Valadon / Utrillo : au tournant du siècle à Montmartre

Exposition Maurice Utrillo et Suzanne Valadon à la Pinacotheque de ParisA travers une centaine de tableaux de Maurice Utrillo et de sa mère Suzanne Valadon, la Pinacothèque de Paris propose jusqu’au 15 septembre 2009 une exposition des plus narratives.

Voici en effet une histoire que les grands romanciers du XIXème siècle auraient pu inventer : Suzanne Valadon, née Marie-Clémentine Valade en 1865, fille naturelle d’une blanchisseuse, brièvement acrobate, devient modèle à l’âge de quinze ans, après avoir italianisé son prénom en Maria pour obtenir plus de succès. Elle pose pour Renoir, Degas, Puvis de Chavannes, devient la maîtresse de Toulouse-Lautrec. Elle n’a pas vingt ans lorsqu’elle donne naissance à un fils, Maurice, lui aussi de père inconnu. Mais le sort de modèle ne la comble pas et, très vite, encouragée par Degas, et en autodidacte, elle se met au dessin.

L’exposition montre que la belle brune (un autoportrait à l’encre de chine souligne sa bouche charnue, ses grands yeux et ses cheveux épais) a eu raison de suivre cette voie : dès 1894, sa Fillette nue allongée sur un canapé montre l’efficacité de son coup de crayon, pour tracer magnifiquement ce corps de fillette anguleux et abandonné, mais aussi pour saisir l’ennui et la mélancolie d’un moment d’attente ou de lassitude.

Le fils Maurice, quant à lui, ne tarde guère à attraper les pinceaux : suivant la mode impressionniste, il va à Montmagny dans le Val d’Oise où, en compagnie de son ami Utter, il peint champs et vergers. La végétation dense est fondue en de superbes camaïeux de verts constellés d’orangés automnaux, et, déjà, la peinture est épaisse, tout en matière.

Mais, en 1909, un événement bouleverse la vie et l’oeuvre de la mère et par contre-coup celles du fils : une passion amoureuse naît entre Suzanne et Utter, qui est aussi jeune que Maurice. Tandis que Suzanne Valadon abandonne le dessin traditionnel pour la peinture, Maurice Utrillo, profondément bouleversé par cette relation, se détourne définitivement de la nature pour ne peindre désormais que la ville. Il s’installe dans le quartier populaire de Montmartre et là, boit sans soif ni mesure. Errements éthyliques, éclats sur la voie publique, tentatives de suicide seront suivies d’emprisonnements et d’internements psychiatriques et établiront à jamais une triste notoriété.

Exposition à la Pinacothèque, Valadon UtrilloPourtant, avant qu’il ne rencontre le succès, en 1914, et se mette alors à peindre "en série" pour acheter sa boisson quotidienne, Utrillo a réalisé de magnifiques paysages urbains (c’est sa période dite "blanche") : ciels blafards, rues grises et désertes, églises de banlieue comme abandonnées, Maurice Utrillo se fait le topographe d’une ville sans couleur ni espoir. Sa peinture, avec ses petites touches en reliefs est d’une superbe matérialité (il n’hésite d’ailleurs pas à utiliser du plâtre pour en garnir ses toiles), mais aussi d’une grande poésie, qui se déploie en particulier dans ses vues urbaines enneigées.

Lorsque la qualité de sa production décline au profit de la quantité, c’est sa mère Suzanne Valadon qui se met à peindre, tous azimuts et en éclatantes couleurs. Ses nus et des natures mortes témoignent d’une extraordinaire vitalité, à l’opposé des perspectives éteintes de son fils.
Du coup, en refermant ce passionnant feuilleton parisien du début du XXème siècle, tout en admirant l’audace de cette femme du peuple devenue artiste par la seule force de sa volonté à une époque où une telle destinée, pour une femme de son rang, n’allait pas de soi, l’on ne peut s’empêcher de penser qu’il ne devait pas être facile d’être fils d’une telle personnalité…

Suzanne Valadon – Maurice Utrillo
Au tournant du siècle à Montmartre. De l’impressionnisme à l’École de Paris Pinacothèque de Paris
28, place de la Madeleine – Paris 8ème
Jusqu’au 15 septembre 2009
TLJ de 10 h 30 à 18 h
Les vendredi 1er mai et mardi 14 juillet 2009, de 14 h à 18 h
Nocturnes jusqu’à 21 h tous les premiers mercredis du mois
Entrée 9 € (TR 7 €)

