Ecrit sur de l’eau, Francis de Miomandre

L’auteur du Goncourt 1908 a fait preuve d’un grand sens du titre : un roman vite oublié, léger, qui effectivement semble filer sur l’eau d’une imagination alerte. André Gide en a fait un portrait très juste : « Léger comme une bulle, inconsistant, bizarre, il se dérobe sous la critique et semble sans cesse en formation. Il pourrait être insupportable ; il est charmant ».

Francis de Miomandre met en scène un jeune homme, Jacques de Meillan, qui, cherchant l’amour, affronte avec bien des naïvetés les contradictions entre ses idéaux et les dures réalités de la vie. Lancé sur la trace d’une jeune femme qui l’a ébloui, il découvre peu à peu l’ampleur des conquêtes de son adorée. Sa tentative de transformer l’amitié éprouvée pour Juliette en amour de consolation ne réussit guère. Heureusement l’humour est là et sauve le récit de toutes les situations scabreuses. Même le vautour domestique et la tortue, qui vivent dans la cuisine, y mettent du leur.

Les personnages ne manquent pas de pittoresque, en premier lieu le père de Jacques, homme d’affaires particulièrement inventif mais d’une incompétence totale à réaliser ses projets, et Monsieur Cabillaud, auprès duquel le jeune héros prend conseil, et qui se révèle redoutable philosophe : « Quand on a prévu le pire, comme il n’est pas toujours certain, on est tout flatté par la survenue d’un petit meilleur de rien du tout ».

C’est la société d’avant la guerre de 14-18 qui nous est décrite au moment où bien des choses vont basculer : l’érosion progressive de la classe des petits rentiers, le remplacement des chevaux par les moteurs d’automobiles, les difficultés croissantes des mâles bourgeois à profiter d’une vie érotique sans conséquences. Mais l’auteur ne se prend guère au sérieux, et nous donne quelques conseils de lecture de son roman : « Il ne demande aucun effort pour être lu. Que tu l’ouvres par le milieu, il te sera aussi intelligible que si tu l’abordes au premier chapitre. Pareil à l’éternité, il n’a ni commencement ni fin, mais il est moins long ».

De ci de là la lecture aérienne est arrêtée par d’heureuses trouvailles, du type : « alors que l’aube brouillée et livide épuise les yeux las » ; ou encore : « il mit un complet sombre et une cravate sévère, aux tons amortis de minerai pas encore entièrement extrait d’une carrière nouvelle ». Et puis, contre toute attente qui pourrait faire penser à la description d’une vie parisienne, l’histoire se passe à Marseille.

Andreossi

Ecrit sur de l’eau, Francis de Miomandre

Facebooktwitter

Le Feu. Henri Barbusse.

lefeuAujourd’hui maglm lance un nouveau feuilleton littéraire, signé Andreossi : celui des prix Goncourt ! Episode n° 1 : « Le Feu », prix Goncourt 1916.

C’est parti…

De 1914 jusqu’en 1918, chaque année le prix Goncourt est attribué à une œuvre dont le thème est la Grande Guerre.

Le plus célèbre est resté Le Feu, écrit à l’hôpital par Barbusse, qui s’est engagé à l’âge de 41 ans et a vécu la vie des tranchées comme brancardier. Même si le livre est sous-titré « Journal d’une escouade », il s’agit bien d’un roman, qui a immédiatement frappé les consciences par son caractère extrêmement réaliste : Barbusse avait Zola pour modèle. Les dialogues sont rapportés dans la langue des soldats, avec leurs régionalismes, leur argot.

La consécration de cette œuvre par un prix Goncourt, juste au milieu d’une guerre que l’on imagine d’ambiance très patriotique, étonne aujourd’hui. Car le contenu du roman est loin d’être patriote  au sens traditionnel du terme. Les Français n’ont pas attendu la fin du conflit pour se rendre compte de l’horreur des combats : alors que la censure voulait éviter la démoralisation des troupes et de l’arrière en surveillant les lettres des poilus, la littérature à la Barbusse ne cachait rien, ni de la terrible boucherie ni des injustices vécues par les combattants.

Les descriptions des champs de bataille veulent choquer le lecteur : « Tout près de moi une tête a été rattachée à un corps agenouillé, avec un vague lien, et lui pend sur le dos » ; « Des fémurs sortent d’amas de loques agglutinées par de la boue rougeâtre, ou bien, d’un trou d’étoffes effilochées et enduites d’une sorte de goudron, émerge un fragment de colonne vertébrale ». Mais la guerre n’est pas que cela pour l’écrivain, c’est le terrain aussi où se déploient les plus grandes injustices.

