Elles. J.-B. Pontalis

Elles de JB PontalisDans Elles, succession de courts récits sur les femmes que J.-B. Pontalis a connues, aimées, dont il a lu ou entendu l’histoire, le célèbre psychanalyste parle-t-il véritablement des femmes ?
Rien n’est moins sûr.

Cette galerie de Elles qu’il passe en revue semble plutôt être celle des amours, dont la banalité, le « classique » laisse à penser qu’il n’existe pas d’histoire d’amour singulière mais simplement quelques grands types, destinés à se répéter inlassablement, tous essentiellement malheureux.

Car malgré Noces, conclusion du livre qui se voudrait optimiste, il ne semble pas exister pour J.-B. Pontalis d’amour heureux.
D’ailleurs, l’amour existe-t-il en dehors de la passion, que le psychanalyste prend pourtant grand soin d’opposer à l’amour car « elle exige la possession de l’autre tout en la sachant impossible et ignore qu’en retour elle fait de vous un possédé » ?
C’est dans les pas de Charles Swann que Pontalis pose ici les siens, avouant qu’il a lui aussi connu son Odette.

De références littéraires, le recueil est largement émaillé, des poèmes de Ronsard qui ont éveillé son adolescence aux maîtresses d’Ulysses dont sa préférée fut Naussicaa – qui malgré son apparence de vagabond l’accueillit d’une voix douce et le trouva beau -, en passant par une lecture psychanalytique d’une scène de Lady Chatterley de D. H. Lawrence.

Malgré tout, sur Elles, les femmes, J.-B. Pontalis n’a pas levé le mystère, cristallisé dans la question originelle de l’homme « à quoi rêvent nos mères ? ».

Quant à l’amour, il en souligne joliment l’énigme, rappelant qu’il est attirance pour l’Autre, qui est bien autre, avec toute la différence qu’il porte, et qui porte l’amoureux hors de soi.

Elles. J.-B. Pontalis
Gallimard (2007)
197 p., 15,50 €.

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Le temps retrouvé. Les aberrations de l'amour

Marcel Proust La RechercheLors de sa promenade solitaire dans Paris, le narrateur, après avoir rencontré par hasard M. de Charlus s’aperçoit qu’il s’est fortement éloigné de chez lui et qu’il ne pourra rentrer avant d’avoir pris quelque boisson et repos.

Dans le Paris obscur et clos des soirées de ces années de guerre, il finit par trouver une demeure éclairée pour faire une halte.
Il s’agit d’une maison de plaisirs.
Il y trouve toutes sortes d’hommes, militaires, aristocrates comme hommes du peuple.

Sa curiosité éveillée par des cris, il aperçoit à travers la petite fenêtre dissimulée d’une chambre le baron de Charlus en train de se faire fouetter par un jeune homme.

Cette scène le saisit vivement puis le conduit à de longues réflexions sur l’amour.

Dans les personnes que nous aimons, il y a, immanent à elles, un certain rêve que nous ne savons pas toujours discerner mais que nous poursuivons. C’était ma croyance en Bergotte, en Swann qui m’avait fait aimer Gilberte, ma croyance en Gilbert le Mauvais qui m’avait fait aimer Mme de Guermantes. Et quelle large étendue de mer avait été réservée dans mon amour, même le plus douloureux, le plus jaloux, le plus individuel semblait-il, pour Albertine ! Du reste, à cause justement de cet individuel auquel on s’acharne, les amours pour les personnes sont déjà un peu des aberrations.

De même, c’est aussi un rêve que poursuit le baron de Charlus, à travers son comportement amoureux qui avec l’âge l’entraîne jour après jour un peu plus loin :

Or les aberrations sont comme des amours où la tare maladive a tout recouvert, tout gagné. même dans la plus folle, l’amour se reconnaît encore. L’insistance de M. de Charlus à demander qu’on lui passât aux pieds et aux mains des anneaux d’une solidité éprouvée, à réclamer (…) des accessoires féroces qu’on avait la plus grande peine à se procurer, même en s’adressant à des matelots (…), au fond de tout cela il y avait chez M. de Charlus tout son rêve de virilité, attesté au besoin par des actes brutaux, et toute l’enluminure intérieure, invisible pour nous, mais dont il projetait ainsi quelques reflets, de croix de justice, de tortures féodales, que décorait son imagination moyenâgeuse.