Image : Maurice Utrillo, Le café de la Tourelle à Montmartre, vers 1911, Huile sur carton, 50×73 cm, Courtesy Jean-Thierry Besins, Monaco © Jean Fabris, 2009 © Adagp, Paris 2009

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A Paris, les films primés aux Rencontres de Toulouse

Vil Romance, José CampusanoLes 21° Rencontres des Cinémas d’Amérique latine de Toulouse se sont achevées hier.
Dès demain mardi 31, au Nouveau Latina, les Parisiens pourront découvrir en avant-première trois des films primés.

La soirée commence à 20 h, avec le prix Signis du Court-métrage Café Paraiso de Alonso Ruiz Palacios (Mexique, 10 min, 2008). Il sera suivi du Grand Prix Coup de Cœur Impulso de Mateo Herrera (Equateur, 1 h 24, 2009), puis à 22 h, du Prix Découverte de la Critique Française et Rail d’Oc Vil Romance.

Ce dernier film, réalisé par l’Argentin José Campusano, n’a pas laissé les festivaliers indifférents. Il met en scène une histoire d’amour tragique entre le jeune Roberto et Raúl, un homme de trente ans son ainé. Malgré la dureté de Raúl, Roberto s’attache à lui, se sent à l’abri sous son aile. Mais ce lien s’avère de plus en plus dangereux, Roberto révélant sa duplicité et sa violence au fil de cette vie de couple singulière. En même temps, le spectateur découvre la famille et les amis de Roberto, et entrevoit ce qui peut le pousser à s’obstiner dans cette relation d’amour douloureuse.
Vil Romance est un film profondément dérangeant, sur la violence, sur les masques qu’elle prend (le portrait de Raúl est captivant), sur les chaînes qu’elle instaure et le pouvoir – ou non – de les briser. Filmé à la manière d’un documentaire dans un quartier peu amène de Buenos Aires, magnifiquement interprété de toutes parts, ce prix Découverte marque durablement les esprits.

Vil Romance de José Campusano (Argentine, 1 h 43, 2008)
A voir demain mardi 31 mars à 22 h
Précédé, à 20 h, de Café Paraiso et de Impulso
Au Nouveau Latina
20, rue du Temple – Paris 4ème
Tél. 01 42 78 47 86

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Tourbillons à Toulouse

Tourbillons, Lais BodanzkyAux Rencontres des Cinémas d’Amérique latine de Toulouse, entre deux films argentins qui explorent les thématiques récurrentes depuis une dizaine d’années du cinéma argentin (l’homosexualité, la religion, la violence), l’heureuse surprise vient cette année d’un film brésilien, présenté hors compétition dans la section "Panorama".

Tourbillons, dont le titre original « Chega de Saudade » évoque plus directement l’unité de lieu du film – un dancing de São Paulo – aborde pourtant un sujet glissant. Risques de condescendance, d’accumulation des clichés, sans compter celui de tourner en rond. Laís Bodanzky les évite tous avec une solide maîtrise pour nous offrir un film très emballant.

Tourbillons se déroule pratiquement de bout en bout dans un bal d’habitués d’âge mûr que l’on va suivre de son ouverture en début de soirée jusqu’à sa fermeture à minuit. Pendant ces quelques heures denses, la caméra souple et inspirée du Brésilien suit ces hommes et ces femmes, couples légitimes ou de circonstances, amis et amies, célibataires, divorcés, veufs faux et vrais.
Les années ont argenté les tempes et plissé les peaux, mais laissé intact le goût du tango, de la rumba et du cha-cha-cha, l’admiration pour la précision d’un pas, la grâce d’un chaloupé et l’harmonie d’un duo. Les sandales dorées ont toujours le talon haut et fier, les yeux et les bouches leur rimmel pailleté, les hommes leur bagout et leur torse engageant.

