La Grande Bellezza. Paolo Sorrentino

Paolo Sorrentino, La Grande BellezzaRome, ses précieux vestiges et ses fastueux palais issus d’un passé vénéré, où s’admirent le rouge cardinal et la blancheur des cornettes, le tombé impeccable des costumes et l’éclat des robes du soir. Et encore : la douceur du soleil au couchant, le scintillement des fontaines au midi, l’ombre rassurante des pins des collines.

Si de ce rêve, Paolo Sorrentino fait une parade incroyable, c’est pour mieux révéler l’envers du décor.

Jep Gambardella est un homme à qui la vie a réussi : à 65 ans, il est à Rome le plus grand des mondains. Auteur d’un unique roman il y a plus de quarante ans, il est devenu un grand journaliste culturel dans un quotidien de renom. Richissime, il fréquente tout ce que Rome compte d’argenté, de célèbre et de snob.
Il se couche quand le jour se lève, après avoir devisé cyniquement avec ses amis, dansé un peu, pas mal bu et fumé plus encore, fait l’amour parfois.
Mais de performances artistiques fumeuses en nuits éblouissantes, Jep finit par se retrouvé rattrapé par la superficialité de toute son existence. A l’heure du bilan, quels fruits récolte-t-il de sa vie, qu’a-t-il créé, quelles ont été ses émotions, que laissera-t-il enfin ?

Rarement la vacuité de l’existence aura été montrée avec un tel éclat. Revenu de tout, Jep hante un monde où s’affrontent des ego épuisés de prétention, où seuls l’apparence, l’argent et le sexe font office de valeurs. La religion n’échappe pas à cette mascarade et le mépris de l’humain, de l’effort et des sentiments véritables a quelque chose de glaçant.
Magistralement interprété par Toni Servillo, virtuosement mis en scène par le réalisateur de Il Divo, La Grande Bellezza, conquête chimérique de son héros, est un coup de poing qui frappe d’autant plus fort qu’il a pour décor une Ville Éternelle que l’on croyait intouchable.

La Grande Bellezza
Paolo Sorrentino
Avec Toni Servillo, Carlo Verdone, Sabrina Ferilli
Durée 2 h 22
Sorti en salles le 22 mai 2013

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Une passion française au Musée d'Orsay

Pierre Bonnard, ParaventRetour – hélas temporaire ! – sur le sol natal pour ce magnifique ensemble de dessins, peintures, sculptures et objets d’art décoratif du XIXème et du début du XXème siècles.

Les époux Hays l’ont patiemment constitué depuis le début des années 1970 ; pour quelques mois ils ont accepté de s’en dessaisir afin de partager leur plaisir avec les visiteurs du Musée d’Orsay.

L’exposition qui les réunit est magnifique. La présentation est simple, d’abord intimiste, ce qui sied fort bien à l’esprit "collectionneur" et aux portraits et dessins exposés ; puis grandiose avec une belle galerie mettant merveilleusement en valeur les grands tableaux décoratifs, le mobilier et les sculptures.

Les œuvres choisies par les époux Hays portent en majorité sur la période post-impressionniste. Elles ont été sélectionnées pour décorer, l’axe est évident : voici le Paris de la Belle Epoque, voici les couleurs chatoyantes des Nabis, voici des pastels de Degas… Tout est agréable, beau, presque rassurant. Et les murs du Musée semblent ici un écrin aussi accueillant et cosy que doivent l’être l’appartement new-yorkais ou les hôtels particuliers des collectionneurs. Les Fillettes se promenant, panneau issu de la série des neuf formant les Jardins publics de Vuillard (dont le Musée possède cinq autres), le Café dans le bois de Bonnard, son Paravent à trois feuilles rouge, ou encore les splendides décorations Automne et Printemps de Denis auraient décidément tout leur sens dans les nouvelles salles du Musée d’Orsay dédiées aux arts décoratifs.

