Festival d'Automne à Paris : ça va démarrer !

Le 40ème festival d'Automne à ParisA l’heure où l’on quitte, gonflé de regrets, ses vagues, ses cimes et ses feuillages, d’autres font chauffer les salles parisiennes pour nous préparer une rentrée tout en douceur : c’est l’équipe du Festival d’Automne qui, pour sa 40ème édition, nous a concocté cette année encore un programme aussi riche que pointu.
Plus de 60 propositions de théâtre, danse, musique, arts plastiques et cinéma nous feront sortir dans de multiples lieux parisiens et franciliens du 15 septembre au 31 décembre.

Comme à l’accoutumée, le 104, le Centre Pompidou, la Cité de la Musique, les théâtres de la Bastille, de la Ville et du Rond-Point, pour n’en citer que quelques uns accueilleront artistes renommés et nouveaux talents venus d’un peu partout dans le monde.

C’est le moment d’ouvrir grand ses yeux, de feuilleter le programme en ligne et de faire sa sélection : des chorégraphes américains aux dramaturges argentins, en passant par la musique mexicaine et les grandes scènes européennes, il y en a pour tous les goûts. Ce sera par exemple l’occasion de découvrir la compagnie DV8 (Dance & Vidéo 8) qui sous l’impulsion de Lloyd Newson agite la scène anglaise depuis 25 ans (théâtre de la Ville du 28 septembre au 6 octobre), ou encore de retrouver le danseur Sud-Africain Steven Cohen (déjà venu au Festival présenter Golgotha en 2009) avec sa pièce The Cradle of Humankind, un lien noué entre l’art contemporain et les origines de l’Homme, la danse faisant ici une incursion du côté des peintures rupestres… (Centre Pompidou du 26 au 29 octobre).

Autre bonne nouvelle, chers lecteurs, dès 3 spectacles réservés – au lieu de 4 – le Festival d’Automne offre aux lecteurs de maglm le tarif abonnés !
Pour en profiter, il suffit de cliquer sur le lien ci-dessous et de se laisser guider. Vous pouvez aussi réserver par téléphone, en précisant que vous êtes lecteur de maglm. Tout simplement !
Très beau Festival et très bel Automne à tous !

Programme, les dates, les lieux : tout savoir sur le Festival

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Ou par téléphone au 01 53 45 17 17 du lun. au ven. de 12h à 19h, sam. de 13h à 17h

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Pieds nus, traverser mon cœur. Michèle Guigon

Michèle Guigon, Pieds nus traverser mon coeurPour son quatrième solo, voici une Michèle Guigon effectivement pieds nus sur scène, au propre comme au figuré ; une Michèle Guigon désarmée, au sens le plus noble, pacifique du terme.

Elle a lutté contre la maladie, expérience qu’elle évoquait, entre crudité et pudeur, de façon très touchante dans son précédent spectacle La vie va où ?, joué 8 mois à Paris, au Lavoir Moderne Parisien, au Lucernaire puis au théâtre du Rond-Point, et dont la tournée continue (le texte est désormais édité en livre CD chez Camino Verde).

Après le combat et la peur, Michèle Guigon veut désormais passer à autre chose, ce qu’elle explique à son public (fidèle) et montre avoir parfaitement réussi. Elle traverse son cœur pour découvrir et faire partager ce qu’il contient : beaucoup d’amour.
Elle raconte son mauvais caractère et comment elle a réalisé à quel point elle pouvait se montrer meilleure.
Ce bien joli chemin, c’est peut-être à travers le deuil de ceux qu’elle a le plus aimés, ses parents, qu’elle peut enfin le suivre tranquillement.

Elle a ainsi compris pourquoi, alors qu’elle était tout enfant, son père qui avait perdu son propre père exécuté par la Gestapo, l’a emmenée voir un camp de concentration pour lui montrer de quoi l’homme était capable. Sa mère recueillant sa fillette effrayée par ce qu’elle voyait et entendait avait alors dit à son mari : "Mais tu es fou !". Michèle Guigon sans se départir de son merveilleux sourire conclut : "Oui, il était fou, il était fou de douleur", avant d’ajouter : "On est tous fous de douleur quelque part".
C’est parce que son père n’avait jamais trouvé les mots pour parler de ce tragique épisode qu’il l’avait conduite devant les douches funestes.

