Le musée Fabre. Montpellier (2/3)

l'homme aux rubans noirsSuite de la visite du musée Fabre commencée mardi dernier (billet du 15 mai).

Le premier étage mène aux salles consacrées à la peinture et à la sculpture du XVème au XVIIIème siècles, notamment françaises.
Face aux modèles italiens, des artistes français s’affirment, tels Poussin (dont on peut voir deux tableaux), qui rayonne depuis l’Italie, ou Vouet, rappelé en France par Louis XIII.

Mais aussi un régional : Sébastien Bourdon (1616-1671), peintre qui s’est intéressé un peu à tous les genres. Il se fait remarquer avec un très bel Homme aux rubans noirs, inconnu à l’expression mystérieuse, faite de douceur, de rêve et de superbe.

Un peu plus loin, le visiteur tombe en arrêt devant deux Zurbarán (1598-1664), L’ange Gabriel et Sainte-Agathe, provenant de retables sévillans : à la différence de Velasquez et Ribera, Zurbarán ne fait pas de voyage en Italie. Il restera imprégné du contexte de Séville, travaillant presque exclusivement pour le clergé local.
Tout près, une « curiosité » : l’un des douze seuls tableaux restant du célèbre architecte et sculpteur italien Bernini dit Le bernin (1598-1680), peut-être même un autoportrait !

Puis les imposants tableaux néo-classiques, tableaux de genre …
Parmi l’ensemble fourni d’œuvres de Greuze (1725-1805), on notera le goût très XVIIIème siècle pour la représentation de l’enfance.
Dans cette inspiration, l’anglais (et rare) Reynolds (1723-1792) a peint en 1777 un adorable Petit Samuel en prière.

Les salles consacrées au romantisme portent le visiteur sur la vague de l’orientalisme, la quête d’un « nouvel ailleurs » chers au XIXème siècle : Chassériau, mais évidemment Delacroix et ses Exercices militaires marocains (1832), ou encore ses Femmes d’Alger dans leur intérieur (1849), réalisé après son séjour au Magrheb. Il s’est visiblement plu à retrouver l’ambiance toute féminine d’un clair-obscur feutré, plein de quiétude et peut-être de mélancolie.

Puis la galerie Bruyas l’enveloppera de la brume du petit matin d’une douce Matinée (1853) de Corot, avant de le plonger dans une étonnante mais non moins poétique Pêche à l’épervier du même Corot.

Enfin, Courbet, l’homme engagé, le réaliste, crée le scandale au Salon de 1853 avec Les baigneuses : que de chair et si peu d’étoffe !

Fin de la visite la semaine prochaine avec le XXème siècle et le "clou" de la dernière partie du musée : les salles consacrées à Pierre Soulages…

Musée Fabre
39, boulevard Bonne-Nouvelle à Montpellier (34000)
Tel : 04.67.14.83.00
Tramway : Corum et Comédie
Ouvert tlj sauf le lundi de 10 h à 18 h
le mercredi de 13 h à 21 h et le samedi de 11 h à 18 h
Entrée : 6 € (TR 4 €)
Accessibilité complète aux personnes handicapées
Guide du musée Fabre (Réunion des musées nationaux)
Ouvrage collectif sous la direction de Michel Hilaire
232 pages, 15 €

Image : L’homme aux rubans noirs, Sébastien Bourdon (1657)

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Le musée Fabre. Montpellier (3/3)

pierre soulagesSuite et fin de la visite du musée Fabre avec le XXème siècle.

Après les néo-impressionnistes, fauvistes et autres Delaunay, voici, entre figuration et abstraction, le Couloir de l’Ecole de Paris : s’y se succèdent des tableaux de Nicolas de Staël, Zao Wou-Ki, Vieila Da Silva … en une superbe galerie monochromatique aux couleurs de terre et de sable.

Une salle à droite révèle les étonnantes sculptures de Germaine Richier, qui cohabitent avec deux têtes de Bourdelle, dont elle fut l’élève : le Loretto, adolescent au corps disproportionné, dans un style expressionniste très marqué. Avec la Chauve-souris, Germaine Richier a utilisé pour la première fois la filasse plongée dans du plâtre puis égouttée et étendue : voici que se déploie en une fine résille la fragilité de la membrane des ailes de chauve-souris.

Il est temps désormais d’aller méditer sur la lumière et les multiples nuances des fameux noirs du ruthénois Pierre Soulages. L’importante donation qu’il a faite au musée Fabre a justifié l’aménagement, auquel il a participé, d’une nouvelle aile.

