L'histoire du livre au XIX° siècle. De nouvelles stratégies de diffusion (4/4 )

affiche librairieProduction industrialisée, essor des tirages, évolution des contenus, apparition des "éditeurs", la révolution que connaît le livre au XIX° siècle se manifeste également dans de nouveaux modes de diffusions, de nouvelles techniques de vente.

En trente ans, entre 1870 et la fin du siècle, le réseau traditionnel de colportage, hérité de l’Ancien Régime, va disparaître.

Les librairies, de leur côté, évoluent considérablement : on passe du comptoir auquel on doit s’adresser et qui empêche de circuler entre les rayons, à des librairies d’un type complètement neuf, où les clients peuvent circuler librement, feuilleter les libres exposés sur des tables… Il s’agit d’un nouveau monde du commerce, un monde de sociabilité , où on peut rentrer pour acheter, ou ne pas acheter.
C’est toute l’ambiance que Zola a décrite dans Le Bonheur des Dames.

Les libraires se mettent à afficher des publicités de livres (les lithographies mises au point par Jules Chéret notamment). Les catalogues se transforment, pour devenir de véritables vitrines de l’offre de livres.

Les éditeurs peaufinent également leur stratégie pour vendre directement au client. Ils promettent par exemple des cadeaux de fidélité à ceux qui achèteront une série complète (flacon de parfum, montre …).
Bien entendu, ces procédés déclencheront l’ire des libraires …

A côté des "nouvelles" librairies, subsistent les cabinets de lecture, institués au XVIIème siècle. Ce sont des boutiques de livres, qui permettent soit d’acheter, soit d’emprunter, soit de lire sur place un livre.
Cabinets privés, ils sont en général tenus par des libraires. Leur clientèle est constituée de la petite bourgeoisie, artisans, commerçants, rentiers modestes. Leur offre fait une belle part au roman, leurs horaires sont très étendus ; ils ont joué un grand rôle dans le développement de la lecture à une époque où les bibliothèques ne pouvaient proposer une offre suffisante.

Mais ces lieux, tout comme le colportage, étaient considérés comme dangereux par les autorités, car on y trouvait "le meilleur comme le pire".
Les pouvoirs publics se sont alors servi des écoles, des instituteurs et des enfants, pour mettre en place les bibliothèques d’école et y diffuser des livres spécialement édités pour cet usage …

Nouveau livres, nouveaux publics au XIX° siècle.
Cycle Histoire du livre, histoire des livres
Conférence d’Eve Netchine,
Service de l’inventaire rétrospectif
Conférence du 5 avril 2007
Bibliothèque Nationale de France

Image : Librairie Sagot, lithographie de Jules Chéret (1891)

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L'histoire du livre au XIX° siècle. L'industrialisation de la production (1/4)

rotatives MarinoniAu XIXème siècle a lieu ce qu’on a l’habitude d’appeler la "deuxième révolution du livre", après celle de Gutemberg.

Mais il s’agit d’une révolution progressive, qui s’est étendue de 1840 à 1870.

De nouvelles technologies sont avant tout mises en œuvre.
Elles concernent d’abord le papier, qui pesait alors très lourd dans le prix du livre.
En 1799, Nicolas Robert a déposé le brevet du papier en rouleau, remplaçant le "feuille à feuille" : il permet d’importantes économies, en particulier de main d’œuvre.
Par ailleurs, le chiffon est remplacé par d’autres matières premières, notamment la paille.
Surtout, à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1867, la profession entérine l’usage du bois, qui plus tard sera rentabilisé par l’utilisation de nouvelles machines.
Le domaine de l’imprimerie n’avait en effet pas connu d’innovation majeure depuis Gutemberg : au début du XIX° siècle, on se servait toujours de presses à bras…
Vont être mises en œuvre au cours du siècle la stéréotypie (1), la presse hand scope, en métal, qui, avec son large plateau permet de tirer de grands formats et donc d’augmenter de façon importante la production (une centaine de feuilles à l’heure).
Mais l’innovation la plus marquante est la mise au point de la rotative, en 1872. Cette technique, qui permet de rendre mille feuilles à l’heure, a d’abord été utilisée pour la production de journaux, le Times notamment. C’est d’ailleurs pour cette raison que le terme de presse a fini par désigner aussi les journaux !

