L’Atelier de Man Ray, Unconcerned but not indifferent

L'Atelier de Man Ray à la Pinacothèque de Paris, HemingwayAvec L’Atelier de Man Ray, Unconcerned but not indifferent (Détaché mais pas indifférent), la Pinacothèque de Paris présente jusqu’au 1er juin une vaste sélection de peintures, dessins, collages, sculptures, objets et photographies de Man Ray.

Il faut rappeler que le célèbre photographe a exploré bien des supports, n’hésitant d’ailleurs pas à mélanger les genres, notamment en retravaillant les photos à la peinture ou au dessin.

A New-York, où il débute sa carrière de photographe, il est séduit par la peinture moderne européenne découverte dans les galeries, mais également par la révolution avant-gardiste engagée par Marcel Duchamp et Francis Picabia.
Aussi, il ne s’éternise guère de ce côté-là de l’Atlantique et s’installe dès 1921 à Paris, où il est immédiatement adopté par le groupe Dada, devient l’amant de celle qui sera bientôt Kiki de Montparnasse, avant de suivre André Breton dans l’aventure surréaliste.
Américain il restera, mais Américain de Paris avant tout : son séjour aux Etats-Unis durant les années 1940 ne l’enchantera guère, il retournera à Paris dès 1951 et y finira ses jours en 1976.

Les oeuvres exposées (prêtées à titre exceptionnel par le Man Ray Trust à New-York), mêlant dessins, photos, lithographies, objets uniques, objets personnels et documents sources, permettent ainsi de suivre le parcours passionnant d’un artiste qui a côtoyé et photographié les plus grands de son temps.
L’on y retrouve tous les acteurs de cette période foisonnante que fut la première moitié du XXème siècle en France.
Celui qui fut érigé au statut de photographe d’art (grâce notamment au procédé du rayogramme) était en effet un portraitiste couru qui collaborait régulièrement à Harper’s Bazaar, Vogue, Vu et autre Vanity Fair.

Voici donc le magnifique profil de Picasso, voici Kiki, mutine sous son chapeau cloche, voici encore Cocteau, Hemingway, Gris, Léger, Derain, Satie, Giacometti…
Plus loin, après avoir admiré un classique et somptueux portrait d’Ava Gardner, l’on découvrira deux minuscules diapositives peintes, datées des années 1950, l’une montrant Yves Montant, l’autre Juliette Gréco. Elles sont intimes, elles sont tendres, à l’opposé de bien d’autres oeuvres pleines de puissance de cet artiste assurément multiple et complexe.

L’Atelier de Man Ray, Unconcerned but not indifferent
Pinacothèque de Paris
28, place de la Madeleine – Paris 8ème
Jusqu’au 1er juin 2008
Tlj de 10 h 30 à 18 h
Entrée 7 € (TR 5 €)

Image : Yves Montant, 1950, Diapositive peinte, 8,89 x 6,35 cm © Man Ray Trust – ADAGP Paris 2008

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Jaume Plensa au MAMAC à Nice

Jaume Plensa, exposition au Mamac à NiceOeuvres visuelles, sonores, riches en couleurs, matières, lumières et mots : le Musée d’art moderne et contemporain de Nice propose jusqu’au 27 avril une superbe sélection de sculptures récentes de l’artiste espagnol Jaume Plensa.

Cette dizaine d’oeuvres, présentée dans une muséographie calme, épurée et somptueuse suffit à émerveiller et rasséréner le visiteur.

Accueilli par Doors of Jerusalem, trois personnages en fibre de verre étrangement suspendus à l’angle droit (l’image ci-dessus est dans le bon sens !), il lui suffit de se placer sous leur visage, regard en l’air, pour ressentir tout ce que ces statues au visage impassible et aux jambes repliées sous la poitrine évoquent : le renvoi à une posture ancienne, qui tient à la fois de l’enfance, de la solitude, d’une forme active de l’attente ou de la contemplation.

Puis, à chaque extrémité d’une longue allée sombre, Sitting Tattoo : encore deux statues en résine à taille d’homme, assises cette fois près du sol, mais dont les lumières changent progressivement de couleur. Leurs corps sont tatoués de mots, qui viennent renforcer la fascination qu’exerce sur le spectateur cette étrange transformation : seules les colorations de l’enveloppe charnelle varient, comme sous l’effet d’une intériorité voire d’une spiritualité en mouvement.

