La fille coupée en deux. Claude Chabrol

Elle était adorablement enfantine dans 8 femmes, l’agaçante Petite Lili chez Claude Miller, craquante dans Les Chansons d’amour de Christophe Honoré.

Claude Chabrol en a fait une "princesse".
Ludivine Sagnier illumine totalement son dernier film, cette histoire de fille (Gabrielle) coupée en deux entre un écrivain d’âge mûr dont elle tombe amoureuse et qui ne l’aime pas, et un jeune dandy qu’elle n’aime pas et qui est non seulement fou d’elle, mais cinglé tout court.

Elle souffrira à cause du premier et épousera le second, qui…
Petite intrigue chabrolienne à souhait, le metteur en scène filmant à plaisir les parquets grinçants de la vie de province, sur lesquels tombent des dialogues ciselés, et des personnages cyniques à mourir (ils n’en meurent pas tous) joués par des acteurs magnifiques.

Tous sont très bons ; Benoît Magimel habite son rôle de bien-né dégénéré à la perfection et la "princesse" ne nous lasse jamais. Deux rôles de reines sont aussi bien pourvus : Mathilda May dans celui de l’éditrice qui en a vu et qui y revient avec plaisir, blindée d’expérience, et Marie Bunel, la mère de Gabrielle qui en a vu mais laisse sa fille faire la sienne…

L’histoire sera donc celle-là bien sûr : baignée trop pure dans la société des hommes, petite fille deviendra grande. (Quoique.)
Une histoire qui soufflée par Claude Chabrol devient aussi légère qu’une bulle de savon.

La fille coupée en deux. Claude Chabrol
Drame français
Avec Ludivine Sagnier, François Berléand, Benoît Magimel, Mathilda May…
Durée : 1 h 55

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L'aventure de la porcelaine au musée d'Orbigny-Bernon à La Rochelle

musée d'Orbigny-Bernon, ChineLa maîtrise de la fabrique de la porcelaine fut une histoire longue et compliquée en Europe.

Arrivées par le Moyen-Orient à la fin du Moyen-Age, les porcelaines chinoises suscitèrent immédiatement un grand intérêt en Europe.
On attacha à ce matériau à la fois dur, translucide et éclatant toutes sortes de vertus, dont celle de détecter les poisons…

Les Européens s’efforcèrent dès lors de reproduire cette matière exceptionnelle.
Cependant, ils ignoraient la composition de la pâte, ce qui constitua un obstacle permanent.
Ils réalisèrent d’abord les majoliques, puis la faïence, mais le support demeurait une terre cuite sans rapport avec la texture cristallisée dans la masse de la porcelaine chinoise.

Le XVIème siècle connut de nouvelles tentatives plus abouties avec la porcelaine dite des Médicis à Florence et son adaptation française de Saint-Porchaire.
C’est surtout à la fin du XVIIème siècle et au cours du XVIIIème siècle, avec la mise au point de la porcelaine tendre à fritte, ou porcelaine artificielle que les manufactures françaises (Vincennes-Sèvres, Chantilly, Mennecy…) et anglaise, associant les recherches des céramistes et verriers, imitèrent le mieux la porcelaine dure, sans parvenir néanmoins à obtenir véritablement le résultat recherché.

Les Allemands furent les premiers à identifier en Saxe, en 1709, le kaolin qui permettait de fabriquer la véritable porcelaine.
Auguste le Fort créa donc en 1710 la manufacture de Meissen et essaya de conserver secrète la fameuse formule de l’« arcane », que toute l’Europe lui enviait.
Mais la diffusion était irrésistible et la porcelaine dure finit par faire son apparition à Vienne en 1717, puis, vers le milieu du siècle, à Höchst, Wymphenberg, Berlin…
Le secret passa aussi à Strasbourg, mais les Français découvrirent à leur tour, en 1763, le kaolin à Saint-Irieix près de Limoges et nombre de manufactures françaises fabriquèrent simultanément des pièces en porcelaine dure et d’autres en porcelaine tendre, ces dernières tendant à disparaître à la veille de la Révolution.