Les procédés évoluent également du point de vue de l’image, avec la mise en place de la lithographie : elle permet à l’artiste de graver directement, d’où une plus grande expression personnelle.
Agrandissant les formats, Jules Chéret adapte la technique de la lithographie à l’affiche : il met ainsi la lithographie à la disposition des publicités, en particulier pour les livres, qui seront installées dans les librairies.
Son style aurait inspiré Vuillard, Bonnard, Henri de Toulouse-Lautrec.

Avec cet ensemble d’innovations, le monde du livre a changé d’échelle au XIX° siècle : on est passé de petits ateliers à de véritables usines.
La profession va considérablement évoluer elle aussi, avec l’apparition de nouveaux personnages : ce sera "Le temps des éditeurs."
A suivre …

Nouveau livres, nouveaux publics au XIX° siècle.
Bibliothèque Nationale de France
Cycle Histoire du livre, histoire des livres
Conférence d’Eve Netchine,
Service de l’inventaire rétrospectif
Conférence du 5 avril 2007

(1) La stéréotypie consiste à mouler, dans de l’argile par exemple, les caractères. A partir de ces moules, on réalisait des plaques en plomb, qui pouvaient être conservées et réutilisées. Mais la stéréotypie sera "tuée" par la rotative.

Image : rotative Marinoni.

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L'histoire du livre au XIX° siècle. Le temps des éditeurs (2/4)

CharpentierDans un contexte d’industrialisation de la production du livre, de nouvelles personnalités font leur apparition : les éditeurs, autour desquels la production se réorganise.

Jusqu’au XVIII° siècle, on ne distinguait pas, dans les professions, entre éditeurs et libraires.
La situation change radicalement au XIX° siècle : le rôle de l’éditeur se transforme, il devient le lien entre auteurs, imprimeurs, libraires et lecteurs.
Il a recours à des moyens financiers importants, notamment par l’emprunt. Il construit désormais une véritable politique éditoriale.

Ainsi, au cours du siècle, apparaissent de grands noms encore très connus aujourd’hui : Calmann-Lévy, Louis Hachette, Casterman …

Mais le père de l’édition moderne est Gervais Charpentier. Il fut l’un des premiers à décider de produire des livres à bon marché. Il réduit les formats, fait imprimer sur deux colonnes, et parvient ainsi à diviser le prix du livre par quatre.

Michel Lévy – et à sa mort, Calmann-Lévy -, continue les coups de génie de Charpentier. Au départ éditeur de théâtre, il se lance dans la littérature avec des contrats très longs lui permettant de s’attacher les auteurs (George Sand, Zola notamment), finissant par acheter l’exclusivité des droits d’Alexandre Dumas. En outre, pour un même titre, il multipliait les collections en échelonnant les prix.

D’un autre genre, Louis Hachette, après avoir acquis un petit fonds dans le quartier latin, a misé sur des domaines en extension : la littérature pour enfants avec les Bibliothèques Rose et Verte, les livres scolaires (grâce à des contrats avec le ministère de l’instruction) ; il a également suivi le développement du réseau des chemins de fer en mettant à la disposition des voyageurs toutes sortes de livres, y compris des guides des voyage.

C’est ainsi qu’en concentrant bien des rôles entre ses mains, ce qui est nouveau, l’éditeur devient le maillon central de la chaîne du livre.
Rôle qui aura d’autant plus de portée que le XIX° siècle connaîtra un essor considérable de la production de livres.
A suivre …

Nouveau livres, nouveaux publics au XIX° siècle.
Bibliothèque Nationale de France
Cycle Histoire du livre, histoire des livres
Conférence d’Eve Netchine,
Service de l’inventaire rétrospectif
Conférence du 5 avril 2007

Image : Scènes de la vie de province, Honoré de Balzac. Paris, Charpentier, 1839

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J'attends quelqu'un. Jérôme Bonnell

j'attends quelqu'unJ’attends quelqu’un se passe dans une petite ville de province ; dans un petit bar-restaurant, Le café de la paix ; dans une voiture ; dans une petite chambre d’hôtel ; au seuil des maisons, parfois à l’intérieur, lorsque l’intimité s’installe, et le danger qui va avec …

Des personnages s’y croisent, s’y rencontrent, peuvent s’y aimer.

Hormis Stéphane, le plus jeune mais pas le moins mélancolique, tous sont ordinaires, installés dans "quelque chose" ; et ce quelque chose, c’est leur vie.