Tourbillons à ToulouseLaís Bodanzky ne filme pourtant pas une micro-société vieillissante qui refuserait son âge ou se donnerait l’illusion de revivre sa jeunesse éternellement. Tourbillons ne donne d’ailleurs rien "en spectacle" : il est avec ses personnages, au plus près d’eux, à hauteur d’eux. Il les aime, nous les fait aimer et nous empêche de les juger. Ces hommes et ces femmes acceptent leur âge et le considèrent avec beaucoup de lucidité, ce qui ouvre la porte à l’humour, un humour parfois doux-amer, parfois même cruel.
Et si tous sont des fous de danse, c’est la vie qu’ils viennent chercher avant tout à la Chega de Saudade. A un moment donné, deux femmes se crêpent le chignon au sujet d’un homme qui est le mari de l’une et l’amant de l’autre. La première dit à la seconde : "Tu ne sais pas ce que c’est que l’amour !". Et l’amante de répondre : "Moi, ce qui m’intéresse, c’est de me sentir vivante !".

De vie, le dancing n’en manque pas. Il est le lieu où se se retrouvent les peurs et les doutes, l’âge, la mort, la jalousie, l’abandon ; mais aussi ce qui peut en sauver, au moins pour un temps, l’amour, l’amitié, la fidélité, la confiance, la dignité.
Laís Bodanzky caresse les drames, surprend les instants de mélancolie, de sensualité et de colère sans détour mais avec délicatesse, et nous donne le plaisir de voir exister des personnages magnifiques, de leur laisser nous apprendre des choses sur eux-mêmes, sur nous-mêmes et sur la vie, quelque chose de gai et d’un peu douloureux, mais qui vaut le coup d’être dansé, en gardant sa souplesse, son rythme et sa superbe.

Tourbillons / Chega de Saudade
De Laís Bodanzky
Brésil – 2007 – 1h35
Scénario : Luis Bolognesi
Interprétation : Tonia Carrero, Leonardo Villar, Cassia Kiss, Betty Faria, …
Distribution : Arte cinéma

Le site du film

Le palmarès des 21° Rencontres des Cinémas d’Amérique latine de Toulouse qui s’achèvent aujourd’hui

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Les 21e Rencontres Cinémas d'Amérique latine à Toulouse

Rencontres des cinemas d'Amerique latine de Toulouse 2009Les Rencontres des Cinémas d’Amérique latine ont démarré ce vendredi jour du printemps et se déroulent jusqu’au dimanche 29 mars à Toulouse.

Conformément à une tradition désormais bien établie, elles seront l’occasion de distinguer les films les plus marquants de la production cinématographique contemporaine venue d’Amérique latine, avec :

– le Grand Prix Coup de cœur et le Prix du Public Intramuros (sept longs métrages inédits en France),
– le Prix Découverte de la Critique Française de Cinéma et ceux des Cheminots Cinéphiles (six premiers films inédits en France),
– le Prix de la FIPRESCI (premiers films),
– le Prix Signis, qui récompensera l’un des sept documentaires en compétition,
– les prix Courtoujours du CROUS et Signis des meilleurs courts-métrages.

Egalement au programme de ces 21e Rencontres :
Otra mirada / Autre regard : un zoom sur des longs-métrages repérés pour leur traitement formel original
– Un panorama de la production récente, présentée pour la première fois à Toulouse
– Une rétrospective sur le documentaire chilien post-dictature
– Un hommage aux cinquante ans de cinéma cubain, lancé grâce à la naissance de l’Institut Cubain de l’Art et de l’Industrie en mars 1959
– Un retour sur le Jeune cinéma argentin, vague novatrice apparue il y a une dizaine d’années
– Des sélections spéciales pour le jeune public
– Les rendez-vous des professionnels : Cinémas en Construction pour aider des films en post-production, Cinéma en Développement, plateforme de projets et Cinéma sans Frontière, nouvelle initiative pour promouvoir la diffusion des œuvres, soutenue par l’Union Européenne et qui permettra à une trentaine de professionnels d’Europe et d’Amérique latine de se réunir et d’échanger.

Et bien sûr, cette très sympathique manifestation fait la part belle aux rencontres – à la librairie Ombres Blanches notamment -, aux débats, aux concerts, sans oublier le tango avec projection de films, démonstration et… initiation.

Toutes les infos sur
le site de l’Association Rencontres Cinémas d’Amérique Latine de Toulouse
Et aussi :
Peliculas, le journal sur Mediapart
Le blog sur arte.tv

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Oublier Rodin ? La sculpture à Paris de 1905 à 1914

Maillol, La Mediterranée au Musée d'OrsayL’exposition présentée au Musée d’Orsay jusqu’au 31 mai est non seulement belle, mais encore tout à fait convaincante.

