A la recherche du temps perdu. Le temps retrouvé. La matière de son oeuvre : sa vie

Marcel Proust La RechercheLe narrateur, cet enfant, puis ce jeune homme, puis cet homme mûr qui voulait devenir écrivain sans jamais y parvenir trouve par hasard, au moment de sa vie où il a renoncé à son projet, la matière de son livre.

C’est son expérience du « temps retrouvé », dans des moments bienheureux de réminiscences, qui lui fait comprendre que sa vie-même fera l’objet de « son livre », mais encore que peut-être sa vie n’a eu pour seul objet, justement, que « son livre » :

Alors, moins éclatante sans doute que celle qui m’avait fait apercevoir que l’oeuvre d’art était le seul moyen de retrouver le Temps perdu, une nouvelle lumière se fit en moi. Et je compris que tous ces matériaux de l’oeuvre littéraire, c’était ma vie passée ; je compris qu’ils étaient venus à moi dans les plaisirs frivoles, dans la paresse, dans la tendresse, dans la douleur, emmagasinés par moi, sans que je devinasse plus leur destination, leur survivance même que la graine mettant en réserve tous les aliments qui nourriront la plante. (…) Ainsi toute ma vie jusqu’à ce jour aurait pu et n’aurait pas pu être résumée sous ce titre : Une vocation.

Il réalise, alors qu’il se trouve à une réunion mondaine chez le prince de Guermantes, et qu’il revisite les rencontres qui ont bouleversé sa vie, que cette matière-là, cette vie-là, c’est à Charles Swann qu’il la doit.

En somme, si j’y réfléchissais, la matière de mon expérience, laquelle serait la matière de mon livre, me venait de Swann, non pas seulement pour tout ce qui le concernait lui-même et Gilberte ; mais c’était lui qui m’avait dès Combray donné le désir d’aller à Balbec, où sans cela mes parents n’eussent jamais eu l’idée de m’envoyer, et sans quoi je n’aurais pas connu Albertine, mais même les Guermantes, puisque ma grand-mère n’eût pas retrouvé Mme de Villeparisis, moi fait la connaissance de Saint-Loup et de M. de Charlus, ce qui m’avait fait connaître la duchesse de Guermantes et par elle sa cousine, de sorte que ma présence même en ce moment chez le prince de Guermantes, où venait de me venir brusquement l’idée de mon oeuvre (ce qui faisait à Swann non seulement la matière mais la décision) me venait aussi de Swann.

Bon week-end et belles lectures…

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A la recherche du temps perdu. Le temps retrouvé. La petite sonnette de la maison de Combray

Marcel Proust La RechercheJuste après la matinée Guermantes, au cours de laquelle, grâce à des réminiscences, est apparue au narrateur la nécessité d’écrire son oeuvre sur le temps, voici qu’il tombe malade.

Il se met alors à craindre de ne pas avoir la force de l’accomplir.

Pourtant, du fond de son lit, il pense à ce livre François le Champi de Georges Sand, dont la veille il a vu un exemplaire dans le salon-bibliothèque du prince de Guermantes où on l’avait fait attendre, livre que sa grand-mère lui avait offert pour sa fête lorsqu’il était enfant (cf. billet du 6 avril dernier), et que sa mère lui avait lu un soir dans sa chambre.

Ah ! si j’avais encore les forces qui étaient intactes encore dans la soirée que j’avais alors évoquée en apercevant François le Champi ! C’était de cette soirée, où ma mère avait abdiqué, que datait, avec la mort lente de ma grand’mère, le déclin de ma volonté, de ma santé. Tout c’était décidé au moment où, ne pouvant plus supporter au lendemain pour poser mes lèvres sur le visage de ma mère, j’avais pris ma résolution, j’avais sauté du lit et étais allé, en chemise de nuit, m’installer à la fenêtre par où entrait le clair de lune jusqu’à ce que j’eusse entendu partir M. Swann. Mes parents l’avait accompagné, j’avais entendu la porte du jardin s’ouvrir, sonner, se refermer…

Il sait que s’il a « retrouvé le temps », c’est peut-être parce qu’il ne l’a pas tout à fait perdu, puisqu’il a, la veille, entendu à ses oreilles la sonnette, « les criaillements de son grelot »

Si c’était cette notion du temps évaporé, des années passées non séparées de nous, que j’avais maintenant l’intention de mettre si fort en relief, c’est qu’à ce moment même, dans l’hôtel du prince de Guermantes, ce bruit des pas de mes parents reconduisant M. Swann, ce tintement rebondissant, ferrugineux, intarissable, criard et frais de la petite sonnette qui m’annonçait qu’enfin M. Swann était parti et que maman allait monter, je les entendis encore, je les entendis eux-mêmes, eux pourtant situés si loin dans le passé.

