PHotoEspaña. Dorothea Lange. Los años decisivos

Dorotea Lange, los anos decisivos, photoespana 2009Comment clôturer cette série de billets dédiés à au festival PHotoEspaña 2009 à Madrid sans évoquer la magnifique rétrospective consacrée à Dorothea Lange au Museo de colecciones ICO ?

Les 140 tirages relatent son travail des années décisives, 1930 et 1940 dans les Etats-Unis en crise.

Les plus connus sont ceux montrant les conséquences de la grande dépression de 1929, où l’on voit des files d’attentes pour trouver un emploi, la misère dans laquelle se retrouvent un grand nombre d’Américains, les déplacements de travailleurs du monde agricole.

L’empathie et le regard humaniste de Dorothea Lange semblent tout entier concentrés dans les portraits ultra-célèbres de cette Mère migrante entourée de ses enfants, dans la pauvreté et la détresse la plus absolue, dont le visage est déjà marqué par de profonds sillons alors qu’elle est âgée d’à peine trente ans.

Beaucoup moins connue en revanche est la série consacrée au déplacement forcé des personnes d’origine japonaise après l’attaque de Pearl Harbor en 1941. Le gouvernement décide en effet de regrouper et d’interner dans des camps tous ces hommes, femmes et enfants, même ceux de citoyenneté américaine. Dans un contexte de racisme anti-japonais affiché, des familles entières sont forcées des plier bagage, de quitter leurs biens pour aller s’entasser dans des centres précaires.
De format beaucoup plus réduit, ces photos sont tout aussi poignantes tant elles montrent elles aussi la résignation et la souffrance. Si ces images sont restées longtemps cachées, c’est parce qu’elles étaient bien peu glorieuses pour l’image de marque du gouvernement. C’est d’ailleurs la première fois, ici à Madrid, plus d’un demi-siècle après qu’elles aient été prises, que ces 28 photographies sont exposées.

Dorothea Lange. Los años decisivos
PHotoEspaña 2009
Jusqu’au 26 juillet 2009
Museo de colecciones ICO – Zorrilla, 3 – 28014 Madrid
Du mar. au sam. de 11 h à 20 h et le dim. de 10 h à 14 h

Image : Dorothea Lange, Migrant mother, © Dorothea Lange

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PHotoEspaña. Años 70. Fotografía y vida cotidiana

William Eggleston, anos 70, photoespana 2009, Madrid
Dans l’immense Centro de Arte de la Fundación Banco Santander à Madrid (Teatro Fernán Gómez), PHotoEspaña 2009 présente une passionnante exposition réunissant une vingtaine d’artistes qui dans les années 1970 se sont consacrés au thème du quotidien. Dans cette prolifique veine de la photographie du "commun", la singularité des artistes fait mouche. Et la diversité de l’ensemble transforme la visite de ce "banal" en un enchaînement de surprises et de reliefs.

L’espagnole Fina Miralles montre ainsi des moments insignifiants, de ceux où l’on n’accomplit aucune action importante, sans même faire rien de particulier, mais qui sont certainement les plus fréquents et parfois même les plus agréables de la vie : toucher le bois de la rampe d’escalier, regarder le soleil par la fenêtre, se laver, boire, respirer…

Christian Boltanski, lui, a constitué L’album photographique de la famille D.. Dans cet ensemble de photos de la famille de l’artiste Marcel Durand, les plus ordinaires qui soient (tous les membres alignés en rang d’oignon pour les besoins de la cause ; famille dans le jardin, à la plage ; repas…), on a l’impression de voir les clichés éculés de sa propre famille. Sous nos yeux, le particulier devient quelconque, mais immensément partagé, tellement inscrit dans un temps et une société donnés…

Karen Knorr, photoespana 2009, anos 70Quotidien vu très différemment avec Karen Knorr et sa série Belgravia : ici est montrée la bourgeoisie anglaise cantonnée dans une zone résidentielle du centre de Londres. Chaque photo est accompagnée d’un texte court qui n’en est pas la description, mais résulte de l’entrevue au cours de laquelle le cliché a été soigneusement préparé. La tranquillité, l’assurance, pour ne pas dire l’arrogance d’une situation et d’un mode de vie privilégiés sont mis en scène avec revendication. Un homme assis dans une chambre tirée à quatre épingles (couvre-lit, tête de lit, murs et plafonds tendus du même tissu) affirme : "Chaque matin, je me lève et je fais 50 pompes. Je mange du müesli et du germe de blé au petit déjeuner. Tu es ce que tu manges."

