Au départ, il y a la guerre civile au Sri Lanka, que Dheepan, combattant des Tigres tamouls, fuit après avoir brûlé ses anciens oripeaux. Et Yalini, célibataire sans enfant, qui veut rejoindre sa cousine à Londres. Enfin, Illayaal, 9 ans, orpheline, que Dheepan et Yalini embarquent avec eux pour avoir l’air de former une famille et pouvoir ainsi émigrer. Ils ne se connaissent même pas. A leur arrivée en France, pas d’autre choix que de rester ensemble. On leur attribue un logement, et un travail pour lui : gardien d’immeuble dans une cité chaude de la banlieue parisienne.
Là, ne parlant pas le Français, ils essaient de s’intégrer. Avec davantage de volonté pour Dheepan, qui endosse immédiatement le rôle protecteur du chef de famille, et pour la petite Illayaal, qui va à l’école et se fait l’interprète de ses « parents », que pour Yalini, qui espère toujours poursuivre son chemin jusqu’à Londres, seule. Mais il y a l’enfant. Et la vie qui avance, jour après jour : travailler, assurer le quotidien à la maison, faire les courses et, presque malgré soi, être avec les autres. C’est le premier niveau du film : l’intégration d’une famille profondément étrangère, de langue (le Tamoul, parlé pendant la majeure partie du film), de culture (hindoue), de niveau de vie (un salaire de 500 euros leur paraît énorme).
La deuxième dimension, la plus subtile et la plus rare, est cette relation familiale artificielle, mais condamnée à évoluer. Vers où va-t-elle aller : vers l’affrontement ? Un certain attachement ? Comment ces trois-là vont-ils s’apprivoiser ? C’est compliqué ; il ne se sont pas choisis… Jacques Audiard montre cette relation et ses évolutions avec infiniment de délicatesse, prouvant une nouvelle fois qu’il n’est pas qu’un cinéaste de la lutte et de virilité.
La troisième strate du film renvoie précisément à cette veine-ci, nous plongeant dans l’univers violent des trafiquants de drogue, qui ont installé leur QG dans l’un des bâtiments de l’immeuble. Comment nos protagonistes sri-lankais vont-il vivre ces guérillas de caïds sans foi ni loi, eux qui ont fui les atrocités de la guerre dans leur pays ? Leurs réactions seront à la mesure de leurs émotions issues des terreurs passées : hors normes…
Les personnages sont parfaitement dessinés, singuliers, aboutis. On s’y attache immédiatement, tremblant pour eux au fil d’un scénario bien tendu – la puissance fictionnelle du réalisateur d’Un prophète étant toujours aussi efficace. Quant à sa virtuosité stylistique, elle n’est plus à démontrer. Enfin, il faut saluer la remarquable interprétation, en particulier celle des acteurs sri-lankais totalement inconnus et hyper convaincants.
Dheepan
Un film de Jacques Audiard
Avec Antonythasan Jesuthasan, Kalieaswari Srinivasan, Claudine Vinasithamby, Vincent Rottiers
Durée 1 h 49
Palme d’or au Festival de Cannes 2015
Sorti en salles le 26 août 2015