La fugitive. Le deuil d'Albertine

Marcel Proust La RechercheLe narrateur est terrassé de chagrin par la mort d’Albertine.

Mais petit à petit et inexorablement l’oubli fait son oeuvre :

« On n’est que par ce qu’on possède, on ne possède que ce qui nous est réellement présent, et tant de nos souvenirs (…) partent faire des voyages loin de nous-même, où nous les perdons de vue ! »

Les souvenirs s’en vont-ils pour autant définitivement ?

Ils ont des chemins secrets pour rentrer en nous. Et certains soirs, m’étant endormi sans presque plus regretter Albertine – on ne peut regretter que ce qu’on se rappelle – au réveil je trouvais tout une flotte de souvenirs qui étaient venus croiser en moi dans ma plus claire conscience, que je distinguais à merveille.

Au fur et à mesure que le souvenir d’Albertine s’éloigne, il se met à la voir autrement.

Il s’aperçoit alors seulement à quel point il l’aimait car « Une impression de l’amour est hors de proportion avec les autres impressions de la vie, mais ce n’est pas perdu au milieu d’elle qu’on peut s’en rendre compte ».

C’est avec beaucoup de tendresse et de respect qu’il pense alors à Albertine et à la dernière soirée qu’ils ont passé ensemble avant sa fuite :

Je tâchais d’embrasser l’image d’Albertine à travers mes larmes en pensant à toutes les choses sérieuses et justes qu’elle avait dites ce soir-là.

Dévoré par le remords, il refait le scénario, s’invente des « si » et leur suite plus favorable :

Or cette Albertine si nécessaire, de l’amour de qui mon âme était maintenant presque uniquement composée, si Swann ne m’avait pas parlé de Balbec je ne l’aurais jamais connue.

Réflexions qui immanquablement mènent à une culpabilité qui en rappelle une autre :

Et ainsi il me semblait que par ma tendresse uniquement égoïste j’avais laissé mourir Albertine comme j’avais assassiné ma grand’mère.

Très bel été, très belles lectures à tous.

Facebooktwitter

La fugitive. Les amis se marient

Marcel Proust La RechercheA la fin de La Fugitive, alors que son amour pour Albertine est éteint et qu’aucun autre n’est venu le remplacer, le narrateur apprend le mariage de deux de ses connaissances, son ami Robert de Saint-Loup et le fils Cambremer.

Il en éprouve une profonde peine, liée à un certain deuil à accomplir :

De ces deux mariages, je ne pensais rien, mais j’éprouvais une immense tristesse, comme quand deux parties de votre existence passée, amarrées auprès de vous, et sur lesquelles on fonde peut-être paresseusement au jour le jour, quelques espoir inavoué, s’éloignent définitivement, avec un claquement joyeux de flammes, pour des destinations étrangères, comme deux vaisseaux.

Le mariages de ces jeunes hommes alimentent abondamment les conversations dans les thés et les dîners, en particulier dans le milieu bourgeois du narrateur.

Ainsi se déroulait dans notre salle à manger, sous la lumière de la lampe dont elles sont amies, une de ces causeries où la sagesse non des nations mais des familles, s’emparant de quelque événement (…) et le glissant sous le verre grossissant de la mémoire, lui donne tout son relief, dissocie, recule et situe en perspective (…) les noms des décédés, les adresses successives, les origines de la fortune et ses changements, les mutations de propriété.

C’est que les familles auxquels les intéressés appartiennent sont anciennes, et appartiennent en quelque sorte à l’histoire :

Cette sagesse-là n’est-elle pas inspirée par la Muse qu’il convient de méconnaître le plus longtemps possible si on veut garder quelque fraîcheur d’impressions et quelque vertu créatrice (…), la Muse qui a recueilli tout ce que les Muses les plus hautes de la philosophie et de l’art ont rejeté, tout ce qui n’est pas fondé en vérité, tout ce qui n’est que contingent mais révèle aussi d’autres lois : c’est l’Histoire !

Belles lectures et bel été à tous.

Facebooktwitter

La Fugitive. La mort d'Albertine

Marcel Proust La RechercheAlbertine est partie et ne reviendra pas.

Elle s’est tuée au cours d’une promenade à cheval, ainsi que Mme Bontemps l’a annoncé dans une lettre.