Une passion française – La collection Spencer et Marlene Hays
Musée d’Orsay
1, rue de la Légion-d’Honneur 75007 Paris
Tlj sf lun., de 9 h 30 à 18 h, le jeudi jsq 21 h 45
Accès avec le billet du musée (9 €, TR 6,50 €)
Jusqu’au 18 août 2013

Image : Paravent à trois feuilles avec grue, faisans et oiseaux, canards et papillons, 1889 – Pierre Bonnard© ADAGP, Paris – 2013

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Fables au théâtre de Belleville

Fables, au théâtre de Belleville

Les Fables de la Fontaine se picorent. Consommées ainsi, elles sont aussi très bonnes. Tel est l’enseignement du délicieux spectacle donné jusqu’au 9 juin au Théâtre de Belleville, à destination de tous les publics, par la Compagnie Tàbola Rassa.

Voici deux compères à l’humour irrésistible, Jean-Baptiste Fontanarosa et Olivier Benoît, parfaitement complémentaires (le jeune naïf et le mûr rusé) qui interprètent des bouts de Fables avec une simplicité, une inventivité et un comique rares.
C’est avec trois fois rien – un carton, une ficelle, un plumeau, un pipeau… – qu’ils s’attaquent bravement au Grand Siècle, coupant le texte et le ponctuant hardiment, mais toujours le respectant.

Un ballon de baudruche se fait grenouille, une boîte de lait vache, un grand carton âne… les déguisements sont à l’avenant – le bonnet de laine fait la brebis – et cette économie de moyens crée une grande poésie.

Des intermèdes musicaux ponctuent un spectacle au rythme parfait, musardant à l’occasion, trépidant parfois, et là aussi le lien entre les époques se fait très naturellement : ici quelques pas de danse de Cour, là un clin d’œil (léger) au disco, plus loin une chanson de troubadours.

Du Meunier, son fils et l’Ane aux Animaux malades de la peste en passant par le Le Coq et le Renard, pour ne citer que trois des meilleurs morceaux, c’est près d’une quinzaine de Fables que les talentueux comédiens évoquent, restituant merveilleusement l’esprit moqueur, si juste et si fin de Jean de la Fontaine, ciseleur de mots dénonçant les travers de l’Homme avec une actualité hélas jamais dépassée…

Fables
d’après Jean de la Fontaine
Mise en Scène Olivier Benoît
Sur une idée originale de Jean-Baptiste Fontanarosa, Asier Saenz de Ugarte, Olivier Benoit
Interprétation Jean-Baptiste Fontanarosa, Olivier Benoit
Création lumières et son Jorge García / Sadock Mouelhi
Décor et marionnettes Maria Cristina Paiva
Production Cie Tàbola Rassa
Durée 1 h 15
Théâtre de Belleville
94, rue du Faubourg du Temple – Paris 11°
Places 20 euros (TR 15 euros, moins de 26 ans 10 euros)
Jusqu’au 9 juin 2013, relâches du 8 au 12 mai

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J’avais un beau ballon rouge au Théâtre du Rond-Point

J'avais un beau ballon rouge

La pièce écrite par la dramaturge et comédienne italienne Angela Dematté dresse une fresque historique qui se déroule du début des années 1960 au milieu des années 1970 en Italie.

Margherita Cagol, fille de la petite bourgeoise catholique, entreprend des études de sociologie – qui s’appelaient alors pudiquement "sciences-politiques" -, découvre le système de classes et les institutions qui verrouillent la société, la possibilité d’un combat collectif et aspire à la Révolution.
Son père, bon fond et ouvert sur son prochain, demeure un conservateur qui n’entend pas que l’on puisse remettre en cause les valeurs et l’autorité – notamment celles de l’Eglise – sur lesquelles il a fondé sa vie et l’éducation de sa fille.
Mais plus le temps passe, plus Margherita s’enthousiasme pour les luttes radicales à mener pour transformer la société. De Léniniste, elle évolue vers le Maoïsme, puis participe à la fondation des Brigades Rouges, où elle laissera sa vie, tombée sous les balles des carabiniers lors d’affrontements de plus en plus violents.