Les soldats de l’escouade font partie de la masse des hommes que d’autres envoient au front, qui eux se protègent, sont « planqués ». La critique de la guerre n’épargne aucune question. Un camarade du narrateur lui montre un piquet : « C’est là, dit-il, qu’on a fusillé le soldat du 204, ce matin (…) Il avait voulu couper aux tranchées ; pendant la relève, il était resté en arrière, puis était rentré en douce au cantonnement. Il n’a rien fait autre chose : on a voulu, sans doute, faire un exemple ». Mais les copains ont taillé dans le bois une croix de guerre et ont porté la mention : « A Cajard, mobilisé depuis août 1914, la France reconnaissante ».

C’est toute une pensée de la Grande Guerre qui se met en place avec ce roman : si les soldats sont des héros c’est parce qu’ils sont des victimes. Les dernières pages sont très explicites, et opposent « les brandisseurs de sabre, les profiteurs et les tripoteurs », les « monstrueux intéressés, financiers, grands et petits faiseurs d’affaires, cuirassés dans leurs banques ou leurs maisons qui vivent de la guerre(…) » « tous les prêtres qui cherchent à vous exciter et à vous endormir, pour que rien ne change, avec la morphine de leur paradis », aux « pauvres ouvriers innombrables des batailles , vous qui aurez fait toute la grande guerre avec vos mains, toute-puissance qui ne sert pas encore à faire le bien, foule terrestre dont chaque face est un monde de douleurs (…) ».

Le jeune prix Goncourt saluait la force d’une œuvre : sous le témoignage cru venu des tranchées surgissait la figure du Poilu sacrifié, image durable de la guerre de 14-18.

Andreossi

« Le Feu »

Henri Barbusse.

Prix Goncourt 1916.

Facebooktwitter

Artistes dans la grande guerre. Musée Paul Dupuy, Toulouse

Musée Paul Dupuy à Toulouse, Artistes dans la grande guerreLes musées n’ont pas seulement pour fonction de faire découvrir des œuvres qui méritent l’arrêt du visiteur.
Dans celui-ci, qui est aussi musée d’art graphique, on dresse le portrait d’une génération d’artistes dont les travaux auraient peut-être pu garnir le fonds du musée, si la guerre de 14-18 n’avait décimé les élèves de l’Ecole des Beaux Arts de Toulouse, comme elle a décimé toutes les professions (en Haute Garonne, 20% des jeunes hommes de 18 à 25 ans ont été tués).

Deux salles sont consacrées aux agrandissements de photographies de ces « poilus » dont le plus souvent l’épaisseur des moustaches ne permet pas de distinguer la nature de leur expression : fierté du « devoir », un mot qui revient au revers des photos, impassibilité de la résignation, ou ironie grinçante face à l’absurdité de la situation ? L’un d’entre eux, dans les quelques mots qui accompagnent sa photographie se défini comme « zigouilleur » à tel régiment d’infanterie.

On se demande alors si tel blessé dont la main disparaît sous les bandages pourra continuer à exercer son talent, et pour tel autre, amputé d’un bras, si celui qui lui reste était le bon pour travailler les couleurs.
Devant les photographies des morts, on méditera sur des expressions qui paraissent étranges (« tué à l’ennemi ») ou sur des circonstances insolites (« tué dans le déraillement d’un train de permissionnaires »).
Ces jeunes gens ont laissé leurs fusains réalisés à l’école avant de partir au front. Après, comme pour toute l’activité hors la guerre, les femmes sont plus nombreuses à suivre l’Ecole des Beaux Arts. On connaît même le portrait de la concierge de l’établissement.

Dans la dernière salle, la guerre est mise en images par des dessins de Dunoyer de Segonzac et des estampes de Jacques Bertrand, qui ont illustré le livre de Dorgelès « Le tombeau des poètes ». Les dessins semblent réalisés rapidement, presque à la sauvette : un visage presque d’enfant sous le casque, un fusil, un soldat debout affalé sur la tranchée, un blessé le front et les yeux bandés. Les estampes décrivent des scènes, des paysages. Les arbres sont calcinés, la terre a été bouleversée, ses formes n’ont plus rien de naturel, images d’une planète inconnue.

Une exposition de mémoire, comme on dit des lieux de mémoire, qui suggère que parmi tous ces morts presque anonymes certains auraient connu la gloire. Mais presque tous, sans doute, se seraient contentés de vivre, même anonymement.

Artistes dans la Grande Guerre
Musée Paul Dupuy
13 rue de la Pleau – Toulouse (31)
M° ligne A Esquirol / ligne B Carmes
Jusqu’au 5 janvier 2009
TLJ sf les mardis et jours fériés de 10 h à 17 h
Entrée 3 €, gratuit le 1er dimanche du mois

Facebooktwitter