Le rivage des Syrtes. Julien Gracq

C’est une des plus belles réussites des jurés du Goncourt : le choix du  Rivage des Syrtes, en 1951. Mais aussi un échec pour eux : Julien Gracq n’a pas voulu de leur prix. Le roman n’avait pas besoin de cette publicité (certes involontaire de la part de l’auteur, rigoureux dans ses opinions), car il est depuis un des classiques de la littérature française.

On peut en savourer l’écriture, la précision des évocations paysagères, le vocabulaire parfois oublié. Nous passons des rivages « accores » à l’écume faiblement « effulgente ». Nous voici dans la chambre des cartes : « Les fenêtres débroussaillées laissaient miroiter sur les tables noircies une clarté plus vive, et parfois un rayon de soleil, qui tournait lentement avec les heures sa colonne de poussière, promenait comme un doigt de lumière sur le fouillis des cartes, tirait de l’ombre dans un tâtonnement ensommeillé un nom étranger ou le contour d’une côte inconnue ».

L’histoire que Gracq nous raconte est riche de plusieurs lectures possibles. Ce peut être celle du réveil d’une vieille cité endormie. Aldo est envoyé à l’Amirauté d’Orsenna comme Observateur. Il y trouve le capitaine Marino et ses lieutenants surveillant la côte des Syrtes, face à celles du Farghestan, ennemi héréditaire mais qui n’a pas bougé depuis trois siècles. Vanessa, maîtresse d’Aldo, issue d’une antique famille d’Orsenna, libère en son amant le désir de sortir le pays de l’inertie dans laquelle il s’est installé. Dans un geste intuitif, Aldo, aux commandes du navire Le Redoutable provoque les canons de la côte d’en face, débutant ainsi le processus vers la guerre.

Mais on peut y lire aussi une réflexion politique (et pessimiste) entre jeunesse et pouvoir. Ce sont  bien les jeunes gens qui se lancent dans cette aventure bien risquée, mais au bout du compte ils sont manipulés par les vieilles familles et leurs manigances. A la fin du roman, Aldo est reçu par un membre influent de la Seigneurie, qui lui révèle à la fois comment toute l’opération était calculée par le pouvoir, mais aussi comment celui qui a été utilisé est lié désormais aux puissants : « Quand un homme s’est trouvé une fois vraiment mêlé à certains actes trop grands pour lui et qui le dépassent, la conviction qu’une part de lui est demeurée méconnue, puisque de telles choses en sont nées- qu’il peut y avoir sacrilège à séparer ce que l’événement a uni ».

De belles phrases dans Le Rivage des Syrtes, mais pas seulement.

Andreossi

Le rivage des Syrtes. Julien Gracq

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Visiter Capestang dans le Narbonnais

Collégiale Saint Etienne, Capestang

Capestang est un bourg de quelques 3 000 âmes situé dans le département de l’Hérault, côté Aude, entre Narbonne, Béziers et le canal du Midi. Au milieu du village, la grande place est pavée de marbre rouge du pays et ombragée de platanes. Deux cafés se font face, le café de la Paix et le café de la Grille, celui-ci disposant en outre, enceint d’une belle grille ancienne, d’une confortable terrasse. Dans un coin, un feu y est allumé même par 36°, on se prend à penser qu’il est destiné à saisir quelque viande. On est encore, sur ces terres du Languedoc, dans le vaste Sud-Ouest qui aime accompagner ses vins goûteux de viande rouge, de charcuteries et de fromages. Ce sont des Minervois, des La Clape et des Corbières.

D’un côté de la place trône la splendide collégiale gothique Saint Étienne, datée de la toute fin du XIII° et du début du XIV°, qui a l’originalité de ne disposer que d’un chœur. Elle devait finir en cathédrale, mais les fonds ont manqué à un moment donné et la belle est restée sans nef. Chœur et clocher ne s’en dressent pas moins fièrement ; certains jours on peut même grimper en haut de ce dernier. On peut aussi se contenter de l’écouter égrener tranquillement les heures et les demies. Et, à la lumière du matin, visiter la collégiale, admirer la haute croisée d’ogives, les vitraux du XIX°, sans doute la réplique de ceux installés à l’époque gothique tant la catéchèse en est édifiante, étincelants de couleurs, et qui enchantent ce chœur qui se donne entièrement dès l’entrée.