Excellent week-end à tous.

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Le temps retrouvé. Prestige de la littérature !…

Marcel Proust La RechercheLors de son séjour de « retour » à Combray, au cours duquel il n’éprouve pas l’émotion qu’il avait espérée, le narrateur séjourne chez Gilberte, la fille de Swann, devenue Mme de Saint-Loup.

Le dernier soir de son séjour, Gilberte lui prête « pour lire avant de m’endormir » un volume du journal inédit des Goncourt.

Le passage qu’il en lit le laisse dans une profonde déception quant à la littérature. Du même coup, son incapacité à écrire, qu’il regrette jour après jour depuis son enfance, lui paraît soudain moins grave :

Mon absence de dispositions pour les lettres, pressentie jadis du côté de Guermantes, confirmée durant ce séjour dont c’était le dernier soir (…) me parut quelque chose de moins regrettable, comme si la littérature ne révélait pas de vérité profonde ; et en même temps il me semblait triste que la littérature ne fût pas ce que j’avais cru.

Après avoir retranscrit le passage du journal des Goncourt, sur un dîner mettant en scène des personnages tels M. et Mme Verdurin, Charles Swann, le duc de Guermantes ou encore le professeur Cottard, que le narrateur pense avoir bien connus, mais dont il ne reconnaît pas les traits dans la description pleine de magnificence ainsi lue, il s’exclame :

Prestige de la littérature ! (…) j’éprouvais un vague trouble. Certes, je ne m’étais jamais dissimulé que je ne savais pas écouter ni, dès que je n’étais plus seul, regarder. (…) Tout de même, ces êtres-là, je les avais connus dans la vie quotidienne, j’avais souvent dîné avec eux, c’était les Verdurin, c’était le duc de Guermantes, c’était les Cottard (…) chacun d’eux m’avait semblé insipide ; je me rappelais les vulgarités sans nombre dont chacun était composé…

Mais cette déception vis-à-vis de la littérature, perçue soudain comme impuissante à exprimer la réalité ne sera peut-être que passagère :

Je résolus de laisser provisoirement de côté les objections qu’avaient pu faire naître en moi contre la littérature les pages de Goncourt.

De longues années après, pendant la guerre, lorsqu’il revient à Paris, il trouvera que la vie, même la « vie quotidienne » et la littérature ne sont pas si éloignées, remarquant, à propos du meurtre de Raspoutine…

.. meutre auquel on fut surpris d’ailleurs de trouver un si fort cachet de couleur russe, dans un souper à la Dostoïevsky, parce que la vie nous déçoit tellement que nous finissons par croire que la littérature n’a aucun rapport avec elle et que nous sommes stupéfaits de voir que les précieuses idées que les livres nous ont montrées s’étalent, sans peur de s’abîmer, gratuitement, naturellement, en pleine vie quotidienne, et par exemple qu’un souper, un meurtre, événements russes, ont quelque chose de russe.

Bonne lecture à tous.

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Le temps retrouvé. Paris pendant la guerre ou l'Orient rêvé

Marcel Proust La RechercheEn 1916, après de longues années passées à se faire soigner dans une maison de santé, le narrateur revient à Paris.

Il fait un soir une longue promenade seul dans les rues de la capitale, qu’il trouve transformée, en ces temps agités.

