Des années 1840 à 1875 en Grande-Bretagne, la photographie toute neuve et la peinture sont traversées par un même courant, encouragé, voire initié par John Ruskin : le préraphaélisme.
L’historien et critique d’art appelle à une peinture de la nature, qui la restitue dans ses moindres détails.
Un groupe de peintres désireux de rompre avec la peinture académique ne demande pas mieux. Parmi eux, John Everett Millais, Dante Gabriel Rossetti, Holman Hunt et Ford Madox Brown. Ces peintres sont motivés par les possibilités de restitution offertes par la photographie : la précision qu’elle permet les pousse à faire de même avec leur pinceau en allant peindre des paysages en plein air. Ils inventent un style pictural nouveau, fondé sur la précision des motifs et de vives couleurs. Ils trouvent leur inspiration chez les primitifs italiens, avant que Raphaël n’impose sa manière.
De leur côté, les photographes veulent ériger leur technique au rang des autres arts et sont eux-mêmes influencés par les peintres préraphaélites. Grâce au procédé du négatif verre au collodion humide, ils gagnent en précision et s’engagent dans des études photographiques de la nature où les détails des pierres, des végétaux et de l’eau sont parfaitement restitués.
C’est justement par le thème de la nature que débute la passionnante exposition du Musée d’Orsay, qui dans chacune de ses quatre sections joue des rapprochements entre peinture et photographie sur la période 1848-1875.
Les correspondances, convaincantes tout au long du parcours, sont ici d’une grande évidence. De spectaculaires photos de Roger Fenton révèlent des paysages montagneux traversés de torrents, avec un cadrage très audacieux, des feuillages ou des roches au premier plan, des vues coupées, des contrastes clair-obscur très forts. Ceux-ci sont particulièrement saisissants sur les épreuves de James Sinclair, un comte écossais qui pratiquait la photographie en amateur, et dont l‘Avenue à Weston, Warwickshire est un exemple admirable, quand son Givre dans un parc offre un rendu du blanc de la neige et du givre sur les branches noires des arbres d’une grande poésie .
Dès le milieu des années 1850, en utilisant deux négatifs, Gustave Le Gray est le premier à photographier les effets de soleil sur la mer : ces « marines » en noir et blanc connaissent immédiatement un grand succès à Londres.
La peinture n’est pas en reste dans cette section. John William Inchbold notamment livre des paysages avec un sens de la composition et un traitement des couleurs très séduisants, couvrant la toile de teintes vives et brillantes, se plaisant à rendre autant les parties ombrées sur les végétaux que le scintillement de l’eau. Ici une fleur, là le feuillage d’un buisson, plus loin un petit lapin, rien ne manque. Les injonctions de Ruskin ont décidément porté leurs fruits !
Quant on passe aux portraits, la partie peinture est source de division : les tableaux de Rossetti et consorts ont leurs adeptes, mais combien ils peuvent aussi paraître gnan-gnan ! Aucune émotion ne se manifeste à la vue de ce lissé-appliqué d’après modèles, poses et détails léchés. En revanche, côté photo, comment ne pas être touché par les portraits de Julia Margaret Cameron ! Recherchant le naturel que la photographie permet difficilement d’atteindre à cette époque en raison des longs temps de pose qu’elle nécessite, Cameron parvient à faire naître et à capter chez ses modèles d’émouvantes expressions de mélancolie, de rêverie ou de tristesse. Les cheveux sont longs, détachés, les blouses aériennes, les regards intenses.
Peintres comme photographes ont eu également comme source d’inspiration commune les sujets religieux, mythologiques et littéraires. Avec La dame d’Escalott, Henry Peach Robinson illustre la légende d’Arthur revisitée par Alfred Tennyson : victime d’un sort, la dame est allongée dans une barque et se laisse glisser sur la rivière en direction de Camelot où elle mourra. Une épreuve qui rappelle le tableau de Millais L’Ophélie. Autre poète d’inspiration, Shakespeare : l’on découvre un Roi Lear partageant son royaume entre ses trois filles de Cameron, dont le cadrage et la composition semblent annoncer le cinéma, avec un gros plan sur des visages nets et un fond flou, et une tension tout à fait palpable.
La dernière section de l’exposition se réfère à la vie moderne, où l’on retrouve le style poétique caractéristique des prérapahaélites. La mise en scène de la mort par Henry Peach Robinson, Fading Away (« S’éteignant ») évoque davantage une illustration littéraire ou historique qu’une photo prise sur le vif (si l’on ose l’oxymore). Mais malgré son caractère fictif, lorsque la photo fut exposée au Crystal Palace en 1858, elle choqua une partie du public en raison de son sujet… ce qui n’empêcha pas le prince Albert de s’en porter acquéreur.
Pour finir avec Cameron – coup de cœur de l’exposition – comment ne pas évoquer sa très picturale photo La fille du jardinier tirée du poème éponyme de Tennyson, dans le lequel le narrateur tombe en amour en apercevant la jeune fille essayant de rattacher une rose vacillante : « Vêtue de blanc pur qui seyait à sa silhouette, elle se tenait devant le buisson afin de l’arranger, une simple coulée de sa douce chevelure brune / se répandait sur un côté. »
Une ballade d’amour et de mort : photographie préraphaélite en Grande Bretagne, 1848-1875
Musée d’Orsay
1, rue de la Légion d’Honneur, 75007 Paris
TLJ sf lundi de de 9h30 à 18h, nocturne le jeudi jusqu’à 21 h 45
Entrée 8 € (TR 5,50 €)
Jusqu’au 29 mai 2011
A lire : Hors-série L’Estampille, 8,50 €
Consulter également le site du Musée pour connaître la programmation (conférences, musique, spectacles) associée à cette exposition.
Images : Roger Fenton, Bolton Abbey, fenêtre ouest, 1854 Épreuve sur papier albuminé, 25,1 x 34,5 cm Bradford, National Media Museum © National Media Museum, Bradford / Science & Society Picture Library
John William Inchbold, La Chapelle de Bolton Abbey, 1853 Huile sur toile, 50 x 68,4 cm Northampton, Museum and Art Gallery © Northampton, Museum and Art Gallery
Julia Margaret Cameron, Maud, 1875, épreuve au charbon, 30 x 25 cm, Paris, Musée d’Orsay © Musée d’Orsay (dist. RMN) / Patrice Schmidt
Henry Peach Robinson, Fading Away, 1858, épreuve sur papier albuminé, 28,8 x 52,1 cm, Bradford, The Royal Society Collection au National Media Museum © National Media Museum, Bradford / Science & Society Picture Library