Petit à petit, Jérôme Bonnell nous fait découvrir ces vies-là, ces personnages banals et pourtant infiniment singuliers, les liens qui les unissent et ce qui les sépare.
Ce sont précisément ces liens-là, tels qu’ils sont tracés, mais aussi dans ce qu’ils ont de mouvants, qui vont révéler les failles et les manques.

Car sans se plaindre une seule seconde, ils semblent pourtant tous espérer quelque chose de plus. Ou autre chose. Ou différemment. Quelqu’un.

Le scénario de J’attends … est impossible à raconter mais tient la route de bout en bout.
Jérôme Bonnell évite tous les écueils dans lesquels ce film choral aurait pu tomber, le côté tribu-tous ensemble, la démagogie générationnelle, le tableau de province éculé, les bons sentiments…

Rien de torturé pourtant, rien d’excessif, simplement de la sensibilité, de la joie, de l’attente et de l’espoir, des sourires, des rires, des yeux qui se baissent et d’autres regards qui se croisent, des larmes qui montent aux yeux et parfois débordent.
La vie, fraîche et mélancolique, telle qu’elle est.


Coup de coeur : 

Pour les comédiens, extraordinaires de justesse : Jean-Pierre Darroussin, Emmanuelle Devos, Eric Caravaca et, encore à part, Florence Loiret-Caille

J’attends quelqu’un. Jérôme Bonnell
Avec Jean-Pierre Darroussin, Emmanuelle Devos, Eric Caravaca, Florence Loiret-Caille, Sylvain Dieuaide …
Durée : 1h 36min.

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Nouveau Réalisme. Galeries du Grand Palais

nouveau réalismeLa trajectoire individuelle de certains d’entre eux leur a valu une large renommée : César et ses compressions, Christo et ses empaquetages, Niki de Saint Phalle et ses Nanas …
D’autres sont moins connus, tels Martial Raysse, Dufrêne, Rotella, …

Tous sont réunis aux Galeries nationales du Grand Palais autour de l’exposition Nouveau Réalisme, nom qu’en 1960 le critique d’art Pierre Restany donna a ce mouvement qui ne dura qu’une petite dizaine d’années, de la fin des années 1950 au milieu des années 1960.

Leur crédo ? Renouveler le langage plastique à une époque où l’abstraction lyrique règne, en puisant leur inspiration dans l’univers quotidien et urbain, loin de la palette et du pinceau.

Ils vont ainsi créer à partir d’objets de consommation courante – ce qui est aussi une marque de l’époque qui assiste à la montée du consumérisme –, organiser des manifestations-spectacles … et, semble-t-il, s’amuser comme des petits fous.

Villeglé lacère des affiches, évide les motifs, crée le relief, joue avec les couleurs juxtaposées, réduisant les mots et les images à des fragments, dans une inspiration très Pop Art.
Une désorientation dans la ville que Christo utilise aussi, lorsqu’en 1962, il coupe la rue Visconti à Paris pendant 8 heures, en réaction à la construction du mur de Berlin l’année précédente.

L’objet est au centre de toutes leurs créations, qu’il s’agisse de l’empaqueter (Christo), le photographier (Daniel Spoerri va ainsi photographier pendant 10 ans toutes les toilettes où il se rend, en hommage à Marcel Duchamp, le père du ready-made mort en 1968), le brûler ou le détruire (Arman avec sa Vision calcinée ou encore le piano détruit), le démonter pour mieux le rassembler (les folles machines de Tanguely), le compresser, (César) …
Quant à Yves Klein, il joue avec la couleur (son bleu fameux), le vide, les corps (on retrouve, entre autres, ses anthropométries).

Autant dire que, dans la veine pleine de fantaisie et d’inventivité du surréalisme, les néo-réalistes s’appliquèrent à n’accepter aucune limite.

Et c’est avec une curiosité enjouée qu’on revisite ces artistes dans un parcours riche en surprises, débordant d’audace, d’insolence enfantine et de bonne humeur.

Galeries nationales du Grand-Palais
Square Jean-Perrin – Paris 8ème
M° Champs-Elysées-Clémenceau
Jusqu’au 2 juillet 2007
Tlj sauf le mardi, de 10 h à 20 h, sauf le mercredi jusqu’à 22 h
Entrée 10 € (TR : 8 €)
Catalogue de l’exposition, 352 p., 45 €
Egalement, la réédition du Manifeste des Nouveaux Réalistes
par Pierre Restany, (Dilecta, 14 p., 8 €)

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L'Aventure orientale. Galerie Le Château d'Eau (Toulouse)

aventure orientaleProposant plus de deux cents tirages originaux d’époque, cette exposition est la plus riche consacrée à ce jour au travail des ateliers photographiques au Proche-Orient et au Maghreb de 1860 à 1914.