Les mots, Michèle Guigon, elle, les chérit, les tourne dans tous les sens comme un joailler ses pierres précieuses. Et cela s’entend : ce spectacle est magnifiquement écrit (à quatre mains, avec son amie et complice de travail Susy Firth). C’est un petit bijou de délicatesse, d’élégance, de profondeur, de sagesse et, par la grâce de ces plumes inspirées, tout autant de légèreté.
Car Michèle Guigon ponctue cette façon de récit autobiographique de délicieux aphorismes qui, comme il se doit, disent juste tout en provoquant irrésistiblement rires et sourires. On n’en livrera ici aucun, tant doit rester entier le plaisir de les découvrir de la bouche de Michèle Guigon, cette artiste qui s’espère un peu poète – on la rassure – et trouve ainsi le moyen de transformer la douleur. En voici la preuve avec cette très poignante chanson que Michèle accompagne du souffle doux de l’accordéon :

Dis Maman
Cette cloche qui sonne le glas Maman
Voilà qu’aujourd’hui c’est pour toi Maman
Tu vas connaître l’Au Delà Maman
Peut-être tu me raconteras
(…)
Dis Maman
Maint’nant que t’as laissé ta place Maman
Je me prends le vent de pleine face Maman
J’sais pas toujours ce qu’i’faut qu’j’fasse Maman
Dis Maman
Cett’ vie qui coule entre nos doigts Maman
T’a permis de m’élever deux fois Maman
La premièr’ quand j’étais enfant Maman
Et la seconde maintenant

Pieds nus, traverser mon cœur
Texte Michèle Guigon et Susy Firth
Mise en scène Anne Artigau
Théâtre du Lucernaire
53, rue Notre-Dame des Champs 75006 Paris
Jusqu’au 23 octobre 2011
Du mardi au samedi à 20h, et à partir du 11 septembre, les dimanches à 17h
Durée 1 h 15
Places 30 € (TR à 15 € et 25 €)

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Americana. Don DeLillo

Don deLillo, Americana et autres romans, ThesaurusDécouvrir le premier roman de Don DeLillo – publié en 1971 – après la lecture de Point Omega son dernier livre, permet de percevoir à quel point l’écrivain américain est demeuré fidèle à des thématiques déjà abordées il y a quarante ans.

Americana raconte à la première personne l’histoire de David Bell, un homme de 28 ans qui travaille à la télévision. Au fil de 300 et quelques pages, DeLillo nous fait suivre son quotidien sur plusieurs mois, entrecoupé de flash-back sur son enfance et ses années d’études.

L’auteur de Bruit de fond, dès son premier roman, ne prenait pas le lecteur par la main, déplaçant son narrateur d’un univers à un autre sans transition, racontant beaucoup mais n’expliquant rien, se permettant de (courts) passages à la frontière de l’obscur…

La puissance d’écriture est, elle aussi, déjà à l’œuvre, Don DeLillo donnant à l’histoire de David Bell – individu quelque peu dérangé, quoique beau, aimé, intégré socialement et bien avancé sur le chemin de la réussite – l’ampleur d’une fresque américaine.
Le monde de la télévision, avec ses heures de réunions inutiles suivies d’après-midi à ne rien faire sinon recueillir les ragots et surveiller ses concurrents, celui de la publicité à travers le père de Davy obsédé par son métier, les études huppées, le travail acharné suivies de phases de décompression dans l’alcool et le sexe, les communautarismes et la religion… sont autant de plans rapprochés sur les Etats-Unis développés par l’écrivain à travers le récit de David Bell.
La satire qui sous-tend le roman ne faiblit pas au cours du périple que le narrateur entreprend à bord d’un van vers le Grand Ouest : là, au lieu d’aller réaliser un travail documentaire sur les Navajos pour la télévision, il s’arrête dans le MidWest pour tourner son propre film, totalement autobiographique. A travers ce geste, s’affirme plus que jamais le désarroi de cet homme pris dans une société qui le traite pourtant fort bien.
Le cinéma, et plus encore la réalisation du film – très long, très lent – semble le seul recours permettant à David d’échapper à cette vie tracée, tout en lui faisant prendre encore plus conscience de l’insensé de l’existence.

