La prisonnière. Albertine

Marcel Proust La RechercheDans Le côté de Guermantes, le narrateur fait d’Albertine sa maîtresse, après l’avoir longuement et intensément désirée à Balbec dans A l’ombre des jeunes filles en fleurs.

La prisonnière s’ouvre sur une situation totalement bouleversée : profitant de l’absence de ses parents, le narrateur a installé Albertine chez lui.

Il n’en revient pas d’être parvenu à ce qu’il croit acquis, ou plutôt à ce qu’il croit retrouvé : la tendresse de sa mère.

Quand je pense que maintenant que mon amie était venue, à notre retour de Balbec, habiter à Paris sous le même toit que moi, qu’elle avait renoncé à l’idée d’aller faire une croisière, qu’elle avait sa chambre à vingt pas de la mienne, au bout de couloir, dans le cabinet à tapisseries de mon père, et que chaque soir, fort tard, avant de me quitter, elle glissait dans ma bouche sa langue, comme un pain quotidien, comme un aliment nourrissant et ayant le caractère presque sacré de toute chair à qui les souffrances que nous avons endurées à cause d’elle ont fini par conférer une sorte de douceur morale, ce que j’évoque aussitôt par comparaison, ce n’est pas la nuit que le capitaine Borodino me permit de passer au quartier, par une faveur qui ne guérissait en somme qu’un malaise éphémère, mais celle où mon père envoya maman dormir dans le petit lit à côté du mien. Tant la vie, si elle doit une fois de plus nous délivrer, contre toute prévision, de souffrances qui paraissaient inévitables, le fait dans des conditions différentes, opposées parfois, jusqu’au point qu’il y a presque un sacrilège apparent à constater l’identité de la grâce octroyée !

Il pense alors épouser Albertine ; mais n’en est pas pour autant convaincu…

Alors, convalescent affamé qui se repaît déjà de tous les mets qu’on lui refuse encore, je me demandais si me marier avec Albertine ne gâcherait pas ma vie, tant en me faisant assumer la tâche trop lourde pour moi de me consacrer à un autre être qu’en me forçant à vivre absent de moi-même à cause de sa présence continuelle et en me privant à jamais des joies de la solitude.

Très bon week-end, à bientôt.

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Samuel Beckett. Centre Pompidou

samuel beckettOuverture du parcours avec des œuvres contemporaines, nombreux écrans, voix très présentes dont la plupart en anglais, l’exposition Samuel Beckett (1906-1989) qui se tient jusqu’au 25 juin au Centre Pompidou peut de prime abord dérouter.

L’espace Scènes permet heureusement de retrouver les oeuvres théâtrales de Beckett.
On y voit des extraits de films d’archives de ses pièces, des photos de répétition, des manuscrits, des objets, tels ceux du personnage de Winnie dans Oh les beaux jours à sa création en France en 1963, joué par Madeleine Renaud pendant vingt ans.

Parmi ces précieux documents, une lettre que Samuel Beckett a adressée à Roger Blin le 9 janvier 1953 au sujet de la mise en scène de En attendant Godot, qu’il suit avec une grande précision :

Bravo à tous. Je suis si content de votre succès à tous.
Ne m’en veuillez pas de m’être barré, je n’en pouvais plus.
Il y a une chose qui me chiffonne, c’est le froc d’Estragon.
J’ai naturellement demandé à Suzanne s’il tombe bien. Elle me dit qu’il le retient à mi-chemin. Il ne le faut absolument pas, c’est on ne peut plus hors de situation. Il n’a vraiment pas la tête à ça à ce moment-là, il ne se rend même pas compte qu’il est tombé. Quant aux rires qui pourraient saluer la chute complète, au grand dam de ce touchant tableau final, il n’y a absolument rien à y objecter, ils seraient du même ordre que les précédents. L’esprit de la pièce, dans la mesure où elle en a, c’est que rien n’est plus grotesque que le tragique, et il faut l’exprimer jusqu’à la fin, et surtout à la fin (…).

Dans l’espace réservé à la vie de l’artiste, Truc, sont exposées des photos de grands formats en noir en blanc, toutes très belles, dont celles que Bruce Davidson a prises à New-York en 1964, où l’on voit la longue silhouette, le visage émacié, les grands yeux clairs au regard étrange de Beckett, dont les lèvres demeurent toujours serrées.

