Les poèmes de Jacques Prévert en BD

Les poèmes de Prévert en BDOn a parfois tendance à considérer Prévert à partir de nos souvenirs d’école, lorsqu’on récitait en choeur et par coeur Le cancre : des textes au langage simple destinés aux enfants.

Méconnaissance quasi-totale : les poèmes illustrés dans ce recueil sont pour certains d’entre eux d’une grande violence. La charge contre la religion, la guerre et la morale est sans appel. Il n’y a par exemple qu’à relire Sur le champ pour goûter la verve anti-militariste de Prévert.

Quant à son humour, il est souvent noir, voire saignant : avec L’orgue de barbarie, les dessinateurs s’en donnent à coeur joie. Ce poème donne lieu à deux interprétations, l’une assez effrayante de Gwendal Blondelle, l’autre beaucoup plus douce et féminine de Sophie Chaumard (d’une grande beauté).

Il faut dire que l’inspiration surréaliste et l’imaginaire du poète, mais aussi son extraordinaire sens de la narration se prêtent merveilleusement à la bande dessinée, que ce soit avec la poignante Chanson des escargots qui vont à l’enterrement, la terrifiante Chasse à l’enfant ou les tendrement ironiques Quelqu’un (restitué dans un vieux Paris impersonnel et triste) et Pour toi, mon amour.

Humaniste s’adressant à tous, Jacques Prévert est indémodable. Ses mots continuent de frapper par leur simplicité, leur musicalité, leur engagement et leur humour, comme dans Ne rêvez pas, dont l’actualité est mises en évidence par le dessin ultra-réaliste voire futuriste de Raphaël Gauthey :

Ne rêvez pas
pointez
grattez vaquez marnez bossez trimez
Ne rêvez pas
l’électronique rêvera pour vous
Ne lisez pas
l’électrolyseur lira pour vous
Ne faites pas l’amour
l’électrocoïtal le fera pour vous

Pointez
grattez vaquez marnez bossez trimez
Ne vous reposez pas
le Travail repose sur vous.

A découvrir dans :
Les poèmes de Jacques Prévert en bandes dessinées
Editions petit à petit
96 p., 15 €

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La Dame à la Licorne. Musée National du Moyen-Age

Chassons toute idée de l’oeuvre a priori, telle qu’elle peut résulter des pauvres reproductions plaquées ici ou là sur des tasses, des répertoires ou des serviettes en papier.
Ces choses-là n’ont évidemment rien à voir avec le chef-d’oeuvre du XVème siècle qu’est la La Dame à la Licorne, tenture composée de six tableaux, que l’on peut aller voir en vrai (et librement comme on sait) au Musée National du Moyen-Age à Paris.

Une salle lui est réservée, plongée dans la semi-obscurité comme il se doit (eu égard à la dimension onirique de l’oeuvre – en réalité pour des raisons de conservation bien sûr) mais éclairant notre Dame de façon satisfaisante.
Car cette tapisserie a tout pour susciter le rêve : son décor merveilleux fait d’une île bleue, d’un ciel rouge constellé de fleurs, de petits arbres mythiques (orangers, chênes, houx…). Mais aussi ses "personnages", animaux aux douces fourrures, familiers comme le lapin et le renard, ou sauvages comme le lion, la panthère et le guépard, mais au regard bienveillant. Et surtout, une licorne magnifique à l’air "intelligent" et attentif, mais non dénué d’ambigüité.

Au centre de chacun des six tableaux, une dame aux toilettes toutes différentes mais aussi élégantes et riches les unes que les autres, brocart, moire ou soie sans parler des bijoux… Elle évoque avec l’aide de ses compagnons, lion, singe et licorne chacun des cinq sens : le goût ; l’ouïe ; la vue ; l’odorat ; le toucher. La sixième tenture porte le beau nom de A mon seul désir. Elle est la plus mystérieuse et a donné lieu à de nombreuses interprétations.

