Gérard Pesson : Pastorale au Châtelet

Pastorale, Pesson, Sorin, Le ChâteletMêler à l’opéra la variété issue de la Star Académie est une entreprise audacieuse, qui s’expose aux risques de ridicule et de prétention, un peu comme sortir l’argenterie et le linge damassé pour servir du fast-food. Ces risques là, Gérard Pesson les a pris, en créant Pastorale, donnée ces jours-ci en première au théâtre du Châtelet à Paris. (1)

Le livret est inspiré de L’Astrée d’Honoré d’Urfé, roman-fleuve du XVIIème siècle décidément revenu à la mode puisqu’il avait déjà inspiré en 2007 un très beau film à Eric Rohmer ("Les Amours d’Astrée et de Céladon").
Dans l’oeuvre d’Urfé, l’histoire est celle d’aristocrates endossant l’habit de bergers pour jouer aux jeux de l’amour, avec pour personnages centraux la belle Astrée et le jeune Céladon qui s’aiment et se fuient sans fin, trahisons et souffrances à la clé.

Dans Pastorale, ce sont de jeunes candidats à un jeu de télé-réalité qui se mettent dans la peau de bergers, entourés d’assistants et guidés par le druide Adamas.
Lookés façon néo-babas-cools, les jeunes partent donc chercher le bonheur dans de vertes prairies, dans une nature close et idéalisée, rejouant une fois de plus le mythe de l’Eden retrouvé. Les amours d’Astrée et de Céladon, quant à elles, assurent – a minima – la structure narrative de l’opéra.

Ce mélange d’inspirations (la littérature et la télé-réalité) pèse hélas sur la cohérence du spectacle et en brouille la lisibilité. Le livret est révélateur de ces contradictions (pas moins de quatre auteurs y ont d’ailleurs participé) : d’une écriture courte et erratique, il hésite entre prosaïsme et poésie, entre simple envoi de messages et romanesque, sans qu’aucune force ne parvienne à le faire décoller.
La cohabitation de voix lyriques et de la chanson est bien de ce tonneau-là, alliage quelque peu improbable, et grande est la menace – non totalement exécutée toutefois, fort heureusement – de voir la représentation sombrer du mauvais côté de la comédie musicale genre cucul-commercial. Quant à la chorégraphie, sortie de l’imagination, visiblement très limitée, de Kamel Ouali, elle semble appartenir à la même école artistique que les costumes : agitée à trop vouloir être jeune, banale à trop vouloir être à la mode.

Ça, c’est tout ce qui peut agacer. On passe pourtant une très bonne soirée. Et il y a de quoi : la musique de Gérard Pesson, que l’on range d’habitude du côté du bizarre et de l’intime, déploie dans cette ambiance pastorale et contemporaine tout ce qui en fait le charme. Ses couleurs variées et ses déclinaisons de formes infinies révèlent de magnifiques harmonies. Elles sont jouées avec de vrais instruments autant qu’avec toutes sortes d’objets domestiques et font la part belle aux pépiements d’oiseaux, bruits d’eau, respirations, bruissements (et déchirements) de feuilles…
La scénographie / mise en scène est signée du grand vidéaste Pierrick Sorin. Faite notamment d’images tournées directement à partir de maquettes posées sur scène et projetées sur grands écrans, elle fourmille d’inventivité, de surprises et bien souvent d’humour. Plein de vie et des plus plaisants, ce cadre visuel joue un rôle prépondérant dans le spectacle.
Finalement, la très bonne idée de cette Pastorale est certainement l’association Pesson – Sorin. A tous les deux ils sont capables de créer une telle poésie et une telle modernité que l’on ne voit pas bien pourquoi il a fallu aller chercher du côté de la télé et de la variété pour tenter d’enrichir le programme. Ce jeunisme quasiment affiché frôle la démagogie et encombre un spectacle dont la seule présence de grandes voix lyriques sobrement dirigées aurait à coup sûr garanti le succès. On peut rêver à un nouveau casting : ce serait la Pastorale II.

Pastorale
Gérard Pesson
Opéra en quatre actes et quarante-deux numéros
Théâtre du Châtelet – 1 place du Châtelet, 75001 Paris
Renseignements : 01.40.28.28.00
Jusqu’au 24 juin 2009, à 20 h
Durée : 2 h 25 avec entracte
Places de 15 € à 90 €

Livret : Martin Kaltenecker, Philippe Beck et Gérard Pesson, avec la collaboration de Hervé Péjaudier
d’après L’Astrée d’Honoré d’Urfé (1607-1627)
Création scénique mondiale
Direction musicale : Jean-Yves Ossonce
Mise en scène, vidé, décors, costumes et lumières : Pierrick Sorin
Chorégraphie : Kamel Ouali
Astrée Judith Gauthier
Céladon et Alexis Olivier Dumait
Listandre Ivan Geissler
Adamas Marc Labonnette
Silvandre Pierre Doyen
Florice et Sylvie Marie-Ève Munger
Phillis Hoda Sanz
Diane Raphaelle Dess
Une bergère Melody Louledjian
Une bergère et Léonide Amaya Dominguez
Une bergère et Galathée Sophie Leleu
Hylas Jean-Gabriel Saint-Martin
Lycidas Thomas Huertas
Orchestre symphonique Région Centre-Tours
Chœur du Châtelet

(1) Pastorale est une commande de l’Opéra de Stuttgart, où l’oeuvre a été créée en version de concert en mai 2006. Pour cette création scénique, le Théâtre du Châtelet a passé commande à Gérard Pesson de deux nouvelles chansons, écrites par Adrien Léveillé et destinées à Diane et Phillis.

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Rubato ma gissando. Annette Messager/Gérard Pesson

Annette MessagerChapelle des Recollets, Maison de l’Artchitecture, près de la gare de l’Est à Paris.
Du vaisseau renversé, au plafond, pendent des instruments de musique, grosse caisse, cors, guitare. Ils côtoient des sculptures d’Annette Messager, membres en mousse entrelacés dans leur moustiquaire, poupées de laine en grappe, sacs de plastique assemblées en corole.
Lumière rouge, pénombre.
Au sol, des musiciens harnachés à des fils jusqu’à la voûte, saxophone, tuba, violoncelle. Bancs de bois, murs décrépis.

Surgissent de petits chants d’oiseaux, des froissements de feuille, des bruits d’eau. Ou tout autre chose. Cela monte comme un flot. Une nature en éveil. Cela monte et s’accélère avant de se calmer. Violon, cornemuse, grande feuille plastifiée. Cela vrombit, au loin, puis vient une ondée du matin, légère comme un carillon clair. Les mobiles (instruments, sculpture, et même un jeune homme replié) montent et descendent, tandis que bat un coeur, qu’un homme souffle et s’essouffle ; que semble se jouer la vie.
Plus tard, de la matière va couleur et des oiseaux hululer dans une verte nuit.
C’est organique et poétique, grave et léger, savant et enfantin. Il y a des lettres prononcées et de longs nez menteurs. C’est un petit concentré de vie, extraordinaire et quotidien, que nous offre durant quelques (trop courtes) vingt minutes ce tableau vivant et musical brossé par deux immenses talents.

Rubato ma gissando. Annette Messager/Gérard Pesson
Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
Maison de l’Architecture
148, rue du Faubourg Saint-Martin – 75010 Paris
Métro : Gare de l’Est
Jusqu’au 28 septembre 2008
A 20h, 20h45, 21h30, 22h15
Tarif unique : 10 €
Durée : 20’

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