Traces du sacré. Centre Georges Pompidou

exposition traces du sacré au Centre PompidouQue faire lorsqu’après avoir passé 2 heures dans une exposition présentée comme réunissant des oeuvres exceptionnelles autour d’un thème inédit, vous en ressortez au bord de la nausée, avec le sentiment de n’avoir rien vu de beau et une idée de son propos aussi vague qu’avant d’y entrer ?

Y penser un peu ; laisser reposer une semaine ; voir alors ce qu’il en reste.
D’abord, l’éblouissement de la première salle Trace des dieux enfuis. A la fin du XVIIIème et au cours du XIXème siècles, des artistes proclament que Dieu est mort et enterré : Nietzsche, Germaine de Staël, Munch et surtout Goya avec sa magnifique gravure issue de la série Les désastres de la guerre, intitulée Rien, c’est ce qu’il dira. Après son passage "de l’autre côté", un cadavre nous délivre ce message laconique : Nada. Il n’y a pas d’autre monde. Il n’y a rien. (1)

Mais il était bien sûr impossible d’en rester là, de contempler tranquillement cette béance.
C’est ainsi que de Nostalgie de l’infini à L’ombre de Dieu, l’exposition parcourt les différentes réponses que les artistes ont essayé de proposer tout au long du XXème siècle à leurs questionnements spirituels une fois débarrassés des dogmes religieux.
Et il s’agit dès lors pour le visiteur de tenter de s’accrocher vaille que vaille à cet interminable magma utopico-cosmico-ésotérique (ou quelque chose comme ça).

Naturellement, la grandiloquence est souvent au rendez-vous ; la laideur hélas presque autant ; quant aux voix psalmodiant d’entêtantes prières, elles ne laissent à aucun moment les oreilles en repos.
Les créations psychédéliques peuvent éventuellement divertir. Le reste, pas du tout.
Avec les abominations du XXème siècle, l’on passe de la question du rapport au divin à celle de la définition de l’humanité, ce que soulignent les effrayantes oeuvres de l’entre-deux-guerres, puis celles qui évoquent les horreurs de la Seconde.

Plus loin, une partie de l’exposition est consacrée à des happenings d’artistes mettant en scène des rituels sacrificiels et autres cérémonies mystiques n’excluant pas la communion. La provocation n’est évidemment jamais loin. Ainsi, en novembre 1969, Michel Journiac, à l’occasion de la Messe pour un corps célébrée dans la galerie Templon proposait à ses (fidèles) spectateurs des hosties constituées de rondelles de boudin frit élaboré avec son propre sang.
Ce n’est qu’un exemple. L’exposition clôturée sur une légèreté de ce ce genre, l’on en a presque oublié les Kandinsky, Chagall, Matisse, Beuys, Picasso vus au fil du parcours. De très belles oeuvres assurément. Ailleurs, on les aurait adorées.
Ici, elles ont semblé plombées, parfois d’une violence excessive (typiquement, la série mythologique de Picasso autour du minotaure, qui peut être lue de façon plus ambigüe que ne le fait le commentaire de l’exposition).

Une semaine après, il reste une autre image de cette visite ; celle qui saisit en sortant de la salle : la splendeur des toits de Paris à perte de vue sous le soleil rougeoyant. Puis la redescente vers la ville, son bitume et ses pavés grouillants. Qu’elle est belle cette descente-là, qu’il est bon de retrouver la chaussée, son air pollué, ses bruits ordinaires et ses impures odeurs.

Traces du sacré
Centre Pompidou
Jusqu’au 11 août 2008
TLJ sauf le mardi de 11 h à 21 h
Entrée 12 € (TR 9 €)

(1) Encore quelques jours pour aller voir l’exposition  »Goya graveur » au Petit-Palais, autrement plus nourrissante que celle-ci

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Dictionnaire amoureux de Venise. Philippe Sollers

Philippe Sollers, Dictionnaire amoureux de Venise, PlonAvec ce dictionnaire, Philippe Sollers asseoit définitivement son statut d’inconditionnel de Venise, déjà largement annoncé dans ses romans.
L’amoureux fou de la Sérénissime lui associe ses autres passions : Nietzsche ; le XVIIIème ; la musique.

