Le livre au Grand Siècle. Sous l'emprise de la Monarchie absolue (4/4)

Suite et fin de la conférence sur l’histoire du livre au XVII° siècle

vierges sagesL’épisode d’insubordination de La Fronde précipite la reprise en main par le pouvoir central des Parlements de province, et donc des libraires.

Louis XIV et ses ministres remettent de l’ordre dans les métiers du livre parisiens (l’instauration d’un numerus clausus fait disparaître les petits ateliers), y placent des « personnages de confiance ».
Sébastien Cramoisy, un des plus grands imprimeurs-libraires du XVII° siècle sera imprimeur du roi, de la Compagnie de Jésus, des Hôpitaux, et le premier directeur de l’Imprimerie royale à sa création en 1640 ; Antoine Vitré est également imprimeur-libraire du roi et du clergé.
Cette nouvelle élite de libraires parisiens exerce auprès du roi un véritable lobby pour écarter au maximum la concurrence de la province.
Pour favoriser ses protégés, la grande Chancellerie royale utilise alors l’arme des privilèges de librairie : concédés par le roi, ils assurent à leurs bénéficiaires un monopole temporaire.
Mais les Parlements de province en avaient octroyé également : Louis XIV, avec l’aide de ses intendants tente d’y mettre bon ordre et renouvelle les privilèges royaux pour des durées de plus en plus longues.
A la fin du XVII° et au XVIII° siècle, la continuation des privilèges sera la norme : transmissibles, ils assureront aux éditeurs parisiens une véritable « rente éditoriale ».

Un autre aspect de la politique culturelle centralisatrice de Louis XIV est l’institution d’une série d’établissements stables destinés à encadrer la vie de l’esprit, à Paris en particulier : l’Académie française, créée par Richelieu en 1635, l’Académie royale, le réseau des Académies royales, l’Observatoire de Paris, la Comédie française.
Ils s’ajoutent à des institutions plus anciennes comme le Collège royal, le Jardin du Roy, où travaillent des savants chargés de l’histoire naturelle.
Louis XIV instaure également les pensions, qu’il octroie à des gens de lettres, des savants ; la censure préalable (l’Académie française est une pépinière de censeurs mis à la disposition de la Chancellerie pour examiner les livres) ; la confiscation des périodiques (les journalistes et rédacteurs sont choisis par le roi, notamment au sein de la même Académie …).

Progressivement, le roi devient donc le mécène unique de la vie culturelle nationale.

De leur côté, les auteurs – Boileau, les frères Corneille, Molière, les frères Perrault …– ont approuvé cette dépendance, qui était le moyen pour eux d’obtenir le plus grand rayonnement possible et la garantie d’une reconnaissance sociale.

Si les auteurs classiques ont joué le jeu, l’absolutisme royal va conduire les plus audacieux à se réfugier dans les marges. Deux possibilités s’offrent alors aux non-conformistes : la clandestinité provinciale (ce sera le cas de Pierre Le Pesant de Boisguilbert, lieutenant général de police de Rouen, écrivain fondateur de l’économie politique, mais aussi du Maréchal Vauban) ou la clandestinité étrangère.
Se font ainsi publier à l’étranger : Antoire Arnauld, dit « le Grand Arnauld », théologien, chef de file du parti janséniste ; Richard Simon, fondateur de la critique biblique ; Antoine Furetière, abbé, écrivain et lexicographe : son dictionnaire, concurrent du dictionnaire royal, est mal vu en France. Il confie donc le manuscrit aux Pays-Bas.
C’est pourquoi son Dictionnaire universel, pionnier de la lexicologie française est d’abord édité à l’étranger !

A Rouen, avec l’aide des pouvoirs locaux, les imprimeurs-libraires essaient de battre en brèche les privilèges parisiens : sont ainsi mis sur le marché, en toute illégalité, des ouvrages peu chers, copies des éditions parisiennes, mais aussi des éditions prohibées.
Cette opposition, à la fin de la monarchie de Louis XIV, entre les imprimeurs locaux et l’Imprimerie royale entraîne des perquisitions, saisies, procès, embastillements …

Jusqu’à ce qu’en 1709 l’abbé Bignon, directeur de la Librairie près le chancelier de France, considérant que cette situation va finir par perturber le royaume, décide d’instaurer des tolérances, qui sont des permissions tacites, des autorisations d’imprimer délivrées par la direction de la Librairie, sans pour autant que la mention de celle-ci y figure.
Cette situation, un peu hypocrite, durera tout au long du Siècle des Lumières, notamment sous la direction de Malesherbes.