La porcelaine dure avait alors conquis l’Europe entière : l’Italie avec Capodimonte, la Russie avec Saint-Pétersbourg, l’Angleterre, les Pays-Bas, la Suisse, l’Espagne, au point d’être répandue partout au XIXème siècle.

Les décors ne devront dès lors plus grand-chose à l’Extrême-Orient et, après le passage obligé du néo-classicisme international, les tendances les plus diverses se donneront libre cours.

Rappelant ainsi l’histoire de la porcelaine en Occident, le musée d’Orbigny-Bernon à La Rochelle présente une série porcelaines chinoises des XVIIIème et XIXème siècles, mais également un grand nombre d’objets décoratifs issus des manufactures européennes aux mêmes époques, permettant de mesurer, effectivement, la variété des inspirations.
Ainsi, dans les vitrines consacrées à la porcelaine de Meissen (Saxe) du XVIIIème siècle, on appréciera les efforts d’imagination des maîtres de l’époque : par exemple, avec la série de figurines intitulées L’Amérique, L’Afrique et L’Asie.
L’Afrique attire immanquablement l’attention, donnant à voir un nègre noir comme l’ébène, assis sur un lion, richement vêtu : peau ornée de plumes multicolores, drapé d’une cape lie-de-vin doublée de vert franc et fermée par un soleil, la tête coiffée d’un trophée de chasse–tête d’éléphant… un modèle qui vaut le détour !

Noter que le musée propose également un éclairage historique de la ville (notamment sur les célèbres sièges de la Rochelle ainsi que la Seconde Guerre mondiale).
D’autres salles sont consacrées aux arts d’Extrême-Orient (où on peut admirer une chambre chinoise du XIXème siècle), enrichis de dépôts du Musée Guimet (sur ce célèbre musée parisien, lire les billets du 27 et du 29 août dernier).

Pour tous les amateurs de porcelaines et autres chinoiseries, ne pas oublier le musée des Arts décoratifs à Paris. Consulter aussi quelques ouvrages consacrés à la matière.

Musée d’Orbigny-Bernon
2, rue Saint-Côme – 17000 La Rochelle
Tél. : 05 46 41 18 83
Fax : 05 46 29 22 60
Mél: musee-art@ville-larochelle.fr
Entrée : 3,50 €

Image : Bouteille, porcelaine "bleu et blanc", Chine, dynastie Ming, période de transition (1630-1640)

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Boarding Gate. Olivier Assayas

Boarding Gate de Olivier AssayasLe corps souple, la mobilité animale, le teint blafard et les yeux cernés, Sandra, l’héroïne du dernier film d’Olivier Assayas, interprétée par Asia Argento, est un "aimant" à hommes.

Miles, celui qu’à force de trop aimer, elle finit par liquider au sens propre, et Lescer, celui qu’elle laisse filer, en sont incontestablement fous. Mais l’aiment-ils ?
Non, dit-elle, ils la désirent seulement. Ils font semblant de croire que c’est la même chose, mais elle n’est pas dupe. N’est plus dupe.

Car il s’agit bien de cela, de l’histoire d’une fille "perdue" : Boarding Gate est un thriller dont l’intrigue n’est que le prétexte pour tracer les contours de son personnage, une jeune femme toujours en danger, même lorsque c’est elle qui a l’arme en main.

Le reste, hormis le piment nécessaire à la cause, et des dialogues le plus souvent convenus, n’est que jeu de caméra, virtuosité du metteur en scène : Olivier Assayas est extrêment doué, son dernier film ne fait que confirmer.

Il demeure qu’on regarde le film comme on regarde passionnément un bel objet.
Il y a une vitre infranchissable entre Sandra et le spectateur ; de bout en bout, elle ne se brisera pas.

Pour autant, cet esthétisme tourne-t-il à vide ?
L’affirmer serait indifférence feinte.
On sort troublé de ce film, troublé par cette femme victime d’un homme, victime de son amour, victime du monde, victime d’elle-même.
Même si tant de froide beauté finit par glacer.