Voici donc Casanova, Charles de Brosse, cité longuement et avec délices, mais aussi Zorzi Baffo, ce haut magistrat qui écrit des poèmes obscènes, Canaletto, Guardi, Tiepolo bien sûr (les autres peintres vénitiens sont traités avec autant d’égards).
Et Vivaldi, qui revient sans cesse ; et la grâce de Cecila Bartoli ; ou encore l’inoubliable entrée de l’auteur à la Fenice… Il parvient même à réunir Nietzsche et Proust après avoir restitué un poème du premier et reproché à Paul Morand de s’être par trop arrêté à la Venise du deuxième.

Lorsqu’il revient à l’auteur de La Recherche, à nouveau retour au texte, largement : plaisir de reproduire et de savourer une fois de plus le superbe flot de mots en le donnant en partage – "Il faudrait tout citer, je m’arrête". Evidemment, il continue.

L’on retrouve avec bonheur les embardées de Philippe Sollers, qui font le charme de son écriture en nous faisant entr’apercevoir un autre possible.
Rites, délicieuses habitudes, mais aussi liberté, mouvement, joyeuse imagination :

L’iconographie d’une époque est trompeuse (surtout pour le XIXème siècle et ses photos en noir et blanc). La mort photographique ment : elle nous oblige à voir en Nietzsche un fanatique moustachu, et en Proust un petit monsieur genre Chaplin frileusement recroquevillé dans un fauteuil au bord du Grand Canal. Bientôt, leurs mères viendront prendre soin de ces grands malades décalés et sombres. Ajoutez une soeur et le bouclage est complet.
Nietzsche, en forme et rasé de près, assis au soleil sur la place Saint-Marc (au Florian si vous voulez), Proust, le souffle léger, marchant à grands pas sur les quais (lui aussi sans moustaches), voilà qui est plus près de ce qu’ils ont vécu et écrit que des épinglages de pseudo-identité morbide.

En fin de dictionnaire, la notice consacrée à Vivaldi et avec elle l’improbable situation de Nietzsche écoutant du Vivaldi, et livrant le commentaire suivant :
"Les pieds ailés, l’esprit, la flamme, la grâce, la grande logique, la danse des étoiles, la pétulance intellectuelle, le frisson lumineux du sud – la mer lisse – la perfection."

Dictionnaire amoureux de Venise. Phlippe Sollers
Plon (2004), 486p., 22 €

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Petit éloge de la douceur. Stéphane Audeguy

Petit éloge de la douceur, Stéphane AudeguyVoici un livre qui permet d’oublier vite fait bien fait la sale humidité de janvier.
Dans ce recueil de petits textes déroulés à la façon d’un abécédaire, Stéphane Audeguy dresse l’inventaire des « douceurs » de la vie.
Qu’on ne s’y méprenne, la douceur n’est pas mièvrerie, ni résignation ; encore moins régression du côté de la guimauve et des doudous. Le propos d’Audeguy, ô combien délectable, est « d’appeler ici douceur l’ensemble des puissances d’une existence libre ».
Le programme est donc tout ce qu’il y a de plus actif : une pensée, une volonté, une vigilance, des choix. C’est ainsi que d’Amitié à Transgression (en cinq lignes superbes), en passant par la Cuisine (« art des délicatesses »), le Silence, les Tapas, les « beaux Jardins démocratiques de Gilles Clément », ou encore bien sûr la Lecture (« la plus subtile, la plus tendre, la plus raffinée, la plus raffinante de toutes les activités »), Stéphane Audeguy pointe du doigt ces petites et grandes choses dans lesquelles on s’apaise et se retrouve.
Citant Barthes et Nietzsche à point nommé, il ne s’interdit pas quelques flèches à l’encontre de « la haine petite bourgeoise… à l’égard de toutes les différences », ou encore de l’usage du sac à dos dans le métro, observant qu‘« un nombre grandissant d’individus négligent de s’interroger sur leur encombrement ».
Beau, frais et drôlement bien tourné.

Petit éloge de la douceur. Stéphane Audeguy
Folio Gallimard, 2 €

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