L’exposition des tableaux, espacés sur fond blanc met superbement en valeur les noirs, mais aussi les rouges, bleus, blancs qui s’y marient, sans oublier ce cher « brou de noix ».

L’artiste a également choisi des accrochages plus originaux, avec les polyptyques : invention médiévale, ils permettent de déployer horizontalement ou verticalement les panneaux, le plus souvent accolés, mais parfois séparés.
Le fait est qu’ils mettent magnifiquement en lumière les différentes textures de noir.

Mais attention, à la salle suivante, on passe de la mise en valeur à la mise en scène, avec des accrochages réalisés sur des câbles d’acier ancrés dans le sol et au plafond, fixés sur les champs du châssis, technique utilisée lors de la rétrospective au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris en 1980.
« Lorsque vous défilez devant la première rangée, explique Pierre Soulages, vous voyez apparaître, tour à tour, les toiles qui sont derrière la première rangée, puis la deuxième rangée, dans une ordre qui n’es pas fixe, permettant ainsi une confrontation plus libre que celle qu’impose la succession des toiles sur les murs ».
Le résultat ? Les toiles étant immenses, il est tout simplement spectaculaire.

Après l’exposition inaugurale La couleur toujours recommencée, hommage à Jean Fournier marchand d’art, paraît-il superbe, le musée Fabre accueillera du 9 juin au 9 septembre 2007 une exposition consacrée à Monet, Renoir, Sisley, Degas … : L’impressionnisme vu d’Amérique.

Bonnes visites !

Musée Fabre
39, boulevard Bonne-Nouvelle à Montpellier (34000)
Tel : 04.67.14.83.00
Tramway : Corum et Comédie
Ouvert tlj sauf le lundi de 10 h à 18 h
le mercredi de 13 h à 21 h et le samedi de 11 h à 18 h
Entrée : 6 € (TR 4 €)
Accessibilité complète aux personnes handicapées
Guide du musée Fabre (Réunion des musées nationaux)
Ouvrage collectif sous la direction de Michel Hilaire
232 pages, 15 €

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L'âge d'or de la presse : panorama (4/4)

le petit parisienFin de la série L’âge d’or de la presse avec un petit panorama des tirages et des catégories de journaux à la fin du XIXème siècle.

La presse quotidienne nationale, qui se recoupe avec la presse quotidienne de Paris, est la presse traditionnellement la plus importante.

En 1870, elle compte 33 titres tirant à 470 000 exemplaires. Si on compte la « petite presse » (journaux satiriques et littéraires) on dénombre 600 000 exemplaires.
Vingt après, on est passé à 70 quotidiens pour un tirage total de cinq millions d’exemplaires !
Mais après 1914, les tirages déclineront.

Quant aux quotidiens de province, leurs tirages ont été multipliés par 10 entre le début de la IIIème République et 1914, pour atteindre 4 millions d’exemplaires à cette date !

Par ailleurs, différentes catégories de journaux peuvent être dressées en fonction de leur ligne politique.

La presse conservatrice : les journaux légitimistes et bonapartistes subissent le contre-coup du développement de la presse.
On ne voit pas apparaître de journal populaire conservateur. Ces journaux tiennent à un niveau littéraire très élevé, refusent de traiter les faits divers et de publier tout roman sentimental. Par ailleurs, sur un plan politique, l’église refuse dans un premier temps de s’investir dans la presse quotidienne. Enfin, les états-majors conservateurs ont un grand mépris pour le métier de journaliste …
L’Union, France nouvelle périclitent en même temps que le mouvement royaliste.
Survivent Le Gaulois et Le Constitutionnel.

Le Figaro, créé en 1826, est un journal satirique au départ. Il devient quotidien en 1866 et bénéficie alors d’un succès incontestable, pour la qualité de ses rubriques culturelles, ses reportages, sa façon de traiter les faits divers sur un plan sociologique, son humour féroce.

La presse républicaine : la volonté de gagner l’électorat populaire par ce moyen-là entraîne la floraison de journaux peu chers à forts tirages.

Le Temps a un parti pris de neutralité mais il est considéré à l’étranger comme la voix officielle du quai d’Orsay. Les commentaires politiques, très doctes, dus notamment à la participation de rédacteurs juristes lui valent un succès certain. Il va monter en puissance et devenir le journal de la petite bourgeoisie.

Enfin, quatre grands journaux populaires se partagent le lectorat : Le Matin, Le Petit Journal, Le Petit Parisien et Le Journal.