Elle montre comment, au tournant du XXème siècle et jusqu’à la première Guerre Mondiale, des sculpteurs venus de toute l’Europe se sont retrouvés à Paris le temps d’une décennie pour repenser et renouveler la sculpture.

A l’époque, le modèle entre tous et pour tous est Rodin.
Mais il va devenir le contre-modèle, la statue à déboulonner si l’on ose dire. Contre son expressivité poussée à l’extrême, contre le chaos des portes de l’Enfer, il s’agit alors, pour les Bourdelle, Brancusi, Maillol, Picasso et autres Gonzales, de reprendre la réflexion plastique à son commencement, de rechercher l’essence de la sculpture : le volume, l’architecture, la ligne. Adoptant des formes de plus en plus simplifiées, ces artistes ne font pas pour autant "taire" les visages. Ils les assagissent, les épurent et trouvent d’autres réponses pour exprimer "l’intériorité" de leurs créations.

Exposition Oublier Rodin au Musée d'OrsayOn n’est pas encore dans le cubisme (qui ne s’exprime alors qu’en peinture), encore moins dans le non-figuratif ; mais le chemin parcouru depuis Rodin est immense – quelques unes des sculptures du maître permettent de le souligner. Plus de démonstration, plus de tour de force ; la ligne directrice est tout autre.
Mais si les artistes entendent se détourner de l’imitation et de la sensualité, bien des œuvres présentées prouvent qu’ils n’ont pas – et c’est un bonheur – chassé cette dernière. Toute la partie de l’exposition consacrée aux volumes est à cet égard remarquable, avec notamment une galerie de nus féminins où le poli extrême des rondeurs de Maillol voisine une plantureuse Renoir, une immense Pénélope de Bourdelle ou encore une douce Grande Songeuse de Wilhelm Lehmbruck.
Le lyrisme n’est pas davantage absent. Il se fait si délicat avec ce magnifique Buste de jeune fille de Zadkine, tête tournée et penchée, tout en épure, en grâce, en finesse. Et que dire de la célèbre Muse endormie de Brancusi, d’une telle tendresse !

La section consacrée aux lignes est tout aussi passionnante, où l’on voit des corps immobiles et isolés se mettre à occuper l’espace de façon audacieuse, prendre des poses inattendues, en des lignes simples qui les courbent, les agenouillent et les étirent – de façon particulièrement impressionnant chez Lehmbruck. Chez cet artiste d’ailleurs, apparaît progressivement une veine expressionniste, donnant des visages bouleversants, chavirés de souffrance silencieuse (Orante, Tête d’un penseur, Amants…), et qui semble avoir atteint son apogée avec son terrible Prostré.

Tout est beau, tout est à voir dans cette exposition de choix. Il faudrait donc aussi évoquer la salle consacrée aux reliefs, dont les volumes sont si géométriquement circoncis que leur puissance et leur douceur n’en sont que plus spectaculaires.
La Femme accroupie de Maillol, superbe et lisse, repliée et assoupie, occupe pourtant tout son espace avec une formidable présence. Comme s’il ne s’agissait pas que d’une simple question de beauté, comme si elle seule évoquait déjà tout un monde…

Oublier Rodin ? La sculpture à Paris, 1905-1914
Musée d’Orsay
1, rue de la Légion d’Honneur – Paris 7ème
Jusqu’au 31 mai 2009
TLJ sf le lundi, de 9 h 30 à 18 h, le jeudi jsq 21 h 45
Entrée 8 € (TR 5,5 €)

A voir également en ce moment au Musée d’Orsay, et autour de cette exposition : un accrochage de dessins de sculptures, de Chapu à Bourdelle

Images :
Aristide Maillol, La Méditerranée, 1905-1923, Statue, marbre, Paris, musée d’Orsay © photo Christian Baraja
Wilhelm Lehmbruck, Grande figure debout, 1910, Statue, ciment, Otterlo, Kröller-Müller Museum © Coll. Kröller-Müller Museum Otterlo the Netherlands

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Robert Frank. Paris / Les Américains

Robert Frank, exposition Les Americains, Jeu de PaumeFuyant le confort bourgeois de sa famille installée en Suisse, Robert Frank arrive aux Etats-Unis en 1947, pour y découvrir un monde dominé par l’argent. Embauché pour Harper’s Bazaar, il reçoit quelques années plus tard une bourse de la fondation Guggenheim avec pour objectif d’explorer la civilisation américaine. S’en suit un voyage de près de deux ans, entre 1955 et 1956, au cours duquel il prend quelques vingt mille clichés. Il en sélectionnera quatre-vingt trois (tous exposés ici), réunis dans un livre, Les Américains, édité d’abord en France, puis aux Etats-Unis.