A très bientôt pour le dernier épisode de A la recherche du temps perdu

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A la recherche du temps perdu. Fin.

Marcel Proust La RechercheA la toute fin de A la recherche du temps perdu, alors qu’il est malade et craint de ne pas avoir la force d’écrire son oeuvre, le narrateur évoque ce moment de réminiscences où, lorsqu’il était dans l’hôtel des Guermantes, un tintement de sonnette lui fit "entendre" celui qui, quand il était enfant, à Combray, marquait le signal du départ de M. Swann que ses parents venaient de raccompagner à l’entrée du jardin, c’est-à-dire celui du moment où il pourrait embrasser sa mère avant de dormir.

S’il a été capable d’entendre à nouveau le son de cette petite sonnette c’est que depuis ce soir lointain, il n’y a pas eu « discontinuité ». Il n’a pas « un instant cessé d’exister, de penser, d’avoir conscience de (lui) ».

Il se rend compte alors de toutes les heures qu’il a vécues, de ce temps si grand que son être contient.
Tout ce temps passé lui donne le vertige :

J’éprouvais un sentiment de fatigue et d’effroi à sentir que tout ce temps si long (…) j’avais à toute minute à le maintenir attaché à moi, qu’il me supportait, moi, juché à son sommet vertigineux, que je ne pouvais me mouvoir sans le déplacer. (…) J’avais le vertige de voir au-dessous de moi, en moi pourtant, comme si j’avais des lieues de hauteur, tant d’années.

C’est par cette dernière phrase qu’il annonce ce que sera son livre… s’il a la force de l’écrire :

Du moins, si elle m’était laissée assez longtemps pour accomplir mon oeuvre, ne manquerais-je pas d’abord d’y décrire les hommes (cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux) comme occupant une place si considérable, à côté de celle si restreinte qui leur est réservée dans l’espace, une place au contraire prolongée sans mesure – puisqu’ils touchent simultanément comme des géants plongés dans les années, à des époques si distantes, entre lesquelles tant de jour sont venus se place – dans le Temps.

FIN

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A la recherche du temps perdu. Le temps retrouvé : les paradis perdus

Marcel Proust La RechercheAlors qu’il se rend à une matinée, le narrateur, trébuchant sur deux pavés disjoints de la cour de l’hôtel des Guermantes, éprouve la même et heureuse sensation qu’il avait connue, bien des années auparavant, sur deux dalles inégales du baptistère de Saint-Marc à Venise.

Il reconnaît le même sentiment que celui qu’il a éprouvé lorsque, enfant, une après-midi, sa mère lui donna pour le goûter une madeleine trempée dans un peu de thé.

Il devine qu’il s’agit du même mécanisme, qu’il essaie d’éclaicir sans délai, alors qu’on le fait attendre dans le petit salon-bibliothèque de l’hôtel jusqu’à ce que le morceau de musique soit achevé « la princesse ayant défendu qu’on ouvrît les portes pendant son exécution » :

Il commence par rejeter tout travail volontaire de la mémoire, dont il ne peut surgir aucun souvenir vrai, dès lors qu’il porte sur un tout :

Sur l’extrême différence qu’il y a entre l’impression vraie que nous avons eue d’une chose et l’impression factice que nous nous en donnons quand volontairement nous essayons de nous la représenter, je ne m’arrêtais pas (…) Je comprenais trop que ce que la sensation des dalles inégales, la raideur de la serviette, le goût de la madeleine avaient réveillé en moi, n’avait aucun rapport avec ce que je cherchais souvent à me rappeler de Venise, de Balbec, de Combray, à l’aide d’une mémoire uniforme.