L’âge d’or de la presse
Cycle Histoire du livre, histoire des livres
Conférence de Philippe Mezzasalma,
Département Droit, Economie, Politique
Conférence du 26 avril 2007
Bibliothèque Nationale de France

Image : Le Petit Parisien, carte postale ancienne, série Journaux et lecteurs.

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L'âge d'or de la presse : de nouvelles entreprises de presse (2/4)

voyages présidentielsSuite de la conférence à la Bibliothèque nationale de France sur l’âge d’or de la presse au XIXème siècle.

La révolution industrielle n’est pas sans influence sur le travail de fabrication des journaux.

Durant les vingt dernières années du XIXème siècle, l’évolution des machines va permettre en effet une production industrialisée. (voir billet du 11 avril 2007 sur l’histoire du livre).

La composition typographique n’est plus réalisée manuellement, ce qui fait gagner un temps considérable, sans compter, pour l’impression, l’utilisation des rotatives. Les rendements augmentent au point d’atteindre 20 000 exemplaires par heure.

Ces progrès techniques sont une révolution pour les quotidiens de Paris tout particulièrement : ils peuvent désormais sortir plusieurs éditions par jour, ainsi que des éditions de province, avec des pages, voire des colonnes différentes selon les régions.

L’accroissement de la pagination est elle aussi rendue possible : on passe du quatre pages au huit pages puis au douze pages. Ce qui veut dire qu’un nombre plus important de rubriques est désormais autorisé. Ainsi, les thèmes se diversifient, avec notamment des pages consacrées à la culture (critiques théâtrales, critiques musicales etc.).

En revanche, l’illustration pose d’autres problèmes car la gravure nécessite un temps de presse plus long. Elle sied donc mal aux quotidiens. Dès lors, les illustrations se concentrent dans les hebdomadaires : L’Illustration, Le Magasin pittoresque notamment ; ou bien dans des suppléments mensuels des journaux. Articles et illustrations ont donc généralement des supports distincts.

L’utilisation de ces nouvelles technologies nécessite des investissements considérables, donc la mise en place de véritables entreprises de presse. Celles-ci vont privilégier les moyens propres à produire un « journal moderne ».
Pour cela, il s’agit avant tout d’être proche des sources de l’information.
C’est ainsi que ces entreprises s’établissent dans des quartiers proches du pouvoir : le Petit journal s’installe rue de Richelieu, rue Lafayette et rue Cadet, Le Petit Parisien rue d’Enghien, Le Journal, rue de Richelieu également … les localisations sont très concentrées.
Ensuite, pour avoir les informations en direct, il faut disposer du télégraphe (le reportage est tout juste en train de naître).
Enfin, les bâtiments des entreprises de presse abritent à la fois l’administration, les archives, les salles de rédaction, mais aussi leurs imprimeries. Certains iront même jusqu’à créer leur papeterie, comme le Petit journal.

L’âge d’or de la presse
Cycle Histoire du livre, histoire des livres
Conférence de Philippe Mezzasalma,
Département Droit, Economie, Politique
Conférence du 26 avril 2007
Bibliothèque Nationale de France

Image : album de la série Voyages présidentiels illustrés par Paul Boyer, photographe officiel de la Présidence (Sadi Carnot) : série de planches photographiques simplement légendées (1889, E. Dentu, libraire et éditeur de la société des gens de lettres à Paris).

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L'âge d'or de la presse : vers de nouveaux publics (3/4)

petit journalLa presse connaît une telle révolution à la fin du XIXème siècle qu’on parle « d’âge d’or de la presse ».

Il faut souligner que d’autres progrès que ceux liés directement aux innovations techniques (voir billet De nouvelles entreprises de presse) favorisent de tels succès.

Ainsi, le développement du chemin de fer et de l’automobile, mais aussi l’extension des points de vente des quotidiens parisiens permettent un réseau de diffusion extraordinairement plus étendu et efficace.
Le Petit Parisien comptait par exemple 20 000 points de vente en 1910.

Les nouvelles conditions de fabrication permettent d’amortir les coûts assez rapidement, ce qui autorise des prix de vente plus attractifs. Les journaux républicains en particulier font le choix de prix à bon marché afin d’assurer une meilleure diffusion de leurs idées.
En 1863, est lancé le Petit journal à un sou.
Ainsi, alors que jusqu’alors les journaux étaient réservés à une clientèle d’abonnés riche et cultivée, les prix très bas permettent à cette nouvelle presse de pénétrer dans les milieux populaires.