Le livre au Grand Siècle.
Bibliothèque Nationale de France
Cycle Histoire du livre, histoire des livres
Conférence de Jean-Dominique Mellot,
Service de l’inventaire rétrospectif
Conférence du 8 mars 2007
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Le livre au Grand Siècle. De nouvelles cartes (3/4)

Suite de la conférence sur l’histoire du livre au XVII° siècle.

vierges follesAu cours du XVII° siècle, la carte de la production de livres se redessine, tant au niveau des pays d’Europe que sur le royaume de France.

L’arc de prospérité lombardo-rhénan perd de sa puissance : l’Italie du Nord – Venise – en particulier décline.

La production imprimée de l’Allemagne et du centre de l’Europe s’effondre : la Guerre de Trente ans a porté un coup aux grandes foires de Francfort et de Cologne, et donc à un important commerce du livre.

La nouvelle répartition des axes commerciaux va frapper durement la Suisse et Lyon.
En revanche, elle profitera aux Pays-Bas du Nord qui viennent d’acquérir leur indépendance, ainsi qu’à la France.

Les Pays-Bas du Nord sont le phare de la production éditoriale du XVII° siècle.
Dans ce pays de tolérance – calviniste mais accueillant vis-à-vis des autre religions – où une grande diversité d’auteurs et d’imprimeurs cohabitent, la dynastie Elzévir multiplie les publications de grande qualité : publications classiques, publications savantes, grands succès de la littérature française ; mais également publications prohibées en France.

La France devient pour sa part le centre de gravité de l’édition européenne et ce pour de multiples raisons :

Raisons géographiques : la façade atlantique est particulièrement favorisée dans les échanges commerciaux.
Démographiques : avec 20 millions d’habitants, la France est le royaume le plus peuplé d’Europe.
Des réseaux des villes répartis sur tout le territoire et ceux des collèges jésuites qui assurent un marché éditorial important, une capitale qui s’intensifie au cours du siècle.
Après les guerres, le royaume retrouve une stabilité politique avec la montée en puissance de l’absolutisme bourbon.
Culturellement, la Fance atteint une certaine maturité : seulement 20 % des éditions sont latines, ce qui est bien moindre que les productions des autres pays d’Europe.

Enfin, au XVII° siècle, la configuration du paysage éditorial se modifie profondément.
Si Paris demeure leader, les centres provinciaux de la façade Ouest connaissent un essor très important, qui repose notamment sur des facteurs institutionnels.

Ainsi, la multiplication des communautés (corporations) touche également les métiers du livre.
En l’absence d’avancée technologique et de faible accumulation du capital, les corporations jouent un rôle important en favorisant la solidarité entre imprimeurs, éditeurs, libraires.
Les juridictions locales, les Parlements de province encouragent la politique économique et appuient les corporations du livre, considéré comme un instrument de rayonnement, en éditant des législations favorables à ces métiers.
On voit ainsi les libraires venir s’installer, se nicher contre les Parlements.

Mais à contre-courant de cette expansion provinciale, on assiste progressivement à un mouvement de centralisation de plus en plus accentué.
La Fronde, avec la publication, dans un climat d’insubordination vis-à-vis du pouvoir central, de milliers de « mazarinades », pamphlets du cardinal Mazarin, sera le dernier accès de fièvre avant la marche vers la monarchie absolue.

Le livre sous l’emprise du pouvoir centralisateur du Roi-Soleil : suite et fin du livre au XVII° siècle demain …

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Le livre au Grand Siècle. L’art du livre (1/4)

discours de la methodeLe « Grand Siècle » évoque les splendeurs de Versailles, le classicisme français, le siècle de Louis XIV, l’apogée du l’absolutisme.

En revanche, le XVII° siècle est du point de vue de l’art du livre un siècle d’austérité.

Cette période n’a connu en ce qui concerne les métiers du livre aucune innovation technologique importante par rapport l’époque de Gutemberg.
L’esthétique du livre est même en retrait par rapport à la Renaissance.

Raison essentielle : le papier, élément important du prix de revient du livre, et dont la France est alors le premier producteur en Europe, se voit lourdement taxé (à hauteur d’environ 30 %) suite à la décision prise par Richelieu en 1630 pour financer la guerre de 30 ans.
En conséquence, on va rogner sur la qualité du papier.

Par ailleurs, se généralise au XVII° siècle une nouvelle technique de gravure : la gravure en taille-douce, qui se fait sur cuivre et donne un rendu plus fin que la gravure sur bois. Mais elle oblige à recourir à la presse en taille-douce, qui demande plus de temps et d’argent.
Dès lors, l’image se raréfie. On assiste à un « divorce » entre le texte et l’image : d’un côté des livres, d’un autre des estampes.

Ainsi, dans la plupart des livres, l’essentiel des images sera constitué soit d’un frontispice (gravure placée en regard du titre), soit de portraits.

