Voici une exposition aussi inédite que fascinante.
Heinrich Kühn (1866-1944), photographe allemand du courant pictoraliste, proche des groupes Photo-Club de Paris et Linked Ring à Londres, participant de la Sécession viennoise, demeure en effet relativement peu connu, contrairement à ses contemporains d’avant-garde Alfred Stieglitz et Edward Steichen.
La toute nouvelle exposition de l’Orangerie à Paris, visible jusqu’à fin janvier, est d’ailleurs la première grande rétrospective consacrée à l’artiste. Il est heureux de voir ce long oubli enfin réparé tant les travaux de Kühn témoignent d’expérimentations audacieuses aux résultats très emballants.
Les techniques d’impression photographique qu’il utilise ont pour noms gomme bichromatée, platinotypie, gommogravure, photypie ou encore tirage et report à l’huile… Une pause à mi-parcours les explique.
Malgré leur lecture, pour une grande part, et pour les non-initiés aux secrets du pictoralisme, le mystère reste entier.
Dans quelle mesure s’agit-il de tirages photographiques au sens classique du terme, dans quelle mesure ont-ils été peints ? L’œil a du mal à le déterminer et ce doute, et le léger trouble qu’il engendre, accroissent encore l’attention des visiteurs – assez remarquable de bout en bout.
Après avoir présenté un panorama de ses axes d’investigation, l’exposition suit un fil thématique autour de ses différents modèles, des portraits d’atelier, des natures mortes et des paysages, pour finir avec les autochromes, premier procédé photographique en couleur inventé par les frères Lumières.
Le « plein air » est chez Heinrich Kühn particulièrement enthousiasmant. Les nuances de lumière, les ambiances de clair-obscur à la fin du jour, la « matérialité » des végétaux, l’impression de proximité d’un paysage de montagne, alors même qu’un léger flouté peut border les contours confèrent à ses photographies une admirable force poétique.
L’esthétique est encore sublimée par un sens du cadrage très assuré – le rapprochement avec la peinture de Manet saute aux yeux. On retrouve cet art de la composition dans les portraits, notamment ceux de Mary Warner, qui fut la gouvernante de ses enfants, sa maîtresse et son modèle. Une robe, un sofa, un miroir : alors que la prise risquait le déjà vu ou le surchargé, le résultat est au contraire magnifique d’équilibre, dans les courbes, dans les volumes comme dans l’éclairage.
Lorsqu’il travaille plus intensément sur les effets de lumière – on est chez les impressionnistes ici encore -, il crée des natures mortes simplissimes autour d’un verre d’eau ou d’une carafe, d’une coupe en étain. La transparence scintille, c’est à la fois précis et ouaté, domestique et surnaturel.
Contrairement au célèbre Edward Steichen, Kühn ne s’est lui jamais tourné vers le spectaculaire et le glamour, que ce soit pour ses paysages ou ses portraits ; il a choisi uniquement des sujets familiers. Le regard qu’il leur a porté, inventif, noble et amoureux rend ses œuvres plus émouvantes encore.
Heinrich Kühn
Musée national de l’Orangerie
Jardin des Tuileries – 75001 Paris
TLJ sf mardi de 9 h à 18 h
Entrée (avec musée) 7,5 € (TR 5 €)
Jusqu’au 24 janvier 2010
Exposition organisée par l’Albertina de Vienne en collaboration avec les musées d’Orsay et de l’Orangerie à Paris et le musée des Beaux Arts de Houston
Image : Heinrich Kühn, Nature morte : verres et carafe © DR – RMN (Musée d’Orsay) – Béatrice Hatala