La nouvelle de la mort d’Albertine, aussi brutale qu’inattendue laisse le narrateur complètement « sonné », dans un de ces états où l’on ne parvient ni à bouger, ni à rester vraiment immobile :

L’élan de ces souvenirs si tendres, venant se briser contre l’idée qu’elle était morte, m’oppressait par l’entrechoc de flux si contrariés que je ne pouvais rester immobile ; je me levais, mais tout d’un coup, je m’arrêtais, terrassé.

A partir de ce jour, même l’aurore est différente ; elle n’est plus désormais que lumière froide et blafarde venant rappeler avec cruauté la chaleur de l’aube au temps d’Albertine :

Le même petit jour que je voyais au moment où je venais de quitter Albertine encore radieux et chaud de ses baisers, venait tirer au-dessus des rideaux sa lame maintenant sinistre dont la blancheur froide, implacable et compacte me donnait comme un coup de couteau.

Le profond chagrin dans lequel le narrateur s’enfonce lui fait renoncer à ses désirs les plus anciens et pourtant demeurés les plus vifs :

Cette Venise où j’avais cru que sa présence me serait importune (sans doute parce que je pensais confusément qu’elle m’y serait nécessaire), maintenant qu’Albertine n’était plus, j’aimais mieux ne pas y aller.

Bel été et belles lectures à tous.

Facebooktwitter

Le temps retrouvé. Les regrets et l'oubli

Marcel Proust La RechercheAu début du Temps retrouvé, le dernier tome de A la recherche du temps perdu, le narrateur retourne à Combray.

Les années ont passé.

Gilberte, son premier amour, est désormais mariée à son ami Robert de Saint-Loup.
Mais celui-ci la délaisse et la confie plutôt aux soins du narrateur.

Se promenant et bavardant avec elle sur les terres de son enfance, il se rend compte qu’il n’a pas su connaître et comprendre les femmes qu’il a aimées :

Et tout d’un coup, je me dis que la vraie Gilberte, la vraie Albertine, c’étaient peut-être celles qui s’étaient au premier instant livrées dans leur regard, l’une devant la haie d’épines roses, l’autre sur la plage.

Viennent alors les regrets :

Et c’était moi, qui, n’ayant pas su le comprendre, ne l’ayant repris que plus tard dans ma mémoire, après un intervalle où par mes conversations tout un entre-deux de sentiment leur avait fait craindre d’être aussi franches que dans la première minute, avait tout gâté par ma maladresse. Je les avais « ratées »…

Mais son amour pour Gilberte est définitivement enterré car plus fort encore est l’oubli, qui ensevelit tout, y compris la peine :

Car il y a dans ce monde où tout s’use, où tout périt, une chose qui tombe en ruine, qui se détruit encore plus complètement, en laissant encore moins de vestiges que la Beauté : c’est le Chagrin.

Bonnes lectures et bon week-end à tous.

Facebooktwitter

La Fugitive. L'oubli d'Albertine à Venise

Marcel Proust La RechercheLe narrateur finit par faire avec sa mère le voyage à Venise dont il rêvait si fort et depuis si longtemps, auquel il avait même un temps renoncé après la mort d’Albertine.

Mais progressivement, il oublie Albertine et peut à nouveau aimer.

C’est ainsi qu’il profite des ses après-midi pour explorer une Venise « intime » :

J’y trouvais plus facilement en effet de ces femmes d’un genre populaire, les allumettières, les enfileuses de perles, les travailleuses du verre (…) que rien ne m’empêchait d’aimer, parce que j’avais en grande partie oublié Albertine, et qui me semblaient plus désirables que d’autres, parce que je me la rappelais encore un peu.

Mais ce ne sont que les derniers soubresauts, l’agonie d’un amour bientôt mort :

De sorte que cet amour, après s’être tellement écarté de ce que j’avais prévu d’après mon amour pour Gilberte, après m’avoir fait faire un détour si long et si douloureux, finissait lui aussi, après y avoir fait exception, par rentrer, tout comme mon amour pour Gilberte, dans la loi générale de l’oubli.

Pourtant un tableau de Carpaccio dans une salle de l’Académie de Venise, Le Patriarche di Grando exorcisant un possédé faillit faire échouer cet oubli définitif, parce qu’il y a reconnu, sur le dos de l’un des personnages, un manteau lui rappelant un de ceux qu’il avait offerts à Albertine :

J’avais tout reconnu, et, le manteau oublié m’ayant rendu pour le regarder les yeux et le coeur de celui qui allait ce soir-là partir à Versailles avec Albertine, je fus envahi pendant quelques instants par un sentiment trouble et bientôt dissipé de désir et de mélancolie.