La presse d’information générale bénéficie en outre de l’évolution de l’instruction publique dans les années 1880. Les ouvriers alphabétisés se précipitent sur ces journaux peu chers vendus dans la rue ; il n’est plus besoin de se rendre dans une bibliothèque ou une librairie pour y accéder.

Mais on peut aussi ajouter à cet engouement une raison « de fond », liée à l’actualité : le besoin d’informations au moments des conflits majeurs de la fin du siècle (affaire Dreyfus en 1894, conflits religieux).
Seul bémol à cette époque : les campagnes, où la lecture des quotidiens est moins répandue. Ce ne sera qu’après la guerre que la pratique massive des journaux s’y développera.

L’apparition de nouveaux publics plus populaires engendre la prise en compte de leurs goûts supposés : le style est simplifié, les maquettes aérées. Des jeux voient le jour, le traitement des faits divers se développe.

On assiste à de grands changements également au niveau des journalistes. Auparavant, ceux-ci se targuaient de ne pas êtres des techniciens de l’information mais des hommes littéraires. Cela étant, peu à peu les journalistes se professionnalisent. La technique du reportage apparaît, au départ simplement autour des faits divers. Va également se développer la fonction de correspondant sur place, pour « la vie en région » et, plus rarement, pour l’international (Le Temps est un des rares journaux à envoyer des correspondants à l’étranger). Enfin, signe de professionnalisation, les premiers regroupements et les premiers syndicats apparaissent à la fin du siècle.

L’âge d’or de la presse
Cycle Histoire du livre, histoire des livres
Conférence de Philippe Mezzasalma,
Département Droit, Economie, Politique
Conférence du 26 avril 2007
Bibliothèque Nationale de France

Image : Supplément illustré du Petit Journal du 10 avril 1898, « En mer, essai de pigeons voyageurs ». Le capitaine Reynaud fait une expérience à bord du transatlantique La Bretagne reliant Le Havre à New-York, visant à apprécier les services que les pigeons voyageurs peuvent rendre à la navigation et au transport de dépêches : les essais sont satisfaisants mais le parcours que peuvent fournir les pigeons est assez limité, surtout si les conditions météorologiques sont défavorables.

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Les Amants d'Avignon. Elsa Triolet

Les Amants d'AvignonSous l’occupation, Juliette Noël, dactylo, vit avec tante Aline à Lyon. Toutes deux élèvent José, le petit orphelin catalan que Juliette a adopté.

Discrète, réservée, un peu distante, peut-être même secrète, elle est aussi une grande rêveuse.

Mais après la mort de son frère, tombé en Lybie, elle s’engage dans la résistance.

La jeune Juliette devient alors Rose Toussaint ; elle arpente les fermes, dort dans des hôtels sordides, voyage dans des trains bondés, fait passer des documents et de l’argent au réseau de la résistance. Elle rencontre des inconnus qu’elle doit pourtant connaître. Prend des risques. A souvent froid mais rarement peur. Et aime aussi beaucoup.

Telle est le fil de la nouvelle Les Amants d’Avignon, extraite du recueil Le premier accroc coûte deux cents francs, qu’Elsa Triolet (1896-1970) a écrit pendant la guerre et pour lequel elle a obtenu le prix Goncourt en 1945.

Elsa Triolet, immortalisée pour avoir été la muse du poète engagé Louis Aragon (1897-1977), fut aussi femme de lettres et femme engagée. Elle livre ici une fiction largement autobiographique : fin 1942 elle commence à participer activement au mouvement de la résistance, fait passer des informations, se cache au gré des consignes, va et vient entre la zone libre et la zone occupée.

Elle écrit Les Amants d’Avignon début 1943 à Lyon, ville dont elle trace un terrible tableau et qu’elle déteste effectivement. La nouvelle est éditée clandestinement aux Editions de Minuit sous pseudonyme à l’automne 1943.

L’écriture d’Elsa Triolet va au rythme de son héroïne : rapide, sans apprêt, à la « lis-la comme elle court ». Il faut faire vite, et s’arrêter, de temps en temps, à l’abri d’une salle de cinéma, ou sur les hauteurs de la ville, pour se réchauffer, rêver un peu.

Il se dégage de ce phrasé sans labeur ni prétention un élan de vie irrésistible et un inexprimable charme.