Seul le souvenir isolé permet de retrouver les sensations déjà vécues :

Oui, si le souvenir, grâce à l’oubli, n’a pu contracter aucun lien, jeter aucun chaînon entre lui et la minute présente, s’il est resté à sa place, à sa date, s’il a gardé ses distances, son isolement dans le creux d’une vallée ou à la pointe d’un sommet, il nous fait tout à coup respirer un air nouveau, précisément parce que c’est un air qu’on a respiré autrefois, cet air plus pur que les poètes ont vainement essayé de faire régner dans le Paradis et qui ne pourrait donner cette sensation profonde de renouvellement que s’il avait été respiré déjà, car les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus.

Il devine alors la cause de la félicité qui l’envahit lors de ces réminiscences « en comparant ces diverses impressions bienheureuses et qui avaient entre elles ceci de commun que je les éprouvais à a fois dans le moment actuel et dans un moment éloigner, jusqu’à faire empiéter le passé sur le présent, à me faire hésiter à savoir dans lequel des deux je me trouvais. »

Cette clé du bonheur qu’il découvre n’est autre que la possibilité d’échapper au temps :

Au vrai, l’être qui alors goûtait en moi cette impression (…) pouvait se trouver dans le seul milieu où il pût vivre, jouir de l’essence des choses, c’est-à-dire en dehors du temps. Cela expliquait que mes inquiétudes au sujet de ma mort eussent cessé au moment où j’avais reconnu inconsciemment le goût de la petite madeleine, puisqu’à ce moment-là l’être que j’avais été était un être extra-temporel, par conséquent insoucieux des vicissitudes de l’avenir. Seul, il avait le pouvoir de me faire retrouver les jours anciens, le temps perdu, devant quoi les efforts de ma mémoire et de mon intelligence échouaient toujours.

A très bientôt ; bien bon week-end.

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A la recherche du temps perdu. Le temps retrouvé. « Je la reconnus, c'était Venise »

Marcel Proust La RechercheRevenu à Paris après de longues années passées en vain dans une maison de santé, le narrateur, qui a perdu tout espoir d’écrire, notamment en perdant, plus généralement, toute foi en la littérature, se rend à une matinée chez le prince de Guermantes.

C’est alors que, « au moment où tout nous semble perdu »:

J’étais entré dans la cour de l’hôtel de Guermantes, et dans ma distraction je n’avais pas vu une voiture qui s’avançait ; au cri du wattman je n’eus que le temps de me ranger vivement de côté, et je reculai assez pour buter malgré moi contre les pavés assez mal équarris derrière lesquels était une remise.

Il vit alors un moment de félicité, qui s’apparente à d’autres déjà vécus, dont celui, relaté au tout début de A la recherche du temps perdu, de la petite madeleine :

Au moment où, me remettant d’aplomb, je posai mon pied sur un pavé qui était un peu moins élevé que le précédent, tout mon découragement s’évanouit devant la même félicité qu’à diverses époques de ma vie m’avaient donnée la vue d’arbres que j’avais cru reconnaître dans une promenade en voiture autour de Balbec, la vue des clochers de Martinville, la saveur d’une madeleine trempée dans une infusion (…)

C’est alors qu’en un instant il retrouve et la foi en la littérature et celle en ses capacités d’écrivain :

Comme au moment où je goûtais la madeleine, toute inquiétude sur l’avenir, tout doute intellectuel étaient dissipés. Ceux qui m’assaillaient tout à l’heure au sujet de la réalité de mes dons littéraires, et même de la réalité de la littérature, se trouvaient levés comme par enchantement.