Belles lectures et bel été à tous.

Facebooktwitter

L'été au frais : les expositions à Paris

exposition Vieira da SilvaLe programme culturel ne connaît pas de trêve estivale dans la capitale. Pour les Parisiens qui demeurent à résidence comme pour les autres qui y viennent « pour le meilleur », les propositions sont nombreuses. En voici une petite sélection.

Côté peinture, on ne peut que conseiller l’exposition, au Musée d’Orsay, De Cézanne à Picasso, chefs d’oeuvre de la galerie Vollard (lire les billets Ambroise Vollard : parcours d’un marchand d’art exceptionnel ; Galerie Vollard : autour des livres et de Vincent van Gogh et Chefs-d’oeuvre de la galerie Vollard : Paul Cézanne), mais aussi Roy Lichtenstein, Evolution à voir à la Pinacothèque de Paris jusqu’au 23 septembre.
D’autres méritent certainement le détour, telle celles organisée au Centre culturel Calouste Gulbenkian autour de l’artiste portugaise Maria Vieira da Silva, peintre magnifique de « l’abstraction lyrique », visible jusqu’au 28 septembre.

C’est dans le domaine de la photographie que les grandes expositions sont pléthores cet été. Ainsi, avec Double je, le glamour kitch devenu chic de Pierre et Gilles investit le Jeu de Paume (site Concorde) jusqu’au 23 septembre, alors que jusqu’au 16 , Alexandre Rodtchenko prend ses quartiers au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris qui lui consacre, avec La révolution dans l’oeil la rétrospective la plus importante organisée en France.
Autres expos attirantes : celle de la Maison européenne de la photographie Italie – Double vision propose la confrontation de deux regards sur un même lieu ou un même sujet en Italie, à des moments différents. Les plus grands y sont : Henri Cartier-Bresson, Mario Giacomelli, Martin Parr, Sabastiao Salgado…
Mais aussi celle des clichés de Willy Maywald, intitulée Le Pari(s) de la création, 1931-1955, visible au Musée Carnavalet jusqu’au 30 septembre : le programme annonce 250 photos dans le Paris bohème, de l’entre-deux-guerres aux années 1950.

Et puis il y a toutes les expos qui proposent des ballades un peu en aparté, bien tentantes elles aussi : celle qui a lieu en moment et jusqu’au 28 octobre au Musée des Lettres et Manuscrits Titanic – au coeur de l’océan (télégrammes, cartes postales, documents de bord et autres manuscrits) en fait partie.
La présentation organisée à la Galerie des Gobelins à l’occasion de sa réouverture serait quant à elle l’occasion d’admirer des tapisseries et tapis datés de 1607 à 2007 (jusqu’au 30 septembre).
Quant à l’exposition-parcours De l’Inde au Japon, dix ans d’acquisition au musée Guimet, elle est une excellente raison pour aller se plonger dans les superbes collections d’arts asiatiques de l’institution la plus importante en Occident dans le domaine. On y reviendra peut-être.

Enfin, vous avez encore quelques jours pour courir au Musée du Luxembourg voir l’exposition René Lalique, Créateur d’exception qui finit le 29 juillet, sans oublier, dans un tout autre genre, bien que féminin lui aussi, la superbe rétrospective consacrée à Annette Messager, Les Messagers, à découvrir au Centre Pompidou jusqu’au 17 septembre.

Quelques idées donc, parmi un programme très fourni, auquel on a envie d’ajouter, parce qu’il s’agit d’un thème totalement inédit, Objets blessés. La réparation en Afrique au Musée du quai Branly (jusqu’au 16 septembre) : est exposé un choix de 110 « objets blessés » réparés par les populations autochtones, et issus des collections africaines du Musée.

Bel été, au frais des musées !

Image : Vieira da Silva

Facebooktwitter

Chefs-d'oeuvre de la galerie Vollard : Paul Cézanne

Les trois baigneuses, Paul CézanneAujourd’hui, suite et fin de la visite de l’exposition De Cézanne à Picasso, chefs-d’oeuvre de la galerie Vollard.

