Monumenta 2010 – Christian Boltanski, Personnes

Monumenta 2010, Boltanski, personnes
Monumenta, le cycle d’installations temporaires dans la Nef du Grand Palais à Paris, patronné par le Ministère de la Culture et la Réunion des Musées nationaux fait dans le rare, et dans l’extra-ordinaire. Trois expositions seulement en quatre ans, et d’une durée de quelques semaines seulement, à chaque fois époustouflantes.

On avait adoré Chute d’étoiles d’Anselm Kiefer en 2007, on est encore pris de vertige en pensant aux grandes stèles de la Promenade de Richard Serra en 2008.
Avec Personnes de Christian Boltanski, visible depuis mercredi et jusqu’au 21 février, on vit à nouveau une expérience unique, peut-être la plus bouleversante jamais ressentie face à une installation d’art contemporain.

Selon le principe de déambulation adopté par les artistes lorsque les volumes monumentaux de la verrière du Grand-Palais leurs sont livrés, Boltanski laisse ses visiteurs circuler librement au milieu de son œuvre. Le dispositif est aussi simple qu’efficace. Passé le "mur" de boîtes rouillées numérotées à l’entrée (qui annonce bien "l’ambiance" de ce qui suit), l’installation se dévoile d’un coup, comme par surprise.
Et c’est alors une vision de choc.

Sur le sol s’étalent sans fin des vêtements répartis dans soixante-neuf carrés, chacun surplombé d’un néon et délimités par des "piquets" rouillés, sans doute des morceaux de chemins de fer. Chacun peut y voir ce qu’il veut, mais il a peu de chance de penser à quelque chose de gai. Ce samedi matin, dans la lumière blafarde et le froid de la grande nef, on pouvait tout simplement voir ce qu’on croit être un champ de bataille lorsque les feux se sont tus, une terre jonchée de cadavres à perte de vue. Puis en regardant les petits mats de fers et les petits carrés qui se succèdent, c’est à un cimetière que l’on pense.

La vue n’est pas la seule en jeu, puisqu’une musique très particulière nous accompagne depuis qu’on a passé le "mur" : des battements de coeur, très forts. Au delà d’une expérience sonore, la vibration physique se ressent dans le corps, rejoignant notre propre pulsation.

Dans ce chant des morts, à côté de ce champs de morts, à la fois sorte de monument aux morts anonymes – ou anti-monument, comme on voudra – une gigantesque pince, au dessus d’une pyramide de vêtements, attrape une poignée de ces vestiges, avant de les relâcher de sa hauteur : ils retombent dans un souffle, avant que d’autres, au hasard, ne soient à nouveau saisis. "Et c’est la mort, la mort toujours recommencée", les paroles de l’une des plus belles chansons de Brassens viennent en tête, d’on ne sait où…Mourir pour des idées peut-être.

Monumenta 2010 – Christian Boltanski
« Personnes »
Du 13 janvier au 21 février 2010
Nef du Grand Palais, avenue Winston Churchill, 75008 Paris
Tous les jours sauf le mardi
De 10h à 19h le lun. et le mer., de 10h à 22h du jeu. au dim.
Entrée : 4 €

Photo Didier Plowy – tous droits réservés Monumenta/ministère de la Culture et de la Communication

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Cai Guo-Qiang : Je veux croire au Guggenheim à Bilbao

Le musée Guggenheim à BilbaoL’étonnement tient d’abord à l’architecture de Frank O. Gehry : certaines photos peuvent faire croire à un monstre de métal.

Les écailles miroitantes qui recouvrent la structure annulent l’effet métal, et la forme qui ne renvoie pourtant à aucune forme pré définie efface l’effet monstre.

Avant d’entrer, déambulez le long du Nervión qui coule aux pieds du musée, remontez vers le parvis où est assis le grand chien végétal, de façon à capter les métamorphoses des volumes proposés par Gehry.

A l’intérieur, Richard Serra nous plonge dans la Matière du Temps. Sept énormes sculptures faites de plaques d’acier invitent à déambuler autour, dedans, à se perdre dans des univers où les parois se mettent à pencher dangereusement, à déformer les sons, à figurer des villes fantomatiques grâce à l’activité des oxydes sur les surfaces. Dans une salle à côté, on découvre les maquettes de Serra : les formes sont étonnamment simples, et banales, et c’est bien la monumentalité des plaques d’acier qui nous renvoie à notre dimension petitement humaine.

Cai Guo-Qiang à BilbaoLes expositions temporaires nous proposent des œuvres de Cai Guo-Qiang, artiste chinois connu pour ses feux d’artifice déployés au cours de la cérémonie d’inauguration des derniers Jeux olympiques, et de Takashi Murakami, peintre Japonais représentant de la génération néo-pop. Seules certaines œuvres du premier nous ont arrêté.

Cai Guo-Quiang est un artiste du feu. Des vidéos, hélas souvent projetées sur des écrans trop exposés à la lumière qui rendent les images bien ternes, montrent sa passion pour les flammes qui courent, (sur la Muraille de Chine), les feux qui embrasent (le drapeau rouge à Varsovie), la fumée qui se déploie (un sombre arc en ciel). Il fait aussi dessiner le feu, en enflammant la poudre à canon disposée sur de grands panneaux de papier marouflé.
Ses installations peuvent être particulièrement spectaculaires. Sa thématique privilégiée ressurgit à travers ces 8 voitures blanches, comme jetées dans les airs, desquelles partent des bouquets de feu d’artifice en tubes fluorescents.