Verticalité ; simplicité et splendeur des couleurs ; grâce des expressions ; innocence mêlée à un symbolisme très fort (1), ces scènes éblouissent et fascinent. On pourrait rester des heures à les contempler, comme pris au piège de ce monde fantasmatique et poétique imaginé il y a plus de cinq siècles par un dessinateur resté anonyme.

La Dame à la Licorne.
Musée National du Moyen-Age
Thermes et hôtel de Cluny
6, place Paul Painlevé – Paris 5ème
M° Cluny-La Sorbonne / Saint-Michel / Odéon
Bus n° 21 – 27 – 38 – 63 – 85 – 86 – 87
RER C Saint-Michel / l B Cluny – La Sorbonne
TLJ sf le mardi, de 9 h 15 à 17 h 45
Entrée libre jusqu’au 30 juin 2008

(1) Animal mythique, la licorne a un corps de chèvre et une tête de cheval surmontée d’une corne en forme de dent de narval. Douée d’une rapidité et d’une force prodigieuses, elle ne pouvait être capturée que grâce à une jeune fille. Fréquemment représentée dans l’iconographie médiévale, elle est à la fois un symbole religieux – une figure du Christ – mais aussi un symbole profane – celui de l’amant.

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Trésors de Slovaquie orientale aux Jacobins de Toulouse

Trésors de Slovaquie orientale, exposition aux Jacobins à ToulousePeu connues hors de leur pays d’origine, ces très belles oeuvres de l’art sacré slovaque du XIVème au XVIIIème siècles témoignent d’une histoire locale originale.

Contrairement au reste de l’Europe, cette région, pointe extrême du catholicisme en territoire orthodoxe, isolée du reste du continent en raison de nombreux conflits, n’a pas connu la Renaissance.
Ainsi l’art médiéval a subsisté jusqu’au XVIIIème siècle, époque où le gothique a directement cédé sa place au Baroque.

Puisant leur inspiration aux sources du gothique français et allemand, les artistes slovaques en ont donné de magnifiques interprétations, en particulier sur des sculptures en bois polychromé et doré et des meubles liturgiques.
Le thème de la Vierge à l’enfant est très présent. De ces statues de dimension modeste, au visage rond et bien dessiné, au nez fin, se dégage une grande douceur.
Les statues du Christ sur la croix, corps tordu et traits sobrement expressifs, sont également remarquables, notamment une statuette datée de 1400, dont la simplicité et l’économie de moyens n’ont d’égal que la beauté.
Au fil de l’exposition, le travail de sculpture sur bois suscite systématiquement l’admiration, que ce soit pour le rendu des draperies, la polychromie mais aussi pour l’émotion que l’on ressent à contempler ces oeuvres.
L’influence orientale est très visible, avec l’emploi de motifs géométriques et en arabesques, l’utilisation de l’or, notamment sur des stalles en bois peint du XVème siècle et une porte en fer forgé de la même époque.

Les exemples baroques en fin de parcours, style importé à partir de 1650 par des artistes venus d’Italie et d’Autriche, ont tendance à faire regretter ce gothique tardif slovaque. Les oeuvres deviennent massives et puissantes, comme pour mieux imposer la puissance de l’Eglise catholique. L’autel de près de quatre mètres de haut, daté de 1676 est presque caricatural avec son accumulation de statues et d’éléments décoratifs, présentant en son centre d’une façon quelque peu exubérante la scène de Daniel assis dans la fosse au milieu des lions rendus inoffensifs par l’intervention divine.
Une sculpture de Saint-Martin à cheval partageant son manteau réserve la surprise par sa représentation du pauvre bénéficiaire du don, éclopé au visage émacié et au regard implorant, dont on croit entendre le cri s’échapper de sa bouche grande ouverte. Saisissant.