De l’autre côté de la place, en glissant le long de l’antique grille, on arrive au château, qui nous renvoie au riche passé de Capestang et plus largement du Narbonnais. Edifié à partir du XII°, mais principalement au XIII° siècle, le château était l’une des demeures seigneuriales de l’archevêque de Narbonne, dont la province ecclésiastique, aussi vaste que prospère, s’étendait de la Garonne au Rhône et de la Méditerranée aux contreforts de la Montagne Noire et des Cévennes.

Si l’on y vient aujourd’hui, c’est pour admirer les poutres de la salle d’apparat décorées au XV° siècle sous l’archiépiscopat des Harcourt, Jean puis Louis. Le bestiaire regorge d’oiseaux de l’étang tout proche (dont le village tire son nom), tels coqs, échassiers, cigognes, mais aussi de lévriers et d’animaux fantastiques. Les scènes de société illustrent les danses et l’amour courtois de la noblesse autant que les activités quotidiennes des classes modestes. Les scènes religieuses quant à elles montrent les tourments de l’Enfer promis aux pécheurs et la Rédemption aux justes, mais aussi une Vierge à l’enfant et saint Jean l’Evangéliste, saint patron de l’archevêque Jean d’Harcourt.

Ces peintures sur bois ont été exécutées pour être vues de loin, étant donné la hauteur sous le plafond : couleurs vives cernées de noir, expressions marquées. Leur précision mais aussi leur état de conservation sont remarquables. Elles sont considérées comme un exceptionnel témoignage des plafonds peints du Moyen-Age finissant, que l’on redécouvre depuis finalement une période très récente.

Site de la ville de Capestang pour en savoir en plus

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Rituels Grecs. Une expérience sensible

Comment évoquer ce monde grec antique, dans lequel chacun et chacune vivait dans la proximité des dieux, de la manière la plus sensible pour le spectateur d’aujourd’hui ? Tout simplement en faisant appel, aussi, aux autres sens que la vue. L’exposition offre au visiteur l’occasion d’exercer son oreille aux sons de l’époque, de toucher les matières utilisées alors, de flairer les parfums et liquides privilégiés lors des rituels, éventuellement de goûter quelque mets favoris.

La présentation se fait selon un parcours des moments les plus importants de la vie des Grecs, moments qui sont strictement ritualisés, parce qu’il était essentiel de se concilier la participation la plus favorable des dieux aux étapes marquantes de son existence, et plus généralement de ne pas se faire oublier d’eux.

Ainsi un grand tournant de la vie est le mariage : si nous pouvons découvrir sur les vases les peintures représentant des scènes des cérémonies, si de beaux objets de parure sont exposés dans les vitrines, nous pouvons aussi, casques sur les oreilles, écouter les musiques interprétées, entendre les textes dits. Dans des coupelles ont été préparées les mixtures qui servaient de cosmétiques, que nous pouvons sentir, et apprécier les textures et les couleurs.

Les sacrifices animaux en l’honneur des divinités étaient, comme les banquets, le moyen de se rapprocher des dieux afin de communiquer et de partager avec eux. On voit comment la victime (porc, chèvre…) était bien préparée, bien ornée, de guirlandes en particulier, avant le geste sanglant sur l’autel. Assez raisonnables finalement, les convives humains consommaient la viande bouillie ou rôtie et réservaient les viscères à leurs invités divins. Le public d’aujourd’hui peut humer le vin au calament ou l’huile aromatique au laurier, et même le parfum du cochon rôti.

Avant le rôti, le Grecs pouvaient commencer par des amuses bouches bien aromatisés : olives, pois chiches, mûres de mûrier, figues, pignons. La musique accompagne chacun de ces rites et nous pouvons entendre le son de l’aulos en observant l’instrument lui-même, tuyau en os ou bois de roseau percé de trous. Les funérailles avaient leurs propres chants et leurs prières, et pendant l’exposition du cadavre et les processions les agents purificateurs faisaient leur office, qu’ils soient minéraux (souffre, sel) ou végétaux (verveine officinale, potentille).

