Il Divo. Paolo Sorrentino

Il Divo, Paolo SorrentinoIl Divo, c’est aussi Belzébuth, le Renard, le Sphinx, la Salamandre, le Bossu, l’Eternité… dites simplement Giulio Andreotti et vous rassemblez sur ce nom cinquante ans de la vie politique italienne d’après-guerre.

Sept fois président du Conseil, des dizaines de fois ministre, Giulio Andreotti domina sur la Démocratie Chrétienne (DC) jusqu’à l’effondrement du parti en 1993, sous les coups des enquêtes judiciaires.
Mais, malgré les nombreuses poursuites engagées contre lui, il ne fut jamais condamné. Comment se débrouilla-t-il pour rester à l’air libre en dépit des sales affaires auxquels on le dit mêlé ? Mystère.

Ce mystère-là, le superbe film de Paolo Sorrentino ne l’éclaircit pas. Il donne cependant l’idée que c’est précisément en cultivant le secret qu’Andreotti a su se préserver des retours de bâtons, dont tout donne à croire que, par ses funestes manigances, il les aurait bien mérités.

Opportuniste, il a entretenu des liens subtils avec le Vatican, les banques, la Mafia sicilienne, la loge P2… sans compter l’affaire Aldo Moro, président de la DC, enlevé et assassiné par les Brigades Rouges en 1978, sans que son parti n’ait accepté d’en négocier le salut. De toutes ces affaires, le film, en rien didactique, ne dévoile pas les zones sombres. Au contraire, il les évoque très vite, faisant défiler les noms et les images comme dans un gigantesque "clip". On s’y perd un peu si l’on n’est pas familier de l’histoire politique italienne, mais cela n’a aucune importance, la clarté du propos d’ensemble se s’en trouve pas affectée.

Paulo Sorrentino concentre toute son attention sur son personnage, magistralement interprété par Toni Servillo (qui jouait dans Gomorra). Il en souligne le cynisme, l’écrasante présence, la puissance de frappe du verbe, la solitude extrême qui fait de lui un inconnu auprès de sa femme même, mais aussi le charisme vénéneux malgré la laideur, les épouvantables migraines et les tractations chuchotées.
Le cinéaste nous fait passer des ors des Palais au clair-obscur du studiolo, des éclats de la Chambre et des soirées mondaines au silence des archives auxquelles Andreotti se réservait seul l’accès.

Si ce portrait à charge de cet acteur incontournable de la vie politique italienne captive autant qu’il fait froid dans le dos, Paolo Sorrentino, nous offre aussi, avec ses plans plein de fantaisie qu’il enchaîne tous azimuts sur fond de bande-son rocky, une liberté de ton et de manière qui fait du Divo un très grand moment de cinéma.

Il Divo
Un film de Paolo Sorrentino
Avec Toni Servillo, Anna Banaiuto, Giulio Bosetti
Durée 1 h 40

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Picasso et les maîtres au Grand-Palais

Picasso et les maîtres au Grand Palais, Picasso autoportraitAu détour du XXème siècle, âgé d’à peine vingt ans, il avait déjà fait ses académies à Madrid, fréquenté les grands maîtres espagnols, Vélasquez, Goya et Zurbarán au Prado, el Greco à Tolède, côtoyé l’avant-garde barcelonaise et, à Paris, connu la peinture de Puvis de Chavannes, des impressionnistes et les chefs-d’œuvre du Louvre.
Lorsqu’il s’y installe définitivement, en 1904, le jeune Pablo Picasso se mêle à la bohème artistique, met ses pas dans ceux d’Henri-Toulouse Lautrec et d’Edgar Degas en poussant les portes des maisons closes, et, dans les grands Salons des années 1900 découvre les Fauves, Manet, Cézanne, mais aussi Le Bain turc de Dominique Ingres…

En même temps, et alors qu’il a déjà fait l’objet de sa première exposition parisienne grâce à Ambroise Vollard en 1901, il poursuit sans fatigue son exploration du Louvre.

Au cours de sa longue vie, il ne détournera jamais complètement des grands maîtres, comme il ne se détournera jamais de lui-même et de sa liberté créatrice. Point d’école pour Picasso, il le sait très tôt : "Je ne suis pas partisan de suivre une école déterminée, parce que ça n’apporte rien que le maniérisme à ceux qui suivent cette voie".
De tout ce matériau pictural absorbé dans ses jeunes années, naturellement le peintre espagnol se nourrira, certaines veines sont bien visibles, principalement dans ses premières peintures. Mais comment parler véritablement d’influences chez celui qui a tout déconstruit puis reconstruit, figures, espace, composition, qui s’est emparé de tous les sujets, a inventé et fait évolué ses styles, démultiplié ses inspirations, pour produire un œuvre à nul autre pareil, certainement le plus éclatant, le plus riche et le plus fascinant du XXème siècle ?