En face, lettres, petites vidéos, manuscrits, photos retracent ce truc qu’on appelle ma vie : il y a d’abord le passage à l’Ecole nationale supérieure de la rue d’Ulm, où il fut lecteur d’anglais entre 1928 et 1930, époque où il fit la connaissance de James Joyce.

Pendant la guerre, entré en résistance en 1942, recherché par la Gestapo, il se réfugie à Roussillon dans le Vaucluse avec Suzanne Dumesnil, qui partage sa vie depuis 1938.

En 1950, il rencontre Jérôme Lindon, qui publiera toute son œuvre aux Editions de Minuit.
Dans une interview accordée après l’attribution du Prix Nobel de Littérature en 1969, interrogé sur Beckett, Jérôme Lindon fait cette réponse admirable :

"En vingt ans, Samuel Beckett n’a jamais accordé d’interview. Il a toujours pensé que sa personne n’était pas intéressante. C’est un homme d’une grande discrétion, d’une grande modestie. J’ai pour lui une admiration sans borne. C’est pourquoi je ne voudrais pas avoir à le livrer, en étant son ami."

En 1953, Beckett fait construire une maison à Ussy sur Marne, près de Paris. Il y écrit une grande partie de son œuvre.
Dans des lettres adressées à Jocaba van Velde, dont une, datée du 16 mai 1959, le romancier-dramaturge se livre dans le style qui est sien, lapidaire. Il n’en est pas moins douloureux :

J’ai beaucoup travaillé tous ces temps. (…) A la campagne, ça va à peu près, à Paris, je dégringole tout de suite. (…)
Je dois aller à Dublin et à Londres fin juin début juillet, ce qui m’emmerde.
Je voudrais m’enterrer à Ussy et ne plus jamais en bouger.

Sur la partie films/vidéos de l’exposition, on pourra lire l’avis d’Aldor.

Samuel Beckett Centre Pompidou
Place Georges Pompidou – Paris 4ème
Jusqu’au 25 juin 2007
Tlj sauf le mardi de 11 h à 21 h, le jeudi jusqu’à 23 h
Entrée 10 € (TR 8 €)
Catalogue de l’exposition Objet Beckett
Sous la direction de Marianne Alphant et Nathalie Léger
320 p., 39 € (Centre Pompidou/IMEC)

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Un roman russe. Emmanuel Carrère

un roman russeEmmanuel Carrère, lassé d’écrire des histoires où il est question d’enfermement et de folie, désireux d’aller « vers le dehors, vers les autres, vers la vie » part en Russie pour y réaliser un reportage.

Il s’agit de reconstituer l’histoire d’un Hongrois emprisonné en 1944 et demeuré interné pendant plus de 50 ans dans un hôpital psychiatrique russe.
Il est libéré par hasard, alors même qu’il avait été déclaré mort depuis longtemps ; dans son pays son existence paraissait avoir été oubliée. Il semble lui-même avoir perdu la mémoire, sa propre histoire, et même l’usage de sa langue maternelle.

L’évocation d‘Un roman russe pourrait s’arrêter là, car tout est dit. Il y a au coeur de ce livre une autre histoire, mais c’est la même : celle de la quête des origines d’Emmanuel Carrère.

La réapparition du vieil Hongrois après 50 ans d’oubli a sonné le glas d’une autre disparition : celle de Georges, le grand-père maternel d’Emmanuel Carrère.
Malgré la réticence de sa mère, Hélène Carrère d’Encausse, Emmanuel Carrère veut mettre à la lumière ce qu’elle a enfoui et tu, mais qu’il sait confusément, et, pire encore, qu’il sait honteux : le passé de ce grand-père disparu sans mort ni tombe en 1944, à Bordeaux, pour faits de collaboration.

Ces recherches du passé, celui du prisonnier Hongrois, celui de son grand-père, cette histoire familiale qu’il porte en lui mais qui n’est pas révélée sont portées par l’apprentissage ou le réapprentissage du russe, la langue "maternelle".
Ce rapport à la langue est peut-être l’aspect le plus émouvant du livre. Il ne sait pas lui-même s’il s’agit de la découverte d’une langue, ou d’un retour vers une langue connue. Comme si toute l’ambiguïté de son identité se cristallisait autour du russe, qu’il a essayé d’apprendre dans le passé, sans parvenir jamais au niveau qui l’aurait satisfait.