Plus loin, en sculptant un corps en lettres métalliques, Plensa remonte à une imaginaire préhistoire du mot, à l’époque théorique où ils ne sont que lettres de l’alphabet : Overflow n’existe que par cet aléatoire assemblage de lettres, qui le dessinent et le prolongent dans un filet débordant sur le sol autour de lui mais laisse son visage libre et muet. La puissance poétique est évidente, et, loin d’une impression de capture, le filet de lettres apparaît comme une évocation de liberté, ici encore dans une posture de recueillement et de proximité terrienne.

Sensation à laquelle fait écho l’oeuvre suivante, Self Portrait with Tree, montrant un homme encerclant un arbre de vie sur un monticule de terre.

Avec les dernières oeuvres, le visiteur retrouvera un concentré des impressions précédentes, en s’enfermant dans l’une des deux cabines de verre à taille d’homme, attentif aux délicieux changements de lumières, concentré sur les couleurs qui se succèdent et l’inondent.

Et au milieu du parcours, coeur et choeur de l’exposition, un magnifique ensemble de dix gongs placés par paires, sur lesquels sont gravés des mots antonymes, permet de lancer des sons fabuleux. Retentissant d’un éclat profond, ils se propagent dans le lointain, avant de finir dans une intime et très longue vibration.

Jaume Plensa
Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain
Promenade des Arts – Nice
Jusqu’au 27 avril 2008
Tramway : Garibadi ou Cathédrale-Vieille Ville
Bus 4, 16, 17 : Acropolis-Barla
Bus 7, 9, 10 : Garibaldi
TLJ de 10 h à 18 h sauf le lundi, 1er janvier, dim. de Pâques, 1er mai et 25 décembre
Entrée : 4 € (TR 2,50 €)
Entrée gratuite le 1er et le 3 ème dimanche de chaque mois

A noter que depuis la mise sur rails du tramway, à l’automne dernier, les Niçois peuvent admirer sur la place Masséna Conversation, installation de personnages blancs et lumineux en haut de grands mâts (l’intégration avec l’architecture de la place superbement rénovée est extrêmement heureuse), réalisée par ce plasticien habitué à investir les espaces publics (Portes à Valence, Crown Fontain à Chicago).

Image : Doors of jerusalem – © adagp Paris, 2007 Photo Laura Medina

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Bernard Plossu. Couleur Fresson

Exposition Bernard Plossu, Couleur Fresson à NiceAvec une sélection de 130 photographies en couleurs, le Théâtre de la photographie et de l’image à Nice présente jusqu’au 16 mars une partie peu montrée du travail de Bernard Plossu.

Ce globe-trotteur devant l’éternel, né au Vietnam en 1945 et marqué par les idées de la beat generation a entamé très tôt sa carrière, consacrée essentiellement à la photo de voyage.
De renommée internationale, il a reçu le Grand prix français de la Photographie après la rétrospective organisée au Centre Pompidou en 1988, Les paysages intermédiaires.

Davantage connu pour ses photos en noir et blanc, Bernard Plossu a réalisé parallèlement une oeuvre en couleurs singulière et passionnante.
Tirées au « Fresson », procédé au charbon direct inventé par Théodore-Henri Fresson vers 1890 et dont le propre fils Pierre réalisa le premier tirage couleur en 1952, les photographies de cette exposition, qui couvrent quarante ans de travail (1965-2005) emmènent le visiteur dans d’autres mondes.

Les scènes sont pourtant tout ce qu’il y a de plus réaliste : des paysages classiques, des scènes urbaines ordinaires et populaires, des objets du quotidien.
Mais le grain particulier, très mat, du procédé Fresson intercale un imperceptible voile entre le sujet photographié et le spectateur, à qui toute place est ainsi faite pour la contemplation et l’envol de l’imaginaire.
Car les photos de Bernard Plossu sont profondément belles tout en étant épargnées du clinquant, et cette absence d’agressivité des couleurs prête au rêve. Voici des scènes de rue et de route, aux Etats-Unis, à Paris ou ailleurs en Europe, captées à cette indéfinissable heure du soir, « entre chien et loup » : pluie et brouillard peut-être, les vues se déclinent dans une tonalité de bleus qui entraîne bien loin de ces lieux.