L’intention de l’exposition du Grand Palais est louable, qui remet ensemble ceux qui se sont fréquentés d’une manière ou d’une autre naguère, Picasso et les maîtres.
L’exploit est à saluer : plus de deux tableaux et dessins venus de partout, des plus grands musées aux collections privées, donnant ainsi l’occasion d’aller visiter une magistrale assemblée.
Picasso et les maîtres au Grand Palais, el grecoEl Greco, Vélasquez, Goya, Zurbarán, Ribera, Poussin, David, Ingres, Delacroix, Manet, Courbet, Lautrec, Degas, Puvis de Chavannes, Cézanne, Renoir, Gauguin, Douanier Rousseau, Titien, Cranach, Rembrandt, Van Gogh… se côtoient, avec, mêlés à eux, une foultitude de Picasso.
Ces grands noms ont de quoi faire tourner la tête.

Le problème est que, in situ, l’effet produit est exactement celui-là. A l’étage en particulier, les tableaux sont à touche-touche, vous n’êtes pas encore "entré" dans une œuvre que déjà le portrait d’à côté vous fait de l’œil, avant que le suivant ne détourne votre attention tout aussi vite. Drôle d’impression, comme s’il y avait trop de chefs d’œuvre au même endroit, et, finalement, presque un sentiment d’indécence.

Au rez-de-chaussée, l’on respire davantage, avec une galerie de natures mortes (dont de splendides Chardin, qui permettent enfin de se poser "quelque part"), mais aussi un ensemble de nus absolument magnifiques devant lesquels on n’a plus le cœur à se plaindre, non vraiment pas.
Alors, même si on n’est plus proche du pudding que du digeste bouillon du soir, on ne se permettra pas de "cracher dans la soupe". Mais ce qui est sûr, c’est qu’en sortant de cette plantureuse et frénétique exposition, l’on a très envie d’aller arpenter, au calme, les musées de Paris, de France, de Navarre et d’ailleurs, pour déguster tranquillement la belle peinture française, italienne et espagnole dont ceux-ci regorgent, en choisissant "ses maîtres », selon son envie, son lieu et son moment, et non pas en roulant des yeux comme des billes comme si tout l’art de la terre, allait, l’instant d’après, disparaître à jamais.

Picasso et les maîtres
Jusqu’au 2 février 2009
Galeries nationales du Grand Palais
3 avenue du Général Eisenhower – Paris 8ème
Entrée par le Square Jean Perrin
M° Franklin-Roosevelt ou Champs-Élysées-Clemenceau
TLJ sf le mardi, de 10 h à 22 h, le jeudi jusqu’à 20 h
Ouverture 24h/24, du vendredi 30 janvier 9 h au lundi 2 février 20 h
Entrée 12 € (TR 8 €)

Images : Pablo Picasso, L’artiste devant sa toile, Paris, musée Picasso © RMN, Gérard Blot et Portrait d’un artiste, El Greco, Séville, Museo de Bellas Artes © Photo Scala

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Des vents contraires. Olivier Adam

Des vents contraires, Olivier Adam, Editions de l'OlivierDans un passage Des vents contraires, Paul, le narrateur, dit à son frère Alex qu’il a rendez-vous avec un producteur de cinéma pour une commande sur les derniers jours de Nino Ferrer. "Ben c’est gai encore ton truc" lui fait remarquer Alex. "C’est pour ça qu’il ont pensé à moi" répond Paul. Clin d’œil d’auto dérision de la part d’Olivier Adam, écrivain et scénariste lui même connu et reconnu pour ses sujets pas drôles…

Mais, dans ce tout dernier roman, Olivier Adam réchauffe le froid tranchant du malheur d’une flamme douce et nouvelle.
La femme de Paul a disparu depuis plus d’un an sans qu’aucune explication ni trace n’ait pu être trouvée, et Paul se retrouve seul avec ses enfants, ses questions sans réponse et sa souffrance. Il décide de quitter le cadre francilien du bonheur passé pour s’installer avec ses deux petits à Saint-Malo, la ville de son enfance. Là, il se fait embaucher par son frère qui a repris l’auto-école familiale. Cet emploi de dépannage sera pour lui davantage l’occasion de rencontres et d’embardées au bord de l’eau que de leçons de conduite.

