A la recherche du temps perdu. La duchesse de Guermantes aperçue.

proust2Lorsque, enfant, le narrateur se promenait avec ses parents autour de Combray, deux promenades s’offraient à la petite famille : le côté de Méséglise et le côté de Guermantes, où se trouvait la propriété de la célèbre lignée, nom qui alimentait chez lui de grands mythes.

Un jour, il aperçoit enfin la duchesse de Guermantes, qu’il conçoit comme la perfection faite femme.

La scène se passe dans l’église de Combray. (1)

Et – ô merveilleuse indépendance des regards humains, retenus au visage par une corde si lâche, si longue, si extensible qu’ils peuvent se promener seuls loin de lui – pendant que Mme de Guermantes était assise dans la chapelle au dessus des tombes de ses morts, ses regards flânaient ça et là, montaient le long des piliers, s’arrêtaient même sur moi comme un rayon de soleil qui, au moment où je reçu sa caresse, me sembla conscient.

La belle silhouette qui apparaît sous ses yeux séduit immédiatement le narrateur, qui, du reste, par la force de son imagination était déjà totalement conquis par le nom et la réputation de la duchesse :

Maintenant que me le faisaient trouver beau toutes les pensées que j’y rapportais – et peut-être surtout, forme de l’instinct de conservation des meilleures parties de nous-mêmes, ce désir qu’on a toujours de ne pas avoir été déçu – la replaçant (puisque c’était une seule personne qu’elle et cette duchesse de Guermantes que j’avais évoquée jusque-là) hors du reste de l’humanité dans laquelle la vue pure et simple de son corps me l’avait fait un instant confondre, je m’irritais en entendant dire autour de moi : « Elle est mieux que Mme Sazerat, que Mlle Vinteuil », comme si elle leur eût été comparable.

A cette époque, il était loin d’imaginer qu’il ferait quelques années après ses débuts dans le monde et que non seulement il y rencontrerait Mme de Guermantes avec une relative facilité, mais qu’il serait, en outre, régulièrement invité chez la duchesse.
Il en était même très apprécié, ainsi qu’il le conclut dans cette scène, évoquée à propos de l’attachement des Guermantes aux traditions jusque, bien évidemment, dans les plus petits détails.

De vieux amis de M. et de Mme de Guermantes venaient les voir après dîner « en cure-dents » aurait dit Mme Swann, sans être attendus, et prenaient l’hiver une tasse de tilleul aux lumières du grand salon, l’été un verre d’orangeade dans la nuit du petit bout de jardin rectangulaire. On n’avait jamais connu, des Guermantes, dans ces après-dîners au jardin, que l’orangeade. Elle avait quelque chose de rituel. Y ajouter d’autres rafraîchissements eût semblé dénaturer la tradition, de même qu’un grand raout dans le faubourg Saint-Germain n’est plus un raout s’il y a de la comédie ou de la musique. Il faut qu’on soit censé venir simplement – y eût-il cinq cents personnes – faire une visite à la princesse de Guermantes, par exemple. On admira mon influence parce que je pus à l’orangeade faire ajouter une carafe contenant du jus de cerise cuite, de poire cuite.

Bon week-end, bonne lecture et à lundi.

(1) extrait de Du côté de chez Swann, les deux autres passages étant issus de Le côté de Guermantes

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