Il se livre alors à une magnifique description de la ville, dans laquelle il mêle l’évocation de la guerre – cette promenade succède à une visite de son ami Robert de Saint-Loup engagé sur le front – à ses rêveries, nourries des paysages maritimes dont il s’est repu à Balbec…

Dans toute la partie de la ville que dominent les tours du Trocadéro, le ciel avait l’air d’une immense mer nuance de turquoise, qui se retire, laissant déjà émerger toute une ligne légère de rochers noirs, peut-être même de simples filets de pêcheurs alignés les uns après les autres, et qui étaient de petits nuages. Mer en ce moment couleur turquoise, et qui emporte avec elle, sans qu’ils s’en aperçoivent, les hommes entraînés dans l’immense révolution de la terre, de la terre sur laquelle ils sont assez fous pour continuer leurs révolutions à eux, et leurs vaines guerres, comme celle qui en ce moment ensanglantait la France.

… mais aussi d’Histoire et de références artistiques :

Comme en 1815, c’était le défilé le plus disparate des uniformes des troupes alliées ; et parmi elles, des Africains en jupe-culotte rouge, des Hindous enrubannés de blanc suffisaient pour que de ce Paris où je me promenais je fisse toute une imaginaire cité exotique, dans un Orient à la fois minutieusement exact en ce qui concernait les costumes et la couleur des visages, arbitrairement chimérique en ce qui concernait le décor, comme de la ville où il vivait Carpaccio fit une Jérusalem ou une Constantinople en y assemblant une foule dont la merveilleuse bigarrure n’était pas plus colorée que celle-ci.

Au moment où il contemple ce défilé, il aperçoit M. de Charlus, qui l’entretient longuement sur la guerre.

Lorsque le baron, qui décidément n’a pas changé, sinon par l’accentuation de moins en moins dissimulée de ses « penchants » prend congé, « il croyait peut-être seulement me serrer la main, comme il crut sans doute ne faire que voir un Sénégalais qui passait dans l’ombre et ne daigna pas s’apercevoir qu’il était admiré ».

« Est-ce que tout l’Orient de Decamps, de Fromentin, d’Ingres, de Delacroix n’est pas là-dedans ? me dit-il, encore immobilisé par le passage du Sénégalais. (…) Mais quel malheur, pour compléter le tableau, que l’un de nous deux ne soit pas une odalisque ! ».

Belles lectures à tous…

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1996-2006, De l'Inde au Japon dix ans d'acquisitions au musée Guimet (1/2)

Guimet Bodhisattava MaitreyaC’est grâce à l’industriel lyonnais Emile Guimet (1836-1918), grand passionné de l’histoire des religions, que le musée des Arts asiatiques – à l’origine musée des Religions – a ouvert ses portes en 1889.

Il abritait au départ les oeuvres rapportées d’une mission scientifique lancée par Emile Guimet au Japon, en Chine et en Inde.

Devenu national en 1928, le musée a accueilli les sculptures khmères du musée Indochinois du Trocadéro, puis, en 1945, a échangé ses pièces classiques et égyptiennes contre les collections d’Extrême-Orient du Musée du Louvre.

Par la suite, de nouvelles acquisitions et donations n’ont cessé de l’enrichir, au point d’en faire l’institution offrant en Occident le panorama le plus complet des arts d’Asie.

Les travaux réalisés de 1998 à 2001 ont conduit à une réorganisation complète de la présentation des oeuvres, qui permet désormais différents parcours autour de la diffusion historique des religions et selon les grandes aires géographiques.
L’éclairage à la lumière naturelle de l’époque d’Emile Guimet a été restitué.

Aujourd’hui, le musée souhaite valoriser l’enrichissement particulièrement abondant et de qualité dont ses collections ont été l’objet entre 1996 et 2006, en mettant en place jusqu’au 13 décembre, l’exposition-parcours De l’Inde au Japon, dix ans d’acquisitions au Musée Guimet.

Beau motif pour aller se perdre dans ses salles magnifiques, en repérant, au fil de sa visite, les quelques 200 oeuvres spécifiquement signalées pour l’occasion.

Petit aperçu au gré des sections.

Terre de naissance du bouddhisme, c’est naturellement par l’Inde que débute le parcours, avec l’art religieux bouddhique.