Les paysages du Mexique et du Nouveau-Mexique (ci-dessus) sont certainement les plus beaux de l’exposition : le ciel lui-même semble devenir le protagoniste principal de la photo ; le gris orage se pare d’une lumière presque surnaturelle qui donne aux grands espaces une intensité dramatique impressionnante.

Mais ces tirages en couleurs ont aussi leur paradoxe : le procédé Fresson renforce l’âge de la scène (typiquement : des mariés dans une fête foraine ou un homme charriant un sac de charbon, deux photos prises en France en 1968 ; ou encore un décor d’intérieur sans homme, mais qui en dit long, dans le sud du Maroc en 1975). L’irréalité de ces clichés aux sujets prosaïques – mais ainsi mis à distance – en fait des images de souvenir pur, des scènes d’histoire ; elles sont en cela presque des scènes en noir et blanc.

Théâtre de la Photographie et de l’Image Charles Nègre
27, boulevard Dubouchage – Nice
TJL sauf le lundi de 10 h à 18 h
Entrée libre
Catalogue (TPIN), 144 p., 31 €

Image : Roads-Monument Valley 1982 © Bernard Plossu

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Paris. Cédric Klapisch

Cédric Klapisch, ParisTout ça pour ça ! Tant de promo, tant d’attente devant les cinémas, tant de salles combles… et finalement ça : un film à vrai dire indigent.

Pourquoi écrire un scénario alors que l’on peut se contenter de l’ébaucher et d’enchaîner des bouts de scènes ; pourquoi créer des personnages alors qu’il suffit de les esquisser et de recruter de bons comédiens ; pourquoi chercher un point de vue alors qu’il n’y a qu’à filmer ce que l’on a sous les yeux ?

A partir de là, pour combler ce néant, Cédric Klapisch se croit autorisé à tout : enlaidir Juliette Binoche (sans doute pour qu’elle fasse plus "assistante sociale") ; multiplier les cartes postales (la collection semble complète) ; répéter la même scène (celle de Karine Viard en boulangère peut être amusante la première fois, mais ensuite on a compris) ; en étirer une autre à l’envie (la soirée dansante paraît interminable).

Le cinéaste ne recule ni devant le grotesque (les bourgeoises qui s’encanaillent à Rungis) ; ni le bébête (ce pauvre Camerounais dont Klapisch ne sait absolument pas quoi faire) ; le cliché total (le prof de fac joué par Luchini qui tombe amoureux de l’une de ses étudiantes) ; etc, etc.

On peut éventuellement penser à Lelouch dans ses mauvaises passes ; c’est dans tous les cas vain et paresseux et ne mérite pas d’être vu.
Beaucoup de bons films par ailleurs en ce moment ; alors hop, on peut faire l’impasse sur Paris et courir direct au suivant !

Paris
Un film français de Cédric Klapisch
Avec Juliette Binoche, Romain Duris, Fabrice Luchini, Albert Dupontel, François Cluzet, Karin Viard, Gilles Lellouche, Mélanie Laurent, Zinedine Soualem, Julie Ferrier, Maurice Bénichou
Durée 2 h 10

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Le 10ème Printemps des Poètes : Eloge de l'autre

Dixième Printemps des PoètesInauguré ce soir au Théâtre Mogador à Paris, le Printemps des Poètes va réunir les amoureux de poésie jusqu’au 16 mars autour du thème Eloge de l’autre – Carrefours, croisements, métissages.

Lectures, ateliers d’écriture, rencontres, animations et spectacles, pour sa dixième édition, cette manifestation propose un programme encore plus large que les années précédentes. En Ile-de-France et en province, mais aussi à l’étranger, ce ne sont pas uniquement les librairies et les bibliothèques qui sont concernées, mais aussi les gares SNCF, le métro parisien (à la station St-Germain-des-Prés bien sûr), les hôpitaux (grâce aux clowns du Rire Médecin), la radio (sur France-Culture et RFI)…

Point d’orgue de la manifestation : vendredi 7 mars, grande journée nationale du poème à l’autre, où tout un chacun est invité à faire écho à la proposition suivante : "Chez vous, au travail, à l’école, dans la rue…, offrez un poème, échangez vos poèmes, postez un poème, glissez un poème sous la porte, ceci ou cela, mais donnez un poème à l’autre !"