Trésors de Slovaquie orientale – Du Moyen-Age au Baroque, XIVe – XVIIIe siècles Ensemble conventuel des Jacobins
Jusqu’au 24 mars 2008
TLJ de 10 h à 19 h
Entrée par l’église des Jacobins
Rue Lakanal – 31000 Toulouse
M° Capitole, Esquirol
Tarif 5 € (TR 2,50 €)

Image : Saint Ladislas, Statue en bois polychrome, 1520 (Kosice, Musée de Slovaquie Orientale)

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La graine et le mulet. Abdellatif Kechiche

La graine et le mulet, Abdellatif KechicheC’est peut-être le film qu’on attendait sans le savoir. Celui qui surprend parce qu’il parvient à exprimer ce qu’on n’aurait osé espérer : le courant de la vie même, son côté imprévisible, ce qu’elle contient de brouillon sans jamais laisser la possibilité de refaire "au propre".
Ce moment pris sur le vif se passe à Sète, où l’activité portuaire et ses difficultés laissent Slimane sur le carreau. Travailleur immigré des années 1970, on lui fait comprendre qu’à soixante ans passés il est devenu trop usé pour suivre les rythmes exigés.
Il décide alors d’installer un restaurant sur un vieux rafiot. Spécialité : couscous au poisson. Autour de lui : ses amis issus du travail et/ou de la communauté, ses enfants, son ex-femme, sa compagne et la fille de celle-ci, Rym.
La graine et le mulet n’est donc pas simplement l’histoire de Slimane. Il est aussi celle de sa famille et de ses amis qui vont l’aider à aller au bout de son projet, sa réussite devenant plus ou moins spontanément l’affaire de tous.
Mais elle est d’emblée surtout celle de Rym, très décidée à pousser les portes administratives, politiques et financières qui auraient naturellement tendance à vouloir laisser Slimane sur son quai d’ouvrier des chantiers navals.
Très décidée aussi à contrer le vent des grands fistons, qui renverraient bien leur père au bled.
Bref, une graine d’intelligence et de sensibilité, un brin de caractère trempé, enrobés d’une irrésistible spontanéité qui sait se policer quand il faut.
Interprétée par une Hafsia Herzi qui crève l’écran, Rym forme avec Slimane un duo filial très attachant. Mais c’est à tous ses personnages qu’Abdellatif Kechiche nous attache. Car il prend le temps de les faire exister, de nous les montrer manger et vivre, de nous les faire entendre parler et crier.
Il prend tout le temps qu’il faut. Et il a raison, car dans la vie certains moments durent longtemps. Un déjeuner dominical, cela dure longtemps. Une crise conjugale, cela dure longtemps. Un couscous qui n’arrive pas au restaurant, cela peut être long aussi.
Mais le spectateur ne s’ennuie pas une seconde, non seulement parce qu’il est embarqué dans cette vie-là, mais encore parce qu’il a aussi la place de vivre en tant que spectateur : pendant la dernière scène, aussi longue que géniale, il imagine différentes possibilités, différentes issues.
Il est bien là et n’a aucune envie que le rythme accélère.
Il faut un sacré culot pour filmer cela, et de cette façon-là.

La graine et le mulet. Abdellatif Kechiche
Avec Habib Boufares, Hafsia Herzi, Faridah Benkhetache…
Durée : 2 h 31 mn
Distribué par Pathé Distribution

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Le Dernier voyage du juge Feng. Liu Jie