C’était en 1958 et le pays croyait en son rêve de modernité, d’uniformisation des modes de vie, de progrès matériel. Le travail de street photography de Robert Frank choqua cette société toute empreinte du modèle de l‘American way of life, en présentant des images de bords de route, de rues, de cafés, où les sujets semblent se traîner d’ennui, attendre quoi et n’espérer rien. Point de paillettes ni de stars, mais des gens simples, des lieux parfois presque déserts, dans un univers d’immobilité et de silence.
Cinquante ans après, le climat de ces photos touche toujours, tant les sentiments de vide et de résignation qui s’en dégagent peuvent résonner encore aujourd’hui. Les cadrages – admirables – scandalisèrent à l’époque, trop éloignés du canon de la belle photographie léchée. Au contraire, Robert Frank a travaillé sur le vif, d’où des prises de vue et des perspectives audacieuses, dont la spontanéité n’empêche pas de superbes nuances de noir et de blanc.

La deuxième partie de l’exposition présente un aspect totalement différent de l’oeuvre de Robert Frank, avec une cinquantaine de tirages de clichés pris à Paris entre 1949 et 1952. Ici, contrairement aux photos américaines, les contrastes s’estompent, l’ambiance est brumeuse et onirique, et fait ressortir un Paris d’aspect fort ancien. Les rues sont occupées par des petits marchands, de journaux et surtout de fleurs. Des fleurs qui reviennent très souvent dans ces images, comme les petits cailloux d’une promenade personnelle, émue et toute poétique. Comme si le photo-reportage n’était pas encore à l’ordre du jour, mais l’œil, la sensibilité et la singularité déjà tout à fait en place.

Robert Frank. Un regard étranger. Paris / Les Amécains
Jusqu’au 22 mars 2009
Galerie nationale du Jeu de Paume
1, place de la Concorde – Paris 1er
Du mer. au ven. de 12 h à 19h, mar. jusqu’a 21 h
Sam. et dim. de 10 h à 19 h
Entrée 6 € (Tarif réduit 4 €)

Image : Detroit, 1955, Robert Frank © Robert Frank, from The Americans

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Amédée (ou Comment s'en débarrasser). Théâtre Silvia Monfort

Amédée ou comment s'en débarrasser, Roger Planchon, Sylvia MonfortVoici quinze ans qu’Amédée et Marguerite se tiennent enfermés dans cet appartement sans jamais voir personne.
Lui est écrivain mais ne parvient plus à écrire – seulement deux répliques au cours de ces quinze dernières années -, elle est standardiste, travaille dans un coin de l’appartement et fait bouillir la marmite.
Le couple ne se supporte plus, se chine à tout propos, ne cesse de se lancer des reproches.
Il faut dire qu’ils sont un poids sur les bras, ou du moins dans la chambre : un cadavre dont Amédée ne parvient à se débarrasser. Il les encombre, leur fait redouter toute visite, occupe leurs disputes mais aussi les occupe tout court.

De cette pièce sombre sur le couple, Roger Planchon a réalisé une mise en mise en scène très réussie ; sous des airs très légers, elle ne masque en rien la gravité du texte.
Au contraire, ses choix font d’autant mieux ressortir la cruauté du couple qu’ils mettent en valeur la joie des amours débutantes et l’attachement qui malgré le temps perdure.
L’appartement-prison d’Amédée et de Marguerite a certes les murs rayés et il y pousse de plus en plus de champignons – au moins autant que le cadavre s’allonge – mais il est aussi décoré gaiement, tout de blanc, de rose et de lilas frais.
Le couple se jette injures et assiettes, mais de joyeuses et douces chansons des beaux temps anciens viennent régulièrement, façon comédie musicale, imposer une trêve à ces déchirements, pour quelques instants de magie, de souvenirs et de rêve.
A ces intermèdes musicaux, Roger Planchon ajoute encore de petites séquences vidéo qui n’ont rien d’un artifice. Petits zooms sur les difficultés et les discussions d’Amédée et de Marguerite pour "s’en débarasser", elles soulignent astucieusement l’intimité du couple, ce qui se passe et se dit à l’abri des regards.
Quant à l’interprétation de ces deux très grands comédiens, Roger Planchon et Colette Dompiétrini, énergiques, drôles et convaincants, elle tient le spectateur en haleine jusqu’au bout de cette pièce grinçante, touchante et ici bordée d’humour d’une délicieuse façon.