Dans ce monde sinistre, des femmes seules paraît jaillir la grâce, à travers des personnages aussi beaux qu’énigmatiques, comme la mère de Davy, son ex-épouse ou encore son amie Sullivan, ou à travers de furtifs passages aussi brillants que cette pépite :

A un moment de la nuit, comme j’étais à une fenêtre surplombant une piscine bleue, je me souvins d’être passé un jour devant le Waldorf, St. Bartholomew et le building Seagram, puis d’avoir regardé sur l’autre trottoir une fille ravissante, en vert clair, qui se tenait devant la vitrine de Mercedes-Benz, dans la Cinquante-Sixième Rue. C’était un soir d’été, un vendredi, et la ville commençait à se vider. Je traversai jusqu’au terre-plein central de l’avenue, et m’arrêtai un moment pour l’observer. Elle attendait quelqu’un. Le crépuscule violet de Park Avenue glissait sur d’immenses vitres. La circulation ralentit, et le bêlement doux des klaxons soulevait une demi-note de désir dans le crépuscule lourd. Il flottait une impression de tropique, de volupté et de fruit cueilli, et aussi de mer, une promesse qui se dénudait en vagues d’air salé par les fleuves et la baie, de hamacs et de plantes géantes sur les toits-terrasses, un homme et une femme qui regardaient la ville descendre dans les cratères musicaux de sa naissance. Et elle se tenait devant la vitrine, pas vraiment face à moi, blonde et bien faite, avec toute cette vitesse élégante emprisonnée derrière elle, barres de torsion et freins à disque dissimulés, dans la posture de la belle mécanique, et son corps à elle, légèrement détourné, semblait se fondre dans les réfractions de verre. C’était tout ce qu’il y avait et c’était tout.

Americana
Don DeLillo
Œuvres romanesques, Tome I (cinq romans)
Actes Sud, Thesaurus, 1536 p., 30 € (2008)

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Charlotte Perriand, de la photographie au design

Charlotte Perriand en montagneMalgré son parcours erratique, l’exposition consacrée à Charlotte Perriand (1903-1999) jusqu’au 18 septembre au Petit Palais permet, à travers de multiples supports, de se faire une bonne idée de ses créations, de ses sources d’inspiration et des valeurs auxquelles elle est restée fidèle durant sa longue vie.

Les cultures et traditions locales, l’observation et le respect de la nature, le besoin de plein air et de retrait, l’humanisme ont guidé la vie et le travail de cette Parisienne d’origine savoyarde.

Faisant équipe avec Le Corbusier et Pierre Jeanneret, elle a fait partie de ceux qui, dans la première moitié du XXème siècle ont révolutionné la façon de concevoir l’habitat autour de principes ultra-modernes : légèreté, praticité, confort, accessibilité, à une époque où de lourds et trop profonds buffets encombraient les salles à manger et où chaises et fauteuils, au fil des modes, semblaient davantage pensés selon des préoccupations esthétiques que pour accueillir le repos de l’homme et de la femme.

Charlotte Perriand ne renonce pas pour autant à la beauté, bien au contraire. Il n’y a qu’à regarder une fois de plus ses tables au pans coupés, ses meubles aux formes adoucies ou sa très fameuse chaise longue dessinée dès 1928 pour s’en convaincre.

Évoquant sans trop s’y attarder les longs voyages à l’étranger de l’architecte-designer, qui furent pourtant fondamentaux, l’exposition fait la part belle – et c’est une réussite – à l’importance de la nature dans le travail de Charlotte Perriand.
Avec ses amis tels que Pierre Jeanneret ou encore le peintre Fernand Léger, autre grand complice, elle arpentait les plages de Normandie, la forêt de Fontainebleau. Ils ramassaient tout ce qui attirait leurs yeux grands ouverts : bouts de bois flotté, arrêtes et os polis, galets de grès… Ensuite, Perriand les intégrait dans ses décors, chez elle ou dans ses projets, comme « La Maison du Jeune Homme » conçue en collaboration avec René Herbst, Louis Sognot, Le Corbusier et Pierre Jeanneret pour l’Exposition Internationale de 1935 : l’on y voit exposés sur des étagères devenues depuis des classiques de beaux spécimens de cailloux et autres reliques naturelles.

Avant même de les recycler sous une forme ou sous une autre pour l’habitat, Charlotte Perriand photographiait arbres et pierres ; les grands tirages en noirs et blancs révèlent un sens artistique accompli dans ce domaine également.
L’on admire aussi des dessins puis des peintures que Fernand Léger tirait des formes végétales. Ils sont présentés avec les meubles en bois et aux lignes courbes de Charlotte Perriand ; de l’ensemble se dégage une grande cohérence.
La complicité Perriand/Léger s’est d’ailleurs concrétisée à de multiples reprises et notamment dans la « La Maison du Jeune Homme », où l’on aperçoit les fresques de Fernand Léger dans la salle de sport attenant au bureau.