On y découvrira, notamment, un beau torse de Buddha du style d’Amaravati (IIIe siècle) en calcaire marmoréen ainsi qu’un bodhisattva Maitreya (image) du Ier ou IIème siècle, sculpture en grès rouge représentant Maitreya, bodhisattva (1) messianique prédestiné à devenir le futur Buddha, dont le culte se répandit vers le début de l’ère chrétienne et fut adopté par toutes les sectes bouddhiques.

Si dans le royaume du Champa, le long de la côte orientale du Vietnam, se développe à partir du IXème siècle un art essentiellement bouddhique, la découverte de sculptures du VIIème siècles dans un temple dédié à Shiva témoignent d’une assimilation antérieure de la culture indienne.

Un étrange objet de culte, cylindre surmonté d’un visage, attire l’attention. Il s’agit d’un étui couvre-linga en or et argent (VIIIème siècle) : dans les sanctuaires consacrés à Shiva, l’image la plus sacrée, symbolique et abstraite affectait la forme d’un cylindre, le linga (qui signifie « signe »), pierre d’aspect phallique insérée dans un piédestal mouluré. Elle pouvait, comme le montre cet objet, être magnifiée par un élément d’orfèvrerie destinée notamment à protéger le linga.

Poursuite de l’exposition-parcours très bientôt avec notamment les arts décoratifs indiens, la peinture japonaise et chinoise…

1996-2006, de l’Inde au Japon dix ans d’acquisitions au musée Guimet
Musée national des Arts asiatiques
Exposition-parcours du 13 juin au 13 décembre 2007
6, place d’Iéna – Paris 16ème
M° Iéna, Boissière – RER Pont de l’Alma
Tlj sauf le mardi de 10 h à 18 h
Entrée 6,50 € (TR 4,50 €)

(1) bodhisattva : dans la religion bouddhique, sage ayant franchi tous les degrés de la perfection sauf le dernier qui fera de lui un bouddha.

Image : bodhisattva Maitreya Epoque kushâna. Fin du Ier siècle ou première moitié du II ème siècle. Inde du Nord. Uttar Pradesh. Région de Mathurâ. Grès rouge. © Thierry Ollivier / RMN

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1996-2006, De l'Inde au Japon dix ans d'acquisitions au musée Guimet (2/2)

Inde pendentif en forme d'oiseauPoursuite de la visite de l’exposition-parcours De l’Inde au Japon, dix ans d’acquisitions au Musée Guimet mise en place au Musée des Arts asiatiques jusqu’au 13 décembre pour valoriser plus de 200 acquisitions effectuées entre 1996 et 2006.

La galerie des arts décoratifs de l’Inde, (galerie Jean et Krishna Riboud, du nom des donateurs) rassemble textiles, armes, objets décoratifs et bijoux du XVIème au XIXème siècle. Ils mettent en évidence la splendeur des cours royales et princières de l’Inde et le savoir-faire de leurs artistes et artisans.

On y découvre ce pendentif en forme d’oiseau (peut-être Inde moghole, XVIIème siècle), en or, diamants, rubis, émeraudes, perles et cristal de roche. Il s’agit d’un perroquet aux ailes déployées, certainement doté d’un caractère emblématique, mais dont l’origine demeure matière à conjectures.
Sans nul doute, un splendide bijou.

On profite du passage à la galerie Riboud pour admirer également un lé de soierie avec scènes vishnuites (daté de la fin du XVIème au début du XVIIIème siècle). Provenant du Nord-Est de l’Inde, cette pièce a été retrouvée au Tibet. Elle servait à couvrir les autels ou à envelopper les manuscrits.

Autre beau textile, un Kalamkari avec scènes du Ramayana (Inde du Sud, fin du XVIIIème siècle) en toile de coton teinte, une tenture de temple décorée de scènes mythologiques.

