La femme sans passé. Serge Groussard

« Le bouillonnement de l’eau que fend la lourde proue carrée, puis que laboure, interminablement, la carène… L’eau verdâtre, suspecte, qui dégage des relents de pourriture et charrie des choses immondes qui soulèvent le cœur… Le regard de Malard qui s’attarde sur elle… Les yeux de cet homme sont d’un bleu admirable, dans sa face dorée ».

Nous avons dans ces phrases une grande partie de l’intérêt du roman. Un lent voyage en péniche sur les canaux puis sur la Seine ; un climat de mystère autour d’une femme en fuite ; la figure du batelier, peu causant mais attachant. Serge Groussard a conquis le jury du Fémina en 1950 grâce à cette histoire à la Simenon, et a parfaitement épousé le rythme de « La Berceuse », le bateau qui en sus de farine et de sucre transporte vers Paris deux hommes et une femme qui alternativement s’attirent et se repoussent. Ce n’est pourtant pas le rythme de la vie de l’auteur, qui se définissait homme d’action, énarque après avoir été résistant, mais abandonnant la fonction publique pour le grand reportage, l’engagement militaire et l’écriture, laissant à sa mort (en 2016), 25 ouvrages dont 20 romans.

La femme sans passé a pour prénom Hélène, ou Mado, mais elle est plus connue dans cette histoire comme « la passante ». Peu à peu, écluse après écluse, on en apprend davantage sur les raisons de sa fuite. Impliquée dans un crime, elle intrigue, puis séduit celui qui devient son protecteur le temps des cinq jours passés sur la Berceuse, Malard, le patron du bateau. Les sentiments entre eux ne sont pas exactement réciproques, tant la passante est davantage femme de désir que femme de passion amoureuse. Entre eux, le jeune matelot Jeanjean tente de profiter de la situation de huit clos, d’abord par le sexe, puis par l’argent.

Hélène/ Mado va-t-elle se livrer à la police après sa cavale à bord de la péniche ? Quelle est sa réelle implication dans la mort de son mari ? L’écrivain, s’il nous dévoile les faits, reste assez allusif sur les motivations des personnages, et il sait introduire des moments de tendresse dans une atmosphère souvent pesante. Le lecteur a le plaisir de découvrir des mots perdus, ceux de la batellerie, à une époque où le métier basculait vers la motorisation. Miquépin, fargue, bajoyer, étricot… Nous avons parfois la définition dans le texte : « le reu, petite cahute qui servait de fourre-tout », « la gravelaine, ce petit espace vide, resserré, qui couvre toute la largeur de ces péniches ». Le plus souvent, il nous faut imaginer : « Au milieu, collée au plafond, une tringle de fer courait d’avaterre à bord-hors ».

Andreossi

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