On a vu ce que Renoir et Cézanne pensaient des oeuvres de van Gogh : "une peinture de fou !" (lire le billet Galerie Vollard : autour des livres d’artistes et de van Gogh).

Les relations entre les artistes à cette époque paraissaient pourtant le plus souvent marquées par l’admiration.

D’ailleurs, si l’opinion des artistes sur les oeuvres de leurs semblables mérite d’être soulignée dans l’exposition organisée autour d’Ambroise Vollard, c’est parce qu’ils étaient souvent les premiers acheteurs de tableaux.

Ce fut le cas de ceux de Cézanne – dont on rappelle qu’il fut véritablement lancé par le marchand d’art grâce à la première exposition monographique qu’il lui consacra en 1895.
Ses premiers "clients" furent Degas, Monet et Pissarro.

Comment ne pas s’extasier, en effet, devant ses superbes paysages, mais aussi ses portraits d’une touchante humanité, mettant en scène des hommes démunis, tels Le fumeur accoudé (1891), Les joueurs de carte (1893) ou encore des êtres mélancoliques comme ce pensif Garçon au gilet rouge (1888-1890) ?

On trouve aussi chez Cézanne de belles correspondances avec d’autres artistes. Son admiration pour Delacroix était telle qu’il conserva toute sa vie dans son appartement une aquarelle du peintre représentant un bouquet. Un jour, il finit par se décider à réinterpréter ce tableau. Les deux oeuvres sont accrochées côte à côte : un beau chemin…

Cézanne avait également peint, en 1870, en écho à la provocante Olympia de Manet (1863), Une moderne Olympia. Quoi de mieux que ces réinterprétations d’un même sujet pour apprécier ce qui fait la singularité et en l’occurrence le talent de chacun des artistes, à savoir le style ?

Cézanne admirateur donc, mais ensuite admiré à son tour. Touchante anecdote que celle autour de son tableau Trois baigneuses (1876-1877) : c’est Matisse qui l’acheta, mais à crédit sur douze mois… et lorsqu’il l’offrit au Petit-Palais en 1936, il déclara que l’oeuvre l’avait "soutenu moralement dans les moments critiques de mon aventure artistique. J’y ai puisé ma foi et ma persévérance".

Tel fut aussi le grand mérite d’Ambroise Vollard : avoir permis ces liens, ces admirations et cette stimulation entre les plus grands.

De Cézanne à Picasso, chefs-d’oeuvre de la galerie Vollard
Musée d’Orsay
Jusqu’au 16 septembre 2007
Du mardi au dimanche de 9h30 à 18h
nocturne le jeudi jusqu’à 21h45
RER C, bus 24, 68 et 69, M° ligne 12
Entrée 7,50 € (TR 5,50 €)

Catalogue d’exposition
Collectif, sous la direction d’Anne Roquebert
Musée d’Orsay / RMN, 56 €

Image : Les trois baigneuses de Paul Cézanne (1876-1877)

Facebooktwitter

Le programme d'été de Mag… et des autres

Paul Cézanne Grand pin et terre rougeBien des lecteurs sont partis à la plage les bras chargés de livres… en oubliant d’emporter leur ordinateur portable !

Mais d’autres conservent en vacances leurs bonnes habitudes blogophiles et néanmoins culturelles, quand certains sont toujours au charbon.

Aussi, pour concilier la soif des uns avec le besoin de repos des autres, du 16 juillet jusqu’à fin août, vous trouverez sur maglm trois billets, au lieu de cinq, par semaine : rendez-vous désormais le lundi, le mercredi et le vendredi.

A demain, donc, pour la suite de la magnifique exposition De Cézanne à Picasso : chefs d’oeuvre de la galerie Vollard, à voir jusqu’au 16 septembre au Musée d’Orsay.

Image : Grand Pin et Terres rouges, Paul Cézanne (1890-1895), Musée de l’Ermitage (Saint-Pétersbourg). Ce tableau ne fait pas partie de l’exposition Ambroise Vollard. Il n’est qu’une suggestion pour les vacances.

Facebooktwitter

La fugitive. Mademoiselle Albertine ne revient pas

Marcel Proust La RechercheAlbertine est donc repartie chez elle en Tourraine, laissant le narrateur en proie aux pires douleurs.