Au cours de ses voyages en Russie, le moindre de ses progrès en russe le jette dans l’exaltation, le moindre de ses retraits le plonge dans la dépression.
Alors même qu’il dispose toujours d’un traducteur, il fait dépendre le succès de toutes ses quêtes de la maîtrise de la langue.
Mais il n’arrivera pas à la parler véritablement. L’enjeu qu’il y met rend son entreprise impossible : s’affranchir en devenant maître de ce qu’il considère comme le "propre" de sa mère, une langue russe belle et pure.

Il mène cette recherche malgré sa mère. Mais il l’écrit tant pour lui que pour elle :

Tu aurais voulu que je sois un écrivain comme, je ne sais pas, Erik Orsenna : un type heureux ou qui, en tout cas, le paraît. Moi aussi, j’aurais bien voulu. Je n’ai pas eu le choix. J’ai reçu en héritage l’horreur, la folie, et l’interdiction de les dire. Mais je les ai dites. C’est une victoire. (…)
Le livre est fini, maintenant. Accepte-le. Il est pour toi.

Un roman russe se finit sur ces mots. On ne peut s’empêcher de songer à l’autre histoire d’amour du livre, qui débute au moment où il entreprend son voyage vers ses origines, et s’achève, en définitive, parce que son amoureuse n’a pas lu la nouvelle, érotique, qu’il avait écrite pour elle : « Elle n’a jamais pu lire ma nouvelle, qui jusqu’au bout sera restée lettre morte. »

Blessures à vif d’un écrivain effrayé par son écriture, mais qui n’a d’autre recours que s’y jeter à corps et coeur perdus :

Cela changera peut-être un jour, je ne sais pas, mais les mots dont je dispose ne peuvent servir à dire que le malheur.
Ils ont servi, cette fois encore. Je n’ai pas sauté par la fenêtre. J’ai écrit ce livre. Même s’il te fait du mal, tu admettras que c’est mieux.

Un roman russe. Emmanuel Carrère
P.O.L (mars 2007)
356 p., 19,50 €

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Espace Georges Brassens. Sète (1/2)

espace georges brassensL’Espace Georges Brassens a rouvert ses portes le 1er décembre dernier après avoir été totalement rénové.
Surface doublée, nouvelle scénographie, parcours aéré : l’ancienne version était très bien ; celle-ci est encore mieux !

Dans le même esprit que le précédent, le nouvel espace Georges Brassens est pensé avec respect et simplicité.
Il rend hommage à l’artiste, au bonhomme et à son œuvre.
C’était la seule chose à faire.
Et elle est parfaitement réussie.

Des écouteurs nous bercent de la voix grave et puissante, au débit calme et régulier de Georges Brassens, avec les confidences qu’il a livrées à Philippe Némo en 1972 lors d’un entretien pour France-Culture.

Nous voici partis pour un bon moment de balade et de flânerie auprès du poète.
Des films, des photos, des affiches, des pochettes de disques, des extraits de textes et bien sûr des chansons nous font suivre suivre le parcours de l’artiste.

Enfance sétoise dans une famille où tout le monde chantait, en amoureux de la chanson, notamment la maman napolitaine, dont il livre cet émouvant témoignage : « à 50 ans passés, elle recopiait des textes de chansons, puis allait chez des copines pour compléter les passages qui lui manquaient ».
Jeunesse à Sète avec les copains : il découvre le jazz à l’âge de 10-11 ans, dans les années 1931-1932 : « Je suis né en 1921. Je suis né avec Django Reinhard, avec Amstrong, avec Duke Ellington. »

Il arrive à Paris en 1940 et étudie les poètes en autodidacte, à la bibliothèque, pendant plusieurs années, pour « ornementer mon esprit » comme il le dit joliment.

Puis voici ses débuts dans la chanson, sa rencontre avec Patachou en 1952, qui le présente à Jacques Canetti, impressario, directeur artistique et fondateur du théâtre des Trois Baudets, où il débute officiellement le 19 septembre de la même année pour 170 représentations.