Mais entre l’épisode de la petite madeleine et celui du pavé de Paris, s’est écoulée presque une vie, une vie presque « gaspillée » aux yeux du narrateur qui se voyait écrivain. Aussi « Cette fois, j’étais bien décidé à ne pas me résigner à ignorer pourquoi, comme je l’avais fait le jour où j’avais goûté d’une madeleine trempée dans une infusion »:

Chaque fois que je refaisais rien que matériellement ce même pas, il me restait inutile ; mais si je réussissais, oubliant la matinée Guermantes, à retrouver ce que j’avais senti en posant ainsi mes pieds, de nouveau la vision éblouissante et distincte me frôlait (…)

Et enfin :

Presque tout de suite, je la reconnus, c’était Venise, dont mes efforts pour la décrire et les prétendus instantanés pris par ma mémoire ne m’avaient jamais rien dit, et que la sensation que j’avais ressentie jadis sur deux dalles inégales du baptistère de Saint-Marc m’avait rendue avec toutes les autres sensations jointes ce jour-là à cette sensation-là et qui étaient restées dans l’attente, à leur rang, d’où un brusque hasard les avait impérieusement fait sortir, dans la série des jours oubliés.

On dirait qu’on "y est" enfin… à très bientôt, bon week-end à tous !

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A la recherche du temps perdu. Le temps retrouvé. Le retour à Paris

Marcel Proust La RechercheLe premier séjour, de plusieurs années, que le narrateur fait dans une maison de santé est suivi d’un autre plus long encore, dans une nouvelle maison, où il ne guérit pas davantage.

Il finit par rentrer à Paris.

Durant le trajet en chemin de fer, une pensée mise de côté pendant ces longues années vient de nouveau l’accabler :

La pensée de mon absence de dons littéraires, que j’avais cru découvrir jadis du côté de Guermantes, que j’avais reconnue avec plus de tristesse encore dans mes promenades quotidienne avec Gilberte, et que j’avais à peu près identifiée, en lisant quelques pages du journal des Goncourt, à la vanité, au mensonge de la littérature, cette pensée, moins douloureuse peut-être, plus morne encore, si je lui donnais comme objet non ma propre infirmité, mais l’inexistence de l’idéal auquel j’avais cru, cette pensée (…) me frappa de nouveau et avec une force plus lamentable que jamais.

A son retour chez lui, il trouve un carton d’invitation à une matinée chez le prince de Guermantes.
Le nom de Guermantes retrouvant tout à coup à ses yeux, après un si long oubli, quelque ancien reflet enchanteur et, par ailleurs, la vie mondaine ne pouvant plus l’ôter, comme avant, à la tâche littéraire à laquelle il a désormais renoncé, il décide de se rendre à cette réunion mondaine.

Mais c’est parfois lorsque, désespéré tout à fait, on a fini par abandonner le projet qui nous était le plus cher qu’on tombe sur la clef qu’on ne cherche plus :

C’est quelquefois au moment où tout nous semble perdu que l’avertissement arrive qui peut nous sauver ; on a frappé à toutes les portes qui ne donnent sur rien, et la seule par où on peut entrer et qu’on aurait cherchée en vain pendant cent ans, on y heurte sans le savoir, et elle s’ouvre.

La suite très vite…

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A la recherche du temps perdu, ou « L'écriture… c'est pour demain »

Marcel Proust La RechercheLe narrateur a le désir de devenir écrivain dès son enfance, époque où il entreprend de décrire les clochers de Martinville (1).

Si le résultat n’est finalement pas des meilleurs, ainsi que M. de Norpois le lui fait remarquer indirectement en s’en prenant à Bergotte, modèle d’écrivain pour le narrateur (voir billet du 9 février 2007 sur M. de Norpois), il ne renonce pas pour autant totalement à son projet.
Du reste, ses parents et sa grand-mère l’encouragent dans cette voie, puisqu’il n’a pas d’autre vocation et que, par ailleurs, sa fragile santé ne lui permettrait certainement pas d’exercer un autre métier.

Mais les jours, les mois et les années passent doucement, sans qu’il ait écrit une autre ligne que la description enfantine des clochers de Martinville.

Toutefois, lorsque, quelques années plus tard, il se rend presque quotidiennement chez les Swann, il apprend que l’écrivain qu’il admire plus que tout autre, dont son ami Bloch lui a fait connaître les livres, le fameux Bergotte, est lui même un habitué du salon des Swann.
Cette fréquentation commune à Bergotte et au narrateur ne pourrait-elle pas avoir une influence décisive sur la mise en train de l’activité littéraire de celui-ci ? (2)

D’ailleurs, me disais-je, en passant ma vie chez les Swann, ne fais-je pas comme Bergotte ? A mes parents il semblait presque que, tout en étant paresseux, je menais, puisque c’était dans le même salon qu’un grand écrivain, la vie la plus favorable au talent.