Sur scène, Richard et Romane Bohringer, complémentaires, sont tout simplement parfaits : extrêmement justes, ils rendent leurs personnages tirés d’histoires réelles plus que crédibles.
Portée par une mise en scène classique et efficace, la pièce, fort bien écrite, évite le simplisme, la prise de parti facile. Aucun des deux personnages n’a totalement tort ni raison. Et, ce qui est sans doute le plus beau, malgré les affrontements incessants et inévitables, jamais le dialogue ne se rompt totalement. Toujours, la tendresse demeure, et avec elle la tentative de continuer à se comprendre mutuellement.

Loin du "gueulard" auquel on pourrait s’attendre, Richard Bohringer montre tous les questionnements intérieurs d’un père tiraillé entre l’idée qu’il se fait du bonheur pour sa fille et la réalité où il la voit s’épanouir dans une lutte altruiste, où elle s’oublie elle-même.
Romane Bohringer, habitée à 200 % par son personnage, restitue son extraordinaire engagement et sa foi inébranlable en la Révolution, mais aussi sa gravité lorsqu’elle voit son père vieillir, au point de devoir lui cacher certaines choses pour l’épargner.
A l’image de cette relation forte dans cette période plus que chamboulée en Italie comme ailleurs, la pièce non dénuée d’une résonance universelle dans l’affrontement des générations, conquiert vite le public, et finit par l’émouvoir profondément.

J’avais un beau ballon rouge
de Angela Dematté
mise en scène Michel Didym
avec Richard Bohringer et Romane Bohringer
Théâtre du Rond-Point
A 18 h 30, durée 1 h 25
Jusqu’au 5 mai 2013

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L’Art Nouveau, la Révolution décorative

Art Nouveau, Eugène GrassetPas moins de deux cents oeuvres sont réunies à la Pinacothèque de Paris jusqu’au 8 septembre 2013 pour rendre hommage à l’Art Nouveau.

Mouvement moderniste des arts décoratifs apparu à la toute fin du XIXème siècle et disparu dès les années 1910, l’Art Nouveau fut éphémère, international et couvrit de nombreux domaines.

Le premier d’entre eux, sur le plan historique, fut l’architecture, avec l’Hôtel Tassel conçu par Victor Horta à Bruxelles en 1893. Puis se furent les meubles, les objets d’art décoratif, la sculpture, les bijoux…
Revues et affiches en assurèrent une large diffusion, de même que la fameuse galerie Bing ouverte à Paris en 1895 sous le nom "Art Nouveau", sans compter les Expositions Universelles, dont celle de 1900 à Paris. Car si à Londres, aux Etats-Unis, à Bruxelles, en Italie, à Vienne ou encore en Espagne, se développèrent, sous différents noms, des mouvements décoratifs en rupture avec les conventions jusqu’alors en vigueur, Paris constitua l’une des vitrines les plus importantes de l’Art Nouveau. La capitale était alors un centre artistique majeur, doté d’un grand savoir-faire en matière d’artisanat et de commerce de luxe et qui en outre bénéficiait des productions de tout premier plan issues de la ville de Nancy, notamment d’Emile Gallé et de Louis Majorelle.

N’ayant de cesse d’être oublié puis redécouvert, conspué et admiré depuis son apparition, le style Art Nouveau est aujourd’hui bien connu : ce sont des lignes courbes, asymétriques, légères, associées à des formes organiques et naturelles. Les matériaux utilisés sont aussi variés que le bois, le verre, le fer, l’émail, les pierres précieuses, la nacre… Les couleurs, qu’il s’agisse de vert, de bleu ou de violine sont toujours raffinées. Les motifs les plus récurrents sont les végétaux, certains animaux comme la libellule ou le paon, mais aussi bien sûr la femme aux courbes marquées.
La Pinacothèque met d’ailleurs en avant l’aspect sensuel et même érotique de l’Art Nouveau, avec des sculptures et des affiches représentant des femmes aux longues chevelures déployées et aux corps en partie dénudés exaltant leur sensualité dans des mouvements d’une liberté exacerbée.