On passe bien sûr un moment dans l’impasse Florimont, devenue légendaire avec la Chanson pour l’Auvergnat, écrite pour Marcel et Jeanne. Dans le plus grand dénuement eux-mêmes, le couple et sa ménagerie l’ont accueilli dès 1944 ; il y demeura, en famille finalement, bien qu’il parle plutôt « d’Arche de Noé », jusqu’en 1966.

Place est également faite à l’évocation des femmes, parmi lesquelles Pupchen, sa fidèle compagne, son éternelle fiancée, la dame de ses pensées …

Toute une partie est réservée à la façon dont Georges Brassens travaillait. Elle est passionnante : suite et fin de la visite très bientôt …

Espace Georges Brassens
67, boulevard Camille Blanc – 34200 Sète
Ouvert de 10 h 12 h et de 14 h à 18 h
Jusqu’à 19 h en juillet et août
Fermé les jours fériés sauf les 14 juillet, 15 août et 1er novembre
En hiver, fermeture hebdomadaire le lundi
Tel. : 04 67 53 32 77
Entrée de 2 à 5 €

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Espace Georges Brassens. Sète (2/2)

supplique pour être enterré sur la plage de SèteSuite et fin de la visite du bel espace Georges Brassens (lire le billet du 20 août 2007)

L’artiste a eu l’occasion de s’expliquer longuement sur sa façon de travailler.

Laissons-le parler et apprécions l’élégance du bonhomme :

« Il faut que mes chansons aient l’air d’être parlées, il faut que ceux qui m’entendent croient que je parle, croient que je ne sais pas chanter, que je fais des petites musiquettes comme ça … ».

Sur ses textes :

« Je ne veux pas faire rire aux éclats, je veux faire sourire. Je suis un ennemi du "langage à signes" ; je préfère suggérer les choses que les dire. Si j’avais dû en dire plus, je l’aurais fait. Mais j’estime qu’il faut en dire peu et permettre à celui qui vous écoute de continuer à se faire sa fête tout seul. »

Mais il disait aussi que pour faire une chanson, il lui fallait tout un mois, et un cahier entier, tant il retravaillait son texte. Il récrivait toute la chanson s’il modifiait un seul de ses vers.

Sur sa musique :

« Lorsque les paroles sont mûres, je saisis ma guitare et je lis et récite mes vers et mes mots, en commençant à rythmer avec la guitare … C’est ainsi que tout doucement, je découvre les petites mélodies qui vont venir scander mes vers, y "coller" jusqu’à n’en plus pouvoir s’en séparer. Je fais sept ou huit musiques par chanson, je n’en fais pas qu’une. Et c’est celle qui tient le coup le plus longtemps que je garde, je veux dire celle qui, après avoir été répétée cent fois, me plaît encore ou me déplaît le moins ».

Il ajoute : « Ma musique doit être in-entendue, comme la musique d’un film ».

Dans un coin, sur un simple tourniquet à cartes postales, le visiteur peut lire les hommages que les chanteurs d’hier et d’aujourd’hui ont rendus au poète en quelques mots, des plus anciens comme Charles Trenet, aux plus jeunes comme Magyd Cherfi ou Bénabar …

Donnons la parole à un autre regretté, grand parmi les grands, Claude Nougaro, qui tout à coup se fait sobre et lapidaire :

« Brassens
C’est un poète de la Pléïade ».

René Fallet, l’écrivain, journaliste et ami :
« Les réacteurs peuvent vrombir, ils ne peuvent effacer de l’oreille l’oiseau, la parole d’amour, le rire du copain. C’est pourquoi Georges Brassens sera là tout à l’heure, un pied sur le tabouret de votre cuisine et fera s’envoler les papillons de votre papier peint. »

Le film d’un concert à Bobino, estampillé 1972, nous montre le regard franc, tour à tour sérieux et enjoué du grand bonhomme grattant « son ventre » en chantant Les filles de joie, Le temps ne fait rien à l’affaire ou encore Les dames du temps jadis
Dans le public Raymond Devos applaudit avec force, mais aussi René Fallet, sa compagne Pupchen …
Quelle joie dans cette salle-là …

La visite se finit sur une pause longue, tranquille mais si émouvante, le casque toujours vissé sur les oreilles : l’intégralité de Supplique pour être enterré sur la plage de Sète, extraordinaire chanson de plus de sept minutes, dans laquelle se retrouve presque tout Brassens, son « théâtre intérieur », selon une formule que lui-même employait.
On quitte le poète sur ces notes et ces mots.