Des vents contraires est l’un des plus beaux romans d’Olivier Adam, qui explore avec bonheur la relation fusionnelle d’un père avec ses enfants. Son narrateur est profondément singulier en ceci qu’il est à la fois très "mec", fort comme un bœuf, toujours prêt à se défouler sur le sac de sable pendu dans le garage ou à en coller une à celui qui le cherche, à fumer des cigares, à picoler jusqu’à plus soif, surtout des alcools forts… mais il est en même temps un papa-poule incroyable, ultra attentif au silence de son fils, à la tristesse de la petite dernière, à leur sommeil, à leur appétit, à leurs envies, à leurs angoisses. Pour voir des étoiles dans leurs yeux, il leur fait louper une après-midi d’école, construit une balançoire au prix d’une nuit sans sommeil de plus, monte dans des manèges qui ne sont plus de son âge, dévalise les magasins de jouets, dort avec eux à même le tapis. La souffrance de ses enfants privés de leur mère lui fait oublier sa propre souffrance. Leur joie lui fait croire à un retour possible.

Et puis il y a toutes ces rencontres, le déménageur, la voisine, les élèves, l’inspecteur de police, des êtres ordinaires, avec leurs poids de malheur, leurs vieux trucs qui les lestent. Des semblables que Paul aide comme il peut et qui le détournent de son chagrin. Face à la dureté sociale, à l’aveuglement administratif, aux jugements péremptoires du monde enseignant, surgissent alors des moments d’une chaleur inattendue, magnifique.

Sans angélisme, et de son écriture toujours aussi efficace et incisive, mais teintée d’une poésie des plus inspirées pour décrire l’ambiance et les lumières d’une Saint-Malo hors saison, Olivier Adam fait rougeoyer sur son petit monde un doux soleil d’hiver. Il parvient même à contrarier enfin les vents glacés du malheur, par la grâce de la tendresse, de l’amour et de la fraternité.

Des vents contraires
Olivier Adam
Éditions de l’Olivier (janvier 2009), 256 p., 20 €

Des vents contraires est le sixième roman d’Olivier Adam. Il a reçu les prix Goncourt de la nouvelle en 2004 pour Passer l’hiver, France Télévisions 2007 pour Falaises et Jean-Amila-Mecker 2008 pour A l’abri de rien. Il est également l’auteur et le scénariste du roman (2000) et du film (2006) Je vais bien ne t’en fais pas

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Raymond Depardon – Paul Virilio. Terre natale

terre_natale_ailleurs_commence_iciQue sont nos racines devenues ? Pourront-elles résister encore demain ?

Dans ses trois documentaires (dont le dernier en date La vie moderne) consacrés au monde paysan, Raymond Depardon montrait des éleveurs de moyenne montagne en voie de disparition.

L’exposition visible à la Fondation Cartier jusqu’au 15 mars 2009 permet de prolonger et d’élargir la réflexion sur le maintien des peuples minoritaires sur leur terre natale. Dans un documentaire de 33 minutes, le photographe et cinéaste (accompagné de Claudine Nougaret à la prise de son) a donné la parole à ceux qui, au Brésil, au Chili, en Bolivie, en Afrique et même en France, en Bretagne et en Occitanie (où l’on retrouve Raymond Privat) voient leur enracinement menacé, et par là même leur langue maternelle.

Le film est saisissant – son impact est en outre renforcé par le dispositif de projection sur un écran monumental de huit mètres sur dix -, donnant à voir des visages immenses au regard franc, et à entendre des langues auxquelles l’on ne comprend goutte mais à la portée universelle. Dans la forêt amazonienne, deux très jeunes femmes répètent « Je veux protéger ma terre-forêt ». Elles sont calmes et dignes, des victimes en résistance. Comme si elles puisaient leur force – impressionnantes de détermination – de leur terre et l’entretenaient avec leurs mots. Mais en creux, de façon poignante, on entend cette question : « Que nous restera-t-il si on nous enlève notre terre et notre langue ? ». Plus loin, au Chili, bout de continent battu par les vents, une femme mapuche, seule avec ses enfants raconte combien il est difficile pour elle de survivre, combien bien peu de son peuple sont encore près d’elle. Elle sourit, serre ses filles autour d’elle, et puis pleure, se tait, s’excuse : « Je n’ai plus de mots ». Et c’est, précisément, le plus bouleversant.