Pour vous mettre en verve, vous pouvez aller visiter le site printempsdespoetes.com, vraiment très bien fait (y compris côté pratique). Il donne aussi l’occasion de musarder : l’on y trouve une foule de références de poètes et de livres… et l’on a envie d’y piocher au petit bonheur la chance car on peut y lire des extraits.

Autre proposition : entrer dans une bonne librairie, feuilleter, repartir avec un recueil, par exemple d’un poète que l’on ne connaît pas, et savourer le simple bonheur de lire de la poésie.

Et tout de suite, on peut toujours lire ceci :

Éloge de l’autre

Celui qui marche d’un pas lent dans la rue de l’exil
C’est toi
C’est moi
Regarde-le bien, ce n’est qu’un homme
Qu’importe le temps, la ressemblance, le sourire au bout des larmes
l’étranger a toujours un ciel froissé au fond des yeux
Aucun arbre arraché
Ne donne l’ombre qu’il faut
Ni le fruit qu’on attend
La solitude n’est pas un métier
Ni un déjeuner sur l’herbe
Une coquetterie de bohémiens
Demander l’asile est une offense
Une blessure avalée avec l’espoir qu’un jour
On s’étonnera d’être heureux ici ou là-bas.

Tahar Ben Jelloun
Tanger, 7 octobre 2007

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La famille Savage. Tamara Jenkins

La famille Savage de Tamara JenkinsLes grands enfants doivent-ils s’occuper de leur vieux père, alors que celui-ci les a abandonnés très tôt sans jamais leur donner le moindre amour ?
Wendy et Jon, la quarantaine, ne se posent pas cette question. Ils courent au chevet de leur emmerdeur de père devenu dément et cherchent illico l’endroit où il finira ses jours. Wendy aimerait une résidence de retraite belle et verdoyante, Jon, pragmatique, opte pour la proximité. Car ils vont le visiter, leur paternel, tous les jours ; et aussi essayer d’égayer cette chambre qui fait culpabiliser Wendy. Bref, ils s’en occupent.

Le sujet ne fait pas rêver ; il dérange même, fondamentalement désagréable. Il n’empêche que le résultat est très réussi. Jamais le film ne tombe dans le sinistre, encore moins dans le pathos.
Les trois personnages, qui sont davantage des individus égarés que partie de ce doux idéal qu’est une famille unie, sont extrêmement bien dessinés. La gravité de leurs états d’âme passe par des regards, des phrases banales, des rudoiements.
Laura Linney et Philip Seymour Hoffman interprètent à la perfection cette soeur et ce frère qui font ce qu’ils peuvent vis-à-vis de ce père comme ils font ce qu’ils peuvent de leur vie. Lui, prof de "théâtre contestataire" à la fac essaie de finir son livre sur Brecht. Elle, vit de petits boulots en attendant de voir l’une de ses pièces montée. Et côté affectif, le bât blesse ; ni l’un ni l’autre n’a fondé de famille.
Mais à l’occasion de l’accompagnement du père vers sa fin, puis dans le deuil de cette lourde figure, leur relation, d’une très belle demi-teinte, va évoluer, tout comme leur vie respective.
Mâtiné d’un humour très new-yorkais, donc irrésistible, La famille Savage touche avec délicatesse et surtout sonne très juste.

La famille Savage
Un film américain de Tamara Jenkins
Avec Laura Linney, Philip Seymour Hoffman, Philip Bosco
Durée 1 h 53
La famille Savage a fait l’objet de trois nominations aux Oscars : Laura Linney pour la meilleure actrice, Philip Seymour Hoffman pour le meilleur second rôle et Tamara Jenkins pour le meilleur scénario original.

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Vlaminck, Un instinct fauve

Vlaminck, La fille du rat mortLes Fauves firent leur entrée en scène en 1905 au salon d’Automne, lorsqu’un visiteur passant devant un buste d’enfant qui évoquait une oeuvre du Quattrocento italien s’exclama : "Tiens, Donatello dans la cage aux fauves !".

Aux côtés de Matisse et de Derain, y est exposé le plus puissant de ces fauves : Maurice de Vlaminck (1876-1958).