Boarding Gate. Olivier Assayas
Thriller franco-hongkongais
Avec Asia Argento, Michaël Madsen, Carl Ng.
Durée 1 h 43

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A la recherche du temps perdu. Le temps retrouvé. Les personnages, fils de trame de la vie

Marcel Proust La RechercheA la fameuse matinée Guermantes, au cours de laquelle des réminiscences successives lui donnent enfin la clé du livre à écrire, le narrateur est frappé par la transformation physique des convives qui, comme lui, pendant ces longues années où il ne les a pas vus, éloigné de Paris qu’il était dans une maison de santé, ont terriblement vieilli.

Mais si ces êtres, qui l’ont entouré tout au long de sa vie, ont changé avec l’âge, il voit bien aussi ce qui en eux est resté identique.

« Revisitant » ces personnages, il se rend compte que chacun d’eux a joué, à différentes époques de sa vie, des rôles fort différents :

Et combien de fois ces personnes étaient revenues devant moi au cours de leur vie, dont les diverses circonstances semblaient présenter les mêmes êtres, mais sous des formes, pour des fins variées !

Mais malgré cette diversité, ils ont fini par constituer un tout, peut-être la trame de sa vie :

Et la diversité des points de ma vie par où avait passé le fil de celle de chacun de ces personnage avait fini par mêler ceux qui semblaient le plus éloigné, comme si la vie ne possédait qu’un nombre limité de fils pour exécuter les dessins les plus différents.

Une simple relation mondaine, même un objet matériel, si je le retrouvais au bout de quelques années dans mon souvenir, je voyais que la vie n’avait pas cessé de tisser autour de lui des fils différents qui finissaient par le feutrer de ce beau velours inimitable des années, pareil à celui qui dans les vieux parcs enveloppent une simple conduite d’eau d’un fourreau d’émeraude.

Malgré l’évolution des situations et des relations, notamment la fréquentation régulière de personnages « divinisés » par le narrateur, qui les a finalement rendus à leur prosaïsme, l’auréole de mystère dont il les entourait avant de les connaître demeure intacte dans le passé :

C’est pendant des années que Bergotte m’avait paru un doux vieillard divin, que je m’étais senti paralysé comme par une apparition devant le chapeau gris de Swann, le manteau violet de sa femme, le mystère dont le nom de sa race entourait la duchesse de Guermantes jusque dans un salon : origine presque fabuleuse, charmante mythologie de relations devenues si banales ensuite, mais qu’elles prolongeaient dans le passé comme en plein ciel, avec un éclat pareil à celui que projette la queue étincelante d’une comète.

Excellent week-end et excellente lecture à tous.

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A la recherche du temps perdu. Le temps retrouvé. Ce qu'est la littérature, ce qu'elle n'est pas

Marcel Proust La RechercheEn découvrant enfin le livre qu’il doit écrire (cf. billets du 2 novembre et du 9 novembre), le narrateur voit clairement ce que doit être la littérature.

Il sait d’abord ce qu’elle ne peut être :

« Une oeuvre où il y a des théories est comme un objet sur lequel on laisse la marque du prix. On raisonne, c’est-à-dire on vagabonde, chaque fois qu’on a pas la force de s’astreindre à faire passer une impression par tous les états successifs qui aboutiront à sa fixation, à l’expression. »

Et il est certain de la matière sur laquelle l’écrivain doit se pencher :

La réalité à exprimer, résidait, je le comprenais maintenant, non dans l’apparence du sujet, mais à une profondeur où cette apparence importait peu, comme le symbolisaient ce bruit de cuiller sur une assiette, cette raideur empesée de la serviette, qui m’avaient été plus précieux pour mon renouvellement spirituel que tant de conversations humanitaires, patriotiques, internationalistes et métaphysiques.