En écho à ces témoignages, la seconde partie de l’exposition est une interpellation de l’urbaniste et philosophe Paul Virilio sur les risques qui menacent à l’échelle planétaire. A travers des installations video, Paul Virilio dénonce l’importance des mouvements migratoires, actuels et plus encore des décennies à venir, liés à la mondialisation et aux changements climatiques. L’exode rural fait place à l’exode urbain, qui fait enfler les gares et les aéroports, lieux « d’outre-ville », de départs. Les villes moyennes disparaissent au profit de mégapoles de plusieurs dizaines de millions d’habitants. Les camps de réfugiés se multiplient et grossissent. « Le nomade est celui qui n’est nulle part chez lui », tandis que le sédentaire devient celui qui « très mobile, est partout chez lui, avec son téléphone mobile et son ordinateur portable ».

Ces réflexions entrent en résonance avec l’autre documentaire de Raymond Depardon présenté en première partie du parcours, montrant l’extraordinaire rapidité avec laquelle on peut faire le tour de la planète, en passant par ses grands centres urbains – pour y voir une uniformisation effrayante. Ou comment la question des racines est ici mise en perspective, de façon vertigineuse, avec celle des distances et du devenir de l’espace géographique même.

Raymond Depardon – Paul Virilio
Terre natale – Ailleurs commence ici
Jusqu’au 15 mars 2009
Fondation Cartier pour l’art contemporain
261, boulevard Raspail – 75014 Paris
TLJ sauf le lundi, de 11 h à 20 h, nocturne le mardi jusqu´à 22 h
M° 4 et 6, Raspail ou Denfert-Rochereau, bus 38 ou 68, RER B, Denfert-Rochereau
Entrée : 6,50 € (TR 4,50 €)
Accès libre pour les moins de 18 ans le mercredi de 14 h à 18 h

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Les plages d'Agnès. Agnès Varda

Les plages d'Agnès, Agnès VardaCe film ne ressemble à aucun autre. Autobiographie. Mémoires.
Pour tracer les grandes lignes de sa vie, Agnès Varda s’est emparé de ce qui constitue sa plume depuis plus de cinquante ans : la caméra. Pour y placer son sujet devant : elle. Osé.
Le fil est chronologique. Il commence donc par les plages de son enfance, celles de la mer du Nord, dont les noms l’enchantent encore aujourd’hui. Dans une scène d’ouverture magnifique – installation de miroirs anciens sur le sable, alors que le vent agite son écharpe colorée – Agnès Varda plante quelques photos et donne le ton : calme, enjoué, clair. Drôle de projet, confit-elle. "Pas de nostalgie". Ce qui n’empêche pas la passion pour les photographies, même celles de familles inconnues trouvées dans les brocantes.

En 1940, la guerre pousse sa famille de Belgique jusqu’à Sète. Là, pendant quatre ans, les cinq enfants et leur mère vivront à bord d’une péniche, à la Pointe-Courte.
Avec des comédiens d’aujourd’hui et en couleurs, Agnès recrée les scènes, retrouve les blouses et les chants de ses souvenirs, réincarne son passé.
Juste avant la Libération, les Varda "montent" à Paris ("comme si la France était verticale !" souligne joliment la cinéaste) ; pour Agnès, c’est l’école du Louvre, lecture sur les quais et débuts dans la photographie pour le théâtre.

Et puis le cinéma vient vite, alors qu’elle n’a encore vu que neuf ou dix films dans sa vie. Mais elle s’est "lancée" ; dit-elle si simplement. La Pointe-Courte, Cléo de 5 à 7, etc. Sa fille Rosalie ; ses amis artistes ; et puis Jacques Demy, et encore leur fils Mathieu…
Comment raconter cette vie si riche, faite de rencontres, de créations, de voyages ?
En mettant ensemble des bouts de tout cela, sans chercher à leur donner une cohérence. En accolant, comme les pièces d’un puzzle, les photos, les scènes reconstituées, les extraits de films, d’installations et d’expositions, pour donner à voir les lieux qui ont compté, les gens qu’elle a aimés, les oeuvres qu’elle a réalisées.