Il est impossible de citer tous les grands artistes présents dans cette captivante exposition-fleuve : y sont ainsi notamment réunis des clichés très seventies de l’Américain William Eggleston mais aussi de belles et mystérieuses photos de rue du Tchèque Viktor Kolar.

La série Les dormeurs de Sophie Calle mérite elle aussi une jolie petite pause.
Du 1er au 9 avril 1979, elle a invité chez elle 28 hommes et femmes à dormir à tour de rôle pendant 8 heures dans son propre lit (elle exclue, bien entendu…). Sophie Calle observe, photographie, note les mots, les occupations et le sommeil de chacune de ces personnes qui ne font que se croiser à chaque "relève". Faisant la narration écrite et photographique de cette réalité-fiction, elle montre comment ses "invités", certains connus d’elle, d’autres pas, non seulement se comportent pendant l’expérience, mais aussi ce qu’ils en disent avant et après. On voit un tout jeune Fabrice Luchini succéder à une jeune belle personne. Petite conversation à l’occasion de cette "passation de lit" ; commentaire de Sophie Calle : "L’entretien commence de bonne humeur et finit dans la tension ; Béryl semble agacée". Le dernier dormeur est Roland Topor, venu accompagné. Il s’est ainsi décrit : "Roland Topor, pseudonyme de Jean-Pierre Clément. Célibataire à la force du poignet. L’âge… 40… 2 ans"

Años 70. Fotografía y vida cotidiana
Jusqu’au 26 juillet 2009
PHotoEspaña 2009
Teatro Fernán Gómez – Centro de Arte de la Fundación Banco Santander
Plaza de Colón 4 – 28001 Madrid
Du mar. au sam. de 10 h à 21 h et le dim. de 10 h à 19 h

Images : William Eggleston. Los setenta Volumen dos 1970
et Karen Knorr, Belgravia

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Pour les Parisiens de l'été : beau choix d'expos !

Exposition Maurice Utrillo et Suzanne Valadon à la Pinacotheque de ParisFaire le plein de culture pendant l’été à Paris, c’est possible, et même chaudement recommandé !

Pas mal d’expositions se prolongent encore, comme au Musée d’Orsay, où on peut voir jusqu’au 23 août Italiennes modèles : Hébert et les paysans du Latium et L’Italie des architectes. Du relevé à l’invention.
Surtout, il ne faut pas y manquer l’époustouflante exposition des collages originaux de "Une semaine de bonté" de Max Ernst : l’occasion de les admirer dans leur ensemble ne se représentera peut-être pas de si tôt (Orsay, jusqu’au 13 septembre).

Il ne reste en revanche plus que quelques jours pour profiter de l’exposition Filipo et Filippino Lippi. La Renaissance à Prato au Musée du Luxembourg (elle ferme le 2 août), et s’y régaler des trois grands et splendides tableaux religieux de Lippi père, dont la célèbre Vierge à la ceinture.

Le temps commence à presser aussi pour découvrir la plus belle exposition de peinture vue ces derniers mois à Paris : la rétrospective Kandinsky organisée au Centre Pompidou jusqu’au 10 août – car ensuite, en septembre, il faudra aller au Guggenheim de New-York pour la voir…

N’oublions pas non plus, toujours en peinture, le chouette feuilleton Au tournant du siècle à Montmartre que nous propose la Pinacothèque de Paris autour du couple mère-fils Valadon-Utrillo jusqu’au 15 septembre. A noter que durant l’été, le musée organise des visites-ateliers pour les enfants (les mercredis et samedis à 14 h et 16 h, sur réservation) et, les 5 août et 2 septembre des soirées culturelles avec la projection du film de Sacha Guitry Donne-moi tes yeux au cinéma 5 Caumartin.