Art Nouveau, Hector LemaireA l’image de celles-ci, l’ensemble des œuvres présentées au fil du parcours sont d’une extraordinaire beauté. Elles réunissent les plus grands noms du mouvement Art Nouveau et, à l’exception de l’architecture, tous les domaines de création.
L’on y voit par exemple des céramiques d’Eugène Grasset, des appliques de René Lalique (Les Blés), des boucles de ceinture de Piel, des vases de Gallé, de Muller ou encore de Daum, des affiches d’Alphonse Mucha (Job, reproduite aussi sur émail), sans oublier bien sûr des meubles de Majorelle…

Après les expositions du Musée d’Orsay en 2006 puis en 2009, l’exposition de la Pinacothèque de Paris constitue une mine incontournable pour tout amateur d’Art Nouveau, un courant décidément revenu en grâce ces dernières années.

L’Art Nouveau, la Révolution décorative
Pinacothèque de Paris
28 place de la Madeleine – Paris 8ème
TLJ de 10h30 à 18h30, nocturnes les mer. et ven. jsq 21 h
Entrée 12 euros (TR 10 euros)
Jusqu’au 8 septembre 2013
En parallèle, la Pinacothèque de Paris présente une exposition dédiée à Tamara de Lempicka

Images :
Eugène Grasset, Affiche pour le Salon des Cent, 1894, Pochoir 64,2 x 50,2 cm Collection privée © Arwas Archives Photo Pierluigi Siena
Hector Lemaire / Manufacture nationale de Sèvres, Le rocher aux pleurs c. 1900 Biscuit de Sèvres 42 x 33 x 24 cm Collection Victor et Gretha Arwas © Arwas Archives

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Le Monde enchanté de Jacques Demy

Exposition Jacques Demy, Cinémathèque française

Des photos, des lettres, des plans de tournage, des carnets, des peintures, des dessins, des extraits d’interview et de films bien sûr… C’est tout cela à la fois qui recréé le monde en chanté de Jacques Demy, le célèbre réalisateur disparu en 1990 mais dont les plus grands succès remontent aux années 1960.
L’exposition enfin organisée à la Cinémathèque – un vieux projet déjà envisagé du temps de Claude Berri – a nécessité deux ans de préparation, pour un résultat qui tient toutes ses promesses.

L’on y pénètre par le passage Pommeraye reconstitué, décor de l’enfance de Jacques Demy, pour suivre un parcours chronologique : les débuts à Nantes où la passion du cinéma est tôt venue au petit Jacquot, avec les courts métrages, puis Lola en 1961.
Après le détour niçois du magnifique Baie des Anges, voici le succès des Parapluies des Cherbourg. La palme d’or est là, sous vitrine, tout près d’un télégramme de félicitations de François Truffaut. Les fameux papiers peints, créés spécialement pour le film, sont tendus sur les murs avec des photos du film pour les restituer dans leur contexte.
Puis viennent Les Demoiselles de Rochefort, avec de superbes photos en couleur mais aussi la reconstitution de la galerie d’art de Lancien.
Ensuite c’est la période californienne, avec Model Shop et notamment une interview d’Harrison Ford.
Peau d’âne réserve la partie la plus matérielle de l’exposition : la peau de l’âne authentique a été retrouvée et les robes couleur de Jour, de Lune et de Temps ont été recréées.
Les sections consacrées aux films suivants, qui ont eu moins de succès, sont un peu plus réduites, mais l’on retrouve avec plaisir les univers forts différents d‘Une chambre en ville,ou encore de Trois places pour le 26 (certaines des robes portées par Mathilda May sont là aussi).

Après en avoir savouré des extraits tout au long de l’exposition, on en ressort avec l’envie de revoir tous les films de Jacques Demy, y compris ceux que l’on connaît le moins. On en ressort aussi enrichi des inspirations du cinéaste. Par exemple, en introduction à Peau d’âne, des gravures de Gustave Doré rappellent le goût pour le XIXè de Demy. Des œuvres inattendues pour évoquer un film haut en couleurs, mais somme toute très cohérentes avec sa veine fantastique.