Malgré la répétition, dans sa stratégie pour la faire revenir, d’erreurs du passé, et malgré les jours qui passent sans qu’il reçoive de son ami Saint-Loup la bonne nouvelle attendue, il ne peut s’empêcher de croire au succès de son entreprise.

Son espoir semble alors indestructible ; il lui est surtout indispensable :
« C’est toujours une invisible croyance qui soutient l’édifice de notre monde sensitif, et privé de quoi il chancelle. »

Mais, décidément, Albertine ne revient pas. Il sait qu’il faudrait qu’il l’oublie ; n’y parvient pas.

Si le bonheur, ou du mois l’absence de souffrances, peut être trouvé, ce n’est pas la satisfaction, mais la réduction progressive, l’extinction finale du désir, qu’il faut chercher. On cherche à voir ce qu’on aime, on devrait chercher à ne pas le voir, l’oubli seul finit par amener l’extinction du désir.

Ces réflexions l’amènent à réaliser la solitude de chaque être, malgré les illusions dont il se berce :

Les liens entre un être et nous n’existent que dans notre pensée. La mémoire en s’affaiblissant les relâche, et, malgré l’illusion dont nous voudrions être dupes et dont, par amour, par amitié, par politesse, par respect humain, par devoir, nous dupons les autres, nous existons seuls. L’homme est l’être qui ne peut sortir de soi, qui ne connaît les autres qu’en soi, et, disant le contraire, ment.

Mais cette idée est bien entendu insupportable, comme l’est celle de l’oubli :

Et j’aurais eu si peur, si on avait été capable de le faire, qu’on m’ôtât ce besoin d’elle, cet amour d’elle, que je me persuadais qu’il était précieux pour ma vie. Pouvoir entendre prononcer sans charme et sans souffrance les noms des stations par où le train passait pour aller en Tourraine m’eût semblé une diminution de moi-même (simplement au fond parce que cela eût prouvé qu’Albertine me devenait indifférente).

Bel été et belles lectures à tous.

Facebooktwitter

La fugitive. Mademoiselle Albertine est partie !

Marcel Proust La Recherche« Mademoiselle Albertine est partie ! ».
C’est sur ces mots de Françoise, la servante du narrateur, que s’ouvre La fugitive, l’avant-dernier tome de A la recherche du temps perdu.

Or, le narrateur, s’il avait envisagé bien des fois de rompre lui-même, sans jamais mettre son projet à exécution, n’aurait jamais imaginé qu’Albertine eût pu le quitter.

Le choc est des plus vifs, car « Pour se représenter une situation inconnue, l’imagination emprunte des éléments connus et, à cause de cela, ne se la représente pas. »

La douleur, immense rappelle les angoisses les plus profondes et les plus anciennes :

Que le désir de Venise était loin de moi maintenant ! Comme autrefois à Combray, celui de connaître Mme de Guermantes, quand venait l’heure où je ne tenais plus qu’à une seule chose, avoir maman dans ma chambre. Et c’était bien en effet toutes les inquiétudes éprouvées depuis mon enfance qui, à l’appel de l’angoisse nouvelle, avaient accouru la renforcer, s’amalgamer à elle en une masse homogène qui m’étouffait.

Résolu à faire revenir Albertine au plus vite, le narrateur décide de lui écrire une lettre feignant l’indifférence, à savoir une lettre d’adieux, tout en envoyant en parallèle en Tourraine son ami Robert de Saint-Loup faire pression sur Mme Bontemps, afin qu’elle lui renvoie son amie au plus vite.

Cette stratégie échouera. Il aurait pu, pourtant, prévoir son insuccès puisque des lettres semblablement hypocrites écrites en son temps à Gilberte n’avaient fait qu’achever le dénouement de leur lien :

Et cette expérience aurait dû m’empêcher d’écrire à Albertine des lettres du même caractère que celles que j’avais écrites à Gilberte. Mais ce qu’on appelle expérience n’est que la révélation à nos propres yeux d’un trait de notre caractère, qui naturellement reparaît (…) le mouvement spontané qui nous avait guidé la première fois se trouve renforcé par toutes les suggestions du souvenir.

Constatant la répétition de ses échecs, le narrateur a alors cette réflexion magnifique :

Le plagiat humain auquel il est le plus difficile d’échapper (…), c’est le plagiat de soi-même.

Belles lectures et beau bronzage à tous…

Facebooktwitter