Avant de partir, ne pas oublier d’aller voir, à l’étage, l’émouvante fresque en photo-montage, longue de 16 mètres, réalisée pour le Salon des Arts ménagers : « La Grande Misère de Paris ». Engagée, progressiste et humaniste, Charlotte Perriand en appelle à l’allègement des tâches incombant aux femmes, à un meilleur partage des richesses et à une capitale laissant sa place à la nature. C’était en 1936, et la signature d’une femme résolument d’avant-garde.

Charlotte Perriand, de la photographie au design
Petit Palais
Avenue Winston Churchill – 75008 Paris
Tel : 01 53 43 40 00
Du mardi au dimanche de 10h à 18h, nocturne le jeudi jusqu’à 20h
Fermé le lundi et les jours fériés
Jusqu’au 18 septembre 2011
Plein tarif : 8 euros – tarif réduit : 6 euros

Image : Ch. Perriand en montagne, vers 1930 © AChP

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Le poids du papillon. Erri De Luca

Erri de Luca, Le poids du Papillon, GallimardLe papillon se pose sur la corne gauche du chamois. C’en est trop pour l’homme qui porte sur le dos l’animal qu’il vient de tuer. « Sa respiration s’assombrit, ses jambes se durcirent, le battement des ailes et le battement du sang s’arrêtèrent en même temps. Le poids du papillon avait fini sur son cœur, vide comme un poing fermé ».
Parfois le plaisir de lecture vient seulement (seulement !) du présent de la phrase, lorsqu’elle est là quand il le faut, lorsqu’elle sait se détacher de la narration pour évoquer bien davantage : la nature, la vie et la mort. On peut alors dire « écriture poétique », peut-être. Si la phrase belle arrête brusquement le lecteur et qu’il la relit, si son esprit s’évade ne serait-ce que le temps de la relecture, on peut soupçonner un parfum de poésie.
Erri De Luca, qui sait ce dont il parle quand il fait retour sur la jeunesse révolutionnaire, prend cette image : « On n’a plus jamais vu une jeunesse s’acharner à ce point pour renverser une assiette. Une assiette à l’envers ne contient presque rien, mais elle a une base plus large, elle est plus stable ».
Et quelle force dans cette formule, pour dire la pensée de sa propre finitude : « Il attend la sortie des enfants de l’école, le nouveau monde, les voix continueront quand son harmonica se taira. La vie sans lui est déjà en chemin ».
La maison Gallimard, sur la jaquette du livre, affadit l’oeuvre qu’elle publie (tout en trompant le public) en la baptisant « roman ». Ce court récit de 60 pages, suivi de « Visite à un arbre », encore plus bref, a la profondeur des contes que l’on s’échangeait au cours des veillées d’autrefois. Cette rencontre entre le roi des chamois et le roi des chasseurs mérite que l’on se taise un moment : asseyez vous auprès du feu, et écoutez.

Le poids du papillon
Erri De Luca
Gallimard, Du Monde Entier, 9,50 € (publié en mai 2011)

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Inter. Pascal Quignard

Inter, Pascal Quignard, Argol-dans la friche ni silence
ni fracas

Dans les gorges sauvages, ce n’est NI
Le SILENCE, ni le tumulte

(dans l’ouvert. Silence : non,
tumulte : non.)

Ces trois citations sont extraites des traductions d’un même texte latin :
(In saltibus. NON SILEN- TIUM, non tumultus.)

Mais il ne s’agit pas d’un poème d’un auteur ancien. Car c’est Pascal Quignard qui a publié Inter aerias fagos il y a 35 ans. Le livre d’aujourd’hui présente plusieurs textes autour de ce poème, dont 7 traductions par 7 auteurs différents.
Mais on a aussi l’histoire de l’aventure de cette publication par son initiatrice, Bénédicte Gorrillot, et la lettre envoyée à cette dernière par Pascal Quignard, qui revient avec précision sur le « monde intérieur » qui lui a permis d’écrire le poème. Elle avait prévu de l’interroger en face à face sur ce texte, mais il n’a pu répondre de vive voix : « vous avez pu le constater par vous-même, je ne puis affronter en direct ma vie ».