Côté photos, toutes les occasions sont bonnes pour aller faire le plein du très chéri HCB : Henri Cartier-Bresson à vue d’œil à la Maison européenne de la photographie en est une excellente (jusqu’au 30 août).

A signaler aussi, non vue encore, mais a priori passionnante, l’exposition du Musée des Arts et Métiers présentée jusqu’au 18 octobre 2009, L’avion de l’exploit : 1909, Louis Blériot traverse la Manche. Elle retrace la grande première réalisée par Louis Blériot le 25 juillet 1909, à bord du Blériot XI, un avion qu’il avait lui-même conçu. Cet appareil est suspendu sous la voûte de l’église Saint-Martin-des-Champs réaménagée pour l’occasion, ce même avion qui a permis de franchir les 38 km séparant l’Angleterre du continent il y a cent ans. Le parcours est dédié à Blériot, à ses recherches et à ses innovations techniques, mais aussi à l’évocation poétique et à la place de l’imaginaire dans la conquête de l’air…

Bref, Parisiennes, Parisiens, très bel été à toutes et à tous !

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L'Alvin Ailey American Dance Theater au Châtelet

Alvin Ailey American Dance Theater
Pour fêter le cinquantenaire de l’Alvin Ailey American Dance Theater, les Etés de la Danse de Paris invitent à nouveau la célèbre compagnie américaine, après l’avoir accueillie dans la cour de l’Hôtel des Archives en 2006.

Cette année, la fête à lieu dans le très beau théâtre du Châtelet, pour une programmation éclectique déclinée selon trois menus différents.
La directrice de la compagnie – Judith Jamison, depuis la mort d’Alvin Ailey en 1989 – est restée fidèle à l’esprit de son fondateur. Autour de jeunes danseurs, noirs pour la plupart, elle explore la danse moderne américaine en puisant aussi bien dans ses racines afro-américaines, dans le jazz que dans le classique.
C’est avec Revelations, ballet créé en 1960 par Alvin Ailey sur des Negro Spirituals que l’Alvin Ailey American Dance Theater s’est fait connaître aux Etats-Unis puis dans le monde entier avec un succès immense.
Le talent de la compagnie ne se limitant pas à ses signatures, on découvre aussi ces danseurs et danseuses magnifiques dans des ballets de Maurice Béjart, Hans van Manen, Twyla Tharp, George Faison…

Les soirées du programme "A" étaient bien révélatrices de cette diversité. Pour qui découvre l’Alvin Ailey American Dance Theater, c’est un choc, l’une de ces surprises que l’on n’est pas prêt d’oublier.
Première partie flamboyante avec Festa Barroca, ballet de l’italien Mauro Bigonzetti créé en 2008 et montré en France pour la première fois à cette occasion. Jupes de soieries superbes, jaunes, roses, vertes, mauves, rouges, pour les hommes comme pour les femmes, chorégraphie hyper-moderne tout en dos et en bras, vibration des lumières autour des jeux de jambes dans un tournoiement époustouflant de corps et de soies. Cette folie créatrice se déploie sous des musiques de Haendel, opéras et oratorios, et de ce contraste naît un étonnement jubilatoire.

Ensembles, solos, duos alternent ; sous nos yeux semble s’inventer la danse à deux. Loin de la pâleur convenue d’une sensualité léchée, ici les corps se mêlent et s’imbriquent sans faux semblant, alternance de lenteur et de frénésie, tout en contacts et jeux charnels. Chaleur, beauté de la danse, sans compter celles des corps.

Enfin viennent les fameuses Revelations, près d’un demi-siècle d’âge – et c’est comme si le vrai feu d’artifice 2009 avait lieu ici et maintenant. Tempo de folie, joie contagieuse des danseurs, spectacle tout en classe à l’américaine. Les Negro Spirituals s’enchaînent, la salle est au bord du malaise (pour ne pas dire autre chose). Tout à coup, on se dit que là est l’essence, la vérité de la danse, dans un concentré d’énergie et de bonheur que voudrait admirer et vivre de longues minutes encore.