On a passé un moment merveilleux.

Espace Georges Brassens
67, boulevard Camille Blanc – 34200 Sète
Ouvert de 10 h 12 h et de 14 h à 18 h
Jusqu’à 19 h en juillet et août
Fermé les jours fériés sauf les 14 juillet, 15 août et 1er novembre
En hiver, fermeture hebdomadaire le lundi
Tel. : 04 67 53 32 77
Entrée de 2 à 5 €

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100 photos du Festival de Cannes. Reporters sans frontières

reporters sans frontières, CannesLe 3 mai dernier, à l’occasion de la 17ème Journée internationale de la liberté de la presse, Reporters sans frontières a publié un nouvel album photos, consacré aux soixante ans du Festival de Cannes.

Belle idée pour l’ouverture du 60ème Festival qui se déroulera du 16 au 27 mai.
On a immédiatement envie de l’offrir ou de se l’offrir, car les photos sont magnifiques. Elles ont été choisies parmi les archives des plus grandes agences et des meilleurs photographes qui ont couvert le festival : collection Traverso, Mirkine, Daniel Angeli, Emmanuele Scorcelletti (Gamma), les archives de Studio Magazine …

A les regarder, il semble qu’en soixante ans sont passées à Cannes les plus belles femmes du monde, les plus « stars » bien sûr : Monica Bellucci, Fanny Ardant, Sharon Stone … pour qui le mot semble avoir été inventé, star parmi les stars !

Y compris celles qui ont commencé dans le métier toutes jeunes et qui étaient déjà sur la Croisette.
Coup de coeur pour la petite Brigitte Fossey courant sur la plage, en 1953. La même année, la très jeune Brigitte Bardot se fait coiffer (ou décoiffer ?) par Kirk Douglas …

Des surprises, tels les portraits de Claudia Cardinale ou de Gérard Depardieu, photographiés comme jamais, en des instants volés (?), bouleversants de naturel.

Des photos historiques aussi, comme celle où sont assis côté à côte, en 1968, Claude Lelouch, Jean-Luc Godard et François Truffaut.

Beaucoup d’émotion enfin à retrouver des disparus d’hier, Philippe Noiret notamment, ou d’avant-hier, tels Françoise Dorléac – quel charme ! – , Patrick Dewaere, alors si lumineux, si radieux …

A lire dans la revue : la préface de Vincent Cassel, l’entretien avec Gilles Jacob, président du Festival, un petit historique du Festival, le rappel des Grands Prix et Palmes d’Or depuis 1946.

Mais aussi le triste bilan des « prédateurs de la liberté de la presse ».

Les bénéfices de la vente de l’album sont intégralement reversés à RSF pour mener des actions concrètes en faveur de la liberté de la presse : assistance aux journalistes et à leurs familles souvent démunies ainsi qu’aux médias en difficulté, investigations sur le terrain afin de déterminer les responsabilités dans les cas d’assassinat, financement de frais d’avocats lors de procès de presse, accueil de journalistes contraints de fuir leur pays, etc.

En vente chez les marchands de journaux, dans les Fnac,
les librairies, les grandes surfaces …
Au prix de 8,90 €

Site de Reporters sans frontières
Site officiel du Festival de Cannes

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Le côté de Guermantes. La voix et les mots de Mme de Guermantes

proust2Mme de Guermantes n’est pas « une ».

Mondaine, intelligente, raffinée, audacieuse, pleine d’esprit, ne dédaignant pas la provocation, cette ultra-urbaine est aussi une « rurale ».

C’est dans sa voix que se retrouve une ascendance toute terrienne qu’elle ne renie pas.

