Blanche et Marie. Per Olov Enquist

Blanche et Marie, Actes SudDans le cœur du roman, on trouve ces deux phrases : « Pas non plus comme l’amour de Blanche pour Charcot, qui est en réalité le sujet que le Livre des Questions déclare traiter. Ce "en réalité" ! ».

Ce point d’exclamation contient la magie de la littérature.

Depuis des dizaines de pages, l’auteur nous promenait dans le Paris des années 1880 à 1910, autour de deux femmes d’importance : Blanche Wittman, bien connue comme la « reine des hystériques », malade favorite du Professeur Charcot, lequel fît une belle carrière de neurologue (entre autre), en exhibant ses patients et surtout patientes devant le public.
Marie Curie, scientifique mythique, qui découvrit le radium et autres éléments au péril de sa vie, dont l’œuvre considérable lui valut deux prix Nobel, et qui fut la première femme à obtenir une chaire à la Sorbonne.

Nous suivons nos héroïnes comme si nous étions dans l’Histoire : les amours de Charcot et Blanche, de Marie et Paul Langevin, autre physicien célèbre. Nous connaissons la peinture d’André Brouillet qui met en scène Blanche avec le Professeur, le scandale dont a été victime Marie pour sa relation avec un homme marié.

L’auteur, Suédois contemporain, met dans les premières pages tout en place pour nous convaincre qu’il s’appuie sur la réalité de carnets écrits par Blanche (« Livre des questions »). Le cœur de l’intrigue repose sur l’amitié émouvante entre Blanche, devenue assistante de la scientifique, et Marie : deux femmes dont la carrière se débat dans cette époque si mâle et si puritaine.

Mais de quelle réalité s’agit-il ? Il va être difficile aux historiens de rétablir leur vérité à eux : aucune preuve que Blanche ait seulement rencontré Marie, encore moins qu’elle ait été son assistante, personne ne semble avoir eu connaissance des « carnets » de Blanche hormis Per Olov Enquist… Un rapide voyage dans l’univers critique nous permet de constater à quel point les commentateurs ont adhéré à ces histoires comme Histoire, au point parfois de regretter le style (roman documentaire ! exposé journalistique en histoire des sciences !).

Heureusement, tout du récit est littérature, et donc tout est aussi « faux » que « vrai ».
Choisissons notre « réalité » : une très bonne évocation de la place des femmes dans cette société, des portraits splendides où ces hommes si puissants peuvent être bernés par des femmes qui savent les manipuler voire les tuer. Une société au nationalisme exacerbé qui voit en la « Polonaise » un danger pour tous les maris fidèles français. La grande proximité entre amour et pouvoir. Le lien entre femmes qui permet de résister aux épreuves.

Un beau roman qui doit nous faire soigneusement rester dans le registre de l’ambiguïté : des personnages ayant existé, certes, mais qui ont acquis la liberté de l’existence littéraire.

Blanche et Marie
Per Olov Enquist
Actes Sud 2006
Egalement en Livre de Poche

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