L’Alvin Ailey American Dance Theater
Les Etés de la danse de Paris
Jusqu’au 25 juillet 2009
Du mar. au dim. à 20 h, représentation supp. le dimanche à 15 h
Théâtre du Châtelet
1, place du Châtelet – Paris Ier
Location au théâtre du lun. au dim. de 11 h à 19 h, au 01 40 28 28 40 et sur le site
Places de 10 € à 75 €

Rencontres-spectacles les 15 et 22 juillet à 15 h (présentation d’un ballet suivi d’un échange entre le public et les danseurs)
Projections de films d’archives sur le 50ème anniversaire de la compagnie les 15, 18, 22 et 25 juillet à 11 h
Exposition de photos sur le 50ème anniversaire de la compagnie également au théâtre du Châtelet

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PHotoEspaña 2009. Madrid

Photoespana 2009, Resiliencia, Instituto CervantesFestival de photographie et d’arts visuels réunissant grands noms et jeunes découvertes, PHotoEspaña célèbre cette année sa 12ème édition.
Le thème choisi, Le quotidien, est une nouvelle occasion d’approcher la photographie sous les angles historique et sociologique, comme c’était déjà le cas en 2005 notamment avec La Ville, sous le commissariat d’Horacio Fernández.

Concentrée à Madrid pour l’essentiel, la manifestation se déroule aussi à Cuenca en Castille et à Lisbonne, dont est originaire le commissaire général 2009, Sérgio Mah.

Selon la directrice actuelle de PHotoEspaña, la française Claude Bussac, Lo cotidiano est une tendance lourde du travail photographique contemporain.
De fait, cette thématique permet de rassembler un grand nombre d’artistes d’hier et d’aujourd’hui, dans une profusion d’expositions soutenues majoritairement par des fonds privés – les institutions publiques, dont la Communauté de Madrid et le ministère de la Culture assurant le tiers du financement.
A Madrid, la manifestation bénéficie d’espaces aux volumes impressionnants. Les œuvres y sont donc abondantes, les présentations claires et les conditions de visite très confortables. Sans compter la gratuité des quelques soixante-dix expositions proposées, leur concentration géographique, la largesse des heures d’ouverture (le plus souvent jusqu’à 21 h)… et la qualité des artistes choisis.
De quoi justifier la popularité du festival qui, en moins de deux mois réunit chaque année plus de 600 000 visiteurs.

Inauguré le 3 juin dernier, PHotoEspaña se clôture officiellement le 26 juillet 2009.
Un certain nombre d’expositions se poursuivront tout de même plus avant dans l’été.
Tel sera le cas de celles de Sergey Bratkov à la Communidad de Madrid et de Gerhard Richter à la Fundación Telefónica, toutes deux visibles jusqu’au 30 août, mais aussi du conceptuel The Atlas Group (1989-2004. Un proyecto de Walid Raad (sur la vie des habitants de Beyrouth entre 1989 et 2004, à voir au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia jusqu’au 31 août).

Côté découvertes, l’exposition collective Resiliencia à l’Instituto Cervantes présente jusqu’au 20 septembre les productions de dix jeunes artistes retenus lors de l’édition 2009 de Descubrimientos PHE en Amérique Latine, dont certains sont particulièrement frappants dans leur façon de révéler les mutations de leur continent.
Dans ses grands clichés, le péruvien Morfi Jiménez a trouvé une distance si juste vis-à-vis de ses sujets, vieillards, enfants, déshérités, avec ce regard respectueux digne des plus grands photographes humanistes, que l’émotion qu’ils procurent feraient presque oublier la superbe esthétique de la photo, ni tout à fait noir et blanc ni tout à fait couleur.

Photoespana 2009, Annie LeibovitzOn pourra également parcourir jusqu’au 6 septembre Vida de una fotógrafa 1990-2005 d’Annie Leibovitz à la Communidad de Madrid, rétrospective de près de 200 photos que les Parisiens ont eu l’occasion de voir à la Maison européenne de la photographie l’été dernier (lire le billet du 20 juin 2008  »Annie Leibovitz, A photographer’s life, 1990-2005 »).