Le lien se fait comme par magie avec la voix d’Agnès, omniprésente, et son image d’aujourd’hui, celle d’une octogénaire pleine de sagesse et de malice. Ce tout disparate tient parfaitement debout, armuré par un savant montage, mais peut-être plus encore par la simplicité, le naturel et la fantaisie d’Agnès Varda, qui en ne cessant de parler d’elle nous renvoie à des questions qui pourraient être qu’est-ce qu’une vie ?, qu’est-ce qui lui donne une cohérence ?, "qu’est-ce qui "fait" une personne ? qu’est-ce qui lui donne son unité ? Sur les magnifiques plages d’Agnès se trouvent beaucoup de réponses.

Les plages d’Agnès
Un film documentaire d’Agnès Varda
Durée 1 h 50

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Mascarades. Lyes Salem

Mascarades, Lyes SalemIl était une fois une princesse atteinte d’une étrange maladie : elle s’endormait irrésistiblement à toute heure de la nuit et, hélas, du jour pareillement. Son frère Mounir qui veillait sur elle comme sur un trésor ne savait comment la guérir. Quant aux gens de ce petit village d’Algérie, tous les prenaient, lui pour un simple d’esprit, elle pour une fille impossible à marier. Un jour, Mounir en eut assez des quolibets et voulu montrer à tous qu’il trouverait pour sa petite princesse Rym un prince digne de ce nom, dont la cravate seule voudrait toutes les maisons du bled. Mais si le riche prétendant n’existait que dans l’imagination de Mounir, il l’annonça avec tant de conviction que tout les médisants du village se mirent à y croire. L’idée de l’or les excita tant qu’elle les transforma aussitôt en courtisans…

Existait en revanche, lui tout à fait réel, un jeune homme très beau mais très pauvre, sincèrement épris de Rym, laquelle le lui rendait tout aussi tendrement. Comme il n’était pas prince, bien des épreuves l’attendaient pour convaincre Mounir de son mérite.

Mascarades est un conte où, si poids des traditions et modernité se mêlent, ni l’un ni l’autre n’en sont véritablement le sujet. Il met en scène une Algérie d’aujourd’hui, débordante de vie, de chants et de superbe, où se jouent des mécaniques universelles : celles de l’importance du regard de l’autre, de la conformité au groupe auquel on appartient malgré tout, de la pression et de la force du collectif, de la facilité de ses retournements ; mais aussi celle du désir, lorsqu’on se sent différent, d’en "jeter" aux autres pour gagner leur respect.
Équilibre difficile à trouver, trajectoires on ne peut plus périlleuses. C’est exactement dans cette situation que cette brillante comédie place ses personnages : sans cesse en mouvements et animés d’une émotion sincère et, en même temps, toujours au bord du précipice. A tout moment, on se dit que le pire peut arriver, ou bien que l’histoire peut tomber dans une suite convenue. Mais la scène suivante n’est jamais celle que l’on attend. A un rythme effréné, les protagonistes, plus attachants les uns que les autres (des rôles magnifiques, extrêmement bien joués) conduisent le spectateur du rire à l’étonnement, de l’étonnement au ravissement et du ravissement à l’émotion.
La légèreté autorise l’expression de sentiments profonds ; telle est l’élégance dont fait preuve Lyes Salem, qui sait le pouvoir enchanteur des contes, celui de fabriquer de merveilleuses histoires pour mieux parler, au fond, des grands rêves et des faiblesses des Hommes.

Mascarades
Un film de Lyes Salem
Avec Lyes Salem, Sara Reguigue, Mohamed Bouchaïb
Durée 1 h 32

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Mantegna au musée du Louvre

Exposition Mantegna au LouvreDe l’école de Padoue du milieu du Quattrocento, il a repris ces mille ornementations, guirlandes décoratives, angelots, fruits rebondis et marbres polychromes, autant de petites festivités qui animent le tableau et enchantent le regard.

De l’humeur vénitienne, il a aimé la douceur des personnages belliniens, cet air faussement rêveur d’une Sainte Justine délicieusement drapée d’un vêtement au rose délicat. Devenu l’époux de la fille de Jacopo Bellini, il a entretenu, pendant une petite dizaine d’années, un dialogue fructueux avec son beau-frère Giovanni, autour d’une lumière raffinée, de couleurs vives et d’un sens narratif proche de celui du théâtre.