Dans la section du Pakistan et de l’Afghanistan, la collection d’art Gandhara, souvent dit art gréco-bouddhique, s’est enrichie d’oeuvres rares, notamment d’une pièce unique à ce jour, un bodhisattva Avalokitesvara Gandhara (IIIème-Vème siècle) : superbe sculpture en bronze aux incrustations d’argent, montrant un bodhisattva au torse dévêtu et richement paré. (1)

En Chine, impossible de louper la monumentale statue d’un bodhisattva debout (VIème siècle) sculpture en grès rosé de 2,40 mètres de hauteur. Pièce-phare de l’art bouddhique chinois, fidèle à une iconographie fixée en Inde, le bodhisattva, être d’Eveil, distinctement des images du Bouddha, porte le costume et les attributs princiers.

Dans la salle consacrée à la peinture chinoise se déploie le Sûtra du Diamant (1477, « Sûtra de la Perfection de Sagesse coupante comme le diamant ») : livre plié en accordéon de 258 feuillets, il est la copie du Sûtra du Diamant tel qu’il fut donné dans sa première traduction chinoise du sanscrit en 402. Il s’ouvre par une grande illustration en frontispice, figurant le « Buddha prêchant son assemblée brillante ».

De la Chine, on passe à la Corée pour adorer le petit Roi-gardien ou musicien céleste (époque Silla, IX-Xème siècle), superbe sculpture en bronze de l’art bouddhique, représentant un roi gardien au visage enfantin coiffé d’une peau de lion, peut-être un Gandharva, musicien céleste. Une des pièces majeures de la section des arts de Corée.

Toujours en Corée, on peut prendre connaissance des Dix diagrammes du Savoir royal (1568), album de dix pages réalisé à l’époque Choson par Yi Hwang (1501-1570) pour le roi Sonjo, alors âgé de 17 ans. Le Confucianisme est alors érigé en idéologie officielle et Yi Hwang, l’un des artisans les plus actifs de cette « révolution » n’a de cesse de promouvoir le royaume idéal, qui ne peut se faire que par l’éducation du roi. Le système repose sur trois principes fondamentaux : piété filiale, fidélité conjugale et dévouement envers le prince.

On peut terminer ce beau parcours avec la peinture japonaise, devant par exemple le magnifique triptyque Le voyage de vers l’Est de Ariwara no Narihira, encre et couleurs sur soie de Maruyam Okyo (1733-1795), qui a joué un rôle déterminant sur le développement de la peinture japonaise d’époque Edo. Il illustre l’exil du poète Ariwara no Narihira quittant Kyoto et faisant halte au pied du Mont Fuji.
Superbe verticalité, paysage très poétique, on ne peut que savourer cet arrêt majestueux à pied de montagne.

1996-2006, de l’Inde au Japon dix ans d’acquisitions au musée Guimet
Musée national des Arts asiatiques
Exposition-parcours du 13 juin au 13 décembre 2007
6, place d’Iéna – Paris 16ème
M° Iéna, Boissière – RER Pont de l’Alma
Tlj sauf le mardi de 10 h à 18 h
Entrée 6,50 € (TR 4,50 €)

(1) bodhisattva : dans la religion bouddhique, sage ayant franchi tous les degrés de la perfection sauf le dernier qui fera de lui un bouddha.

Image : pendentif en forme d’oiseau Inde moghole ( ?), XVII ème siècle ( ?). Donation Jean et Krishnâ Riboud, 2000 ( MA 6768) © Thierry Ollivier / RMN

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Check up au Théâtre des Mathurins

Check upFin de journée, fatigue, lassitude : assise à une table, la tête dans les mains, vêtue de noir, une vieille dame vient d’enterrer son mari.
Tristesse, désespoir ?

Verve gouailleuse et colère intacte, la fraîche veuve ne regrette au contraire rien du défunt.
A peine soulagée de son fardeau de mari, elle se lance dans une diatribe impitoyable contre cet époux « minable ».

Résigné, son fils – selon elle le pire portrait de son père – écoute le récit qu’il connaît par coeur : celui de la sinistre rencontre de ses parents et de leur non moins triste vie de couple.

Mais bientôt Micheline Dax, qui incarne cette veuve révoltée quitte le plateau : les scènes qui lui succèdent vont se charger de nous convaincre que si le mari ne brillait guère, ses ascendants étaient tout aussi gratinés…
En somme, une revue des hommes de la famille édifiante.