A partir de ce poème d’une cinquantaine de lignes étalées sur 11 pages, on a donc 9 traductions : soit sous forme poétique soit sous forme de commentaires.

La lecture en est passionnante parce que les questions sur la nature de la poésie sont ici clairement posées. Par exemple, on saisit bien que la poésie que l’on lit essaye de garder ou de réveiller le souvenir de l’oralité. Le poète a utilisé les ressources de la typographie pour animer le texte de respirations, d’effets de voix basse ou de voix forte (parenthèses, gras, majuscules). Les traducteurs ont reproduit ou pas ces consignes. Mais ils ont dû faire aussi avec les slash, les guillemets, l’espacement des mots, des paragraphes.

Au total, les partis pris de chacun aboutissent à des textes très différents, par la traduction des mots, par leur disposition, mais ils gardent leur cohérence interne, car chaque membre de phrase s’inscrit dans une totalité, une tonalité, qui caractérise l’auteur. Au-delà des quelques uns et quelques unes qui joueront à donner leur version à partir de l’original, le livre plaira à tous ceux et celles qui aiment retourner l’histoire de l’écriture : oublier que l’écrit se lit dans le silence, et faire ressurgir la voix, le cri, l’exclamation, toutes les expressions du verbe avant qu’il ne se soit figé dans la page.

INTER
Inter aerias fagos
Pascal Quignard
Traductions de Pierre Alferi, Eric Clémens, Michel Deguy, Bénédicte Gorillot, Emmanuel Hocquard, Christian Prigent
Argol, Janvier 2011, 170 pages (19 €)

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Le poids du papillon. Erri De Luca

Erri de Luca, Le poids du Papillon, GallimardLe papillon se pose sur la corne gauche du chamois. C’en est trop pour l’homme qui porte sur le dos l’animal qu’il vient de tuer. « Sa respiration s’assombrit, ses jambes se durcirent, le battement des ailes et le battement du sang s’arrêtèrent en même temps. Le poids du papillon avait fini sur son cœur, vide comme un poing fermé ».

Parfois le plaisir de lecture vient seulement (seulement !) du présent de la phrase, lorsqu’elle est là quand il le faut, lorsqu’elle sait se détacher de la narration pour évoquer bien davantage : la nature, la vie et la mort. On peut alors dire « écriture poétique », peut-être. Si la phrase belle arrête brusquement le lecteur et qu’il la relit, si son esprit s’évade ne serait-ce que le temps de la relecture, on peut soupçonner un parfum de poésie.

Erri De Luca, qui sait ce dont il parle quand il fait retour sur la jeunesse révolutionnaire, prend cette image : « On n’a plus jamais vu une jeunesse s’acharner à ce point pour renverser une assiette. Une assiette à l’envers ne contient presque rien, mais elle a une base plus large, elle est plus stable ».
Et quelle force dans cette formule, pour dire la pensée de sa propre finitude : « Il attend la sortie des enfants de l’école, le nouveau monde, les voix continueront quand son harmonica se taira. La vie sans lui est déjà en chemin ».

La maison Gallimard, sur la jaquette du livre, affadit l’oeuvre qu’elle publie (tout en trompant le public) en la baptisant « roman ». Ce court récit de 60 pages, suivi de « Visite à un arbre », encore plus bref, a la profondeur des contes que l’on s’échangeait au cours des veillées d’autrefois. Cette rencontre entre le roi des chamois et le roi des chasseurs mérite que l’on se taise un moment : asseyez vous auprès du feu, et écoutez.

Le poids du papillon
Erri De Luca
Gallimard, Du Monde Entier, mai 2011 (9,50 €)

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Manuscrits de guerre. Julien Gracq

Julien Gracq, Manuscrits de Guerre, José CortiDeux formes d’écriture pour nous conter l’histoire d’une défaite.
Julien Gracq n’a jamais publié ces manuscrits qui ont attendu sa disparition pour être proposés à la lecture. Peut-être les a-t-il jugés trop proches de lui, car ils mettent en scène le lieutenant Louis Poirier, qui a préféré construire une œuvre sous le nom de Gracq, caractérisée par un imaginaire qui privilégie le fantasmatique des situations plutôt que la référence au réel.