Mais c’est peut-être du côté de la sculpture qu’il faut chercher l’inspiration la plus déterminante d’Andrea Mantegna (1431-1506). En 1443, Donatello, le plus grand sculpteur de son siècle, le Florentin imprégné des idées humanistes et du retour à l’Antique vient à Padoue pour y déployer son art pendant dix ans. De là peut-être est née chez le jeune Mantegna cette veine sculpturale, monumentale, souvent jugée "sévère", ses mises en perspective et ses décors antiquisants.

De toutes ces inspirations, la magnifique exposition du Louvre rend compte. Elle présente le parcours de Mantegna de façon chronologique mais prend soin d’entourer ses œuvres de celles d’autres peintres de son temps, faisant apparaître les influences réciproques et les modalités de diffusion des styles, grâce à des supports comme la gravure ou la collaboration des artistes avec les artisans, orfèvres, menuisiers, tapissiers, potiers…

Tout autant, ce parcours est un hommage au talent et au succès précoce d’Andrea Mantegna, de ses premières réalisations, notamment pour la chapelle Ovetari alors qu’il n’est âgé que de dix-huit ans, au triptyque de San Zeno de Vérone, resté à son emplacement d’origine mais dont on peut admirer ici réunis les trois panneaux de la prédelle. Ils témoignent d’un sens de la mise en scène qui n’a d’égal que celui du détail, digne des maîtres flamands.
Saint-Sebastien du Louvre, MantegnaPuis, très vite, Mantegna est demandé à la cour des Gonzague à Mantoue, où il s’installe en 1460 pour y rester jusqu’à sa mort.
Les tableaux et décors les plus splendides – et souvent somptueux – se succèdent. Si le célèbre Christ mort de Milan n’a pu faire le déplacement, le musée fait en revanche côtoyer son Saint-Sébastien avec celui de Vienne, moins monumental mais peut-être plus touchant, et plus intrigant aussi avec son cavalier dans les nuages. Avec leur décorum ultra-antique, les deux manifestent la nostalgie d’un âge d’or classique idéalisé.

A tant d’austérité, les dernières toiles apportent un divertissement inattendu : avant le cycle des neuf toiles des Triomphes qui occupèrent ses dernières années, Mantegna dut répondre à la commande d’Isabelle d’Este Gonzague, qui voulait orner son studiolo de peintures de différents artistes, et surtout d’oeuvres novatrices. La Minerve chassant les Vices du jardin de la Vertu offre un ensemble d’êtres étranges symboles de l’avarice, de l’ignorance, de la paresse… : voici un Mantegna à l’imagination prolifique, dont la fantaisie et l’inventivité rappellent celles de certaines de ses gravures, où il trouvait quelque espace de liberté, tels Le Combat des dieux marins, plein de monstres en mouvement.

Andra Mantegna s’éteint au tout début du XVIème siècle, après avoir croisé Léonard de Vinci à Mantoue. Il paraît que les deux artistes ne se comprirent pas. Il faut dire que s’ouvrait alors une autre ère, faite de sfumato et d’expressions de l’âme ; la "modernité" de Mantegna n’était déjà plus.

Mantegna
Musée du Louvre
Jusqu’au 5 janvier 2009
TLJ, sf le mardi, de 9 h à 18 h et jusqu’à 22 h les mercredi et vendredi
Jusqu’à 20 h tous les samedis, les 27,28,29 décembre et les 3,4,5 janvier
Billet spécifique pour l’exposition Mantegna : 9,50 €

Images : Andrea Mantegna, Sainte Justine (1453-1455), Bois; H. : 1,18 m ; L. : 0,42 m, Milan, Pinacoteca di Brera, inv. 165 © Sovr. Beni artistici e storici, Pinacoteca di Brera, Milan et Saint Sébastien (vers 1478-1480 ?), Tempera sur toile de lin; H. : 2,55 m ; L. : 1,40 m Paris, Musée du Louvre, dép. des Peintures, RF 1766 © 2008 C2RMF/ Jean-Louis Bellec

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L'état des lieux. Richard Ford

L'état des lieux, Richard FordNovembre a été long ? Décembre s’étire vers des fêtes pour lesquelles vous n’avez guère d’appétit ?
Il est peut-être temps de réduire la voilure, de penser à aborder l’hiver différemment, de vous concentrer sur quelque chose de vraiment bon.
Prenez un livre, un livre qui abrite et régénère, en douce et en longueur, un gros roman qui exige un fidèle compagnonnage.

Les éditions de l’Olivier ont l’homme qu’il vous faut : Richard Ford, dans la peau de Frank Bascombe. Vous passerez avec lui trois jours à l’approche de Thanksgiving, trois jours seulement mais près de sept-cent-cinquante pages. Rythme tranquille, donc.

