique centre culturel Círculo de Bellas Artes (expositions, théâtre, concerts, cinéma, conférences, récitals de poésie… sans compter librairie et très agréable café) accueille dans le cadre de PHotoEspaña 2009, outre le Français Patrick Faigenbaum et le Tchèque Jindrich Styrsky, le chinois Zhao Liang à travers sa vidéo City Scenes (Escenas urbanas).

Ce documentaire de 33 minutes montre de courtes scènes du quotidien qui nous plongent dans un univers effrayant, où l’homme se trouve décalé, devenu étranger dans une ville qui s’est développée sans lui, au point de constituer pour ses habitants une menace.
On voit ainsi des employés de bureaux déjeuner à même le sol, sous l’énorme pile d’un pont de béton, au milieu d’artères de circulation gigantesques.
Dans un terrain vague, entre des lignes électriques et des immeubles immenses, un homme seul, jeune, attrape un parpaing, fait quelques pas en titubant, avant de le jeter devant lui. Il le reprend, marche, recommence. Perdu mais une avec sorte d’impuissante révolte, bouleversante.
Madrid, circulo de bellas artes, terrasse café
Citadins bien habillés ici, pauvres là, parlant dans le vide, errant, assis sur le trottoir, dans un wagon de métro… Solitude extrême dans un univers de buildings, de grues et de pelles mécaniques à perte de vue dans un brouillard de pollution omniprésent. Scènes de violence aussi, la nuit, histoires sans parole dont le résultat s’étale sous nos yeux, implacable : un homme étendu, abandonné, comme laissé mort.
On est pris de malaise devant cet essor économique, cette urbanisation exponentielle dont l’humanité, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes, semble la première exclue.

Zhao Liang. Escenas urbanas
PHotoEspaña 2009
Círculo de Bellas Artes
Alcalá 42 – 28014 Madrid
Jusqu’au 26 juillet 2009
Du mardi au samedi de 11 h à 14 h et de 17 h à 21 h
Le dimanche de 11 h à 14 h

Images : Zhao Liang. City Scenes
et terrasse du café du Círculo de Bellas Artes

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PHotoEspaña. Dorothea Lange. Los años decisivos

Dorotea Lange, los anos decisivos, photoespana 2009Comment clôturer cette série de billets dédiés à au festival PHotoEspaña 2009 à Madrid sans évoquer la magnifique rétrospective consacrée à Dorothea Lange au Museo de colecciones ICO ?

Les 140 tirages relatent son travail des années décisives, 1930 et 1940 dans les Etats-Unis en crise.

Les plus connus sont ceux montrant les conséquences de la grande dépression de 1929, où l’on voit des files d’attentes pour trouver un emploi, la misère dans laquelle se retrouvent un grand nombre d’Américains, les déplacements de travailleurs du monde agricole.

L’empathie et le regard humaniste de Dorothea Lange semblent tout entier concentrés dans les portraits ultra-célèbres de cette Mère migrante entourée de ses enfants, dans la pauvreté et la détresse la plus absolue, dont le visage est déjà marqué par de profonds sillons alors qu’elle est âgée d’à peine trente ans.

Beaucoup moins connue en revanche est la série consacrée au déplacement forcé des personnes d’origine japonaise après l’attaque de Pearl Harbor en 1941. Le gouvernement décide en effet de regrouper et d’interner dans des camps tous ces hommes, femmes et enfants, même ceux de citoyenneté américaine. Dans un contexte de racisme anti-japonais affiché, des familles entières sont forcées des plier bagage, de quitter leurs biens pour aller s’entasser dans des centres précaires.
De format beaucoup plus réduit, ces photos sont tout aussi poignantes tant elles montrent elles aussi la résignation et la souffrance. Si ces images sont restées longtemps cachées, c’est parce qu’elles étaient bien peu glorieuses pour l’image de marque du gouvernement. C’est d’ailleurs la première fois, ici à Madrid, plus d’un demi-siècle après qu’elles aient été prises, que ces 28 photographies sont exposées.

Dorothea Lange. Los años decisivos
PHotoEspaña 2009
Jusqu’au 26 juillet 2009
Museo de colecciones ICO – Zorrilla, 3 – 28014 Madrid
Du mar. au sam. de 11 h à 20 h et le dim. de 10 h à 14 h

Image : Dorothea Lange, Migrant mother, © Dorothea Lange

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