Le dernier voyage du juge FengLe juge Feng part rendre la justice dans les communautés reculées de la République populaire de Chine.
Une femme et un jeune homme l’accompagnent : ils sont la greffière bientôt mise en retraite anticipée et le juge stagiaire tout droit sorti de l’Université. Un vieux cheval de bât porte les dossiers et l’insigne national.
Drôle d’équipée que ce tribunal itinérant qui parcourt les montagnes pour rendre au nom de l’Etat une justice acceptable par les paysans dont les attentes et la notion d’équité sont aussi diverses que le sont les coutumes des différents villages.
Ici, deux belles-soeurs ne se parlent plus à cause d’un vase ; là, le cochon de l’un a déterré les ossements des ancêtres de la famille voisine. Plus loin, c’est une épouse abandonnée qui ne veut pas quitter l’ex-domicile conjugal qui pourtant appartient à la famille de son ancien conjoint.
Il faut un talent infini pour non pas imposer, mais faire accepter une décision "juste", c’est-à-dire ressentie comme légitime par les parties opposées dans ces communautés repliées sur elles-mêmes, qui se déchirent à grands cris et dont les conflits non réglés se transmettent de génération en génération.
Le juge Feng a ce talent-là, mélange d’écoute, d’observation, de connaissance et de respect des rites, de recherche obstinée du dialogue, mais aussi d’autorité. La greffière l’épaule, le complète, le prolonge et prend carrément le relais avec sa propre sensibilité quand la diplomatie et la patience du juge trouvent leur limite.
Le tout jeune magistrat ressemble à première vue au "juge en bois brut" fraîchement moulé par l’école.
Tous trois vont alors former un passionnant trio : sorte de couple pour les deux plus anciens, "filiation" plus refusée qu’acceptée entre eux et le stagiaire. Le soir autour du feu, lorsqu’ils s’étendent pour dormir à même le sol, après avoir dîné d’une pomme de terre cuite sous la cendre, les conversations glissent imperceptiblement du professionnel au personnel. Ces moments donnent lieu à des scènes magnifiques, où les visages ne sont éclairés que par les éclats des flammes de l’âtre, où l’humour et la taquinerie dissimulent avec pudeur une grande tendresse.
Le film soulève beaucoup de questions : sur les rapports Etat-communautés, la laïcité et les croyances, la culture moderne urbaine et les cultures traditionnelles rurales, sur ce qui est dit et ce qui est tu ; mais aussi sur les relations hommes-femmes, sur la transmission, sur le rapport au travail, sur la justice bien sûr et sur les sentiments familiaux, amicaux et amoureux.
Une richesse de thèmes traités avec finesse, où le rire côtoie une émotion contenue, où toutes les scènes sont filmées avec délicatesse, où l’on voyage très loin avec des personnages et dans des lieux auxquels on croit, et où la beauté des montagnes de Chine ne devient jamais prétexte à esthétisme.
Ce que l’on appelle un très, très beau film.

Le Dernier voyage du juge Feng
Un film chinois de Liu Jie
Avec Baotian Li, Yulai Lu, Yang Yaning
Durée : 1 h 41
Sorti le 3 octobre 2007
Encore projeté dans 11 salles en France (voir sur allocine.fr)

Distribué par Pierre Grise Distribution
On peut lire sur ce site un entretien avec Liu Jie, ancien directeur de la photo et dont Le Dernier voyage du juge Feng est le premier long métrage en tant que réalisateur. Sélection officielle Orizzonti Venise 2006, Prix Premiers Horizons

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Petit éloge de la douceur. Stéphane Audeguy

Petit éloge de la douceur, Stéphane AudeguyVoici un livre qui permet d’oublier vite fait bien fait la sale humidité de janvier.
Dans ce recueil de petits textes déroulés à la façon d’un abécédaire, Stéphane Audeguy dresse l’inventaire des « douceurs » de la vie.
Qu’on ne s’y méprenne, la douceur n’est pas mièvrerie, ni résignation ; encore moins régression du côté de la guimauve et des doudous. Le propos d’Audeguy, ô combien délectable, est « d’appeler ici douceur l’ensemble des puissances d’une existence libre ».
Le programme est donc tout ce qu’il y a de plus actif : une pensée, une volonté, une vigilance, des choix. C’est ainsi que d’Amitié à Transgression (en cinq lignes superbes), en passant par la Cuisine (« art des délicatesses »), le Silence, les Tapas, les « beaux Jardins démocratiques de Gilles Clément », ou encore bien sûr la Lecture (« la plus subtile, la plus tendre, la plus raffinée, la plus raffinante de toutes les activités »), Stéphane Audeguy pointe du doigt ces petites et grandes choses dans lesquelles on s’apaise et se retrouve.
Citant Barthes et Nietzsche à point nommé, il ne s’interdit pas quelques flèches à l’encontre de « la haine petite bourgeoise… à l’égard de toutes les différences », ou encore de l’usage du sac à dos dans le métro, observant qu‘« un nombre grandissant d’individus négligent de s’interroger sur leur encombrement ».
Beau, frais et drôlement bien tourné.