D’une réjouissante causticité, la pièce dépeint les hommes en êtres suffisants et terribles profiteurs des femmes.
Mais le meilleur est bien entendu la chute, où l’on voit que les victimes ne sont pas finalement celles que l’on croit !

Cette comédie riante et savoureuse se garde pourtant de la caricature de genre en n’omettant pas d’épingler au passage une certaine hystérie féminine…

Porté par des comédiens à l’ardeur communicative – Yvan Varco excelle à interpréter ces personnages masculins misérables –, ce Check up est merveilleusement conduit par une Micheline Dax qui, du haut de ses 83 ans paraît tout à fait déterminée à ne rien céder au temps.
On rit beaucoup ; et on est tout ému.

Check up
Théâtre des Mathurins
une comédie de Serge Serout
mise en scène : Daniel Colas, assistante : Sonia Sariel
avec : Micheline Dax, Yvan Varco, Anne Deleuze, Claire Chastel, Gaëlle Lebert
décors : Miguel Arents, costumes : Isa Demidoff
Du mardi au samedi à 21 h
Places : 28 € (TR : 15 €)

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Le cuir des arbres. Marc Fumaroli. Maison européenne de la photographie

Le cuir des arbres, Marc Fumaroli« Les arbres, a dit un sage un peu misanthrope, me consolent des hommes mieux que les animaux, avec lesquels ils ont trop de ressemblance.

J’ai été tenté de faire des portraits photographiques d’arbres. Aucun n’a répondu au sentiment qu’ils m’inspirent. Alors je me suis rabattu sur la vue rapprochée, et j’ai découvert que la photographie pouvait du moins fixer ce que l’on ne regarde le plus souvent qu’en passant et distraitement, le cuir des arbres.

Par la brève anthologie que propose cette exposition, je souhaite partager avec les promeneurs en forêt, les visiteurs de jardins botaniques, les explorateurs de pays lointains, les joies esthétiques que donne l’incroyable et infaillible génie plastique de la Nature, graveur et peintre " abstraits " sur le cuir de nos amis les arbres… ».

C’est ainsi que Marc Fumaroli présente lui-même ses clichés exposés à la Maison européenne de la photographie jusqu’au 2 septembre.

Tout semble être dit.
Il ne reste plus qu’à contempler tranquillement les très grands tirages en couleur et laisser son imagination prendre son envol à la surface des arbres.

Apparaîtront alors peut-être des vues du ciel, ici terre découpée et archipel d’îles vertes, là chemins ocres tracés dans la forêt.
Ou encore, dans un camaïeux de verts et de gris, la peau d’un serpent, à moins que cela ne soit celle d’un autre reptile ; ailleurs, couleur chair, voici une parcelle de peau humaine, quand plus loin deux photos côte à côte, « oeils » sur les troncs d’arbres forment ensemble un visage humain creusé de sillons et de rides.

Tout cela est peut-être gravé dans le cuir des arbres.
C’est aussi simple que poétique.
Il n’y a qu’à regarder.

Le cuir des arbres. Marc Fumaroli
Maison européenne de la photographie
Jusqu’au 2 septembre 2007
5-7, rue de Fourcy – Paris 4ème
M° Saint-Paul ou Hôtel de Ville
Du mercredi au dimanche de 11 h à 19 h 45
Entrée 6 € (TR 3 €)

Image : Le cuir des arbres, Marc Fumaroli, 2006

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Italie, doubles visions. Maison européenne de la photographie

Scanno, Henri Cartier-BressonAvec Italie, doubles visions, la Maison européenne de la photographie propose jusqu’au 30 septembre un enrichissant voyage en Italie.

Déclinée en dix thèmes organisés autour d’une centaine de photos, l’exposition propose deux regards différents sur un même site ou un même événement italien.

Les travaux d’un photographe autochtone et d’un photographe international présentés à proximité donnent lieu à de belles comparaisons.