Le visiteur est ainsi transporté dans l’Egypte des années 1870 et 1880, près des grandes pyramides, du temple de Louxor, mais surtout au Caire, pour des scènes de rue « typiques » : épiciers, bazars, restaurateurs ambulants, écrivain public, groupes d’hommes fumant et jouant devant un café ; scène d’école, où une poignée d’enfants sont assis par terre autour d’un homme âgé qui officie une longue baguette rudimentaire à la main, l’air infiniment grave et sérieux.

Les nouveaux « reporters » sont captivés par le mode de vie oriental, où toutes les activités semblent se dérouler dans la rue.
Ainsi à Istambul, Guillaume Berggren photographie sur le vif des scènes autour de la Grande Fontaine du sultan Ahmed II, qui réunit des hommes installés sur des chaises, discutant, le livrant à leurs occupations.

Mais de ces tirages albuminés (1), clairs et jaunis, se dégage souvent une grande mélancolie, en particulier lorsqu’ils montrent des enfants musiciens, ou des femmes portant leur progéniture sur leurs épaules, ou encore des jeunes filles des corbeilles de fruits immenses sur leur tête.

Les vues du Nil, eau, palmiers, animaux, pêcheurs, lumière impriment un calme et une poésie émouvante.
Notamment, très belle photo de femmes au bain : non dévêtues, la chevelure également couverte, chacune portant sa cruche, elles profitent du déplacement au fleuve pour se baigner, silencieuses, ignorant l’objectif.

Si ces vues de plein extérieur sont les plus touchantes, c’est certainement parce que qu’elles échappent à la mise en scène qui semblait être la règle à l’époque.
Lorsque les photographes se consacrent à l’art du portrait, on assiste en effet à de savantes poses : Tancrède Dumas (dignitaire turc, Bédouine de la Mer Morte, homme priant) comme Pascal Sebah (eunuque du sultan, femmes, raïs) ont voulu saisir une gravité, une dignité, un mystère, qui ne viennent pas seulement des imposants costumes, mais aussi des regards portés de côté, loin de l’objectif…

En Tunisie, on admirera de magnifiques tirages en héliogravure, aux tons bruns et clairs, qui ont un rendu proche du dessin, notamment celui de la jeune fille portant un couffin.
Puis des portraits de superbes jeunes filles aux lèvres charnues et cheveux épais, montrant un sein, certaines chargées de bijoux, turban savamment tressé, fleurs sur la tempe.
Les sourires sont parfois éclatants ; mais d’autres révèlent un regard pensif, voire empli de tristesse.

Au delà de la vision coloniale que l’on sait et de l’aspect documentaire des premières vues réalisées dans ces régions, on lit dans ces photographies la fascination des Occidentaux pour le Proche-Orient et le Maghreb ; notamment pour ce que cet exotisme contient de poésie et de douce mélancolie.

(1) Papier sensibilisé aux sels d’argent dispersés dans une couche de blanc d’œuf (albumine). Commercialisé à partir de 1855, il s’emploiera jusqu’à la fin du XIX° siècle. Son rendu qui permet les contrastes revêt toutes les nuances de sépia.

L’aventure orientale, entre art, documentaire et commerce.
Les grands ateliers photographiques au Proche-Orient et au Maghreb de 1860 à 1914.
Galerie Le Château d’Eau – 1, place Laganne à Toulouse
Jusqu’au 15 avril 2007
Ouvert de 13 h à 19 h tous les jours sauf le lundi
L’aventure orientale de Alain Fleig, publié à l’occasion de l’exposition aux éditions « D’une certaine manière », 19 €.

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La grand'mère du narrateur. Délicatesse et littérature

proust2Un personnage des plus délicats, des plus discrets et des plus attachants à la fois de La Recherche est certainement la grand-mère maternelle du narrateur.

Très présente dans son enfance, d’une grande importance affective, elle sera celle qui, dans A l’ombre des jeunes filles en fleurs l’emmènera à Balbec, séjour initiatique fondamental pour lui.