Petit éloge de la douceur. Stéphane Audeguy
Folio Gallimard, 2 €

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L'atelier d'Alberto Giacometti. Centre Pompidou

L'atelier d'Alberto Giacometti, centre PompidouIl faut absolument aller voir cette exposition mise en place au Centre Georges Pompidou jusqu’au 11 février 2008 (de préférence le soir en semaine pour des questions de fréquentation), dont on peut dire d’emblée que la scénographie est à la hauteur du programme : magnifique de clarté d’espace et de lumière. Et son parcours laisse une large liberté au visiteur.

Recréer l’atelier d’Alberto Giacometti, c’est non seulement embrasser son oeuvre, mais surtout montrer le processus créatif de l’artiste. L’exposition est d’autant plus éloquente qu’elle suscite davantage de questions qu’elle ne propose de solutions au "mystère" Giacometti. C’est au visiteur, à qui il est donné d’admirer dans un même mouvement quarante années de création, qu’il revient d’ébaucher des débuts de réponses à propos de celui qui n’a eu de cesse d’explorer.
Car durant toute sa vie, le sculpteur et peintre suisse d’origine italienne a cherché inlassablement dans la même direction, autour du même sujet : celui de la représentation de l’homme. Ses modèles sont presque toujours les mêmes, son frère Diego, sa femme Annette. Un homme, une femme.
Peu lui importait, semble-t-il, la personne. A quelques exceptions près, telles Simone de Beauvoir et Marie-Laure de Noailles en 1946, il ne figurait pas des "personnalités". Ce qui ne l’empêchait pas d’exceller à en exprimer les traits, comme les cinq têtes en plâtre de Rita (1938) le montrent : malgré les expressions différentes, ce qui frappe, c’est l’impression de capter "l’essence" de Rita.
Visiblement, l’action, la narration, la psychologie, les sentiments ne l’intéressaient pas. Mais l’expression de la vie, oui. Du moins c’est l’impression que l’on a lorsqu’on observe les sculptures placées au coeur de l’exposition ("l’atelier" lui-même).
Il y a bien sûr le formidable mouvement de L’Homme qui marche (1960), mais encore la magnifique série des Grandes femmes (1959) : immobiles, les bras le long du corps, en station, elles attendent ; elles sont tout sauf inanimées.
Chez Giacometti, les corps sont élancés et les courbes marquées, les épaules droites et les ports de tête hauts. A cet idéal de perfection classique il allie l’imperfection totale, avec ses sculptures qui ont toujours l’air d’être plus ou moins inachevées, ébauchées, en devenir. Très humaines en somme.
Comme si l’artiste avait asséché, émacié la matière et les représentations pour aller trouver "près de l’os" la substantifique moëlle humaine, ce dont l’homme est fait, cet homme infiniment perfectible. Comme si dans sa quête de la représentation de l’homme, Giacometti, en se demandant "qu’est-ce que je vois de l’homme ?" cherchait à répondre à la question "qu’est-ce que l’homme ?".

L’atelier d’Alberto Giacometti.
Collection de la fondation Alberto et Annette Giacometti
Jusqu’au 11 février 2008
Centre Georges Pompidou
TLJ sf le mardi de 11 h à 21 h, le jeudi jusqu’à 23 h
Entrée 10 € (TR 8 €)
Catalogue, 420 p., 39,90 €, album, 60 p., 8 €
Découvertes Gallimard, 160 p., 14 €

Image : Nu debout sur socle cubique, 1953, Coll. Fondation Alberto et Annette Giacometti, Paris, © Adagp, Paris, 2007

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Bonjour New York. Françoise Sagan

Bonjour New York, Françoise Sagan, l'HerneNew York, Capri, Naples, Venise… elle y est allée, elle a vu, ressenti.
Elle a vécu quelques jours, quelques semaines dans ces villes mythiques, le temps parfois d’y prendre ses habitudes. Elle ne prétend pas connaître. Elle n’en fait pas un roman. Elle nous offre simplement son regard.