Autodidacte, anti-académique, anarchiste, c’est avec son ami Derain que ce fils de musiciens – lui-même violoniste… et coureur cycliste – a commencé à peindre quelques années auparavant, à Chatou.
Matisse était alors allé leur rendre visite, et après avoir longuement contemplé leur travail, s’était représenté le lendemain : "Je n’ai pas pu fermer l’oeil de la nuit, j’ai voulu revoir tout cela".
Et Dieu sait si la peinture de Vlaminck donne à voir. "Tout cela" est à admirer au Musée du Luxembourg jusqu’au 20 juillet 2008.

De Vlaminck, les toiles les plus connues sont ses paysages des bords de Seine, qu’il a peints et repeints comme Cézanne s’obstinait devant la Sainte-Victoire.
La comparaison n’est pas fortuite car Cézanne fut, après Van Gogh (dont l’inspiration dans certains paysages est bien visible) le deuxième choc de l’artiste, lui qui pourtant revendiquait ne connaître "ni dieu ni maître ».
En 1907, lors de la première exposition consacrée à Cézanne, ses recherches sur le modelé et les formes ont influencé Vlaminck comme tant d’autres. Avec le superbe et étonnant ensemble de trois natures mortes (1909-1910), le grand fauve délaisse son obsession de la couleur pure et se met à composer avec les objets de façon arbitraire et spectaculaire, bousculant la perspective, assourdissant les tons, précisant ses formes. Le compotier en particulier, avec ses coupes et sa carafe dont l’étain étincelle au milieu de tons rouge brun profond, ses fruits démesurés aux teintes lumineuses, a quelque chose de fascinant.

Autres surprises de l’exposition et autant de coups de foudre : les portraits, sujet traité à ses débuts dans les années 1900, que l’artiste a par la suite cessé d’exploiter. Quel dommage ! Avec sa manière d’étaler la couleur à même la toile, de cerner les contours et les yeux de larges traits noir, il conférait à ses personnages une intensité et une vivacité exceptionnelles.
A la façon de Toulouse-Lautrec, il se plaisait à peindre les milieux populaires, comme Sur le zinc (1900), femme maquillée à l’outrance, clope au bec, impressionnant verre de rouge posé devant elle, qui renvoie au rouge de la fleur accrochée à son énorme poitrine serrée dans son corsage blanc. Ou encore cette Fille du rat mort (1905) : à demi-dévêtue comme une prostituée, immense chapeau de cocotte et regard noir de biais dont on ne sait trop que penser, sur un séduisant fond presque art déco… Quelle présence, quelle puissance, quel culot, a-t-on envie de dire !

Et puis il y a aussi bien sûr les fameux paysages ; et encore, on l’a peut-être oublié, la collection de statuettes africaines de Vlaminck (qui vaut vraiment le coup d’oeil), lui qui, n’en déplaise à Picasso, fut l’inventeur, le premier collectionneur de ces arts primitifs qui inspirèrent tant, entre autre, le grand maître du XXème siècle…

Vlaminck, Un instinct fauve
Musée du Luxembourg
19, rue de Vaugirard – Paris 6ème
M° St-Sulpice, Odéon – RER Luxembourg
Jusqu’au 20 juillet 2008
TLJ lun. et ven. de 10 h 30 à 22 h
Mar., mer., jeu. et sam. de 10 h 30 à 19 h, dès 9 h le dimanche
Lundi 24 mars, 12 mai et 14 juillet de 9 h à 19 h
Et du jeudi 1er au lundi 12 mai, ouverture dès 9 h
Entrée : 11 € (TR 9 € et 6 €)

Image : La Fille du Rat Mort, 1905, Kunststiftung Merzbacher © Droits réservés © ADAGP, Paris, 2007

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Récits de juin. Pippo Delbono

Pippo Delbono, Récits de juin, Actes SudAvec son dernier spectacle sur le thème de la mort Questo buio feroce (Cette obscurité féroce), donné au théâtre du Rond-Point en début d’année et actuellement en tournée, Pippo Delbono bouscule et émerveille.