L’officier allemand était toujours là, le gendarme au comptoir, aussi. Deux types jouaient aux cartes. L’acajou des meubles, le jaune éteint des murs, le marron des des banquettes et des vestes de cuir des eux joueurs, la cravate de l’un, le cache-nez jaune de l’autre … juste une pointe de jaune pour illuminer ce tableau de grand maître : Les Joueurs de cartes.
Il y avait un train dans l’après-midi. Juliette déjeuna dans une gargote, triste, rance et bondée. Elle prit un café, ailleurs. Il faisait froid, il y avait de la neige à moitié fondue sous les pieds et cela sentait déjà l’après-fêtes, pénible comme une rentrée à l’aube, après une nuit de bombe, comme une table avec les restes du repas. Juliette s’arrêta devant un cinéma : il y avait une séance dans l’après-midi, tout de suite … Elle entra.

Dans Préface à la clandestinité écrit en 1964 et ajouté à la fin du volume, Elsa Triolet, en éclairant Les Amants d’Avignon, rend hommage aux femmes et hommes qui se sont engagés dans la résistance :

Le souffle des événements avait soufflé le destin de toutes les femmes, de tous les hommes et avait mis à nu leur véritable nature. Des circonstances fantastiques avaient révélé les possibilités insoupçonnées des êtres. La vie quotidienne des dactylos, horlogers, apiculteurs, couturières, vendeuses, savants, instituteurs, concierges, le train-train de leur vie, ils le laissaient soudain se muer en danger permanent, prenant des risques insensés jusqu’à l’héroïsme. Les voilà, ces gens ordinaires, devenus chefs de maquis, agents de liaison, les voilà qui abritent des résistants, portent des paquets, cachent des armes, les prennent, se laissent torturer sans flancher, vont à la mort. La dactylo Juliette Noël est une fille comme une autre, banale comme tant d’autres. En temps ordinaire. Mais voilà venir le temps d’apocalypse et Juliette se conduira comme si le péril était la règle habituelle de l’existence et le courage allait de soi. Dans la nuit et le brouillard, il y avait beaucoup de filles banales comme Juliette.

Les Amants d’Avignon. Elsa Triolet
Folio/Gallimard, collection Femmes de lettres (2007)
Edition établie et présentée par Martine Reid
130 p., 2 €

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Le côté des Guermantes. La duchesse de Guermantes et les conventions

proust2Dans Du côté de Guermantes, le narrateur succombe aux attraits de la vie mondaine, dont il livre de longues descriptions.

Celles-ci sont essentiellement consacrées au salon de la duchesse de Guermantes, fine fleur du faubourg Saint-Germain.

Son observation des us et coutumes des milieux aristocratiques le conduit à de savantes comparaisons dans l’art du salon, dont celui de la duchesse ressort comme le plus élaboré grâce à la personnalité dont aime faire preuve Oriane de Guermantes.

Toute la différence se fait entre un respect scrupuleux des règles sociales …

Les Courvoisier n’étaient pas davantage capables de s’élever jusqu’à l’esprit d’innovation que la duchesse de Guermantes introduisait dans la vie mondaine et qui, en l’adaptant selon un sûr instinct aux nécessités du moment, en faisait quelque chose d’artistique, là où l’application purement raisonnée de règles rigides eût donné d’aussi mauvais résultats qu’à quelqu’un qui, voulant réussir en amour ou dans la politique, reproduirait à la lettre dans sa propre vie les exploits de Bussy d’Amboise. Si les Courvoisier donnaient un dîner de famille ou à dîner pour un prince, l’adjonction d’un homme d’esprit, d’un ami de leur fils, leur semblait une anomalie capable de produire le plus mauvais effet. Une Courvoisier dont le père avait ministre de l’Empereur, ayant à donner une matinée en l’honneur de la princesse Mathilde, déduisit par esprit de géométrie qu’elle ne pouvait inviter que des bonapartistes. Or elle n’en connaissait presque pas. Toutes les femmes élégantes de ses relations, tous les hommes agréables furent impitoyablement bannis, parce que, d’opinion ou d’attaches légitimistes, ils auraient, selon la logique des Courvoisier, pu déplaire à l’Altesse Impériale. Celle-ci, qui recevait chez elle la fine fleur du faubourg Saint-Germain, fut assez étonnée quand elle trouva seulement chez Mme de Courvoisier une pique-assiette célèbre, veuve d’un ancien préfet de l’Empire, la veuve du directeur des postes et quelques personnes connues pour leur fidélité à Napoléon III, leur bêtise et leur ennui.

… et l’audace d’une appréciation personnelle de la situation, dût-elle la conduire à se placer en retrait des conventions. Le pire ennui pour Mme de Guermantes serait d’ailleurs de se contenter de s’y conformer.