En matière typographique, on se contente d’unifier les caractères mis au point au XVI° siècle, à savoir ceux de Claude Garamond.

A cette époque, l’essentiel de l’innovation a en fait lieu dans les Pays-Bas du Nord (Provinces Unies), où les imprimeurs Hollandais fabriquent – selon un procédé tenu secret – une encre de qualité supérieure, plus brillante, nette, propre.
La famille Elzévir, établie à Leyde et Amsterdam, conçoit en outre des caractères qui seront imités en Belgique et en France.
Mais la nouveauté la plus importante tient à la mise en page : afin d’aérer le texte et respecter l’articulation de la pensée, on introduit des alinéas et des paragraphes.
Le pionnier est René Descartes : il insistera pour que les imprimeurs respectent ses paragraphes ; Le Discours de la méthode sera d’ailleurs édité pour la première fois aux Pays-Bas (image).

« Point zéro » de l’art du livre en France, le XVII° siècle est toutefois l’époque au cours de laquelle l’offre d’imprimés va augmenter de façon spectaculaire : on s’achemine alors vers le « livre populaire ».

Tel est le programme de demain…

Le livre au Grand Siècle. Bibliothèque Nationale de France
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Aux origines du livre, conférence à la BNF

minidanseDépart pour un lointain voyage avec une conservatrice de la Bibliothèque nationale de France … C’était mardi dernier, et il y en aura d’autres …

Attention ! avertit d’emblée Annie Berthier, l’histoire du livre n’est pas celle de l’écriture : point de livre sans support répondant à des critères précis.
Mais tout le monde est d’accord : il a bien fallu commencer par l’écriture avant d’inventer le livre.

L’écriture est née en Mésopotamie et en Egypte autour de 3300/3200 av. J.-C.
C’est alors l’un des éléments d’une série d’innovations majeures, au nombre desquelles la sédentarisation, le développement des villes, de l’architecture, etc. : le début de la civilisation historique.

L’histoire du livre – on y arrive – c’est ensuite et surtout celle du support du livre. A cet égard, l’invention du livre est caractérisée par des invariants. Le premier est que, pour fabriquer un livre, on se sert de ce qu’on a autour de soi.
Dans le bassin méditerranéen, ce sera le papyrus, fait avec la moelle du roseau aquatique du même nom.
Certes, on a pu d’abord graver sur des stèles. Mais une stèle gravée n’est pas un livre : on ne peut pas la porter !

C’est quoi, alors, un livre ? Un livre (en grec, on dira biblion, en latin liber), c’est : un assemblage portatif d’éléments présentant une surface plane sur laquelle il peut être écrit de façon durable.

Le texte était d’abord écrit sur des tablettes recouvertes de cire, sur lesquelles on gravait à l’aide d’un stylet. Il était ensuite recopié à l’encre sur le papyrus.
Le livre a eu ainsi d’abord la forme du rouleau.
Le parchemin , peau d’animal dépilée et effleurée, est arrivé très tôt aussi, à Pergame (d’où l’origine du nom). On a tendance à croire que le parchemin a remplacé le papyrus. En réalité, les deux ont coexisté pendant très longtemps.
La forme a ensuite évolué. Du rouleau, on est passé au codex : le livre est formé de feuilles pliées et assemblées en un ou plusieurs cahiers cousus et couvert d’une reliure.
C’est la forme que nous connaissons aujourd’hui.

Si le papyrus, le livre et la bibliothèque – avec la célèbre Bibliothèque d’Alexandrie qui en –50 contenait 700 000 volumes – viennent du Proche-Orient, le papier est en revanche un apport de l’Orient : la Chine a inventé le papier au X° siècle avant J.-C., et l’a utilisé dès le Ier siècle de notre ère. De ce point de vue, « l’avance » de l’Orient est énorme : en Occident, au Moyen-Age, on en était encore au parchemin…


La question de Mag :

Le support est-il important ? François Weyergans a fait cette sage réponse à un journaliste qui lui demandait avec affolement son avis sur le « livre électronique »:
« On a lu sur des parchemins, on a lu sur des peaux de chèvres, on pourra bien lire sur un livre électronique. Personnellement, je préfère le papier, mais je ne vais pas imposer mon amour du papier à la terre entière. Ce qui compte, ce n’est pas sur quoi on lit, c’est ce qui se passe dans la tête du lecteur au moment où il lit. »

Oui. Mais si on s’est mis au papier avec tellement de retard, peut-être peut-on profiter encore un peu de sa douceur … et laisser aux Chinois la primeur du livre électronique ?

Tous les renseignements sur les conférences sont sur le site de la BNF

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