PHotoEspaña 2009
XIIème édition Lo Codidiano
Madrid, Cuenca, Lisbonne, du 3 juin au 26 juillet 2009

Images : Óscar Fernando Gómez Rodríguez, série "La mirada del taxista", 2008 © Óscar Fernando Gómez Rodríguez
et Annie Leibovitz. Nicole Kidman, New York, 2003. From "Annie Leibovitz : A photographer’s Life © Annie Leibovitz

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Max Ernst. ''Une semaine de bonté''. Les collages originaux

Max Ernst, une semaine de bontéFondateur avec Jean Arp du mouvement Dada de Cologne, Max Ernst (1891-1976) s’installe à Paris au début des années 1920, où il participe à la première exposition surréaliste. Arrêté au début de la Seconde Guerre Mondiale, l’artiste allemand s’enfuit aux Etats-Unis avant de revenir définitivement en France dans les années 1950.

Durant l’été 1933 il séjourne dans le nord de l’Italie où, en trois semaines seulement, il réalise une nouvelle série de collages selon une technique qu’il a initiée à l’époque Dada et poursuivie à partir de 1929 sous forme de romans graphiques avec La femme 100 têtes et Rêve d’une petite fille qui voulut entrer au Carmel. Puisant dans la bibliothèque de ses hôtes, il découpe dans des livres illustrés de la fin du XIXème siècle les motifs qui l’inspirent pour en tirer pas moins de 184 collages, réunis dans Une semaine de bonté, roman graphique en sept parties publié en cinq cahiers l’année suivante à Paris.

Le public peut enfin découvrir ces collages originaux, présentés au Musée d’Orsay jusqu’au 13 septembre 2009. Parler de première serait inexact, mais de peu : ils n’ont été exposés qu’une seule fois. C’était à Madrid en 1936.

Une semaine de bonté, titre ironique tant le décalage avec son contenu est grand, se lit effectivement comme un roman. Le parcours suit l’ordre des sept chapitres, chacun représentant un jour de la semaine, auquel est associé un élément et un exemple. Les cinq volumes étaient revêtus d’une reliure de couleur vive que l’exposition reprend pour chacune des salles : mauve pour Dimanche, vert pour Lundi, rouge pour Mardi, bleu pour Mercredi et jaune pour le tome réunissant Jeudi, Vendredi et Samedi.

Ici chez Max Ernst, le premier jour est en effet Dimanche, et sa semaine commence fort. Avec la boue pour élément et le Lion de Belfort pour exemple, l’artiste met en scène la domination constante des faibles, des (belles) femmes en particulier. La bête humaine triomphante à tête féline enchaîne, menace, effraie, torture, tue. Ernst l’a muni de toutes sortes d’armes et a placé ça et là des serpents, crânes et autres éléments symboliques.
Le deuxième jour a pour élément et exemple l’eau. Ce Lundi n’en est pas moins chargé de violence, de peur et de mort : il envoie des flots jusqu’en haut des monuments parisiens, aux pieds des lits ou se trouvent de belles prisonnières, parfois endormies.
Ici aussi Ernst joue avec les corps et leurs positions, insère l’ambigüité et l’érotisme.
La narration, toujours aussi critique, se poursuit avec Mardi et sa Cour du Dragon, où, alors que dans l’ombre un reptile est toujours prêt à se déployer, la bourgeoisie est montrée dans soute son hypocrisie, son désordre intérieur et ses luttes.
Mercredi raconte le mythe d’Oedipe tandis que Jeudi place les menaces dans le signe du coq gaulois – l’Etat français. Vendredi et Samedi sont eux beaucoup plus symboliques et même proprement surréalistes avec L’intérieur de la vue et La clé des chants (ah, ces titres !) où les femmes, enfin libérées, s’envolent vers les cieux, au bord de l’extase, portées par l’étoffe, les nuages et le vent.

La qualité des collages, le soin que Max Ernst a mis à découper et à coller les motifs est tel qu’il est le plus souvent impossible d’en déceler les "coutures". Mais l’extraordinaire tient naturellement aux œuvres elles-mêmes, par lesquelles l’artiste a inventé des scènes allant du quasi-rationnel au totalement onirique, reliées entre elles par des thématiques et des éléments symboliques récurrents.
On peut également voir des planches des livres dont sont issus les motifs prélevés par Ernst, présentées à côté du collage réalisé : la façon dont il retourne les corps, ajoute des personnages, créé des relations entre eux et insère les mouvements est passionnante. Son imagination, son audace, sa férocité et les thèmes traités font de sa Semaine de bonté un livre indispensable. A dévorer des yeux tout l’été à Orsay.