S’il suffisait…

Et pourtant, que quelqu’un puisse être dispensé de faire ce talent soi-même, par le dedans, et le reçoive d’autrui, est aussi impossible que de se faire une bonne santé (malgré qu’on manque à toutes les règles de l’hygiène et qu’on commette les pires excès) rien qu’en dînant souvent en ville avec un médecin.

Quelques temps après, dans ce même salon de Mme Swann, ses conversations avec Bergotte à qui il a enfin été présenté lui redonnent quelque espoir, mais visiblement peu de courage :

Depuis quelque temps, les paroles de Bergotte se disant convaincu que, malgré ce que je prétendais, j’étais fait surtout pour goûter les plaisirs de l’intelligence, m’avaient rendu, au sujet de ce que je pourrais faire plus tard, une espérance que décevait chaque jour l’ennui que j’éprouvais à me mettre devant une table à commencer une étude critique ou un roman.

C’est alors qu’il se dit que le principe de plaisir qu’il poursuit dans la vie n’est peut-être pas applicable à l’écriture, voire que « ce n’est pas le désir de devenir célèbre, mais l’habitude d’être laborieux, qui nous permet de produire une oeuvre » :

Après tout, me disais-je, peut-être le plaisir qu’on a eu à l’écrire n’est-il pas le critérium infaillible de la valeur d’une belle page ; peut-être n’est-il qu’un état accessoire qui s’y surajoute souvent, mais dont le défaut ne peut préjuger contre elle. Peut-être certains chefs d’oeuvre ont-ils été composés en bâillant.

Et encore, plus tard, lorsqu’il partage la vie d’Albertine (3), laquelle l’encourage également dans la voie de l’écriture, il considère, chaque jour, que le lendemain sera celui où il s’y mettra enfin, mais…

J’avais promis à Albertine que, si je ne sortais pas avec elle, je me mettrais au travail. Mais le lendemain, comme si, profitant de nos sommeils, la maison avait miraculeusement voyagé, je m’éveillais par un temps différent, sous un autre climat. On ne travaille pas au moment où on débarque dans un pays nouveau, aux conditions duquel il faut s’adapter.

(1) dans Du côté de chez Swann
(2) dans A l’ombre des jeunes filles en fleurs
(3) dans La prisonnière

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Le château de Seix, Centre d'interprétation des vallées du Haut-Salat

Château de Seix, centre d'interprétation du patrimoineComment les hommes et les femmes vivaient autrefois dans le Haut-Couserans et plus largement dans les Pyrénées, à l’époque où n’existaient ni routes ni automobiles ?

En parcourant le passionnant Centre d’interprétation des vallées du Haut-Salat au château de Seix (Pyrénées ariégeoises), on réalise que pendant des siècles, les modes de vie pyrénéens n’ont pratiquement pas changé.

Il faut attendre l’avènement de la révolution industrielle pour que ce « modèle » stable vole en éclats, laissant la place à un milieu géographiquement et économiquement marginalisé, ne devant sa survie, pour une grande partie, qu’au tourisme.
Si des éleveurs sont toujours en activité (et mis régulièrement sur le devant de la scène depuis quelques années avec l’affaire de la réintroduction de l’ours), ils ne sont que la survivance d’un pastoralisme autrefois dominant et ne peuvent masquer une transformation économique et sociale profonde.

L’enseignement le plus frappant de ce voyage dans l’histoire est d’ordre géographique finalement.
A savoir que la chaîne pyrénéenne ne fut pas toujours une barrière géographique pour l’homme !
A l’époque où il ne se déplaçait qu’à pied ou à cheval, les communications étaient presque aussi lentes en plaine qu’en montagne. En outre, comme les abords des rivières étaient soumis aux crues et étaient peu habités, les hommes ont évité d’établir les routes au fond des vallées…