Si l’on ne devient pas totalement un Grec ancien au sortir de l’exposition, on mesure bien qu’une société s’imagine mieux selon une approche de tous les sens.

Andreossi

Rituels Grecs. Une expérience sensible
Musée Saint Raymond, Toulouse

Toutes informations sur le site du Musée

Jusqu’au 25 mars 2018

 

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Delacroix et l’Antique au Musée national Eugène-Delacroix

delacroix_facade_jardinSitué à deux pas de l’adorable place Fürstenberg, caché au milieu de boutiques proposant de somptueuses étoffes, le petit Musée Eugène Delacroix est lui-même l’écrin d’un adorable jardin, aussi minuscule que charmant. C’est l’artiste qui l’a conçu lorsqu’il s’est installé à cette adresse en 1957, alors qu’il venait (enfin !) d’être élu à l’Académie des Beaux-Arts (sur ce musée, lire aussi le billet du 27 janvier 2013). Depuis le jardin, on peut admirer l’harmonieuse façade de son atelier, qu’il a également pensée : de style néo-classique, il l’a ornée de moulages de sculptures antiques.

Au dessus de chacune des deux fenêtres latérales, des métopes du Théséion, temple athénien de l’époque du Parthénon (V° siècle av. J.-C.)  représentent des exploits du héros Thésée, vainqueur du Minotaure. Un moulage de la cuve du Sarcophage des Muses, chef d’oeuvre de l’Empire Romain (II° siècle), surplombe, lui, la porte centrale.

delacroix_douze_medaillesCette façade a sans doute constitué le point de départ de cette exposition, au sujet inédit : la mise en lumière des rapports de Delacroix, artiste romantique, avec l’Antiquité. Installé dans l’appartement et l’atelier de l’artiste, le parcours montre d’une part comment Eugène Delacroix a « connu » l’Antiquité et, d’autre part, les créations que celle-ci lui a inspiré.

Son approche de l’Antique s’inscrit à la fois dans son époque (en particulier avec l’exposition des marbres du Parthénon à Paris et à Londres, où il s’est rendu, et qui n’ont pu, comme ses contemporains, que le frapper) et dans un cheminement personnel. Il n’est allé ni en Grèce ni en Italie, mais s’est familiarisé avec les chefs d’œuvres de l’Antiquité grâce à la fréquentation des musées, celle des livres, des dessins, photos et reproductions disponibles. Cette connaissance muséale et livresque s’est enrichie d’une connaissance plus imaginaire : lors de son voyage au Maroc, il s’est plu à y reconnaître une Antiquité sauvage et préservée.

delacroix_bacchusDans ses œuvres, cette admiration pour l’Antique se manifeste dans le choix de ses thèmes (les fresques pour le Salon du Roi au palais Bourbon : Anacréon, Bacchus et Leda) comme dans sa manière (la représentation de nus sculpturaux). Un autre type de création mérite ici d’être découvert : ses dessins et lithographies de médailles grecques et romaines, qu’il assemble dans un travail de composition très convaincant. Tout aussi réussie est la représentation des médailles elles-mêmes, tant dans l’expression des figures que dans le modelé des corps et la vivacité des mouvements. « Imiter sans être imitateur » était, paraît-il, l’un de ses leitmotiv. L’instructive et plaisante visite de cette exposition montre qu’il a su parfaitement y être fidèle.

 

Delacroix et l’Antique

Musée national Eugène Delacroix
6, rue de Fürstenberg ‐ 75006 Paris

Métro : Saint‐Germain‐des‐Prés (ligne 4) / Mabillon (ligne 10)
Bus : 39, 63, 70, 86,95, 96
Renseignements : 01 44 41 86 50

Entrée : 7 euros (entrée libre pour les Amis du Louvre)

Jusqu’au 7 mars 2016

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