Le Monde enchanté de Jacques Demy
Cinémathèque française
51 rue de Bercy – Paris XIIème
Lundi, mercredi à vendredi 12h-19h
Week-end, jours fériés et vacances (27 avril au 12 mai et 3 juillet au 4 août) : 10h-20h
Nocturne le jeudi jusqu’à 22h
Fermeture le mardi et le 1er mai
Plein tarif : 10€, tarif réduit : 8€
Moins de 18 ans : 5€
Jusqu’au 4 août 2013

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Gobelins par Nature, Eloge de la Verdure

Gobelins par Nature, éloge de la verdureLa Galerie des Gobelins, en construisant des ponts entre hier, voire même avant-hier, et aujourd’hui a le chic pour mettre en valeur les œuvres de tapisserie de façon spectaculaire.

Cette fois, c’est le thème de la flore qui sert de fil conducteur à un parcours qui n’a rien de chronologique et fait au contraire se choquer les époques de façon merveilleuse.

Les œuvres présentées les plus anciennes remontent au XVIème siècle, où l’on remplissait entièrement la toile de végétation stylisée, avec notamment des motifs rappelant les feuilles d’acanthes de l’Antiquité gréco-romaine.

Aux siècles suivants, les animaux viennent enrichir l’iconographie, mais c’est avec l’illustration des saisons que ces représentations ont pris un souffle plus remarquable encore, où l’on voit les dieux mythologiques régner sur les mois de l’année. Dans cette veine, les tapisseries élaborées aux XVIIème et XVIIIème siècles d’après les peintures de Le Brun sont superbes.

A côté de ces chefs-d’œuvre, l’on découvre des tapisseries récentes qui, répondant aux mêmes thèmes végétaux, montrent à quel point cet art n’a rien perdu de sa splendeur : ici un Jardin bleu japonisant d’Etienne Hajdu, là une Lavande de Pierre Alechinsky, plus loin un graphique Velvet Jungle de Jacques Monory, sans oublier de délicats Nymphéas de Monet…

Le parcours fait également la part belle à des pièces d’exception du Mobilier National ornées de feuilles et de fleurs, avec par exemple un exquis canapé lilas de 1930 signé Emile Gaudissart ou encore un ensemble composé d’un fauteuil et d’un écran de René Piot (1925), d’une richesse chromatique qui n’a d’égale que la recherche de ses lignes.

Enfin, à voir absolument aussi, la Carte blanche à Éva Jospin, qui n’a rien à voir avec la tapisserie, mais est reliée au reste de l’exposition par le thème de la nature. Il s’agit d’une sculpture monumentale de 7 mètres sur 3, plongée dans le noir si ce n’est un savant éclairage, et représentant une forêt… en carton… Aussi beau que bluffant !

Gobelins par Nature, Eloge de la Verdure – XVIè-XXIè siècle
Galerie des Gobelins
42 avenue des Gobelins 75013 Paris
TLJ de 11 h à 18h, sauf les lundis, le 25 décembre, le 1er janvier et le 1er mai
Plein tarif : 6 €, tarif réduit : 4 €
Accès gratuit le dernier dimanche de chaque mois
Jusqu’au 19 janvier 2014

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The Place Beyond the Pines

Place beyond the pines, Ryan GoslingLe film déroule une fresque sur deux générations, celle des pères et celle des fils, avec la force implacable des tragédies antiques.

Voici Luke, interprété par Ryan Gosling, dur taiseux au cœur tendre façon héros de Drive, cascadeur dans une fête foraine, le plus rapide et le plus doué sur sa machine infernale. Un jour, Romina, interprété par Eva Mendes – merveilleuse – vient le voir. Ils ont été amants d’un soir. Elle a eu un bébé. Il est papa mais à présent elle a un compagnon. Luke veut assumer son rôle, donner des glaces et de l’argent à son enfant. Comme il n’a que sa moto pour bien et son effroyable vitesse pour talent, il se met à braquer des banques. Cela finit par mal tourner ; un flic pas plus âgé que lui le descend.
Fin de l’acte I.