Aussi, pendant longtemps, la montagne fut un territoire unitaire où les hommes se partageaient une culture et une vie économique commune.
Et la naissance de la frontière pyrénéenne n’a eu à cet égard que peu d’impact : en empruntant les nombreux sentiers de montagne, qui traversaient champs et villages, il n’étaient pas plus compliqué pour les habitants de la montage de se rendre en Espagne que de gagner la plaine.
Les échanges commerciaux entre la France et l’Espagne – en partie réalisés par colportage – allaient de soi, les différentes productions des deux versants se complétant : bétail, grain et vin quittaient la France pour l’Espagne, quand huile, sel et laine faisaient le chemin inverse.
Ajoutons que certains sentiers peu surveillés permettaient à une contrebande active de faire circuler bétail français et tabac, monnaie et sel espagnol, en dehors de tout contrôle douanier…
Mais les déplacements ne se limitaient pas aux marchandises : le décalage dans l’année des travaux des champs entre le nord et le sud des Pyrénées conduisait les paysans à enchaîner les « saisons ».

Les liens entre les habitants, qui impliquaient également des solidarités traditionnelles entre les populations autour du pastoralisme, n’étaient pas uniquement d’ordre économique.
Les hommes et les femmes ont longtemps partagé une vie religieuse commune, se déplaçant et participant aux mêmes fêtes et manifestations.
L’art roman est le reflet de cette unité. Il s’est épanoui sur toute la chaîne et les édifices romans étaient souvent réalisés par les mêmes artistes qui circulaient de Toulouse à la Catalogne.

Quelle était la nourriture habituelle des montagnards ?
A quoi servaient les granges ?
Qu’appelle-t-on « estive » ?
Quelles tâches de travail incombaient aux femmes ?
Pourquoi les habitants ont-ils quitté la montagne ?

Le Centre d’interprétation répond à ces questions et à de nombreuses autres, mettant en lumière ce « jadis », qui a persisté jusqu’au XIXème siècle, héritier d’une société millénaire que le pastoralisme avait façonné de manière unitaire.

A côté des explications simples et claires, des photos anciennes, des films, des maquettes raviront toutes les générations.

Abrité dans le château de Seix joliment rénové pour l’occasion, le Centre d’interprétation des vallées du Haut-Salat, moderne et savant, fournit à tous les amoureux des Pyrénées une approche indispensable – et souvent émouvante – qui permet de mieux comprendre le monde montagnard d’aujourd’hui.

Centre d’interprétation des vallées du Haut-Salat
Château de Seix (Ariège)
Tél. : 05 34 14 02 11
Office du tourisme du Haut-Couserans
Tél. : 05 61 96 00 01 (Mlle Pauline Chaboussau)
Entrée libre
Visites guidées gratuites

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Art roman et musique de chambre au Festival de Saint-Lizier

Festival de musique de Saint-LizierEn se baladant sur les routes de l’Ariège, on ne peut louper, juste avant d’arriver à Saint-Girons, sur le coteau de la la rive droite du Salat, la petite ville de Saint-Lizier.

Si son Palais des Papes s’étale avec superbe, sa cathédrale romane, elle, est presque dissimulée. On aperçoit à peine son clocher octogonal du XIVème siècle, au style pourtant particulier, dit toulousain.

Que ce coup d’oeil soit une invite à aller découvrir la cité d’origine gallo-romaine, devenue plus tard capitale religieuse du Couserans, blottie au pied des Pyrénées.

L’édifice roman abrite de magnifiques fresques, attribuées au Maître de Pedret, artiste anonyme espagnol auteur de nombreuses fresques murales, et probablement réalisées avant la consécration de la cathédrale en 1117.
Le cloître gothico-roman à deux étages est adorable de simplicité, avec ses fines colonnes en marbre surmontées de chapiteaux décorés à détailler très tranquillement.

Si par bonheur cette flânerie tombe fin juillet-début août, le visiteur sera surpris, en cette contrée belle mais sauvage, de voir entrer, en début de soirée, des musiciens vêtus de noir et se réunir, avec une joie toute intime, une petite foule de mélomanes fidèles : ce sont pour la plupart les mêmes que ceux de l’année dernière et pour certains, on le jurerait, les mêmes depuis plus de trente ans.

Le festival de musique de Saint-Lizier en Couserans, pour cette 36ème édition, a la promotion toujours aussi discrète, un affichage inexistant, un site internet réduit à sa plus simple expression.