Le début du premier volume, Du côté de chez Swann, met en scène nombre de situations et de « rites » familiaux. L’un d’eux, cruel pour sa grand’mère, marque particulièrement le tout jeune narrateur :

Ce supplice que lui infligeait ma grand’tante, le spectacle des vaines prières de ma grand’mère et de sa faiblesse, vaincue d’avance, essayant inutilement d’ôter à mon grand-père le verre à liqueur, c’était de ces choses à la vue desquelles on s’habitue plus tard jusqu’à les considérer en riant et à prendre le parti du persécuteur assez résolument et gaiement pour se persuader à soi-même qu’il ne s’agit pas de persécution ; elles me causaient alors une telle horreur que j’aurais aimé battre ma grand’tante.

Elle veillera de près sur son éducation, notamment en ce qui concerne ses lectures, fût-ce contre l’avis du père du narrateur. Ainsi s’explique-t-elle simplement lorsqu’elle choisit en définitive pour lui quatre romans de George Sand :

« Ma fille, disait-elle à maman, je ne pourrais pas me décider à donner à cet enfant quelque chose de mal écrit. »

Elle voue une adoration véritable aux Lettres de Mme Sévigné, goût que ne partage guère son amie Mme de Villeparisis.
Petite scène à Balbec où toutes deux en villégiature entretiennent une amitié attentionnée :

« Ah, oui, vous lisez Mme de Sévigné. Je vous vois depuis le premier jour avec ses Lettres (elle oubliait quelle n’avait jamais aperçu ma grand’mère dans l’hôtel avant de la rencontrer dans cette porte). Est-ce que vous ne trouvez pas que c’est un peu exagéré ce souci constant de sa fille, elle en parle trop pour que ce soit bien sincère. Elle manque de naturel. » Ma grand’mère trouva la discussion inutile et, pour éviter d’avoir à parler des choses qu’elle aimait devant quelqu’un qui ne pouvait les comprendre, elle cacha, en posa son sac sur eux, les Mémoires de Madame de Beausergent.

Bon week-end et bonne lecture à tous.

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La grand'mère du narrateur. Amour et délicatesse

proust2Dans Le côté des Guermantes, la grand’mère du narrateur, à qui il est profondément attaché, tombe malade, puis finit par s’éteindre.

La scène au cours de laquelle il s’aperçoit de la gravité de son état de santé, alors que tous deux se promènent sur les Champs-Elysées, est poignante d’amour et de délicatesse.

Je craignis qu’elle n’eût encore mal au coeur. Je la regardai mieux et fus frappé de sa démarche saccadée. Son chapeau était de travers, son menton sale, elle avait l’aspect désordonné et mécontent, la figure rouge et préoccupée d’une personne qui vient d’être bousculée par une voiture ou qu’on a retirée d’un fossé.
– J’ai eu peur que tu n’aies eu une nausée, grand’-mère ; te sens-tu mieux ? lui dis-je.
Sans doute pensa-t-elle qu’il lui était impossible, sans m’inquiéter, de ne pas me répondre.
– J’ai entendu toute la conversation entre la « marquise » et le garde, me dit-elle. C’était on ne peut plus Guermantes et petit noyau Verdurin. Dieu ! qu’en termes galants ces choses-là étaient mises. Et elle ajouta encore, avec application, ceci de sa marquise à elle, Mme de Sévigné : « En les écoutant je pensais qu’ils me préparaient les délices d’un adieu. »
Voilà le propos qu’elle me tint, et où elle avait mis toute sa finesse, son goût des citations, sa mémoire des classiques, un peu plus même qu’elle n’eût fait d’habitude et comme pour montrer qu’elle gardait tout cela en sa possession.

Puis, comment ils comprennent qu’ils "savent" tous deux :

– Allons, lui dis-je, assez légèrement pour n’avoir pas l’air de prendre trop au sérieux son malaise, puisque tu as un peu mal au coeur, si tu veux bien nous allons rentrer, je ne veux pas promener aux Champs-Elysées une grand’mère qui a une indigestion.
– Je n’osais pas te le proposer à cause de tes amis, me répondit-elle. Mais puisque tu le veux bien, c’est plus sage.
J’eus peur qu’elle ne remarquât la façon dont elle prononçait ces mots.
– Voyons, lui dis-je brusquement, ne te fatigue donc pas à parler, du moment que tu as mal au coeur, c’est absurde, attends au moins que nous soyons rentrés.
Elle me sourit tristement et me serra la main. Elle avait compris qu’il n’y avait pas à me cacher ce que j’avais deviné tout de suite : qu’elle venait d’avoir une petite attaque.