Le flic (impeccable Bradley Cooper), blessé dans l’affaire et désormais boitillant, est rongé par la culpabilité – il sait que Luke avait un gosse, du même âge que le sien. Mais, confiant en la vie et en lui-même, ambitieux, il avance. Il découvre que ses collègues sont ripoux, les dénonce et se lance avec succès – et l’aide de son propre père, grand procureur en retraite – dans la politique.

Dernier acte. Quinze ans sont passés. L’ex-flic a divorcé ; il est en pleine campagne politique pour un poste de gouverneur. Son fils vient habiter chez lui, ce qui est plus un poids qu’autre chose. Le gosse de riche s’ennuie et se défonce pour s’occuper. Il rencontre Jason, adolescent osseux et effacé, porté aussi sur la fumette. Il le prend sous sa coupe, le domine avec sadisme. Contrairement au premier, Jason ne sait pas encore qui est son père…

Cette tragédie en trois actes a le souffle des grands romans américains et la réalisation parfaite des grands films de cinéma. Il a des moments lents – on dirait de germination – et d’autres d’accélération effrénée. Le spectateur a toujours un temps de retard face à l’action qui entraîne, précipite, étonne. Et émeut. Car sous trame de thriller, The Place Beyond the Pines ne parle que de destinée humaine, de transmission et – là est la véritable tragédie – de si peu de liberté dans cette Amérique sans âge. Car l’on ne naît pas neuf dans ce monde à conquérir – l’orphelin laisse un orphelin comme le bien-né assurera l’avenir de son rejeton – et c’est évidemment le plus universel et le plus bouleversant.

The Place Beyond the Pines
Un film de Derek Cianfrance
Durée 2 h 20
Sorti en salles le 20 mars 2013

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Chagall, Entre guerre et paix. Musée du Luxembourg

La danse, ChagallEn une centaine de peintures, dessins et gravures,l’exposition du Musée du Luxembourg donne une idée de l’intensité de l’œuvre de Marc Chagall (1887-1985).
Intense est également, au sens physique, l’exposition. Le manque d’espace entre les œuvres et le manque de recul pour les admirer sont évidents, dans un espace inadapté à l’accueil d’un public fourni.
Malgré ces réserves, la qualité et la variété des œuvres montrées raviront les amateurs de Chagall et conquerront aisément les autres. D’autant que l’exposition est l’occasion de voir, outre des œuvres conservées dans les musées parisiens, un grand nombre d’autres venues de musées européens et américains ou encore prêtées par des particuliers.

Le parcours est chronologique, au service de son propos : montrer les contrastes du travail de Chagall au fil des événements qu’il a traversés tout au long du XXème siècle, qu’il s’agisse de son histoire personnelle ou des soubresauts de l’histoire contemporaine.

Même si sa première exposition a lieu en 1914 à Berlin, sa trajectoire d’artiste commence en 1910 à Paris, où il est venu étudier et où il rencontre les artistes de La Ruche : Soutine, Léger, Delaunay, Archipenko, Zadkine…
A partir de 1914, son retour en Russie, et notamment dans son village de Vitebsk est marqué par un resserrement des liens avec ses racines juives, par son mariage avec Bella Rosenfeld, par la révolution de 1917 et bien sûr par la Première guerre mondiale.
Ces deux premières périodes, parisienne puis russe, montrent une césure forte. Alors que les premiers tableaux affichent des sujets gais et des couleurs d’un éclat presque insolent, ceux des années russes sont beaucoup plus graves, voire sombres. Des figures du judaïsme apparaissent (rabbin, juif errant), mais également des soldats blessés et des populations en fuite.

