Pareils à des enfants. Marc Bernard

pareil à des enfants15ème épisode (déjà !) du feuilleton des Goncourt ce dimanche, toujours signé Andreossi, avec le prix 1942… A (re)-découvrir absolument ! Bonne lecture, Mag

En 1942, ce n’est pas un roman qui obtient le prix Goncourt, mais un récit. Si son auteur n’était pas tout à fait inconnu à l’époque puisqu’il avait obtenu l’Interallié en 1934, il paraît aujourd’hui fort oublié. Le portrait que Roger Grenier a dressé de lui1 incite pourtant à mieux connaître le personnage : l’occasion nous est donnée, par la lecture de Pareils à des enfants, de découvrir un écrivain touchant, habile à dire l’enfance.

C’est à Nîmes que vit Nanay, dans les années 1910, seul avec sa mère depuis que le père est parti en Amérique. Une enfance pauvre, assez pauvre pour que la mère s’émerveille du cadeau que lui fait une bonne bourgeoise : « Oh, oh, des haricots ! Des bons ! Des pois chiches, aïe ! Tu ne les aimes pas, tant pis pour toi. Sens le café ! Des lentilles, tu vois, j’avais deviné ! ». Peu à peu, l’enfant prend conscience de la condition familiale, et en arrive à l’action « la plus basse de sa vie ».

« Comme ma mère m’attendait un soir, à la sortie de l’école, avec son tablier de grosse toile bleue, j’eus honte d’elle soudain (…) Qui est-ce ? me demanda un camarade, qui était parmi les plus huppés de la classe. Ma bonne, répondis-je sans une seconde d’hésitation ». Plusieurs événements le font basculer vers le désir de sortir de sa condition : le retour du frère aîné, resplendissant dans sa tenue de sergent, le mariage brillant de sa cousine, la fréquentation, même distante, des petites filles du château où sa mère a été cuisinière. « Je repoussais avec horreur l’existence misérable qui consumait ma mère, la vieillissait avant l’âge ; je ne voulais à aucun prix de cela pour moi, je pressentais qu’il y avait d’autre façon d’être, vers quoi je tendais déjà de toutes mes forces ».

Le maître d’école donne en exemple à la classe une formule heureuse du jeune Nanay : « l’eau noirâtre du ruisseau ». « Vous auriez écrit tout simplement : l’eau sale ou l’eau noire. Mais votre camarade a trouvé l’expression juste, forte : noirâtre. Entendez-vous bien : noirâtre ! » Et d’ajouter en pointant le doigt vers Nanay : « Tu seras écrivain ! ».

L’apprentissage de la vie pour ce jeune garçon, c’est aussi celui de l’amour. Une expérience est fondatrice, lorsqu’il surprend deux amoureux occupés dans l’ombre : « Un roulement de charrette couvrit le murmure durant un long instant et, quand il se fut éloigné, la plainte reprit. Il me parut qu’elle avait changé d’accent : c’était maintenant un cri bref qui reprenait sans cesse, un petit cri d’enfant. Et enfin il y eut ce mot, le seul que je parvins à saisir : ‘Chéri’, et qui me bouleversa, tant il était dit avec élan ; il renversait avec violence les images de souffrance et de mort que j’avais nourries jusque-là et il me fit à l’instant complice des ombres dont je devinais à peine le remuement dans les ténèbres ».

Ce premier récit autobiographique incite à poursuivre la connaissance de cet auteur qui mériterait de sortir de l’oubli.

Andreossi

Pareils à des enfants, Marc Bernard, 1942, Gallimard

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