Quand Françoise Sagan s’est fait ainsi "reporter" pour le magazine Elle dans les années 1950, cela donnait :

Car New York est aussi une grande école. C’est à New York que débarquent d’Europe les étrangers. Vingt races différentes qu’il va falloir transformer en Américains. (…) Tous ont adopté ces interpellations à la fois courtoises et barbares, ces sourires vides, cette vraie cordialité, si généreuse, cette assurance de faire partie d’un tout, ce souci de l’uniformité.
Un peu plus loin :
A quel coin de rue commence l’Amérique, qui n’y renonce jamais ? On n’efface pas si facilement de la mémoire les souvenirs de la douce et vieille Europe, de l’amère et vieille Asie. Sur les trottoirs de New York, le regard ricoche comme des cailloux sur une eau grise, allant d’une rive du monde à l’autre. (…)
Sans doute parlera-t-on des défilés de fierté nationale, et du sentiment triomphant, parfois pénible d’être américain. Mais en fait ce porte-à-porte, ce frontière-à-frontière n’est qu’une traversée de nostalgies en nostalgies.

Le recueil ne compte qu’une cinquantaine de pages, petites et imprimées en gros caractères. Autant dire que le commencer est déjà le finir. Mais deux jours après on a envie de le relire. Car Françoise Sagan n’écrivait comme personne. Elle avait le brio involontaire et l’élégance évidente. Elle conciliait l’acuité du regard à une légèreté profonde. Sa singularité, sa plume précise et son souffle efficace séduisent encore et toujours. La retrouver avec ces petits carnets de voyage est un pur bonheur.

Bonjour New York. Françoise Sagan
L’Herne (2007)
54 p., 9,50 €

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Parlez-moi d'Amour ! au Musée des lettres et manuscrits

Parlez-moi d'amour ! Exposition au musée des lettres et manuscritsMots doux ou enflammés, mais mots toujours lyriques, à la fois si près du ridicule et si beaux. Que ne donnerait-on pas pour être dans l’état qui fait jaillir ce mouvement fou, ces mots maladroits, magnifiques, poétiques ?

Cette exposition de lettres et poèmes d’amour où, de Hugo à Piaf en passant par Apollinaire ou Picabia, les plus grands côtoient les plus célèbres voire les plus costauds, est à visiter tranquillement, au calme. Une ambiance que le Musée des lettres et manuscrits, dans un hôtel particulier retiré au fond d’un passage entre l’Odéon et la Seine, réserve à ses visiteurs heureux initiés.

Sous les vitrines, l’encre, les mots manuscrits, le papier vieilli et les sentiments si forts de tous ces disparus : l’émotion venue du passé ne tarde pas à renaître et très vite nous gagner. Magie de l’écriture.
Et des belles histoires, venues d’"anonymes" aussi, comme celle d’Alfred Roselau qui, durant le Siège de Paris en 1870-71, écrit à son épouse installée dans leur château d’Aubusson deux lettres par jour. N’ayant pas confiance dans le nouveau système postal du ballon monté, il affranchit ses lettres, inscrit au recto "A remettre à la Poste de France" et les attache à un ballon de baudruche qu’il laisse s’envoler de son balcon du 23 rue des Gravilliers dans le 3ème arrondissement de Paris. Il paraît que certaines sont arrivées à son heureuse destinataire…

Mais le clou de l’exposition est assurément la révélation au public d’un manuscrit exceptionnel. Il s’agit des lettres qu’Antoine de Saint-Exupéry a adressées, jusque dans les derniers mois avant sa disparition, en 1944, à une inconnue qu’il avait rencontrée dans le train et dont il était tombé immédiatement amoureux. La belle, mariée et enceinte, l’avait éconduit. Cet ensemble de douze feuillets, dont la moitié est ornée de dessins à l’aquarelle de l’artiste, est poignant au possible. Sur l’un des premiers, à côté du Petit Prince, on peut lire "Il était triste et donc injuste. J’ai cassé tout ce qu’il disait mais j’ai gardé le dessin parce qu’il est tellement ressemblant… Il n’est pas si méchant que ça mais il est tellement mélancolique".