Amédée (ou Comment s’en débarrasser). Eugène Ionesco
Mise en scène Roger Planchon
Avec Colette Dompiétrini, Roger Planchon, Patrick Séguillon
Théâtre Silvia-Monfort
Mardi, vendredi, samedi 20 h 30
Mercredi et jeudi à 19 h, dimanche à 16 h
Surtitrages pour les sourds et malentendants les 19, 22, 24, mars, 8 et 10 avril
Durée : 1 h 40
Jusqu’au 19 avril 2009
Places de 15 € à 22 €

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Gran Torino. Clint Eastwood

Gran Torino, film de Clint EastwoodWalt Kowalski, vieil homme à l’ancienne, droit comme un i (incarné par Clint Eastwood soi-même), planté de longue date dans ses principes, enterre son épouse.
La descendance se tient à distance de ce caractère inflexible, tout en guettant l’héritage, qui le divan, qui la maison, qui la Ford Gran Torino – déesse faite automobile, que Walt entretient savamment, polit jalousement.

Veuf, Walt Kowalski se retrouve désormais seul, au fil de journées sans surprise. Ses travaux de bricolage terminés, il s’assied devant sa porte, sa chienne Daisy et sa glacière à ses côtés, et là, il boit des bières, fume et fulmine.
Et lorsqu’il voit débarquer dans la maison voisine une famille asiatique de plus, ses souffrances d’ancien combattant de la guerre de Corée, son amertume et son racisme s’exacerbent contre ces ‘faces de citrons" exécrées.

Pourtant, c’est pour d’autres motifs que Walt ressortira sa vieille arme.
Car au dessus de ses petites haines ordinaires, il y a la haine de la violence faite aux enfants et aux femmes, y compris le mal qu’il a lui-même commis et qu’il ne se pardonne pas.

Gran Torino commence tranquillement, avec ses personnages bien posés, son scénario que l’on sent sûr de ses arrières.
Mais, petit à petit, Clint Eastwood se met à nous "promener", à nous surprendre en dessinant des personnages de plus en plus attachants.
Sa mise en scène, indémodable, son épure, qui est la marque de son style, ne font pas pour autant de son film un cinéma prévisible – la fin nous le rappelera si besoin est. Quant à l’humour et l’auto-dérision, ils viennent rappeler que cet immense cinéaste sait ne pas se prendre au sérieux et insufflent à ce drame un souffle de tendresse irrésistible.

Clint Eastwood ramasse dans ce film les thématiques qui lui sont chères avec une incroyable efficacité. Il évoque à nouveau la rédemption, bien sûr ; mais il s’obstine surtout, et visiblement sans aucune fatigue, à dénoncer les injustices, toujours les mêmes, comme si le cœur de l‘Impitoyable ne prenait pas une ride.
Film après film, et en suscitant toujours autant d’émotion, il ne cesse d’explorer aussi le thème de la transmission, pour atteindre dans Gran Torino un sommet final qui touche au génie.

Gran Torino. Clint Eastwood
Avec Clint Eastwood, Bee Vang, Ahney Her
Durée 1 h 55

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Journée de la Femme : femmes de lettres

Mme Riccobono, Histoire de M. le marquis de CressyOn aime cette série de la collection Folio 2 € (qui propose, pour le prix d’un café, des textes de haute tenue et faciles à emporter), intitulée Femmes de lettres : elle nous a déjà permis de découvrir de jolis petits romans comme Pauline de George Sand ou Les amants d’Avignon d’Elsa Triolet.

A l’occasion de la Journée de la Femme, Gallimard a préparé une nouvelle livraison de textes introuvables ou délaissés écrits par des auteurs féminins des XVIIème, XVIIIème et XIXème siècles.
Des noms célèbres comme Mme de Sévigné ou Mme de Lafayette côtoient ici des écrivaines moins connues.

Le moment est donc venu de lire, par exemple, Mme Riccoboni (1713-1792), longtemps actrice à la Comédie-Française, amie de Diderot, et dont les romans rencontrèrent à l’époque un très grand succès.