Pour en revenir à ses décisions artificielles et émouvantes comme celles des politiciens, Mme de Guermantes ne déconcertait pas moins les Guermantes, les Courvoisier, tout le Faubourg et plus que personne la princesse de Parme, par des décrets inattendus sous lesquels on sentait des principes qui frappaient d’autant plus qu’on s’en était moins avisé. Si le nouveau ministre de Grèce donnait un bal travesti, chacun choisissait un costume, et on se demandait quel serait celui de la duchesse. L’une pensait qu’elle voudrait être en duchesse de Bourgogne, une autre donnait comme probable le travestissement en princesse de Dujabar, une troisième en Psyché. Enfin une Courvoisier ayant demandé : « En quoi te mettras-tu, Oriane ? provoquait la seule réponse à quoi l’on n’eût pas pensé : « Mais en rien du tout ! » (…)
« Je ne vois pas qu’il y ait nécessité à aller chez le ministre de Grèce, que je ne connais pas, je ne suis pas grecque, pourquoi irais-je là bas ? je n’ai rien à y faire », disait la duchesse.
« Mais tout le monde y va, il paraît que ce sera charmant », s’écriait Mme de Gallardon.
« Mais c’est charmant aussi de rester au coin du feu », répondait Mme de Guermantes.
Les Courvoisier n’en revenaient pas, mais les Guermantes, sans imiter, approuvaient : « Naturellement, tout le monde n’est pas en position comme Oriane de rompre avec tous les usages. Mais d’un côté on ne pas dire qu’elle ait tort de vouloir montrer que nous exagérons en nous mettant à plat ventre devant ces étrangers dont on ne sait pas toujours d’où ils viennent. »

Très bon week-end et très bonne lecture à tous.

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Volte-Face avec André Dussolier

André DussolierLe 23 avril dernier au théâtre du Rond-Point, André Dussolier fut l’invité de l’émission Volte-Face, qui sera diffusée sur France-Culture au cours de l’été.

Après la haute-voltige que nous avait fait suivre Fabrice Luchini (billet du 17 avril), c’est avec sérieux et application que le populaire et délicat comédien s’est prêté au jeu de l’interview mené par Olivier Barrot.

Beaucoup de sobriété de part et d’autre pour évoquer les moments et les rencontres qui ont marqué André Dussolier, mais aussi son travail avec Alain Resnais, et plus largement son métier.

Le comédien se souvient de la première fois qu’il est entré dans une salle de théâtre ; il n’avait alors que 10 ans :
« Ce fut une découverte incroyable car à l’époque je menais une vie assez convenue, dans la réalité ordonnée et triste, empreinte de beaucoup de règles, de la vie des adultes qui étaient autour de moi. Notre professeur de français nous a emmenés voir une pièce de théâtre. Ce fut un choc ! Sur scène, je voyais des gens qui disaient des choses qu’on ne disait pas à la maison, qui s’exprimaient en parlant fort, qui riaient … Tout à coup j’ai aperçu la possibilité de vivre et d’exprimer des émotions que dans ma vie assez solitaire je retenais. J’éprouve une grande reconnaissance car cette expérience a ouvert mon imaginaire. »

Tient-il de cette enfance marquée par trop de rigidité son faible attrait pour les troupes ? En tout état de cause, il ne restera pas longtemps à la Comédie-Française.
« Je ne voulais pas passer à côté des propositions qu’on me faisait par ailleurs, que des règles trop strictes m’empêchaient d’accepter si je restais au Français. »
Il a donc préféré prendre son indépendance.

Quant à Ariane Mouchkine, il aurait aimé travaillé avec elle mais …
« J’ai compris que si j’y rentrais, je rentrais dans une cellule monacale. "Attention, c’est plus Jean Villar et Gérard Philippe !" m’avait-elle prévenu.
C’est très beau une troupe, on se connaît très bien, on peut aborder des rôles différents, il y a une confiance, une facilité, une aisance. Mais en même temps c’est une grande humilité. C’est un sacerdoce ! »

Sa « troupe » à lui, finalement, c’est au cinéma, autour d’Alain Resnais qu’il l’a trouvée. L’admiration est immense.
« Sa façon de travailler est très proche de celle du théâtre ; il s’en est d’ailleurs nourri lorsqu’il est arrivé à Paris. Avec lui, on ne commence pas à travailler le premier jour du tournage, mais bien avant. Il nous remet d’abord des feuilles sur lesquelles sont inscrits des renseignements sur les parents et les grands-parents des personnages. Commence alors un travail d’imagination entre lui et nous. Ce qui fait que lorsque le tournage débute, on a beaucoup préparé au préalable et tout se passe très calmement.
On répète, mais les répétitions ne fossilisent pas le texte, elle nous donnent une structure qui n’enlève pas la liberté de jouer. Car il faut qu’on ait toujours l’air d’inventer le texte … »