Et puisqu’il est naturellement impossible de tous les citer, finissons sur ces mots écrits par Romain Gary à son amie Christel Kryland : "Et rien jamais, ni le mariage, ni l’amour ni les enfants ne te rapprocheront de moi plus que ça : l’effort d’être un homme".
Et voilà.

Parlez-moi d’Amour !
Exposition prolongée jusqu’au 18 mai 2008
Musée des lettes et manuscrits
8, rue de Nesle – Paris 6ème (M° Odéon, St-Michel, Pont-Neuf)
Du mar. au ven. de 10 h à 20 h, les sam. et dim. de 10 h à 18 h
Entrée 6 € (TR 4,50 €)
Programme des manifestations autour de l’exposition sur le site

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Le chant du monde, l'art de l'Iran Savafide 1501-1736

Le chant du monde, l'art de l'Iran safavide, musée du LouvreL’aspect éminemment décoratif de cette exposition justifierait à lui seul sa visite. Mais les amoureux du symbolique et de la poésie liront avec profit les explications et les cartels du début pour apprécier la portée des objets et livres qu’elle présente.

Car l’art développé sous la dynastie safavide, qui régna sur le monde iranien de 1501 à 1736 était avant tout métaphorique. Ses motifs traduisent les mythes développés dans la littérature persane pour célébrer la beauté de l’univers, création divine.

C’est ainsi que la forme circulaire des plats et des bassins à vin symbolise la voûte céleste (elle-même symbole de l’univers) ; la fleur ou la rosace placée en leur centre le soleil ; le nuage stylisé le ciel printanier.

Ces thèmes ne sont pas apparus avec le monde islamique, mais sont issus de l’Iran ancien, antérieur de plus d’un millénaire à la révélation du Coran.
Celui des libations par le vin en est un exemple significatif. Substitué au rite de libation par le sang, aboli au début du premier millénaire avant J.-C., le banquet de libation de vin était très important à la cour iranienne. Il ponctuait les grandes fêtes, comme celle du nouvel an ou celle de rupture du jeûne.
L’art safavide en est très imprégné, que ce soit à travers les objets : bassins à vin, coupes, aiguières en forme d’oiseaux évoquant l’ancien rite sacrificiel, plats ornés de grenades et de coings consommés lors de ces libations ; mais aussi dans l’art du livre. Les peintures de manuscrits montrent le souverain et sa cour célébrant le banquet dans un cadre idyllique, herbe vert émeraude, ciel bleu lapis, arbres en fleurs, oiseaux, fruits, tapis et musiciens…

A noter que, tout comme l’exposition Chefs-d’oeuvre islamiques de l’Aga Khan Museum organisée au Louvre au même moment, celle-ci présente des pages du fameux Shâh Name (Livre des rois) de Shâh Tahmâsp, chef d’oeuvre de la peinture de manuscrit avec son débordement de couleurs bleues, mauves, roses et vertes, sa finesse, sa délicatesse… (lire le billet du 13 décembre).

Le chant du monde, l’art de l’Iran Savafide 1501-1736
Musée du Louvre
Jusqu’au 7 janvier 2008
TLJ sf le mar., de 9 h à 18 h et jusqu’à 22 h mer. et ven.
Entrée 9,50 €
Catalogue, 469 p., 42 € et album de l’exposition, 8 €
(coéditions musée du Louvre/Somogy)
Voir également le mini-site de l’exposition

Image : page du manuscrit du Shāh-Nāme de Shāh Tahmāsp : Zāl à cheval lève les yeux vers l’aire du Sīmorgh (page de manuscrit peinture, Washington, Arthur M. Sackler Gallery, Inv. LTS 95.2.46)

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