Max Ernst. "Une semaine de bonté". Les collages originaux
Jusqu’au 13 septembre 2009
Musée d’Orsay
1, rue de la Légion d’Honneur – Paris 7ème
TLJ sf lun. de 9 h 30 à 18 h, le jeu. jusqu’à 21 h 45
Entrée 8 € (TR 5,50 €)

Exposition organisée en partenariat avec l’Albertina de Vienne, le Max Ernst Museum de Brühl, la Kunsthalle de Hambourg et la FUNDACION MAPFRE de Madrid

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La vie va où ?… Michèle Guigon

La vie va où, Lucernaire, Michèle GuigonBonne nouvelle : le spectacle de Michèle Guigon La vie va où ?… (lire le billet du 5 juillet), joué tout l’été à Paris et plébiscité par le public malgré ses thématiques graves, continue jusqu’au 21 novembre 2009 au théâtre du Lucernaire.

Dans ce "seule-en-scène", l’artiste aux multiples facettes, comédienne, chanteuse, accordéoniste, mais aussi clown, met tous ses talents au service de la femme qu’elle est, lucide, bienveillante, sensible.

Quand les tragédies de l’existence sont évoquées avec autant d’humour que de sincérité par Michèle Guigon, c’est toute une philosophie de la vie qui se dessine…
Un spectacle à ne pas louper.

La vie va où ?…
De et par Michèle Guigon
Mise en scène et coécriture : Susy Firth
Collaboration artistique Anne Artigau, lumières Marie Vincent
Théâtre du Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs – Paris VIème
M° Notre-Dame des Champs
Réservation sur le site du théâtre et au 01 45 44 57 34
Du mardi au samedi à 18 h 30, durée 1 h 20

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Gérard Pesson : Pastorale au Châtelet

Pastorale, Pesson, Sorin, Le ChâteletMêler à l’opéra la variété issue de la Star Académie est une entreprise audacieuse, qui s’expose aux risques de ridicule et de prétention, un peu comme sortir l’argenterie et le linge damassé pour servir du fast-food. Ces risques là, Gérard Pesson les a pris, en créant Pastorale, donnée ces jours-ci en première au théâtre du Châtelet à Paris. (1)

Le livret est inspiré de L’Astrée d’Honoré d’Urfé, roman-fleuve du XVIIème siècle décidément revenu à la mode puisqu’il avait déjà inspiré en 2007 un très beau film à Eric Rohmer ("Les Amours d’Astrée et de Céladon").
Dans l’oeuvre d’Urfé, l’histoire est celle d’aristocrates endossant l’habit de bergers pour jouer aux jeux de l’amour, avec pour personnages centraux la belle Astrée et le jeune Céladon qui s’aiment et se fuient sans fin, trahisons et souffrances à la clé.

Dans Pastorale, ce sont de jeunes candidats à un jeu de télé-réalité qui se mettent dans la peau de bergers, entourés d’assistants et guidés par le druide Adamas.
Lookés façon néo-babas-cools, les jeunes partent donc chercher le bonheur dans de vertes prairies, dans une nature close et idéalisée, rejouant une fois de plus le mythe de l’Eden retrouvé. Les amours d’Astrée et de Céladon, quant à elles, assurent – a minima – la structure narrative de l’opéra.

Ce mélange d’inspirations (la littérature et la télé-réalité) pèse hélas sur la cohérence du spectacle et en brouille la lisibilité. Le livret est révélateur de ces contradictions (pas moins de quatre auteurs y ont d’ailleurs participé) : d’une écriture courte et erratique, il hésite entre prosaïsme et poésie, entre simple envoi de messages et romanesque, sans qu’aucune force ne parvienne à le faire décoller.
La cohabitation de voix lyriques et de la chanson est bien de ce tonneau-là, alliage quelque peu improbable, et grande est la menace – non totalement exécutée toutefois, fort heureusement – de voir la représentation sombrer du mauvais côté de la comédie musicale genre cucul-commercial. Quant à la chorégraphie, sortie de l’imagination, visiblement très limitée, de Kamel Ouali, elle semble appartenir à la même école artistique que les costumes : agitée à trop vouloir être jeune, banale à trop vouloir être à la mode.