Dans Histoire de M. le marquis de Cressy, elle raconte l’existence galante et mondaine d’un jeune homme des plus ambitieux qui, pour élever sa fortune, sacrifie la tendresse d’une pure énamourée, avant de piétiner le profond amour d’une très digne femme.
"L’apparence des vertus est bien plus séduisante que les vertus elles-mêmes, et celui qui feint de les avoir a bien de l’avantage sur celui qui les possède" : en dénonçant la redoutable efficacité de l’hypocrisie et de la belle figure, Marie-Jeanne Riccoboni souligne le mal que peut faire à deux nobles âmes un homme empreint de "fausseté".

Face à ce charmant marquis de Cressy, la sincérité et la pureté des sentiments vrais et durables viennent se heurter en permanence au jeu, à la bassesse et à la manipulation : "il affectait un air attendri, pénétré, l’entretenait avec feu d’une ardeur déjà refroidie, et dont les faibles restes n’avaient pour objet que lui-même"

Porté par le français raffiné et musical du XVIIIème, entre descriptions psychologiques, conversations galantes et billets secrets, ce court roman ne manque ni de saveur :
"Cette espèce de commerce où le caprice et la liberté, tenant la place du sentiment, ôtent à l’amour toutes ces erreurs aimables dont il se nourrit, en font une sorte de goût où le cœur ne prend jamais de part, et qui donne moins de plaisir qu’il ne produit de regret"
…ni d’aphorisme :
"En maltraitant M. de Cressy, elles croyait remplir son devoir ; mais les démarches que la raison nous conseille ne sont pas celles qui donnent le plus de satisfaction à notre cœur"
…encore moins de morale :
"Il fut grand, il fut distingué ; il obtient tous les titres, tous les honneurs qu’il avait désirés : il fut riche, il fut élevé ; mais il ne fut point heureux".

Histoire de M. le marquis de Cressy
Marie-Jeanne Riccoboni
144 p., Folio 2 € Gallimard
Egalement parus en mars 2009, dans la série Femmes de lettres :
Madame d’Agoult Premières années
Madame de Lafayette Histoire de la princesse de Montpensier et autres nouvelles
Madame de Sévigné Je vous écris tous les jours… Premières lettres à sa fille
Madame de Staël Trois nouvelles

Chaque volume de la série Femmes de lettres est présenté par Martine Reid, diplômée de Yale aux Etats-Unis et professeur à l’université de Lille-III.
Le 20 mars prochain, elle organisera à la BNF François Mitterrand une journée d’étude consacrée à la place des femmes dans le discours critique et l’histoire littéraire.
Renseignements sur le site de la Bibliothèque nationale de France.

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L'Oratorio d'Aurélia au théâtre du Rond-Point

L'oratorio d'AureliSœur de James Thierrée, Aurélia Thierrée, faut-il le préciser, est la fille de Victoria Chaplin et de Jean-Baptiste Thierrée, les créateurs du Cirque invisible.
Si Aurélia a les grands yeux de sa mère et l’incroyable fantaisie de son illustre famille, elle possède une grâce qui n’appartient qu’à elle.

Le spectacle qu’elle présente jusqu’au 14 mars au théâtre du Rond-Point tient de la danse (son partenaire, Julio Monge est tout aussi doué et magnifique), de la majestueuse acrobatie et du mime enjoué.
Elle plie et ondule son corps, bouscule les objets et les rôles pour inventer un monde où le réveil sonne pour donner le signal du coucher, où les pétales des fleurs, tiges en l’air, trempent dans l’eau du vase et où les costumes deviennent des personnages.
Avec la complicité de Victoria Chaplin, dont la miraculeuse patte se devine entre toutes, les étoffes se transforment, le rouge et le noir magnifient la scène, les rideaux font tour à tour des robes ou des flocons de neige.

L’humour, toujours prêt à titiller le spectateur, l’imagination, sans cesse invitée à s’emballer, l’intimité des objets quotidiens détournés font de cette soirée un grand moment de plaisir, de douceur et de poésie.

L’Oratorio d’Aurélia
Conception et mise en scène Aurélia Thierrée
Avec Aurélia Thierrée et Julio Monge
Jusqu’au 14 mars 2009
A 20 h 30, représentations supplémentaires les mercredis et samedis à 15 h
Durée 1 h 20
Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt – Paris 8ème

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