Dans ces yeux et dans cette voix je retrouvais beaucoup de la nature de Combray. Certes, dans l’affectation avec laquelle cette voix faisait apparaître par moments une rudesse de terroir, il y avait bien des choses : l’origine toute provinciale d’un rameau de la famille de Guermantes, restée plus longtemps localisée, plus hardie, plus sauvageon, plus provocant ; puis l’habitude de gens vraiment distingués et de gens d’esprit qui savent que la distinction n’est pas de parler du bout des lèvres, et aussi de nobles fraternisant plus volontiers avec leur paysans qu’avec des bourgeois ; toute particularité que la situation de reine de Mme de Guermantes lui avait permis d’exhiber plus facilement, de faire sortir toutes voiles dehors. Il paraît que cette même voix existait chez des sœurs à elle, qu’elle détestait, et qui, moins intelligentes et presque bourgeoisement mariées, si on peut se servir de cet adverbe quand il s’agit d’unions avec des nobles obscurs, terrées dans leur province ou à Paris, dans un faubourg Saint-Germain sans éclat, possédaient aussi cette voix mais l’avaient réfrénés, corrigée, adoucie autant qu’elles pouvaient, de même qu’il est bien rare qu’un d’entre nous ait le toupet de son originalité et ne mette pas son application à ressembler aux modèles les plus vantés.

Sa prédilection pour la nouveauté semble quant à elle se limiter à l’art mondain. Dans le fond, la duchesse de Guermantes demeure extrêmement classique, comme le révèle son vocabulaire :

– Mais voyons, Basin, vous ne voyez pas que la princesse se moque de vous (la princesse n’y songeait pas). Elle sait aussi bien que vous que Gallardonette est une vieille poison, reprit Mme de Guermantes, dont le vocabulaire, habituellement limité à toutes ces vieilles expressions était savoureux comme ces plats possibles à découvrir dans les livres délicieux de Pampille, mais dans la réalité devenus si rares, où les gelées, le beurre, le jus, les quenelles sont authentiques, ne comportent aucun alliage, et même où on fait venir le sel des marins salants de Bretagne : à l’accent, au choix des mots, on sentait que le fond de conversation de la duchesse venait directement de Guermantes. Par là, la duchesse différait profondément de son neveu Saint-Loup, envahi par tant d’idées et d’expressions nouvelles ; il est difficile quand on est troublé par les idées de Kant et la nostalgie de Baudelaire, d’écrire le français exquis d’Henri IV de sorte que la pureté même du langage de la duchesse était un signe de limitation, et qu’en elle l’intelligence et la sensibilité étaient restées fermées à toutes les nouveautés.

Bonne lecture, bon week-end à tous.

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Un plaisir trop bref (lettres). Truman Capote.

un plaisir trop brefLire la correspondance de Truman Capote (1924-1984) est un vrai régal.
Fichtre, quelle plume !

Et quel personnage attachant se dessine entre les lignes de l’auteur de ces lettres ! On est loin de l’image de la fofolle en châle griffé débarquant avec fracas au fin fond du Kansas pour enquêter sur ce qui deviendra De sang-froid.

Truman Capote est certes cela, et alors il amuse ou irrite ; mais sa personnalité est infiniment plus intéressante.

Ecrivain d’abord et avant tout, son travail est au centre de ses préoccupations, de ses angoisses, de ses apaisements. Et il travaille comme un fou ; même alité, il ne s’arrête pas.

Mais « l’écrivain de la décennie », titre que lui valut De sang-froid après sa publication en 1966 écrivait aussi beaucoup de lettres.
Il le faisait en partie, et il le dit clairement, pour avoir la joie de recevoir à son tour des nouvelles de ses amis, et si possible, les commérages que ceux-ci pouvaient lui confier.
Ce besoin était particulièrement pressant au cours des années qu’il a passées loin de New-York, les plus prolifiques du reste.
Pour pouvoir écrire (mais aussi en raison du sort réservé aux homosexuels aux Etats-Unis dans les années 1950), il s’isolait en effet de longs mois en Europe, de préférence dans une île, comme en Sicile ou à Paros, ou sur la Costa Brava, puis au Verbier, dans les Alpes suisses. Dans son exil, il tenait à demeurer informé de tout ce qui se passait dans son milieu, et ne se privait pas de le commenter dans ses lettres.

Mais la raison de cette abondance correspondance ne tient pas qu’à ce goût pour les potins. A la lire, on sent qu’il avait un vrai plaisir à les écrire, y faisant le point sur son travail, sa santé, ses états d’âme, ses relations, ses avis et critiques sur la littérature contemporaine, les créations théâtrales, les films … Si bien que ce recueil de lettres finit par constituer un journal, d’où un immense plaisir de lecture.