En 1923, Chagall revient à Paris, où il se consacre à différents travaux, notamment d’illustration à la demande du marchand d’art Ambroise Vollard : Les âmes mortes de Gogol, les Fables de La Fontaine. La commande d’illustration de la Bible sera pour lui l’occasion de se rendre en Palestine. Une partie de l’œuvre éblouissante qu’il en tirera est exposée ici. Elle témoigne de la grande simplicité et de l’immense humanisme avec lequel l’artiste a abordé les grands épisodes bibliques.

Pendant la Deuxième guerre mondiale, il trouve refuge aux Etats-Unis. Les massacres commis en Europe, qui ne sont pas sans lui rappeler les pogroms subis par les Juifs dans la Russie tsariste de son enfance, lui inspirent des tableaux montrant des scènes tragiques d’exodes et de villages en flammes. Chagall mêle des éléments juifs tels le châle de prière ou le chandelier à sept branches à des représentations de la crucifixion, symbole de la souffrance humaine.
En 1944, il est en outre frappé par le deuil de son épouse Bella. Les années suivantes, il ne cessera de la représenter dans des scènes pleines d’amour et de tendresse.

Songe d'une nuit d'été, ChagallAprès la Guerre, comme nombre de peintres, il s’installe sur la Côte d’Azur. La lumière du Midi insuffle à sa peinture des couleurs de plus en plus éclatantes, dont les immenses toiles du musée du Message biblique – à aller voir à Nice – seront évidemment les œuvres les plus emblématiques.

L’œuvre de Chagall s’accommode assez mal des descriptions. C’est une peinture à la fois du détail (il mêle tant de motifs sur une même toile), d’une large inspiration narrative (qu’il s’agisse de son histoire personnelle ou de la Grande histoire, y compris biblique) mais aussi d’imagination (la puissance onirique est souvent très forte). C’est une peinture figurative – mais affranchie de toutes les lois de la représentation – et très allégorique.
Elle a une place particulière dans l’histoire de la peinture du XXème siècle, à l’écart de toutes les écoles, mais aussi, à voir l’enthousiasme (partagé) des visiteurs, dans l’intimité de ceux qui l’admirent, touchés par son souffle poétique, spirituel et humaniste.

Chagall, Entre guerre et paix
Musée du Luxembourg
19 rue de Vaugirard – 75006 Paris
TLJ de 10h à 19h30 et le dimanche de 9h à 20h
Nocturne le lundi et le vendredi jusqu’à 22h
Ouverture exceptionnelle jusqu’à 22h les samedis du 23 mars au 20 avril
Fermeture le mercredi 1er mai
Entrée 11 euros, TR 7,5 euros
Jusqu’au 21 juillet 2013

Images :
Marc Chagall, La Danse, huile sur toile, 1950-1952, Paris, Centre Pompidou, Musée national d’Art moderne / Centre de création industrielle, dation en 1988 © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL ® © RMN-Grand Palais / Gérard Blot
Marc Chagall, Songe d’une nuit d’été , 1939, Musée de Grenoble © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL ®

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De l'Allemagne, 1800-1939. De Friedrich à Beckmann

Carl Gustav Carus, Haute MontagneDe l’Allemagne : le titre, emprunté à celui d’un ouvrage de Mme de Staël annonce clairement l’intention de l’exposition. Il s’agit, à travers la présentation d’œuvres picturales significatives du XIXème et du début du XXème siècles, d‘étudier les spécificités de l’art germanique. Le visiteur est là autant pour comprendre et apprendre que pour regarder et éventuellement admirer.

Une démarche intellectuelle, dont le visiteur profane se demande les parts respectives qu’elle emprunte à la vision française de l’art allemand et à la perception de l’art propre au peuple germanique.
Toujours est-il que cette approche, au demeurant fort intéressante et instructive, laisse assez peu de place aux notions d’esthétique, de style, de représentation et de technique, bref aux questions directement liées à la peinture.

