Prix Goncourt 1903-2009 : quel bilan ?

La lecture d’un peu plus de cent romans auréolés du prix Goncourt a apporté son lot de contrastes, du véritable enthousiasme à la franche consternation. Certes la forme de cette chronique, en voulant laisser une assez grande place à l’œuvre malgré un format réduit, a sensiblement atténué le premier sentiment, mais la subjectivité revendiquée d’un lecteur du vingt et unième siècle a fait ses choix : plus du tiers des textes couronnés ont eu un intérêt limité, voire très limité.

Cela ne paraît pas dépendant de l’ancienneté de la parution, tout au plus certaines périodes sont apparues plus creuses que d’autres en récits qui ont retenu l’attention : les années 40 par exemple, marquées par la seconde guerre mondiale, n’ont pas été à la hauteur des années 10 et 20 qui ont vu de très bons romans ayant pour thème la guerre de 14-18 primés. Seul l’attachant Pareil à des enfants de Marc Bernard, en 1942, émerge du lot, mais ne concerne pas le temps de l’Occupation. Autre période assez creuse mais plus longue, celle qui s’étend des années 60 aux années 90, dont la moitié des œuvres primées n’ont pas convaincu. Le nouveau siècle par contre semble prometteur.  

Les thématiques de ces romans reflètent assez bien les questions majeures de nos sociétés : le thème de la guerre est le plus évident, pour un siècle qui a été bien servi de ce point de vue. Nous pouvons compter une trentaine de titres qui évoquent la guerre, avec pour les réussites, Le Feu, de Henri Barbusse, ou Civilisation, de Georges Duhamel et plus récemment Syngué sabour de Atiq  Rahimi. Les romans « familiaux » constituent une autre grande catégorie et avec ceux qui concernent les histoires de couples ils totalisent aussi une trentaine d’ouvrages.

La bourgeoisie et la petite bourgeoisie sont les milieux sociaux nettement privilégiés, et rares sont les auteurs qui ont su avec talent rendre compte des milieux plus modestes, mais un Emile Ajar, avec La vie devant soi, nous a comblé. Les campagnes, en particulier, n’ont pas été bien mises en valeur par la littérature des Goncourt, si on excepte le très ancien Louis Pergaud et son De Goupil à Margot. Les écrivains ont été plus inspirés lorsqu’ils se sont éloignés de notre continent, et plus encore lorsqu’eux-mêmes et elles- mêmes venaient d’ailleurs. René Maran (Batouala), Antonine Maillet (Pélagie-laCharrette), Patrick Chamoiseau (Texaco)ont merveilleusement enrichi la langue française.

L’élargissement des thématiques au cours du temps se remarque aussi par l’intérêt pour le passé. A partir des années 80 les auteurs récompensés ont plus souvent quitté leur époque strictement contemporaine pour placer leurs récits quelques décennies avant, ou même dans les siècles précédents. Cela nous a valu par exemple les très bons livres de Frédérick Tristan (Les égarés), de Jean Rouaud (Les champs d’honneur) ou de Laurent Gaudé (Le soleil des Scorta). Autre constatation, dans le choix du type de narrateur : nous avons été généralement plus sensible aux romans écrits à la première personne qu’à la troisième, comme si la vision « de l’intérieur » favorisait l’adhésion au récit. C’est le cas pour Béatrix Beck (Léon Morin, prêtre), Francis  Walder (Saint Germain ou la négociation), Vintila Horia (Dieu est né en exil) ou encore Yves Navarre (Le jardin d’acclimatation).

Enfin, le thème de l’oppression, de la domination, a été à l’origine d’œuvres de qualité que n’a pas manqué de distinguer le prix Goncourt, dès les premières décennies d’attribution, avec René Maran (Batouala) et Henri Fauconnier (Malaisie) sur la question de la colonisation, puis plus tard, avec Romain Gary (Les racines du ciel) qui mêle colonialisme et écologie, André Schwartz-Bart sur l’antisémitisme (Le dernier des Justes), et Tahar Ben Jelloun (La nuit sacrée) sur la domination masculine.