Ecrite dans l’instant, cette sorte d’autobiographie n’a rien de l’empesé des mémoires. Bien au contraire, quelle liberté de ton, quel naturel, quel enlevé ! D’ailleurs, au fil des années, le style est de plus en plus spontané – manque de temps pendant l’écriture de De sang-froid ? Il semble plutôt que son écriture soit de plus en plus assurée.

Puis, après l’immense succès de De sang-froid, Truman Capote n’est plus le même ; il n’écrit presque plus que quelques cartes postales. Il tombe dans l’alcool et autres dépendances.
L’écriture devient lourde, ordinaire, dénuée d’humour.
Comme si le colossal travail d’écriture de De sang-froid lui avait pompé une énergie qu’il n’a jamais pu retrouver.
Quel contraste, et quelle tristesse, tout à coup …

Mais avant d’en arriver là, le lecteur aura passé près de 500 pages passionnantes avec Truman Capote, dont l’ironie mordante cohabite avec la délicatesse, la générosité et la tendresse, et dont l’humour réjouit en permanence.
Il aura aussi eu quelques nouvelles de Lee Harper, Carson McCullers, la famille Chaplin, André Gide … et, bien sûr, il aura suivi « en direct », presque au jour le jour, l’écriture de son chef d’œuvre.
Ce n’est pas rien.

Un plaisir trop bref (lettres). Truman Capote
Traduit de l’américain par Jacques Tournier
Editions 10/18 (2007)
510 p., 15 €

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Scandaleusement célèbre

scandaleusement celebreSorti l’an dernier, Truman Capote, réalisé par Bennett Miller retraçait l’aventure de Truman Capote et de De sang-froid, le livre sur l’assassinat d’une famille de fermiers dans le Kansas en 1959, qui a valu à l’écrivain un immense succès.

Scandaleusement célèbre, de Douglas McGrath, a exactement le même sujet.
Aussi réussi que le film de Bennett Miller, il est encore plus réjouissant.

Le personnage de Capote y est dessiné tout en nuances.

Au début du film, Truman Capote est une « petite langue de vipère » que l’on voit évoluer dans le milieu intellectuel et ultra-mondain de Manhattan.
Homosexuel, il est aussi le confident de ses amies, ses « cygnes » comme il les appelle, qui lui livrent leurs peines de coeur. Fou de joie de recueillir et colporter des potins, il est en même temps toujours prêt à réchauffer ses bien-aimées de sa présence, de ses paroles, et d’un verre de Martini …
L’ambiance new-yorkaise des années 1950, les personnages et leurs répliques … Le tout est délicieusement croqué.

Mais voici le même Truman Capote qui part, toutes affaires cessantes, pour enquêter sur le quadruple meurtre de la famille de fermiers : il débarque au fin fond du Kansas, accompagné de son amie Harper Lee, également écrivain, qu’il surnomme Nelle.
Toque, manteau long et cinquante valises : on l’appelle Madame et ne le prend pas au sérieux.
Les scènes sont tordantes, les dialogues aux petits oignons.

On assiste alors au déploiement du charme aux multiples facettes de l’insupportable Truman Capote : humour pince sans-rire, aplomb incroyable, civilité extrême, dans un mélange de mise en scène et de naturel irrésistible.
L’inspecteur chargé de l’enquête et sa famille y succombent. Truman Capote, ayant désormais accès aux informations dont il a besoin peut se mettre au travail sans délai.

Commence ainsi la partie la plus mythique de la vie de Truman Capote, lorsque l’idée du reportage cède à l’évidence d’un roman : l’expérience d’écriture exceptionnelle que constitue De sang-froid, qui le conduira à travailler comme un fou pendant des années, à rechercher le moindre détail – rien de moins que la perfection.

La relation que Truman établit avec l’un des assassins, Perry, dont il a besoin pour nourrir son livre est captivante. A la stratégie de l’apprivoisement succède la nécessité d’un investissement plus profond : pour gagner la confiance de Perry, il est obligé de donner de sa personne. Va se nouer entre les deux hommes un lien très particulier dont l’ambiguïté n’est jamais totalement éclaircie.

Scandaleusement célèbre dresse de Truman Capote un portrait chargé de mystères et de contradictions, infiniment humain.
Il est magnifiquement interprété par Toby Jones, mais aussi par Sandra Bullock dans le rôle de Harper Lee, l’auteur de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur.