Le dramaturge italien prolonge ce souffle intime dans un très beau livre autobiographique Récits de juin.
Il y raconte son enfance dans un milieu ultra-catholique – il reçut le diplôme de l’enfant de choeur le plus assidû, avec pas moins de 680 messes en un an ! -, son premier amour, son homosexualité, la maladie, le deuil dans la solitude absolue, la découverte du théâtre enfin. Très jeune, et déjà une façon de trouver la liberté : "Je crois que c’est grâce à ces années de contrainte que j’ai commencé à rechercher un chemin de liberté" dit-il. Evoquant son spectacle sur le pouvoir, Urlo, il cite Henri IV de Pirandello, on ne peut plus explicite : "Et ce prêtre me dit un jour : nous avons besoin de prêtres méchants, de parents méchants, pour pouvoir ainsi nous révolter et devenir libre."
Mais prendre le théâtre à bras-le-corps fut aussi pour Pippo Delbono une façon de "redevenir vivant", dans les moments où il s’est senti perdre pied. Faire entrer dans sa troupe les drôles de comédiens que l’on voit sur scène fut pour lui un besoin : Gianlucca, le trisomique, Nelson, le clochard. Et à propos de Bobo, le sourd-muet microcéphale : "Je redécouvrais le monde avec lui".

Pippo Delbono se livre sans détour mais avec beaucoup de pudeur. Au fil des pages, les extraits de ses pièces et les nombreuses photos font écho au récit. L’ensemble vibre de ce formidable tangage qui fait le sort et le ressort de l’artiste : ce balancement permanent entre vie et théâtre ; comment les doutes, les peurs, les désespoirs ont nourri son oeuvre, et comment ses créations l’ont aidé à avancer, à se découvrir, à se retrouver.
Ciselés avec sobriété et délicatesse, ces Récits de juin ont ce souffle poétique et sensuel propre à Pippo Delbono :

A ta mort, tu danseras sur une colline à la fin du jour. Et pendant ton ultime danse, tu raconteras les batailles que tu as gagnées et celles que tu as perdues. Le vent sera doux et calme, et la colline tremblera. Et aussi longtemps que tu danseras et danseras et danseras, la mort ici assise t’attendra.

Récits de juin. Pippo Delbono
Traduction de Myriam Bloedé et Claudia Palazzolo
Actes Sud (2008), 144 p., 25 €

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La double vie de Vermeer. Luigi Guarnieri

Luigi GuarnieriVoici certainement l’histoire de faussaire la plus gonflée et la plus réussie du siècle dernier.

Dans la première partie du XXème siècle, Han van Meegeren (VM), peintre hollandais admirateur des grands maîtres du passé, pourfendeur des modernes de son temps, produit une peinture traditionnelle qui plaît au public mais n’éblouit pas la critique.
Petit à petit gagné par l’amertume à l’égard des milieux "autorisés" qui ont le tort selon lui de s’intéresser un peu trop à ces Magritte, Picasso et autre Dali, VM se répand en articles féroces contre les critiques et historiens d’art. C’est ainsi que d’un même mouvement, il signe son exclusion des milieux artistiques et commence à nourrir un incommensurable désir de vengeance.
Il décide alors de faire un faux, un faux idéal, qui trompera tout ce beau monde et fera de lui un artiste de génie.

Sa "victime", idéale elle aussi : la peinture de Vermeer, alors découverte depuis peu et déjà vouée aux gémonies. Par bonheur, l’on ignore pratiquement tout de la biographie de Vermeer et ses oeuvres authentifiées se comptent sur quelques poignées de main.
VM s’engouffre dans la brèche ouverte par un historien d’art, selon qui le peintre hollandais aurait eu une "période religieuse".
Utilisant les techniques, les matériaux et les pigments du XVIIème siècle, y compris le plus coûteux d’entre eux, le bleu lapis-lazuli, VM réalise un chef d’oeuvre Les Disciples d’Emmaus qui bluffe et les experts et l’Etat néerlandais.
Il faut préciser qu’il bénéficie du contexte de son époque – celle-là même qui le conduira plus tard à sa perte : pendant l’occupation des Pays-Bas par l’Allemagne, l’Etat se précipite pour acquérir ce miraculeux Vermeer, de crainte qu’il ne tombe entre les mains de l’occupant.
Tout aurait pu s’arrêter là. (Et l’on ne peut s’empêcher d’imaginer que dans d’autres circonstances, étant donné l’absence de soupçon sur cette oeuvre, ce faux n’aurait peut-être jamais été identifié comme tel et que l’on admirerait encore aujourd’hui ce Disciples d’Emmaus comme l’un des plus beaux Vermeer…)