Scanno, un village des Abruzzes, avec son église, sa place, ses enfants et ses vieillards, silhouettes, chapeaux et coiffes noires, fut photographié tour à tour par Henri Cartier-Bresson et Mario Giacomelli.
D’un côté les clichés impeccables, le regard fin et original de celui qui fut l’un, sinon le plus grand des photo-journalistes.
De l’autre, la singularité et la poésie du photographe italien le plus connu.
Deux variations profondément différentes dont la présentation simultanée ne fait que renforcer leurs beautés respectives.

Mais certaines de ces confrontations sont aussi l’occasion de souligner la puissance créative de photographes moins connus.
Ainsi du thème des volcans, classiquement interprété par l’Américian Roger Ressmeyer, avec des clichés très "National Geographic" (il y travailla de 1987 à 1995), mais totalement réinventé par Antonio Biasiucci qui photographie de très près lave, magma et fumée, pour saisir non pas le mouvement effrayant et spectaculaire de la lave incandescente, mais les plis, le lissé, les bulles et stries de la matière volcanique dans un noir et blanc très sensuel.

Ou encore, lorsque le brésilien Sebastiao Salgado fait un reportage sur les thoniers, il en restitue l’action et le formidable danger, alors que Giorgia Fiorio fait de ces pêcheurs des êtres de l’attente, émouvants et mélancoliques.

Une veine poétique décidément très présente chez les photographes italiens : coup de coeur pour la Venise de Luca Campigotto, qui photographie sa ville de nuit, tout en silence et mystère, ombres larges et lumières furtives, détours et dédales de pierres humides ; une promenade dans une Venise littéraire qui semble surgir d’un rêve profond.

Le thème le plus fort de l’exposition demeure certainement celui des reportages réalisés dans les hôpitaux italiens par Carla Cerati et Raymon Depardon.

A la fin des années 1960, afin de dénoncer les conditions de vie des malades mentaux dans les hôpitaux psychiatriques, Carla Cerati, avec Berengo Gardin, dresse de leur situation un tableau brutal. Les vues des patients sont frontales, presque choquantes, ce qui correspondait bien à la finalité du reportage.

Plus de dix ans après, Raymon Depardon photographie à son tour la vie dans les hôpitaux, notamment celui de San Clemente à Venise.
C’est avec son respect et sa délicatesse qu’il montre l’extrême solitude et l’abandon.
Sous son objectif, les corps se recroquevillent avec pudeur.
Clichés poignants qui disent mieux que bien d’autres la souffrance et la désolation.

Italie, doubles visions
Maison européenne de la photographie
Jusqu’au 30 septembre 2007
5-7, rue de Fourcy – Paris 4ème
M° Saint-Paul ou Hôtel de Ville
Du mercredi au dimanche de 11 h à 19 h 45
Entrée 6 € (TR 3 €)

Image : Henri Cartier-Bresson, Scanno, 1951 (Magum Photos)

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La collection Matisse au Musée Matisse du Cateau-Cambrésis

Vigne d'Henri MatisseTerre natale d’Henri Matisse (1869-1954), le Cateau-Cambresis (Nord) dispose d’un très beau musée grâce notamment à la donation de quatre-vingt-deux oeuvres que l’artiste fit à sa ville en 1952.

Le musée Matisse est l’occasion de suivre le parcours d’un peintre, sculpteur et dessinateur que l’on croit souvent à tort originaire du Midi de la France.

Une méprise qui n’est pas sans fondement tant ses créations sont associées aux couleurs, à la lumière et au soleil.

Après avoir fait ses classes aux Beaux-Arts dans l’atelier de Gustave Moreau, c’est à la suite de ses séjours à Saint-Tropez puis à Collioure en 1905 qu’Henri Matisse imposa son style, le fauvisme, caractérisé par l’emploi de larges aplats de couleurs violentes, sans souci de réalisme, dans un dessin et un modelé volontairement sommaires mais très expressifs.

En décembre 1917, il décide de s’installer à Nice, déclarant « Moi, je suis du Nord. Ce qui m’a fixé, ce sont les grands reflets colorés de janvier, la luminosité du jour ».