De plein fouet, Cai Guo-QiangCe sont celles qui témoignent d’un autre registre, celui de la longue durée, qui provoquent davantage de méditation. « De plein fouet » : 99 loups se précipitent en un grand bond contre une paroi vitrée, en ressortent plus ou moins assommés, et repartent, à terre, d’où ils viennent. Si les 99 loups sont figés dans leur mouvement, l’ensemble est perçu comme dynamique, et on entend presque le choc contre le verre.

« Réflexion ? Un cadeau d’Iwaki », est l’œuvre la plus sensible : une vieille et grande barque a été déterrée d’un marécage japonais par la population locale. Il en reste une charpente élaborée, puissante et en même temps défaite. Les clous qui tenaient les chevrons dépassent, les rafistolages en fer montrent combien cette barque a vécu. Elle est à moitié recouverte par des débris de porcelaine blanche, comme si son chargement ancien s’était répandu à l’échouage. Une vie rude de marins s’évade de l’installation et nous atteint.

Musée Guggenheim
Avenida Abandoibarra, 2 48001 Bilbao – Espagne
L’exposition Cai Guo-Qiang : Je veux croire est visible jusqu’au 6 sept. 2009
et l’exposition © Murakami jusqu’au 31 mai 2009
Ouvert du mardi au dimanche, de 10 h à 20 h

Sur le travail de Richard Serra, voir aussi  »Promenade » – Monumenta 2008

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Monumenta 2008 – Richard Serra, Promenade

Monumenta 2008, Richard Serra dans la nef du grand palais, PromenadeVous n’entrerez dans la nef du Grand Palais que pour une oeuvre seulement, constituée de cinq plaques d’acier plantées à la verticale sous la voûte. Mais vous y resterez plus longtemps que prévu, progressivement happé par cet étrange dispositif. L’installation qui au départ ne semble représenter que d’immenses stèles va peu à peu s’intégrer sous vos yeux en un vaste et changeant paysage.

La première impression est certainement celle de la déstabilisation : non, ces plaques ne sont pas plantées verticalement ; l’une tangue d’un côté, une autre de l’autre, quand une troisième penche encore selon un axe différent. C’est en tout cas ce qui apparaît à un moment donné, mais l’instant d’après, c’est-à-dire quelques pas plus loin, la perception visuelle a encore changé. Les éléments ne sont pas alignés, c’est un fait mais ce désordre est lui aussi bien variable…

Alors on n’en finit pas de se promener, prenant à la lettre le titre de l’installation, pour le seul plaisir d’embrasser successivement ces perspectives, voir tous ces paysages en un seul. Du haut du belvédère, ces monumentales sculptures semblent soudain toutes petites, elles qui nous ont fait presque peur lorsqu’on s’approchait d’elles, tête penchée en arrière, avec la sensation d’aller se cogner contre un gratte-ciel ! Mais c’était pour s’amuser ; tout comme quand, menton contre la plaque et oeil au somment de la stèle, on joue à oublier notre position verticale : la longue surface lisse qui s’étale devant nous pourrait très bien être horizontale, et nous avec !

Puis vient le moment d’aller s’asseoir sur l’un des nombreux bancs disposés autour de la nef. Ces jours-ci, en milieu de journée, les lieux sont baignés de soleil, l’ossature de fer et les sculptures dessinent des ombres, les visiteurs sont éloignés, minuscules dans ce vaste espace. Vous regardez le ciel, vous regardez le vert de l’architecture, vous regardez ces hautes plaques. Tout à l’heure en les caressant, le poli marbré de leur surface brune teintée de roux vous a rappelé l’écorce des arbres. Là maintenant, il vous semble entendre le bruit du vent dans les pins, celui des vagues ; vous regardez à nouveau les visiteurs en bermuda qui marchent calmement, prennent des photos et admirent. Vous n’êtes plus vraiment sûr d’être dans une salle d’exposition, au coeur de la capitale, mais dans un lieu indéterminé, qui s’invente sous vos yeux, en vous faisant basculer d’une intense contemplation à un vague et doux vagabondage.

Monumenta 2008 – Richard Serra, Promenade
Jusqu’au 15 juin 2008
Grand Palais – av. Winston Churchill, Paris 8ème
M° Franklin Roosevelt, Champs-Elysées-Clémenceau
Bus 28, 32, 42, 72, 73, 80, 83, 93
TLJ sauf le mardi
Lun. et mer. de 10h à 19h ; jeu. à dim. jsq 23h
Ouvert lundi 12 mai
Entrée : 4 € (TR 2 €)

Si vous voulez en savoir plus sur l’artiste, son parcours, son travail, la façon dont il conçoit et pense ses oeuves et celle-ci en particulier, Monumenta met à votre disposition, sur place, tout un arsenal destiné à rapprocher l’art contemporain du grand public : audioguide et fascicule gratuits, espace documentaire, DVD en boucle et médiateurs. Vous pouvez également visiter le site internet (lien-ci-dessus).

Image : Promenade, 2008 I (acier, cinq éléments de 1700 x 400 x 13 cm chacun) – photo Lorenz Kienzle – tous droits réservés Monumenta 2008, ministère de la Culture et de la Communication

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