Scandaleusement célèbre (titre original : Infamous)
Film américain de Douglas McGrath
Avec Toby Jones, Sandra Bullock, Sigourney Weaver, Daniel Craig …
Durée : 1h 58min.

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Le musée Fabre. Montpellier (1/3)

gabriel metsuLe musée Fabre, à Montpellier, a rouvert ses portes le 3 février 2007 après une restructuration complète.

Le résultat de ces travaux, conduits par les architectes bordelais Olivier Brochet et montpelliérain Emmanuel Nebout, emportent l’adhésion sans conteste.

De l’entrée et du hall en marbre, décorés avec beaucoup de chic par Daniel Buren, le visiteur accède à plus de 9 000 m² de salles d’expositions temporaires et permanentes.
Ces vastes volumes ont été rendus possibles grâce à l’utilisation d’espaces jusqu’alors occupés par la bibliothèque municipale mais aussi au creusement de salles en sous-sol, ainsi qu’Olivier Brochet l’avait déjà fait pour le musée de l’Orangerie aux Tuileries.

Le parcours des fonds permanents met en valeur les collections issues de trois legs importants réalisés au XIXème siècle par Antoine Valedeau (1777-1836), François-Xavier Fabre (1766-1837) et Alfred Bruyas (1821-1877).

La visite s’ouvre avec la peinture flamande et hollandaise, isolée d’un parcours général chronologique qui débute à la Renaissance pour se terminer par l’exposition d’œuvres d’artistes contemporains.

La prédilection de Valedeau pour l’école flamande et nordique justifie en effet que tout un ensemble de salles y soient consacrées au rez-de-chaussée. Sa donation est riche en scènes de genre et en paysages (années 1645-1650), ce qui était assez classique chez les collectionneurs du XVIIIème siècle et du début du XIXème.

Le calvinisme des provinces du nord des Pays-Bas regroupées autour de la Hollande interdit les images religieuses dans les temples. A l’extérieur, seules les scènes de l’Ancien Testament et de la vie terrestre du Christ sont autorisées : la peinture se consacre alors à l’histoire antique, au quotidien et à la nature.

C’est ainsi que le visiteur peut admirer, sous le ciel aux lumières changeantes des pays du Nord, de superbes paysages.
Notamment, ceux de Philips Wouwernan (d’ordinaire plutôt peintre de chevaux et de batailles) tels Repos du laboureur (1646-1648), ou encore Paysage aux ramasseurs de bois morts (1652), dont les dunes se teintent délicatement de nuances claires et enveloppantes.

A partir de 1650 environ, s’exprime au sein de la haute-société hollandaise un intérêt, qui culminera au XVIIIème siècle, pour la culture, l’art de bien écrire, l’art français. Le goût pour le luxe s’affiche, en contradiction avec la sobriété des mœurs traditionnelles : la peinture trouve une inflexion baroque.

Dans cette veine, Jan van Huysum, à partir des années 1720, abandonne les fonds sombres des peintures du XVIIème siècle pour privilégier des agencements asymétriques et mouvementés sur fond clair. Résultat : deux beaux Bouquet de fleurs et Nature-morte aux fruits réalisés dans les années 1730-1740 en accord avec l’art rocaille qui se développera au XVIIIème siècle en Europe.

Dans la même salle, un autre tableau attire l’œil par sa singularité : Une tige de chardon (1667), peinte par Marseus van Schrieck (1619-1678) : celui-ci, collectionneur de sciences-naturelles, invente la nature morte de sous-bois. Dans l’inquiétante obscurité, des reptiles, insectes et papillons mènent la lutte autour d’un pied de chardon sur lequel s’enroule un bleu volubilis…

On montera au premier étage du musée la semaine prochaine.

Musée Fabre
39, boulevard Bonne-Nouvelle à Montpellier (34000)
Tel : 04.67.14.83.00
Tramway : Corum et Comédie
Ouvert tlj sauf le lundi de 10 h à 18 h
le mercredi de 13 h à 21 h et le samedi de 11 h à 18 h
Entrée : 6 € (TR 4 €)
Accessibilité complète aux personnes handicapées
Guide du musée Fabre (Réunion des musées nationaux)
Ouvrage collectif sous la direction de Michel Hilaire
232 pages, 15 €

Image : Jeune homme écrivant une lettre, Gabriel Metsu (vers 1658-1660)

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