Ici la guerre de 1940 est décrite d’abord par le lieutenant Poirier, au jour le jour, du 10 mai au 2 juin. Le climat de défaitisme y est très précisément décrit. La section que dirige le lieutenant est totalement dépassée par les évènements. Des ordres contradictoires ou pas d’ordre du tout de la part du commandement, des ennemis dont on sent la présence mais souvent invisibles, qui semblent véritablement se promener dans la campagne plutôt que faire la guerre. Lorsque les deux armées s’affrontent, c’est pour s’apercevoir de l’évidente supériorité de l’armée allemande : « J’ai beau faire, je sens en moi-même combien en quelques minutes, sans contact direct, l’ennemi a établi un ascendant brutal sur nous –combien dès ce moment nous nous sentons surclassés (…) il ne nous en faut pas plus pour savoir, au plus intime de nous-mêmes, qu’il suffit d’une pichenette de notre part pour déclencher instantanément chez l’homme d’en face un violent coup de poing ».

Dès la défaite, Poirier interprète les évènements à la manière de Gracq, plus attiré par les logiques cachées et les motivations secrètes que par les rationalisations savantes : « Mais c’était peut-être trop laisser de côté la part obscure du combat : le duel des volontés –et pour l’âme docile au choc si autoritaire des détonations contre le tympan il s’établissait comme en langage chiffré, comme en morse, un dialogue mystique : d’un côté l’âme sage, timide et économe, et de l’autre une volonté sauvage, farouche, d’étouffer, d’écraser, de courber sous son joug l’adversaire, d’avoir à tout prix le dernier mot ».

Aussi ces Souvenirs de guerre en disent tellement sur cette période (qui avait encore en mémoire l’affreuse boucherie de 14-18), que le Récit de Julien Gracq, à la troisième personne, cette fois plus « travaillé », littérairement parlant, ne semble pas apporter grand-chose de plus. Ou alors il ne faut pas lire les deux formes à la suite, ou lire d’abord la seconde. On trouve les phrases trop longues, un abus des deux points. Dans les trente dernières pages, le ton devient plus juste. Il fallait en somme choisir, ou raconter cette guerre ou évoquer le lourd sentiment de défaite par un récit moins situé, plus onirique. Poirier avait choisi Gracq, qui n’avait pas publié.

Manuscrits de guerre
Julien Gracq
José Corti, avril 2011 (19 €)

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L’Art de l’automobile. Chefs-d’œuvre de la collection Ralph Lauren

Alfa Romeo 1938 chez Ralph Lauren

Nul besoin d’être transporté, si l’on ose dire, par les engins mécaniques, pour apprécier l’exposition des dix-sept automobiles issues de la collection de Ralph Lauren, à voir au Musée des Arts Décoratifs à Paris jusqu’au 28 août 2011.

Merveilleusement et simplement mises en valeur, ces voitures de course – certaines dans une version "grand tourisme" – sont de véritables pièces de design, que l’on peut admirer, indifférent aux notions de cylindrée et de vitesse, comme des œuvres d’art.
Présentées par ordre chronologique les exemplaires exposés couvrent essentiellement la période 1929-1960, excepté une Mc Laren F1 LM de 1996.

Ce qui frappe le plus à la découverte de ces modèles d’exception (la plupart n’ont été fabriqués qu’à un nombre très limité d’exemplaires) est la sensualité de leurs lignes, toutes en courbes et délicieusement profilées, sans parler de leur "robe" : impeccablement restaurées et bichonnées, leurs carrosseries et leurs chromes ont la brillance de la soie et leurs intérieurs de cuir sont une invitation à l’abandon… Comment imaginer tant de fureur (les vitesses annoncées dont de l’ordre de 200 voire 250 km/heure) dans la douceur de tels écrins ?

A propos de fureur, on verra l’une des 90 voitures sorties d’usine de la fameuse Porsche 550 Spyder, modèle au volant de laquelle, alors flambant neuve, James Dean a trouvé la mort en 1955.
On pourra aussi regarder longuement le petit bijou qu’est la Bugatti Atlantic (1938) placée en ouverture d’exposition, synonyme de luxe absolu quand on sait qu’il n’en fut construit que quatre exemplaires, et dont les assemblages à rivets ne sont pas sans rappeler la haute-couture.
Conquis par la beauté de ces autos, on finit par jouer à "si j’avais le choix, laquelle je prendrais ?". Réponse : pas une mais deux ! La flamboyante Alpha Romeo 8 C 2900 Mille Miglia de 1938, dont les phares provocants, le rouge clair déraisonnable et les ailes profilées en goutte d’eau semblent dessinés pour déambuler sur la Riviera ; et la très classieuse Jaguar XK120 Roadster (1950), adorée par les stars du cinéma hollywoodien, parfaite pour circuler partout ailleurs où il fait beau.