Il faut dire qu’il est un peu fatigué, notre ancien journaliste sportif, héros récurrent de Richard Ford. La cinquantaine bien sonnée, un cancer à la prostate, alors que sa deuxième épouse vient de le quitter pour aller vivre avec son premier mari ressuscité, Frank Bascome se livre désormais à de fructueuses activités immobilières en compagnie d’un Tibétain bouddhiste jusqu’à la pointe du col de son blazer américain.
Il se prépare à fêter Thanksgiving entre sa première épouse prise d’un retour de flamme, son fils avec qui la communication est pour le moins brouillée, et sa chère fille qui cherche son chemin en ce vaste monde. Une voie que Frank, précisément, explore tous phares allumés depuis la côte du New-Jersey qu’il ne quitte pas et ausculte à la loupe. Mais c’est en réalité davantage la vaste vie qui le préoccupe. Celle d’un Américain moyen qui a mis un autocollant "Pourquoi Bush ? » sur le pare-choc de son Suburban, tout en essayant de trouver la quiétude et de rester attentif aux autres. Alors, il nous fait voir que la vie n’est pas si vaste et qu’on a parfois intérêt à revoir à la baisse l’ambition du programme.
Même si rien n’est programmé. Ni les coups qu’on peut recevoir, un soir, sur le tabouret d’un bar où on croyait pouvoir faire une halte souveraine ; ni les bonnes surprises devenues inespérées et qui soudain apaisent.
De tout cela, Richard-Frank rend compte avec un soin minutieux, un sens de l’observation incomparable, une lucidité sans concession.
Il nous régale d’une écriture ample et précise à chaque page (il est là, le souffle qui fait regonfler la voilure), d’un humour teinté d’ironie douce-amère ; il dresse le portrait des Etats-Unis de l’an 2000, et, au bout du chemin, délivre la joie d’exister :

Le jour où je suis revenu chez moi de l’hôpital, le temps avait pris une jolie couleur de glace à la vanille et le soleil bas de midi rendait l’Atlantique violet et plat, puis brillant tout à coup avec la marée descendante. Et une fois encore, j’ai été attiré dehors, les jambes de mon pantalon roulées, pieds nus, avec un vieux sweat-shirt vert, jusqu’à l’endroit où le sable mouillé et scintillant saisissait la plante de mes pieds et où l’écume courait pour se refermer autour de mes chevilles comme un poing. Et, debout là, je me suis dit : "Ici est la nécessité. Ici est la mesure en plus – vivre, vivre, vivre à fond."

L’état des lieux. Richard Ford
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Guglielmina
Editions de l’Olivier (2008)
736 pages, 23 €

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La Veillée des Abysses. James Thierrée

La veillée des abysses au théâtre du Rond PointAprès La Symphonie du Hanneton en 2005 puis Au revoir parapluie, l’an dernier au théâtre de la Ville, James Thierrée revient cet hiver au théâtre du Rond-Point avec La Veillée des Abysses, un spectacle créé en 2004.

Le vent souffle, soulève un grand voile blanc figurant la neige, le sable, l’eau. Cinq personnages, trois hommes et deux femmes luttent contre cette vague, qui finit par les recouvrir avant de s’éteindre. Les personnages relèvent le drap blanc, se remettent debout : la veillée peut commencer. Vieux fauteuils, paravents, guéridons, lampes de table, velours, étoffes usées. Un très haut portail en fer forgé et, au plafond, une immense roue en fer ouvragé, comme une grand lustre, une couronne. Là, les cinq protagonistes ne vont cesser de jouer, danser, sauter.
Il y a de la cabriole, du prodige acrobatique et même du piano et du chant. Mais nulle démonstration pour autant. Car à l’image de James Thierrée faisant le mime (on croit voir son grand-père), le spectacle reste toujours à hauteur d’homme, sensible.

James Thierrée au théâtre du Rond Point dans la Veillée des Abysses Tout n’est que rondeur et douceur, les corps coulent et épousent les choses pour le plaisir du mouvement, de la fluidité et de la sensualité. Le jeu et la poésie pure sont seuls maîtres à bord et semblent pouvoir suspendre le temps. James Thierrée nous parle d’un monde ancien, familier et chaleureux ; nous parle de l’enfance et des ses contes. Lorsqu’il s’élance vers le lustre au plafond comme un génie volant, on croirait voir une étoile filante.
Une fois de plus, à une salle comble, il aura offert, une heure trente durant, un moment de magie, l’essence du ravissement.