Ça, c’est tout ce qui peut agacer. On passe pourtant une très bonne soirée. Et il y a de quoi : la musique de Gérard Pesson, que l’on range d’habitude du côté du bizarre et de l’intime, déploie dans cette ambiance pastorale et contemporaine tout ce qui en fait le charme. Ses couleurs variées et ses déclinaisons de formes infinies révèlent de magnifiques harmonies. Elles sont jouées avec de vrais instruments autant qu’avec toutes sortes d’objets domestiques et font la part belle aux pépiements d’oiseaux, bruits d’eau, respirations, bruissements (et déchirements) de feuilles…
La scénographie / mise en scène est signée du grand vidéaste Pierrick Sorin. Faite notamment d’images tournées directement à partir de maquettes posées sur scène et projetées sur grands écrans, elle fourmille d’inventivité, de surprises et bien souvent d’humour. Plein de vie et des plus plaisants, ce cadre visuel joue un rôle prépondérant dans le spectacle.
Finalement, la très bonne idée de cette Pastorale est certainement l’association Pesson – Sorin. A tous les deux ils sont capables de créer une telle poésie et une telle modernité que l’on ne voit pas bien pourquoi il a fallu aller chercher du côté de la télé et de la variété pour tenter d’enrichir le programme. Ce jeunisme quasiment affiché frôle la démagogie et encombre un spectacle dont la seule présence de grandes voix lyriques sobrement dirigées aurait à coup sûr garanti le succès. On peut rêver à un nouveau casting : ce serait la Pastorale II.

Pastorale
Gérard Pesson
Opéra en quatre actes et quarante-deux numéros
Théâtre du Châtelet – 1 place du Châtelet, 75001 Paris
Renseignements : 01.40.28.28.00
Jusqu’au 24 juin 2009, à 20 h
Durée : 2 h 25 avec entracte
Places de 15 € à 90 €

Livret : Martin Kaltenecker, Philippe Beck et Gérard Pesson, avec la collaboration de Hervé Péjaudier
d’après L’Astrée d’Honoré d’Urfé (1607-1627)
Création scénique mondiale
Direction musicale : Jean-Yves Ossonce
Mise en scène, vidé, décors, costumes et lumières : Pierrick Sorin
Chorégraphie : Kamel Ouali
Astrée Judith Gauthier
Céladon et Alexis Olivier Dumait
Listandre Ivan Geissler
Adamas Marc Labonnette
Silvandre Pierre Doyen
Florice et Sylvie Marie-Ève Munger
Phillis Hoda Sanz
Diane Raphaelle Dess
Une bergère Melody Louledjian
Une bergère et Léonide Amaya Dominguez
Une bergère et Galathée Sophie Leleu
Hylas Jean-Gabriel Saint-Martin
Lycidas Thomas Huertas
Orchestre symphonique Région Centre-Tours
Chœur du Châtelet

(1) Pastorale est une commande de l’Opéra de Stuttgart, où l’oeuvre a été créée en version de concert en mai 2006. Pour cette création scénique, le Théâtre du Châtelet a passé commande à Gérard Pesson de deux nouvelles chansons, écrites par Adrien Léveillé et destinées à Diane et Phillis.

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La Grande Magie à la Comédie-Française

La Grande Magie à la Comédie-Française, De Filippo
La salle Richelieu de la Comédie-Française se remplit jusqu’aux poulaillers d’un large public, traditionnels retraités, jeunes couples, familles avec enfants. La soirée ne décevra pas : la vénérable institution donne ici un spectacle agréable et d’honnête facture.