Au total, il est difficile de conclure sur l’opportunité à suivre les jurés du Goncourt dans leur recommandation, même si, après tout, près de deux livres primés sur trois ont été lus avec intérêt. Peut-être serait-il curieux de comparer avec un autre prix littéraire : le Fémina par exemple, revendiqué comme concurrent direct dès 1904.

Andreossi

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Le Feu. Henri Barbusse.

lefeuAujourd’hui maglm lance un nouveau feuilleton littéraire, signé Andreossi : celui des prix Goncourt ! Episode n° 1 : « Le Feu », prix Goncourt 1916.

C’est parti…

De 1914 jusqu’en 1918, chaque année le prix Goncourt est attribué à une œuvre dont le thème est la Grande Guerre.

Le plus célèbre est resté Le Feu, écrit à l’hôpital par Barbusse, qui s’est engagé à l’âge de 41 ans et a vécu la vie des tranchées comme brancardier. Même si le livre est sous-titré « Journal d’une escouade », il s’agit bien d’un roman, qui a immédiatement frappé les consciences par son caractère extrêmement réaliste : Barbusse avait Zola pour modèle. Les dialogues sont rapportés dans la langue des soldats, avec leurs régionalismes, leur argot.

La consécration de cette œuvre par un prix Goncourt, juste au milieu d’une guerre que l’on imagine d’ambiance très patriotique, étonne aujourd’hui. Car le contenu du roman est loin d’être patriote  au sens traditionnel du terme. Les Français n’ont pas attendu la fin du conflit pour se rendre compte de l’horreur des combats : alors que la censure voulait éviter la démoralisation des troupes et de l’arrière en surveillant les lettres des poilus, la littérature à la Barbusse ne cachait rien, ni de la terrible boucherie ni des injustices vécues par les combattants.

Les descriptions des champs de bataille veulent choquer le lecteur : « Tout près de moi une tête a été rattachée à un corps agenouillé, avec un vague lien, et lui pend sur le dos » ; « Des fémurs sortent d’amas de loques agglutinées par de la boue rougeâtre, ou bien, d’un trou d’étoffes effilochées et enduites d’une sorte de goudron, émerge un fragment de colonne vertébrale ». Mais la guerre n’est pas que cela pour l’écrivain, c’est le terrain aussi où se déploient les plus grandes injustices.

Les soldats de l’escouade font partie de la masse des hommes que d’autres envoient au front, qui eux se protègent, sont « planqués ». La critique de la guerre n’épargne aucune question. Un camarade du narrateur lui montre un piquet : « C’est là, dit-il, qu’on a fusillé le soldat du 204, ce matin (…) Il avait voulu couper aux tranchées ; pendant la relève, il était resté en arrière, puis était rentré en douce au cantonnement. Il n’a rien fait autre chose : on a voulu, sans doute, faire un exemple ». Mais les copains ont taillé dans le bois une croix de guerre et ont porté la mention : « A Cajard, mobilisé depuis août 1914, la France reconnaissante ».

C’est toute une pensée de la Grande Guerre qui se met en place avec ce roman : si les soldats sont des héros c’est parce qu’ils sont des victimes. Les dernières pages sont très explicites, et opposent « les brandisseurs de sabre, les profiteurs et les tripoteurs », les « monstrueux intéressés, financiers, grands et petits faiseurs d’affaires, cuirassés dans leurs banques ou leurs maisons qui vivent de la guerre(…) » « tous les prêtres qui cherchent à vous exciter et à vous endormir, pour que rien ne change, avec la morphine de leur paradis », aux « pauvres ouvriers innombrables des batailles , vous qui aurez fait toute la grande guerre avec vos mains, toute-puissance qui ne sert pas encore à faire le bien, foule terrestre dont chaque face est un monde de douleurs (…) ».

Le jeune prix Goncourt saluait la force d’une œuvre : sous le témoignage cru venu des tranchées surgissait la figure du Poilu sacrifié, image durable de la guerre de 14-18.

Andreossi

« Le Feu »

Henri Barbusse.

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