En trois parties successives, les commissaires se sont attachés à mettre en lumière les trois grandes thématiques qui ont travaillé l’art allemand au fil de cette longue période qui va des derniers rayons du XVIIIème siècle au sombre entre-deux-guerre du XXème siècle : les rapports à l’histoire, à la nature, à l’humain. Si globalement l’on part du fameux tableau exécuté en 1786-1787 par Tischbein, Goethe dans la campagne romaine, prêt du Städel Museum de Francfort, pour finir avec ceux de Beckmann à la fin des années 1930, le parcours n’est pas purement chronologique, car les deux premières thématiques ont transcendé les recherches artistiques allemandes tout au long du XIXème siècle.

Ce qui frappe le plus à la visite de l’exposition est la recherche d’une identité nationale qui semble avoir obsédé les peuples germaniques longtemps politiquement morcelés (le statut d’Etat-Nation ne date que de 1871), et ce particulièrement à travers l’art.

Cette quête passe en premier lieu par l’interrogation continuelle de l’histoire afin d’y retrouver le creuset de la culture germanique : Grèce classique, catholicisme romain, peinture italienne, Moyen-Age vu comme l’époque de l’unité religieuse d’avant la Réforme et symbolisée par la cathédrale gothique, maîtres anciens allemands. Ce retour aux origines réelles ou supposées se retrouve – outre le tableau d’ouverture déjà cité, assez programmatique – dans des tableaux religieux, mythologiques, des scènes présentant de glorieux chevaliers, ou encore des ruines antiques.

Mais la recherche de l’unité nationale passe aussi par une approche très particulière de la nature et une grande réflexion autour de la peinture de paysage. Pour certains, la peinture doit refléter la connaissance scientifique de la nature. Pour d’autres, les artistes doivent représenter le paysage allemand dans sa spécificité, ce qui passe par la représentation d’une nature portant les traces du passé commun : forêt abritant les héros mythiques, fleuve, tombes druidiques… Pour tous, l’importance accordée au paysage est en soi une marque de l’identité germanique.

Après les tableaux tantôt "scientifiques", tantôt sublimes (dispute aux sommets enneigés de Friedrich, Koch et Carus), tantôt romantiques des paysagistes allemands, la dernière partie de l’exposition, intitulée Ecce homo (allusion à l’ouvrage de Nietzsche mais aussi aux nombreuses représentations de la Passion du Christ entreprises à partir de la première Guerre mondiale) ramène à de tristes réalités. Le nationalisme allemand a débouché sur la Grande guerre (au départ souhaitée par certains artistes à titre de souveraine Apocalypse), ses atrocités et ses conséquences durables. Puis à la faveur de la dépression économique ajoutant à l’humiliation de la défaite, le nazisme est venu se nourrir de ce penchant nationaliste pour aboutir aux conséquences que l’on sait.
Les œuvres issues de ces périodes font froid dans le dos. Partout, le sacrifice voire le martyre, partout des gueules cassées, des corps estropiés, des âmes perdues. Le noir et blanc domine ; les couleurs ne sont plus qu’au service de la violence.

Dans la première salle, l’on avait admiré la douceur du carton d’Overbeck Italia et Germania, la solide tranquillité d’un Apollon parmi les bergers de Schick, la grâce italienne d’une Vierge à l’enfant de Carolsfeld. Dans la dernière, c’est L’enfer des oiseaux de Beckmann, l‘Ecce homo de Corinth, la terrible série de gravures sur le thème de la guerre d’Otto Dix. Et, encadrant le tout, dans la rotonde qui à la fois introduit et clôt l’exposition, une monumentale gravure sur bois d’Anselm Kiefer.
Tout cela est le plus souvent aussi magnifique qu’impressionnant, mais empreint d’un sérieux tel que cette gravité-même risque d’apparaître comme la caractéristique essentielle de l’art allemand.

De l’Allemagne, 1800-1939. De Friedrich à Beckmann
Musée du Louvre
TLJ sf le mardi de 9 h à 18 h, nocturnes les mercredi et vendredi jusqu’à 21h45
Entrée exposition, 12 €, billet jumelé collections permanentes et exposition, 15 €
Jusqu’au 24 Juin 2013

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