Fort de ces convictions, il rejette la vogue de l’époque, qui voulait transformer la littérature :

Plus de style, avais-je entendu dire alors, plus de littérature, de la vie ! ». On peut penser combien même les simples théories de M. de Norpois contre les « joueurs de flûte » (cf. billet du 9 février) avaient refleuri depuis la guerre. Car tous ceux qui n’ont pas le sens artistique, c’est-à-dire la soumission à la réalité intérieure, peuvent être pourvus de la faculté à raisonner à perte de vue sur l’art. Pour peu qu’ils soient par surcroît diplomates ou financiers, mêlés aux « réalités » du temps présent, ils croient volontiers que la littérature est un jeu de l’esprit destiné à être éliminé de plus en plus dans l’avenir.

Bon week-end et bonne lecture.

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A la recherche du temps perdu. Le temps retrouvé. Le temps écoulé

Marcel Proust La RechercheAprès de longues années passées loin de Paris dans une maison de santé, c’est en se rendant à une matinée chez le prince de Guermantes que le narrateur découvre, en retrouvant le temps perdu, le livre qu’il a à écrire.

Lorsqu’il entre dans le salon de l’hôtel des Guermantes où sont réunis les invités, il croit se trouver dans un bal masqué où les convives auraient porté des masques de vieillards.

Puis il réalise que le temps a passé et que ses anciens amis et connaissances ont simplement vieilli.

Et c’est dans le miroir que lui tendent ces êtres transformés par les ans qu’il se rend compte que le temps a passé pour lui aussi :

Et je pus me voir, comme dans la première glace véridique que j’eusse rencontrée, dans les yeux des vieillards, restés jeunes à leur avis, comme je le croyais moi-même de moi, et qui, quand je me citais à eux, pour entendre un démenti, comme exemple de vieux, n’avaient pas dans leurs yeux qui me voyaient tel qu’ils ne se voyaient pas eux-mêmes et tel que je les voyais, une seule protestation.

Et il regrette de prendre conscience du temps passé au moment précis où il découvre l’oeuvre qu’il peut écrire – sur ce qui échappe au temps :

Mais une raison plus grave expliquait mon angoisse ; je découvrais cette action destructrice du Temps au moment même où je voulais entreprendre de rendre claires, d’intellectualiser dans une oeuvre d’art, des réalités extra-temporelles.

Or, à présent son livre ne lui semble pas seulement réalisable, mais encore nécessaire. Il se met alors à redouter que sa vie ne soit écourtée et ne lui laisse pas le temps d’accomplir son oeuvre :

Certes, ce que j’avais éprouvé dans la bibliothèque et que je cherchais à protéger, c’était plaisir encore, mais non plus égoïste, ou du moins d’un égoïsme (car tous les altruismes féconds de la nature se développent selon un mode égoïste, l’altruisme humain qui n’est pas égoïste est stérile, c’est celui de l’écrivain qui s’interrompt de travailler pour recevoir un ami malheureux, pour accepter une fonction publique, pour écrire des articles de propagande) d’un égoïsme utilisable pour autrui. (…) Maintenant, me sentir porteur d’une oeuvre rendait pour moi un accident où j’aurais trouvé la mort, plus redoutable.

Très bon week-end et très bonne lecture à tous.

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A la recherche du temps perdu. Le temps retrouvé. Un peu de temps à l'état pur

Marcel Proust La RechercheEn buttant, à Paris, sur deux pavés mal équarris, le narrateur a revécu la sensation de bonheur qu’il avait éprouvée bien des années auparavant à Venise.

Retrouvant à ce moment le même sentiment de félicité qui l’avait envahi, au début de l’ouvrage, lorsqu’il avait goûté d’une petite madeleine trempée dans du thé, il essaie de voir jusqu’où le mènent ces bienheureuses réminiscences.