En 1930, il fait un séjour de trois mois à Tahiti, où la nonchalance et la lumière moelleuse le séduisent. Pendant la guerre, il s’installe à Vence, et à partir de 1949 commence à travailler au décor de la chapelle du Rosaire de Vence, qui sera consacrée en 1951.
Il passe ses dernières années à l’hôtel Régina à Cimiez (Nice), où son état de santé le contraint à dessiner au plafond, depuis son lit, à l’aide d’un fusain attaché à un long bambou.

Ce sont toutes ces étapes que le musée du Cateau-Cambresis permet de suivre pas-à-pas, des natures mortes de la période d’apprentissage (1892-1897) au plafond de sa chambre-atelier à Nice où, en 1950, il traça le portrait de Jacqueline, Claude et Gérard, ses petits-enfants venus fêter ses quatre-vingt-ans.

« Ce sont mes petits-enfants. J’essaie de me les représenter et quand j’y parviens, je me sens mieux. Alors, je les ai dessinés au plafond pour les avoir sous les yeux, surtout pendant la nuit. Ainsi, je me sens moins seul ».

Au long du parcours, on admirera tout particulièrement les superbes Coquelicots et iris (1912), le fauve Portrait de Marguerite (1906-1907), le sensuel Nu, étude d’un mouvement de jambes (lithographie, 1929) ou encore la voluptueuse sculpture du Grand nu assis, que Matisse ne cessa de modifier et retoucher durant sept ans (1922-1929).

On s’arrêtera longtemps devant la profusion de couleurs des tableaux peints dans le Midi dans les années 1940, avec leurs fleurs et plantes luxuriantes, leurs intérieurs lumineux, leurs teintes jaunes et rouges, telles ces Deux jeunes filles, robe jaune, robe écossaise, imprégnées de soleil, sereines et épanouies.

On appréciera toujours les belles gouaches découpées, comme cette Vigne (1953), un « vitrail » de bleu, rose, jaune et vert vifs tout en coeurs et volutes (image) ; ou le célèbre Jazz (1947), où vagues et coraux évoquent une drôle de frise végétale…

Mais le plus bel endroit du musée est certainement le cabinet de dessins, au rez-de-chaussée.
Dans cette salle agréablement cossue, garnie de bois foncé du sol au plafond, sont réunis les dessins et gravures donnés par Matisse à la ville en 1952.

Ambiance chaude, sombre et intime pour découvrir de très beaux nus d’hommes et de femmes, notamment les époustouflantes Odalisque à la culotte de satin rouge et Grande odalisque à la culotte bayadère (1925) mais aussi une série de portraits hyper féminins, sans oublier un bel Autoportrait réalisé en 1900.

« Mon dessin au trait est la traduction directe et la plus pure de mon émotion » affirmait-il.

C’est avec beaucoup de douceur que cette émotion est encore transmise au visiteur plus de cinquante ans après la donation de l’artiste, qui avait à l’époque déclaré :

« J’ai compris que tout le labeur acharné de ma vie était pour la grande famille humaine, à laquelle devait être révélée un peu de la fraîche beauté du monde par mon intermédiaire.
Je n’aurai donc été qu’un médium ».

Musée départemental Matisse Le Cateau-Cambrésis
Palais Fénelon – 59360 Le Cateau-Cambresis
tél. : 00 33 (0)3 27 84 64 64
mél. : museematisse@cg59.fr
Tlj sauf le mardi, de 10 h à 18 h
Entrée 4,50 € (TR 3 €), gratuit les 1ers dimanches du mois et Journées du Patrimoine
Audio-guide (gratuit)
Visites guidées pour tous le samedi à 15 h et le dimanche à 10 h 30
Ateliers pour les enfants en période scolaire et durant l’été
Accès : à 90 km de Lille et 170 de Paris ; les week-ends et jours fériés un train Corail Intercités fait la liaison Paris/Le Cateau-Cambresis.

Image : Henri Matisse, Vigne, 1953, Papiers gouachés, découpés et collés, don de Pierre Matisse en 1982

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