Evoquant la carrière prolifique et variée d’André Dussolier, Olivier Barrot lui rappelle notamment la pièce Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute (« texte magnifique, variation sur le malentendu, où c’est le verbe qui vient brouiller … »). Cette pièce semble effectivement avoir marqué le comédien :
« Oui, l’un est d’un monde très social, l’autre est plus en retrait. Au fur et à mesure de la pièce, on en arrive à une loupe sur ce verbe, ce mot que dit l’un : "Ah, c’est bien ça." Et l’autre lui dit : "Tu es là dans ton monde, tu donnes des notes. Et moi je vis dans un monde où je ne veux pas de notes, où je ne veux pas qu’il y ait de références" ».

Dussolier l’éclectique aime aussi beaucoup Sacha Guitry, « cet esprit qui règne ». Il livre alors cette délicieuse anecdote sur son père, Lucien Guitry : « A la fin d’une représentation, un spectateur vient le voir et lui dit : "Ah, j’aime beaucoup la façon dont vous interprétez le texte." "Merci, merci beaucoup".
Au bout d’un moment "Et j’aime aussi beaucoup vos silences !".
Et Lucien Guitry de répondre : "Ce sont les miens !" ».

André Dussolier avoue savourer lui aussi les silences : y voyant « la possibilité de voir sur le visage tout ce qui passe entre les mots, un domaine de création disponible ».

Lorsqu’enfin Olivier Barrot lui fait remarquer qu’il a tout joué, qu’il semble être l’incarnation de l’acteur accompli (« c’est André Dussolier, ou l’acteur ! »), le comédien expliquera simplement :
« Quand on est jeune acteur, on joue proche de soi, comme on est.
Plus tard, tout nourrit le personnage. On peut endosser des personnages qui sont l’addition de ce qu’on a observé, du fruit de son imagination … On peut alors jouer des choses très différentes.
Mais à chaque rôle, il faut y retourner. J’ai toujours peur avant.
Mais on peut repousser plus loin ses limites, alors que quand on est jeune, ce qui est important, c’est d’exister aux yeux des autres, on a l’obsession de trouver sa place.
Au fil des ans, ce qui compte le plus, c’est le plaisir ; le plaisir de découvrir des acteurs, le plaisir de jouer, le plaisir de se faire plaisir. »

On ajoutera le plaisir du public à écouter et voir ce très grand comédien, très présent mais discret, et, quelque soit le rôle qu’il endosse, d’une constante et incomparable élégance.

Volte-Face avec André Dussolier
Emission diffusée l’été prochain sur France-Culture
Prochain enregistrement public de Volte-Face :
Le 14 mai au Théâtre du Rond-Point avec Jean Rochefort.
Entrée libre
Réservation indispensable au 01 44 95 58 81

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L'âge d'or de la presse : la liberté de la presse (1/4)

liberté de la pressePour continuer l’histoire du livre initiée il y a plusieurs mois, on explore aujourd’hui un phénomène un peu à part avec l’âge d’or de la presse.

A part puisque, si le journal fait partie du champ éditorial, il s’en diffère toutefois par son caractère éphémère – il s’agit de diffuser l’information d’un événement – et une forme matérielle elle aussi forcément éphémère.
Son matériau de qualité médiocre fit d’ailleurs qu’il fut pendant longtemps inconcevable de chercher à le conserver.

On parle de l’âge d’or pour la période allant de 1880 à la première Guerre Mondiale, années durant lesquelles la presse connut des bouleversements sans précédent.

La révolution industrielle y est pour beaucoup avec l’arrivée des rotatives qui permettent la mécanisation de métiers qui étaient jusqu’alors artisanaux.

Mais c’est aussi au niveau des contenus que la révolution s’opère.

Son premier déclencheur est la levée d’un obstacle juridique de taille : le contrôle très serré qui s’exerçait sur la presse sous le Second Empire.

Le 29 juillet 1881 est votée la loi sur la liberté de la presse. Il s’agit de la première des grandes lois de la III° République sur les libertés publiques.