Il s’aperçoit qu’elles ne sont pas que la renaissance de moments du passé, mais qu’elles sont aussi le moyen de faire coïncider, enfin, le travail de son imagination avec des sensations réellement éprouvées :

Tant de fois, au cours de ma vie, la réalité m’avait déçu parce qu’au moment où je la percevais, mon imagination, qui était mon seul organe pour jouir de la beauté, ne pouvait s’appliquer à elle, en vertu de la loi inévitable qui veut qu’on ne puisse imaginer que ce qui est absent. Et voici que soudain l’effet de cette dure loi s’était trouvé neutralisé, suspendu, par un expédient merveilleux de la nature, qui avait miroiter une sensation à la fois dans le passé, ce qui permettait à mon imagination de la goûter, et dans le présent où l’ébranlement effectif de mes sens avait ajouté aux rêves de l’imagination ce dont ils sont habituellement dépourvus, l’idée d’existence, et, grâce à ce subterfuge, avait permis à mon être d’obtenir, d’isoler, d’immobiliser – la durée d’un éclair – ce qu’il n’appréhende jamais : un peu de temps à l’état pur.

En saisissant cet instant « de temps à l’état pur », il échappe au temps et découvre le bonheur de l’homme qui peut ainsi enfin échapper à l’idée de l’inéluctable mort :

Une minute affranchie de l’ordre du temps a recréé en nous, pour la sentir, l’homme affranchi de l’ordre du temps. Et celui-là, on comprend qu’il soit confiant dans sa joie, même si le simple goût d’une madeleine ne semble pas contenir logiquement les raisons de cette joie, on comprend que le mot de « mort » n’ait pas de sens pour lui ; situé hors du temps, que pourrait-il craindre de l’avenir ?

Excellent week-end à tous.

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A la recherche du temps perdu. Le temps retrouvé. « La vraie vie, c'est la littérature »

Marcel Proust La RechercheLe narrateur prend conscience que pour saisir les moments de félicité qu’il a éprouvés furtivement à l’occasion de ses réminiscences – tel l’instant où il a butté sur deux pavés inégaux dans la cour de l’hôtel des Guermantes, ou celui où il a goûté d’une petite madeleine trempée dans du thé lorsqu’il était enfant – bref, pour rechercher ce temps perdu, il devra écrire « son livre ».

Seul celui-ci lui permettra de trouver sa réalité ; car la réalité est peut-être ceci – et l’image à laquelle le narrateur recourt est magnifique :

Le goût du café au lait matinal nous apporte cette vague espérance d’un beau temps qui jadis si souvent, pendant que nous le buvions dans un bol de porcelaine blanche, crémeuse et plissée qui semblait du lait durci, quand la journée était encore intacte et pleine, se mit à nous sourire dans la claire incertitude du petit jour. Une heure n’est pas une heure, c’est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats. Ce que nous appelons la réalité est un certain rapport entre ces sensations et ces souvenirs qui nous entourent simultanément (…) rapport unique que l’écrivain doit retrouver pour en enchaîner à jamais dans sa phrase les deux termes différents.

Et l’art seul permet de nous faire connaître la vie :

La grandeur de l’art véritable, au contraire de celui que M. de Norpois eût appelé un jeu de dilettante, c’était de retrouver, de ressaisir, de nous faire connaître cette réalité loin de laquelle nous vivons, de laquelle nous nous écartons de plus en plus au fur et à mesure que prend plus d’épaisseur et d’imperméabilité la connaissance conventionnelle que nous lui substituons, cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans avoir connue, et qui est tout simplement notre vie.

Finalement, notre vie véritable n’est peut-être seulement que littérature :

La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature ; cette vie qui, en un sens, habite à chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez l’artiste. Mais ils ne la voient pas, parce qu’ils ne cherchent pas l’éclaircir. Et ainsi leur passé est encombré d’innombrables clichés qui restent inutiles parce que l’intelligence ne les a pas « développés ».

Très bonne lecture et très bon week-end à tous.

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A la recherche du temps perdu. Le temps retrouvé. « Faire une oeuvre d'art »

Marcel Proust La RechercheEn réfléchissant sur le sentiment de félicité qui l’envahit lors de ses réminiscences, lesquelles le font revivre les sensations heureuses de son voyage à Venise ou encore de son enfance à Combray, le narrateur réalise que ce n’est que dans ces moments « extra-temporels » qu’il touche l’essence des choses.