Très bon week-end et très bonne lecture à tous.

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Collection particulière. François Morel

francois morelFrançois Morel aime la chanson, cela se voit et cela s’entend.

Admirateur des grands maîtres, Brassens, Moustaki, Barbara, Ferré, Brel mais aussi de la jeune génération, Bénabar, Delerm et de l’inclassable Juliette, il se lance à son tour dans un récital, interprétant des textes de son cru.

Au programme, beaucoup d’humour bien sûr, mais aussi quelques ritournelles aux accents sentimentaux, voire nostalgiques sur le temps qui passe.

Les chansons s’enchaînent autour de petits numéros, écrits par Jean-Michel Ribes, des échanges verbaux avec Reinhardt Wagner, pianiste pince sans rire et bonhomme.

Voici un tour de chant qui s’inscrit dans la digne tradition des chansonniers, sans prétention, débordant de poésie et bonne humeur.

On a la joie d’y redécouvrir les talents de comédien de François Morel, aux mimiques et à la gestuelle enjouées et réjouissantes, qui fait ici la preuve qu’il sait aussi très bien chanter.

Collection particulière. François Morel
Textes des chansons François Morel
Texte et mise en scène Jean-Michel Ribes
Musique composée* et interprétée par Reinhardt Wagner (*sauf Les Documentaires : Vincent Delerm et Paulo Virginie : Juliette)
texte et mise en scène Jean-Michel Ribes
Théâtre du Rond-Point 2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt – Paris 8ème
Salle Renaud Barrault
Jusqu’au 14 avril 2007
Du jeudi au samedi à 18 h 30, durée 1 h 15 environ

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René Lalique, Créateur d'exception 1890-1910.

lalique epingleDes moineaux à la gorge gonflée délicatement posés sur une branche, couverts de brillants : voici l’une des premières créations de René Lalique, lorsqu’il travaillait dans l’anonymat pour les grands joaillers Boucheron et Vever.

Déjà éclatent la finesse et le travail profondément créatif de l’artiste.

Né en Champagne en 1860, Lalique puise dans son enfance champêtre une constante inspiration.
Motifs végétaux, floraux et animaux les plus ordinaires demeureront présents tout au long de sa prolifique carrière, conférant à son œuvre une simplicité que ses autres inspirations – bien de son temps – n’altèreront pas.

Lorsqu’il fonde son propre atelier en 1887, il abandonne la joaillerie et a l’audace d’utiliser des matériaux moins nobles, comme l’ivoire et la corne, des pierre fines aux couleurs étranges comme l’onyx, le jaspe, l’agate, l’opale, qui lui permettent d’explorer sans limite le champ des couleurs et des formes, à la mesure de son génie créatif et de son imagination débordante.
Sensible aux inspirations de l’époque, son œuvre permet de retrouver les grandes tendances des arts décoratifs de la fin du XIX° et du tout début du XX°.

De l’éclectisme fin de siècle, avec la veine égyptienne qui persiste depuis les conquêtes napoléoniennes, à l’Art Déco du XX°, René Lalique se délectera un long moment dans le mouvement de l’Art Nouveau avec sa faune, sa flore, ses volutes, mais aussi un symbolisme très marqué avec le cygne, le serpent …
Des estampes japonaises qui circulent alors à Paris, il utilise les motifs de pivoines, chrysanthèmes, branches de prunier, pavots, ombelles, qu’il incruste dans des peignes de bois laqués.

De tous ces mouvements, il fait un miel qui lui est propre, reconnaissable entre tous (un coup d’œil sur les créations d’autres concepteurs contemporains permet de le vérifier) : délicatesse, grâce, originalité, mais aussi une délicieuse ambiguïté dans sa représentation – constante – de la femme.
Au lissé des visages à l’ovale parfait, à la nudité innocente des corps féminins, se mêle le doux effroi des animaux qui font frissonner, insectes, iguanes, crapauds, chauves-souris …

Au delà de la beauté pure de ses bijoux d’exception, René Lalique ouvre ainsi au visiteur attentif tout un monde de poésie, de fantasmes et de fantaisie, qui fait de cette exposition un véritable enchantement.

René Lalique, Créateur d’exception 1890-1910
Musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard – Paris 6ème
Jusqu’au 29 juillet 2007
Entrée 10 €
Catalogue de l’exposition, 264 p., 32 €

Image : épingle à chapeau Guêpes, or, émail, opale, diamant (vers 1890-1900)

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