L’Apparition. Xavier Giannoli

Jacques, grand reporter de guerre, revient du Proche-Orient terrassé, effrayé, après avoir perdu son grand ami photographe, tué par une explosion à quelques mètres de lui. Son oreille aussi en a gardé des séquelles et il se calfeutre dans sa maison comme un animal traqué. Jusqu’à ce qu’un émissaire du Vatican l’invite à se rendre à Rome, où il doit être entretenu d’une mystérieuse mission.

Les amateurs des grandes scènes d’ouverture apprécieront celle-ci, où l’on voit Jacques passer du monde de fureur de la guerre, de l’image et des médias à celui des chuchotements et des dossiers sous sceau : les archives du Saint-Siège débordent d’affaires d’apparitions restées sous cloche, et c’est dans le plus grand secret qu’on lui demande d’enquêter sur un nouveau cas, qui embarrasse le Vatican par crainte d’imposture.

C’est ainsi que Jacques se rend dans une petite ville du Sud-Est de la France, montagneuse, ensoleillée et fourmillant de pèlerins. Anna, seize ans, désormais novice, affirme en effet avoir vu la Vierge à deux reprises et entendu lui demander de bâtir un sanctuaire pour son Fils. Au sein d’une commission ad hoc, l’enquête, encadrée par une procédure très précise peut commencer. Mais ce cadre ne suffira sans doute pas à Jacques pour atteindre l’objectif qui l’obsède : l’établissement des faits.

Parallèlement à la procédure officielle, à l’enquête, aux interviews de la jeune fille, à cet univers clos, se déploient les manifestations des croyants autour d’une Anna en voie de sanctification, l’attitude divisée du clergé autour de sa personne et de ses déclarations, et l’attirail médiatique et commercial autour de cette nouvelle « voyante ».

Mais  à côté de tout ce visible, il y a l’invisible. Les combats qui agitent le cœur d’une jeune fille bouleversée – dont on se demande sans cesse si ce n’est que par les apparitions.  Les tourments et les étonnements qui bousculent un grand journaliste qui ne se vit que comme athée. Les questions auxquelles il manque toujours un bout de réponse.

Impeccablement bâti, tourné, interprété par l’ensemble de la distribution (à commencer par Vincent Lindon et Galatea Bellugi), le dernier film de Xavier Giannli est une haletante enquête qui agit par cercles concentriques. Tout au cœur, il y a bien sûr les questions du mystère et de la foi, au sens religieux, mais aussi au sens plus large de confiance. Ce que l’on fait, ce que l’on dit, ce que l’on tait (et qui peut nous faire périr). Le dit et l’indicible, parfois aussi fort qu’un cri. Les images, parfois abîmées, les lettres qui finissent par révéler et finalement, qu’est-ce qui change ? Un sceau sur un énième dossier ? Certainement un homme remué par de nouvelles questions, éclairé par une autre vision, profondément transformé.

L’Apparition, un drame de Xavier Giannoli

Avec Vincent Lindon, Galatea Bellugi, Patrick d’Assumçao

Durée 2 h 17

Sorti en salles le 14 février 2018

Facebooktwitter

Pater. Alain Cavalier

Pater, Alain Cavalier

Où sommes nous ? Dans un film d’Alain Cavalier ; tourné dans l’appartement d’Alain Cavalier. Que voit-on ? Les mains d’Alain Cavalier servant un repas. Qui tient la caméra ? Vincent Lindon. Qu’est-ce qu’ils font là, tous les deux ? Pour l’instant, ils mangent une assiette d’anti-pasti soigneusement préparée et boivent du vin.
Plus tard, ils poursuivront. Avec d’autres aussi, parfois.
C’est important, ce moment, ce partage. Alain Cavalier qui demande à Vincent Lindon : tu en as assez, je t’en mets un peu plus ? Déjà, un lien se dessine, celui que signe le titre du film : un lien filial, tendre et très fort.

Pendant 1 h 45, on va voir deux hommes qui à la fois jouent à être, l’un président de la République (Cavalier, magnifique) et l’autre son premier ministre (Lindon, impressionnant) et en même temps incarnent ce président et ce premier ministre. Ambiguïté délicieuse qui, loin d’égarer, additionne les bienfaits des deux situations.
Dans l’une, on découvre la complicité de deux artistes cimentée par un projet commun, se passant alternativement la caméra numérique, faisant ensemble du cinéma à faibles moyens et aux très ambitieuses idées.
Dans l’autre, on assiste à la relation respectueuse, amicale, et parfois très dure, entre deux hommes politiques, l’un en fin de parcours, l’autre en pleine ascension. Ce qui les unit ? Un même engagement politique pour une société moins injuste où, "de même qu’il existe un salaire minimum, il existerait un salaire maximum".

Difficile de décrire les sentiments de félicité et de gratitude qui envahissent le spectateur pendant et après le film.
Certainement viennent-ils de cet amour qui se dégage de ces deux êtres et de ces deux personnages ; mais aussi de la clairvoyance d’Alain Cavalier en matière politique (à laquelle se conjugue la vision de Vincent Lindon), qui montre avec une formidable acuité les ressorts de l’engagement dans l’action politique, les ressorts de compétition et les stratégies qu’elle implique. Dans une "sortie" confondante de naturel, Vincent Lindon démontre superbement comment les puissants peuvent être forts avec les faibles et faibles avec les forts. Dans une scène inoubliable, extraordinaire de vérité, de calme et de retenue, les deux hommes et l’un de leur ministre découvrent la photo d’un adversaire en situation compromettante.
En ce sens, ce qu’apporte le film d’Alain Cavalier est un regard qui peut sembler nouveau tant il tranche avec la vision actuelle du politique qui tend à l’assimiler à de la bouillie pour les chats : c’est un regard sur la noblesse de la politique quand elle est choisie pour porter des idées auxquelles on croit. Aux idées qu’il développe, le terme d’humanisme n’est pas étranger ; à la manière de servir, ceux d’intégrité et de dignité ont du sens ; le tout dans un mouvement multiple (politique, personnel, artistique) et totalement sublime de transmission.

Pater
Un film d’Alain Cavalier
Avec Vincent Lindon, Alain Cavalier, Bernard Bureau
Durée 1 h 45
Sorti en salles le 22 juin 2011

Photo © Pathé Distribution

Facebooktwitter