Mais si ces instants fugaces sont le moyen de saisir l’essence des choses, ce n’est pas en elles-mêmes qu’il faut les chercher, puisque, le narrateur l’a tant de fois éprouvé, elles sont toujours décevantes :

Des impressions telles que celles que je cherchais à fixer ne pouvaient que s’évanouir au contact d’une jouissance directe qui a été impuissante à les faire naître. La seule manière de les goûter davantage, c’était de tâcher de les connaître plus complètement, là où elles se trouvaient, c’est-à-dire en moi-même (…). Je n’avais pu connaître le plaisir à Balbec, pas plus que celui de vivre avec Albertine, lequel ne m’avait été perceptible qu’après coup. (…) Je sentais bien que la déception du voyage, la déception de l’amour n’étaient pas des déceptions différentes, mais l’aspect varié que prend, selon le fait auquel il s’applique, l’impuissance que nous avons à nous réaliser dans la jouissance matérielle, dans l’action effective.

C’est alors qu’il comprend que, qu’il s’agisse de décrire les clochers de Martinville près de Combray – ainsi qu’il avait tenté de le faire lorsqu’il était enfant –, ou d’évoquer des réminiscences, il s’agit toujours de faire un travail de recherche en soi-même, de mise en lumière d’une « vérité » : il s’agit de faire acte de création.

En somme (…), il fallait tâcher d’interpréter les sensations comme les signes d’autant de lois et d’idées, en essayant de penser, c’est-à-dire de faire sortir de la pénombre ce que j’avais senti, de le convertir en un équivalent spirituel. Or, ce moyen qui me paraissait le seul, était-ce autre chose que faire une oeuvre d’art ?

Très bon week-end et très bonne lecture à tous.

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A la recherche du temps perdu. Le temps retrouvé. Déchiffrer « son livre »

Marcel Proust La RechercheDans les instants furtifs mais d’intense félicité de ses réminiscences, telle celle provoquée par la petite madeleine, le narrateur a compris qu’il touchait enfin à l’essence des choses, non pas à celles vécues – sa vie ne lui a procuré que des désillusions – mais à celles qui sont en lui-même.

Il a également réalisé que, pour les « fixer », c’est-à-dire pour retrouver le temps perdu, son recours n’est autre que la littérature.

Faire acte d’écriture, voici précisément ce qui était son projet, repoussé jour après jour, depuis son enfance.

Il s’en sent désormais capable ; il sait qu’il devra l’accomplir seul ; et cette fois, ne plus s’en détourner.

Quant au livre intérieur de signes inconnus (…), pour la lecture desquels personne ne pouvait m’aider d’aucune règle, cette lecture consistait en un acte de création où nul ne peut nous suppléer ni même collaborer avec nous. Aussi combien se détournent d’écrire ! Que de tâches n’assume-t-on pas pour éviter celle-là !

Son livre et plus généralement la littérature lui paraissent le seul moyen d’accéder à une vérité :

Ce livre, le plus pénible de tous à déchiffrer, est aussi le seul que nous ait dicté la réalité, le seul dont « l’impression » ait été faite en nous par la réalité même. (…) Les idées formées par l’intelligence pure n’ont qu’une vérité logique, une vérité logique, leur élection est arbitraire. (…). Non que ces idées que nous formons ne puissent être justes logiquement, mais nous ne savons pas si elles sont vraies. Seule l’impression, si chétive qu’en semble la matière, si insaisissable la trace, est un critérium de vérité.

Seul celui qui écrit peut connaître la réalité de soi-même :

Ce que nous n’avons pas eu à déchiffrer, à éclaircir par notre effort personnel, ce qui était clair avant nous, n’est pas à nous. Ne vient de nous-même que ce que nous tirons de l’obscurité qui est nous et que ne connaissent pas les autres.

Belles lectures à tous.

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