Chefs d'oeuvre de la collection Ralph Lauren

L’Art de l’automobile. Chefs-d’œuvre de la collection Ralph Lauren
Musée des Arts Décoratifs
107 rue de Rivoli – 75001 Paris
Tél. : 01 44 55 57 50
Métro : Palais-Royal, Pyramides ou Tuileries
Autobus : 21, 27, 39, 48, 68, 69, 72, 81, 95
Du mardi au dimanche de 11h à 18h
Le jeudi : nocturne jusqu’à 21h
Entrée 9 € (TR 7,5 €)
Jusqu’au 28 août 2011

Alfa Romeo 8C 2900 Mille Miglia, 1938 et Jaguar XK120 Roadster, 1950. Collection Ralph Lauren © Photo Michael Furman

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Pater. Alain Cavalier

Pater, Alain Cavalier

Où sommes nous ? Dans un film d’Alain Cavalier ; tourné dans l’appartement d’Alain Cavalier. Que voit-on ? Les mains d’Alain Cavalier servant un repas. Qui tient la caméra ? Vincent Lindon. Qu’est-ce qu’ils font là, tous les deux ? Pour l’instant, ils mangent une assiette d’anti-pasti soigneusement préparée et boivent du vin.
Plus tard, ils poursuivront. Avec d’autres aussi, parfois.
C’est important, ce moment, ce partage. Alain Cavalier qui demande à Vincent Lindon : tu en as assez, je t’en mets un peu plus ? Déjà, un lien se dessine, celui que signe le titre du film : un lien filial, tendre et très fort.

Pendant 1 h 45, on va voir deux hommes qui à la fois jouent à être, l’un président de la République (Cavalier, magnifique) et l’autre son premier ministre (Lindon, impressionnant) et en même temps incarnent ce président et ce premier ministre. Ambiguïté délicieuse qui, loin d’égarer, additionne les bienfaits des deux situations.
Dans l’une, on découvre la complicité de deux artistes cimentée par un projet commun, se passant alternativement la caméra numérique, faisant ensemble du cinéma à faibles moyens et aux très ambitieuses idées.
Dans l’autre, on assiste à la relation respectueuse, amicale, et parfois très dure, entre deux hommes politiques, l’un en fin de parcours, l’autre en pleine ascension. Ce qui les unit ? Un même engagement politique pour une société moins injuste où, "de même qu’il existe un salaire minimum, il existerait un salaire maximum".

Difficile de décrire les sentiments de félicité et de gratitude qui envahissent le spectateur pendant et après le film.
Certainement viennent-ils de cet amour qui se dégage de ces deux êtres et de ces deux personnages ; mais aussi de la clairvoyance d’Alain Cavalier en matière politique (à laquelle se conjugue la vision de Vincent Lindon), qui montre avec une formidable acuité les ressorts de l’engagement dans l’action politique, les ressorts de compétition et les stratégies qu’elle implique. Dans une "sortie" confondante de naturel, Vincent Lindon démontre superbement comment les puissants peuvent être forts avec les faibles et faibles avec les forts. Dans une scène inoubliable, extraordinaire de vérité, de calme et de retenue, les deux hommes et l’un de leur ministre découvrent la photo d’un adversaire en situation compromettante.
En ce sens, ce qu’apporte le film d’Alain Cavalier est un regard qui peut sembler nouveau tant il tranche avec la vision actuelle du politique qui tend à l’assimiler à de la bouillie pour les chats : c’est un regard sur la noblesse de la politique quand elle est choisie pour porter des idées auxquelles on croit. Aux idées qu’il développe, le terme d’humanisme n’est pas étranger ; à la manière de servir, ceux d’intégrité et de dignité ont du sens ; le tout dans un mouvement multiple (politique, personnel, artistique) et totalement sublime de transmission.

Pater
Un film d’Alain Cavalier
Avec Vincent Lindon, Alain Cavalier, Bernard Bureau
Durée 1 h 45
Sorti en salles le 22 juin 2011

Photo © Pathé Distribution

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