En 2006 le prix Goncourt a été attribué à un roman, Les Bienveillantes, qui laisse le lecteur bien perplexe : son côté « documentaire », qui met en scène une grande tragédie historique, peut apparaître comme le plus intéressant, même au prix d’une lecture éprouvante, tandis que le côté « romanesque », lorsqu’il s’agit du destin individuel du narrateur, a beaucoup de mal à passer le cap de la vraisemblance.
Maxime Aue nous raconte son histoire d’officier nazi durant la deuxième guerre mondiale : pendant des centaines de pages nous sont décrites des scènes de massacres sur le front Russe. Si lui-même n’est pas censé participer activement aux tueries, il assure une fonction de renseignement de manière à garantir la sécurité de l’armée allemande au fur et à mesure de ses conquêtes. Il assiste aux exécutions de civils (Juifs essentiellement) sans états d’âme.
Il est blessé au cours de la défaite de Stalingrad (où il gagne promotion et décorations) et est chargé par la suite de l’évaluation de la main d’œuvre des camps de concentration. Finis, pour le lecteur, le sang et la cervelle qui giclent, nous passons aux corps décharnés, aux fumées nauséabondes et aux statistiques de mortalité. A cette occasion Aue est amené à fréquenter la crème des responsables nazis : Himmler, Eichmann, etc. Le roman paraît très documenté et nous fait participer de l’intérieur aux problèmes d’intendance : « Depuis que le Reichsführer a décidé d’affecter Auschwitz à la destruction des Juifs, nous n’avons que des problèmes. Toute l’année dernière nous avons été obligés de travailler avec des installations improvisées ».
Comment se présente à travers son récit Max Aue ? Un officier sérieux, homosexuel, à la psychologie perturbée par l’amour immodérée qu’il porte à sa sœur jumelle, et qui adhère, mais sans fanatisme semble-t-il, à l’idéologie génocidaire. Le lecteur peut ajouter au portrait son penchant pour les cadavres et la merde, et aussi l’hypothèse qu’il est le meurtrier de son beau-père et de sa mère. Quant à la façon dont il a tué son meilleur ami, il le raconte lui-même.
La fin du roman n’aide pas du tout à la vraisemblance d’un tel portrait. On a l’impression que Jonathan Littell se débarrasse à la va vite de son livre et de son sinistre personnage. Les péripéties finales sont dignes du final d’une modeste bande dessinée, comme s’il s’était rendu compte du caractère improbable de la rencontre entre l’Histoire et cet individu imaginé.
Andreossi
Les Bienveillantes. Jonathan Littell