La Veillée des Abysses
Mise en scène James Thierrée
Avec Raphaëlle Boitel, Niklas Ek, Thiago Martins, Uma Ysamat, James Thierrée
Son : Thomas Delot, lumière : Jérôme Sabre
Costumes : Victoria Chaplin et Cidalia Da Costa
Jusqu’au 4 janvier 2009
Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt – Paris 8ème
A 20 h 30, dimanche à 15 h
Durée 1 h 30
Places de 10 € à 33 €

Images : La Veillée des abysses © Richard Haughton

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L'Art de Lee Miller au Jeu de Paume

L'art de Lee Miller au Jeu de PaumeElle connaît l’expérience de modèle très tôt, lorsque, adolescente, son père photographe amateur la fait poser nue. Très vite, elle devient mannequin vedette pour Vogue, dont elle fait la couverture en 1927. Les premières photos de cette exposition, qui en compte plus de cent quarante témoignent de la plastique parfaite de Lee Miller, bouche charnue, grands yeux rêveurs en amande, cheveux épais coiffés courts à la mode des années 1920, corps mince et souple magnifiant tous les vêtements. Elle fait craquer les plus grands, comme Steichen, Hors Hoyningen-Huene et surtout Man Ray, qu’elle conquit aussitôt installée à Paris en 1929. Si elle devient sa muse et sa compagne, c’est avec lui qu’elle s’initie à la technique de la photo dès cette époque. On dirait d’ailleurs qu’elle ne doit qu’à elle-même son plus beau portrait, avec cet Autoportrait en serre-tête (publié en 1933), d’une beauté classique et d’une douceur dignes des grands peintres italiens.
Mais son travail n’a pourtant rien de classique : si, lorsqu’elle monte son propre studio à New-York en 1932, ses clients sont les publicitaires et les grandes maisons de cosmétiques, si elle réalise des portraits pour le théâtre et le cinéma (magnifique Charlie Chaplin !), Lee Miller est très influencée par les expériences des surréalistes, notamment par le procédé de la solarisation. Surtout, elle adopte un regard qui lui fait préférer les points de vue les plus inattendus, les angles les plus étranges. Un esprit libre et original qui se lit tout particulièrement dans ses photographies d’Egypte, où la belle a vécu dans les années 1930, un moment l’épouse d’un riche Cairote : point d’image d’Epinal dans ce reportage d’un monde pauvre et déserté, mais l’esthétique d’une grande artiste qui a fréquenté l’avant-garde parisienne, Cocteau (elle a joué pour lui dans Le sang d’un poète), Dora Maar, Max Ernst, Picasso… Une modernité qui crève les clichés.
Rentrée d’Egypte en 1939 pour s’installer à Londres avec le peintre et photographe Roland Penrose, qu’elle épousera en 1947, Lee Miller reste une femme de son temps. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, elle obtient son accréditation de l’US Army et réalise des reportages en tant que correspondante de guerre en Normandie, à Saint-Malo, à Paris, en Alsace, mais aussi dans l’appartement de Hitler et les camps de concentration de Buchenwald et de Dachau. Des images qui créeront le choc dans l’édition américaine de Vogue en juin 1945.
Sur les exemplaires de la célèbre revue visibles au Jeu de Paume, l’on voit que Lee Miller signait également ses articles, d’une plume brillante, avec une sens du phrasé et de la formule séduisants (voir aussi les titres de certaines de ses photos, notamment celles prises en Egypte).
Pour finir l’exposition, un film documentaire confirme à quel point Lee Miller a su allier une vie de femme bien remplie à une carrière d’artiste accomplie, menant les deux avec un même désir d’indépendance.

L’Art de Lee Miller
Jusqu’au 4 janvier 2009
Galerie nationale du Jeu de Paume
1, place de la Concorde – Paris 1er
Du mer. au ven. de 12 h à 19h, mar. jusqu’a 21 h
Sam. et dim. de 10 h à 19 h
Fermeture le 25 décembre et le 1er janvier
Fermeture exceptionnelle à 18 h les 24 et 31 décembre
Entrée 7 € (Tarif réduit 4 €)

Image : Autoportrait, 1932, Lee Miller © Lee Miller Archives, England 2008. All rights reserved. www.leemiller.co.uk

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