Sont ainsi supprimées toute une série de textes liberticides, les autorisations diverses, au premier chef desquelles l’autorisation de publication.
Les mesures administratives sont également simplifiées : seule la déclaration a posteriori du titre et de ses principales caractéristiques est désormais exigée.

Sont également instituées les libertés de l’affichage et celle de la vente sur la voie publique. Cette dernière nouveauté n’est pas sans importance car elle permettra une diffusion des journaux non plus seulement sur abonnement mais également par colportage et ensuite dans les kiosques.

C’est donc un carcan incroyable qui est levé grâce à cette loi. Il n’y a d’ailleurs qu’à consulter les journaux de l’époque, que ce soit La Croix, Le Figaro ou autres, pour être frappé par la violence des propos …

L’âge d’or de la presse
Cycle Histoire du livre, histoire des livres
Conférence de Philippe Mezzasalma,
Département Droit, Economie, Politique
Conférence du 26 avril 2007
Bibliothèque Nationale de France

Image : L’Aurore du 13 janvier 1896

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Calamity Jane. Lettres à sa fille

La terrible Calamity Jane qui chevauchait à travers le Grand Ouest, se mêlait aux batailles, jouait et buvait parmi les hommes, était aussi une tendre maman.

L’exposition organisée au Musée des Lettres et des Manuscrits (1) trace un portrait tout en contrastes de cette femme de légendes autour de l’album manuscrit des lettres que Calamity Jane a écrites à sa fille, laquelle n’en a eu connaissance qu’après la mort de sa mère.

La lecture de ces fameuses lettres, dans une nouvelle édition corrigée et enrichie, a quelque chose de surprenant et de très attachant.

On y découvre une Calamity Jane en proie à la solitude et à des souffrances morales plus pesantes encore que les rudes conditions d’existence qui sont les siennes dans l’Ouest.
On y voit une maman cow-girl se soucier du bonheur de sa fille, mettre les points sur les i pour qu’elle soit fière de ses origines, que la mémoire de ses parents ne soit pas salie.
Sa plume franche et sans détour amuse ou effraie lorsqu’elle relate son quotidien, mais prend aux tripes dans ses moments de tendresse et de découragements.

J’espère qu’un jour tu pourras venir dans ce pays, tu sauras alors comment j’ai dû exister. Encore deux ans et j’irai te voir, Chérie je sais qu’alors je me sentirai mieux à ton sujet. (…) T’abandonner m’a presque tuée, Janey.

Je me demande souvent dans quelles mains ces pages finiront par tomber. Je veux croire que tu seras cette personne un jour après que je serai partie. Je l’espère car c’est toi que j’aime Janey. Il ne me reste plus personne sur terre à part toi. Je m’endors chaque nuit avec ta photo serrée contre mes lèvres. Oh si seulement je pouvais t’avoir la nuit tombée pour une heure aux côtés des feux de camp pour briser cette solitude.

Ma vie avec ton père, je saurai toujours que ce furent les jours les plus heureux de ma vie, Janey. Dans mon errance sans but, je l’ai rencontré. Il a reçu son surnom de Wild Bill à Rock Creek, Kansas, parce qu’il avait tué en légitime défense une bande de meurtriers, ce qui l’a rendu fameux comme grand tireur des deux mains. Les hors-la-loi le traquaient à plusieurs, ils étaient toujours une demi-douzaine ou plus à l’avoir dans leur ligne de mire. Souviens-toi, Janey, son nom ne mourra jamais tant que le soleil brillera.

A la fin du recueil, sont ajoutées des lettres que Calamity Jane a écrites à Jim O’Neil, le père adoptif de sa fille.
La fibre maternelle se fait rage lorsqu’elle apprend le malheureux mariage de sa fille. On y retrouve tout le mordant et l’ironie Calamity Jane qui sont aussi pour beaucoup dans le plaisir de lecture de ces Lettres.

Je suis triste d’apprendre que le mariage de Janey est un échec. Ne vous-ai je pas dit qu’il n’était pas bien. Les journalistes sont tous des menteurs. Ils ne se soucient que de leur publicité et de convaincre les gens de leur intelligence alors qu’ils n’ont certes pas inventé le fil à couper le beurre. (…). Je remercie Dieu pour vous avoir vous et le révérend Sipes ».

Lettres à sa fille. Calamity Jane
Payot & Rivages
Collection Rivages Poche, Bibliothèque étrangère (janv. 2007)
Traduit de l’anglais par Marie Sully et Gregory Monro
113 p., 5,95 €

(1) Jusqu’au 13 mai prochain, voir le billet du 16 avril 2007

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