Mais VM ne put s’arrêter là, bien que sa vengeance eût été accomplie : la facilité avec laquelle il avait aveuglé les experts avait donné raison au mépris dans lequel il les tenait.
En réalité, notre héros courait après la reconnaissance de son talent d’artiste et dès lors il se mit à multiplier les faux et les risques, négligeant de plus en plus de détails (poussé certainement par un désir profond de se dévoiler comme auteur de ces oeuvres) jusqu’à ce que l’un de ses acheteurs ne soit autre que le nazi Hermann Göring.
Cette "plaisanterie" finira donc à la Libération sur une accusation de collaboration avec l’ennemi (ce qui n’était visiblement pas son intention) et, pour y échapper, VM avouera ses forfaits et leurs mobiles.

Malgré son style plat, ce roman qui se lit comme un document est absolument passionnant. D’une part parce que, partagé entre dégoût et admiration, le lecteur ne peut s’empêcher de s’attacher à ce stupéfiant faussaire, après qui la valeur de l’art et ses appréciations se trouvent quelque peu relativisées. D’autre part parce que le sujet sur lequel il s’appuie, l’oeuvre de Vermeer et l’engouement qu’elle a entraîné au début du XXème siècle donnent à Luigi Guarnieri l’occasion d’aller faire un petit tour du côté de chez Swann, au cours d’une délicieuse digression sur le fameux petit pan de mur jaune que Proust via Bergotte admirait tant dans le tableau La vue de Delf, celui-ci, paraît-il, authentique Vermeer…

La double vie de Vermeer. Luigi Guarnieri
Traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli
Actes Sud (2006) 229 p., 19,80 €

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La Semaine du documentaire chilien à Paris

Patricio Guzman, Le cas PinochetLa Semaine du documentaire chilien s’est ouverte mardi 19 février avec Actores secundarios, un flash-back plein de vie et passionnant sur les révoltes lycéennes pendant la dictature (de Pachi Bustos et Jorge Leiva).
Elle se poursuit jusqu’au 26 février, au cinéma Le Latina, rue du Temple dans le 4ème arrondissement à Paris.

La sélection de cette deuxième édition a été confiée au réalisateur Patricio Guzmán, réunissant douze films sous le thème Documentaire, dictature, démocratie.

Ce soir à 19 h, temps fort de la manifestation avec la projection du Cas Pinochet, sur l’arrestation du dictateur chilien, en présence de son réalisateur Patricio Guzmán. Le Cas Pinochet sera également projeté demain vendredi 22 à 14 h.

Né en 1941 à Santiago du Chili, Patricio Guzmán est l’auteur de nombreux documentaires sur l’histoire du Chili, régulièrement récompensés.
Après le coup d’Etat, en 1973, il a quitté son pays pour Cuba puis l’Espagne, avant de s’installer à Paris. La Bataille du Chili (1973), trilogie de cinq heures sur la fin du gouvernement de Salvador Allende a remporté six grands prix en Europe et en Amérique latine. Salvador Allende (2004), a été sélectionné au festival de Cannes 2004 et a reçu le Prix Goya du meilleur documentaire.

La fille de Patricio Guzmán, Camila Guzmán Urzúa, de son côté, a réalisé le très beau Rideau de sucre (El telón de azúcar, 2007), documentaire très personnel sur Cuba, où elle a passé son enfance avec sa mère.

La Semaine du documentaire chilien à Paris se clôturera mardi prochain avec Cofralandes, rapsodia chilena de Raúl Ruiz (2002), puis Perspecplejia (contraction de trois mots signifiant personne, perspective et paraplégie en espagnol), documentaire sur les handicapés, dans lequel son réalisateur David Albala, lui-même paraplégique, découvre une façon d’accepter et de vaincre ses limites, le tout filmé avec, paraît-il sincérité, spontanéité et … une bonne dose d’humour.

Le documentaire chilien à Paris
Du 19 février au 26 février 2008
Le Latina
20 rue du Temple – Paris 4ème
M° Hôtel de Ville, Rambuteau
Entrée 8 €, TR 6,50 €, abonnement pour 5 entrées (valable toute l’année) 28 €

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