Peu importe, en ce 9 août 2007, pour le dernier concert de la saison, comme pour les précédents, la cathédrale est pleine.
Et c’est à des Schubertiades (1), thème exclusif du festival 2007, que le public répond à nouveau présent.

Programme particulièrement raffiné ce soir-là : entrée très convaincante, avec la Sonate en la mineur pour arpeggione et pianoforte, interprétée sur instruments historiques par Christophe Coin – fondateur du Quatuor Mosaïques, directeur artistique de l’Ensemble baroque de Limoges – et David Lively, le directeur artistique du festival, suivi d’une romantissime Fantaisie en do « Wanderer » pour pianoforte, avant de finir par le bel ensemble associant Christophe Coin à l’arpeggione et le Quator Terpsycordes (Genève) pour un Quintette à cordes en ut majeur.

A l’entracte, pendant qu’une partie du public se désaltérait à la terrasse qui fait face au portail de la cathédrale, l’autre déambulait dans le cloître délicatement mis en lumière.
Il paraît que certains soirs, David Lively y organise de façon impromptue quelque passionnante causerie.
Douce, joyeuse et belle ambiance.
pour aller à Saint-Lizier Festival de Saint-Lizier en Couserans
tél. : 05 61 66 67 89
mél. : festival-de-saint-lizier@worldonline.fr
Places : 15 € à 35 € (TR : 10 € à 30 €). Abonnements.
Cliquer sur la carte pour l’agrandir

(1) nom donné aux soirées au cours desquelles les amis de Schubert se réunissaient autour de l’artiste pour écouter ses créations

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Chansons de… en bandes dessinées

Les chansons de Claude Nougaro en BDLa force et la pérennité des grandes chansons tient notamment aux images qu’à partir de quelques mots elles font surgir dans notre esprit.

Prenez Le coq et la pendule : sur le scénario quelque peu surréaliste de Claude Nougaro, c’est tout un film que l’auditeur voit se dérouler dans sa tête…

Cette puissance d’évocation, soulignée à merveille par le phrasé et la musicalité de "la Nougue", fait que cette chanson reste profondément gravée dans notre mémoire, sans qu’aucune écoute ne vienne jamais l’user.

Mettre des images, au sens propre cette fois, sur des grands textes de la chanson française, telle est l’aventure que les éditions petit à petit ont proposée à de jeunes dessinateurs de la BD.

Exercice délicat, tant le rapport à cet édifice sacré qu’est le patrimoine de la chanson touche à la poésie, nécessairement intime, de chacun.

L’exigence est si grande que forcément le lecteur sera à certains moments déçu (« l’esprit n’est pas tout à fait là ! »), voire heurté (« aucun rapport ! »).

Mais devant d’autres illustrations, on a plaisir à voir de « vraies » images sur ces chansons, et on accueille alors la subjectivité du dessinateur avec fraternité et complicité.

Le coq et la pendule est justement de celles-là. Sébastien Amouroux a choisi des teintes rosées en accord avec l’onirisme du texte, quand son trait vif et expressif souligne avec délice l’humour de la fable : très réussie.

Autre coup de coeur du recueil qui, selon le principe de la collection, compte onze chansons illustrées par autant de jeunes dessinateurs différents, Le jazz et la java réinterprétée par Emmanuel Romeuf : ses lignes qui swinguent, ses couleurs vives un peu fanées, les yeux pleins de malice de ses personnages donnent toute sa force à ce cruel combat, restitué dans l’ambiance enjouée et haute en tempérament des bals des années 1920/30…

A lire aussi, Les chansons de Jacques Brel en bandes dessinées, pour l’illustration soignée, évidemment tordante, des Bigotes, en parfaite osmose avec les paroles ciselées de la chanson ; mais aussi pour le simple plaisir de relire des textes comme ceux de Ces gens-là, La Fanette, Au suivant ou encore Jaurès.

A découvrir également, dans la même collection : Les chansons de Boby Lapointe, Georges Brassens, Edith Piaf, Nino Ferrer, Raphaël et bien d’autres.

Chansons de… en bandes dessinées
Editions petit à petit (2007)
90 p. environ, 15 €
Voir le catalogue complet et des extraits sur le site www.petitapetit.fr

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