Un livre fort que ce prix Goncourt 1996. Dans le genre plutôt court, après une lecture sans pause, il laisse le sentiment que tout est encore à comprendre dans la fascination de la narratrice pour le pilote kamikaze Tsurukawa.
Laura Carlson raconte d’abord son enfance : une mère neurasthénique, alcoolique, sans geste pour sa fille depuis que son mari américain a disparu dans le conflit américano-japonais. Elles vivent toutes deux entre un grand-père perdu dans ses mathématiques et ses ciels étoilés et une grand-mère rigide soucieuse de bienséance. Laura vit dans le secret de la mort de son père, source de méconnaissance intérieure : « Je me connaissais mal. Je me poussais moi-même de la main comme on écarte un embarras ».
Avec l’aide d’une amie de lycée elle parvient à imaginer la mort de son père, victime sur son bateau d’un kamikaze japonais. Les bruits qu’elle avait dans la tête prennent la forme du vrombissement d’un chasseur Zéro, avion des kamikazes. Elle découvre le livre de Tsurukawa Oshi, journal intime de l’un d’entre eux. Le pilote la poursuit jusque dans les grands moments de sa vie. Ainsi sa vie amoureuse est détruite : son corps se refuse lorsque son ami Bruno l’approche en uniforme militaire. Compositeur, Bruno lui fait écouter le Rondo sur lequel il a beaucoup travaillé : vrombissement, explosion, voix suraiguë de femme… C’est la rupture.
Sa solitude la laisse avec Tsurukawa et son chasseur Zéro : « Heureusement j’avais un frère, un frère exceptionnel, qui m’attendait, et qui s’appelait Tsurukawa. Ma vie devait couler vers lui comme un ruisseau rejoint la rivière ». C’est lorsqu’elle arrive à imaginer qu’elle pourrait raconter l’expérience du pilote suicidaire à des enfants (dans la seule longue phrase du roman) qu’une voie s’ouvre pour elle, révélée par le kamikaze. Toutefois, auparavant, elle se réconcilie avec les autres et avec elle-même : une caresse, enfin, de sa mère, l’écoute sereine du Rondo, une nuit d’amour avec Bruno lui permettent d’aller vers un dénouement qui apparaît inéluctable.
L’originalité du roman et l’intérêt qu’il suscite tiennent d’une part à l’écriture, économe, faite de phrases courtes sans fioritures, et d’autre part aux multiples correspondances que l’on peut déceler dans le destin des personnages. Nous pouvons nous interroger sur Roze et Zéro, sur le jeu de substitution des protagonistes, autant de questions qui n’appellent pas forcément une réponse mais qui laissent le souvenir d’un roman ouvert à d’autres lectures.
Andreossi
Faut-il être passionné par l’histoire de l’industrie du caoutchouc pour prendre plaisir à la lecture du Goncourt 1988 ? Peut-être. En tout cas, si ce n’est pas le cas, il est bien difficile de suivre avec intérêt les péripéties de la vie de Gabriel Orsenna, né dans les années 80 du 19ème siècle et que nous accompagnons jusqu’aux années 50 du 20ème.
Bien sûr, il nous faut accepter de lire ce français étrange, image de l’acadien du XVIIIème siècle, qui fait toute la saveur du Goncourt 1979, si on veut en apprécier toute la richesse. Il faudra renoncer à comprendre tous les mots tout de suite, et patienter en comptant sur la répétition pour saisir le sens de « bâsir », « devanteau » ou « dumeshui ». La plupart de ces mots toutefois se laisse découvrir aisément (« asteur », « obstineux », « défricheter »).
C’est dans la tête de Sigismond Pons que se passe presque toute l’action de ce roman prix Goncourt 1967. Sigismond déambule dans le quartier « des putes » de Barcelone, durant quarante huit heures, a une relation avec l’une d’entre elles, entre dans les bars, restaurants, lieux de prostitution, qu’il nous décrit avec beaucoup de détails.
Le Goncourt 1953 n’est pas un roman mais un recueil de six histoires qui ont pour point commun des relations entre hommes et animaux. Le propos est explicite dans les toutes dernières pages du livre : « A chaque instant la bête peut changer : nous sommes à la lisière. Il y le cheval dément, le mouton rage, le rat savant, l’ours impavide, sortes d’états seconds qui nous ouvrent l’enfer animal et où nous retrouvons, dans l’étonnement de la fraternité, notre propre face tourmentée, comme dans un miroir griffu ».
Sans doute l’euphorie de la Libération a prévalu dans l’attribution du Goncourt 1945 : il n’est pas certain que la littérature ait beaucoup gagné dans ce choix. D’une part la série de portraits villageois ne dépasse guère l’esquisse caricaturale, d’autre part les choix stylistiques d’écriture ont du mal à être appréciés par le lecteur d’aujourd’hui.
Ce n’est pas pour l’intrigue qu’on lira le Goncourt 1930, mais pour toutes ses qualités qui témoignent de la passion de Fauconnier pour un pays qu’il a découvert et qu’il veut nous faire connaître au plus intime. Ce n’est que dans les cinquante dernières pages que le lecteur peut se trouver pris par les péripéties d’un événement tragique qui permet au livre d’entrer complètement dans la catégorie « roman ». Et encore l’auteur s’amuse-t-il avec le genre : « Je ne sais pourquoi je raconte ces histoires de fourmis. Si j’écrivais un roman ce serait mieux à sa place au début. Mais je veux fixer ces derniers souvenirs de ma vie de planteur, sans doute parce que ce sont les derniers ».
Nêne est une jeune femme célibataire qui devient servante chez Corbier, agriculteur veuf, père de deux jeunes enfants. Nêne s’attache beaucoup à ces enfants et pense même, assez vaguement, que si elle se mariait avec le maître… Mais celui-ci est follement amoureux d’une belle couturière du village, Violette, aguicheuse d’homme s, dont le propre frère de Nêne, lequel, victime d’un accident du travail perd tout espoir de conquérir Violette.
La Grande Guerre était terminée depuis un mois lorsque le Goncourt 1918 a été attribué à Georges Duhamel, médecin engagé comme chirurgien juste à l’arrière du front. Seize chapitres constituent autant d’histoires racontées par un narrateur différent mais dont le trait commun est sa présence auprès de blessés et agonisants, parce qu’il est brancardier, soldat à la morgue, ou bien blessé lui-même.
L’auteur du Goncourt 1908 a fait preuve d’un grand sens du titre : un roman vite oublié, léger, qui effectivement semble filer sur l’eau d’une imagination alerte. André Gide en a fait un portrait très juste : « Léger comme une bulle, inconsistant, bizarre, il se dérobe sous la critique et semble sans cesse en formation. Il pourrait être insupportable ; il est charmant ».