Ecrite en 1948 par le dramaturge italien Eduardo De Filippo – très connu dans son pays, moins en France – la pièce tient sur le papier en peu de phrases. Dans une station balnéaire, un homme très jaloux, Di Spelta, voit son épouse disparaître dans un sarcophage au cours d’un numéro de prestidigitation. La belle s’est dans les faits enfuie avec son amant ; Marvuglia, le magicien, persuade le mari qu’elle se trouve dans une petite boîte : cette boîte lui rendra son épouse dès qu’il l’ouvrira, si et seulement si, en le faisant, il a suffisamment confiance en elle…

Si la prestidigitation repose sur l’apparence, si ses tours se jouent de ce que nos yeux peuvent voir et ne voir point, la pièce montre que la magie, pour survivre aux lois sensorielles, est avant tout affaire de mots (c’est avec de belles phrases que Marvuglia et ses complices emberlificotent le pauvre mari trompé) et tout autant affaire de croyance. Si Di Spelta, pour retrouver sa femme, préfère se vautrer dans l’illusion, c’est que cet être sans foi ni rêve au départ trouve son compte dans les fables dont on le berce et auxquelles il finit par tenir plus qu’à la réalité…

Charmant décor d’opérette, chic des costumes des années 1940, jeux de lumière, de musique et de rideau créent le spectacle dans le spectacle, tandis que deux très grands comédiens déploient tout leur talent : Hervé Pierre interprète le magicien qui en jette, tonitruant, attachant mais roublard ; Denis Podalydès joue Di Spelta, anxieux, orgueilleux humilié, torturé et tortionnaire, très mélancolique dans le fond. Deux rôles que chacun d’eux incarne à la perfection. En revanche certains personnages secondaires – les femmes en particulier – sont soit un peu pâles, soit au contraire dans un excès superflu.

Le théâtre populaire est peut-être celui qui exige le plus talent dans la mise en scène comme chez les comédiens. Cette proposition-ci, signée de l’anglais Dan Jemmett appelle bien peu de réserves.

La Grande Magie
d’Eduardo De Filippo
Comédie Française
Salle Richelieu – place Colette, Paris Ier
Tél. : 0 825 10 16 80
Places : de 5 à 37 €
Horaires : lun., sam. et dim. à 14 heures et 20 h 30 et du mar. au vend. à 20 h 30
Durée : 1 h 50
Jusqu’au 19 juillet, puis reprise à la rentrée partir du 7 octobre 2009
Mise en scène : Dan Jemmett
Texte français : Huguette Hatem
Avec Claude Mathieu, Michel Favory, Isabelle Gardien, Cécile Brune, Alain Lenglet, Coraly Zahonero, Denis Podalydès, Jérôme Pouly, Loïc Corbery, Hervé Pierre
et Judith Chemla

Photo © Pacome Poirier / Wikispectacle

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Le jardin de Monet à Giverny : l'invention d'un paysage

Le bassin aux nymphéas à GivernyA Giverny dans l’Eure, le musée des Impressionnismes – installé dans les murs de l’ancien Musée d’Art Américain, à proximité des jardins de Claude Monet – présente sa toute première exposition.
S’appuyant sur des photographies, lettres, documents administratifs (notamment une lettre du préfet autorisant le peintre aménager un bras de l’Epte pour y créer son bassin aux nymphéas), elle retrace l’installation des célèbres jardins du père de l’impressionnisme.
Complétée d’une vingtaine de très beaux tableaux de l’artiste, elle rend compte de quelques unes des recherches picturales développées par Claude Monet à Giverny.

Le parcours montre bien les deux processus créatifs qui s’y sont succédés : d’abord l’aménagement du "modèle" (le jardin à la française, suivi du bassin aux nymphéas, d’inspiration plus orientale, avec son illustre pont japonais), puis l’élaboration de l’oeuvre peinte.
Monet attendra que les décors végétaux, et la pièce d’eau dans un second temps, soient en place avant de se mettre à les peindre. Cette entreprise de passion – Monet était fou de jardins -, amorcée en 1883 avec son arrivée à Giverny alors qu’il avait 43 ans ne s’achèvera qu’à sa mort en 1926. Elle trouvera un déploiement et un aboutissement spectaculaire avec la merveilleuse suite des Nymphéas réalisée pour l’Orangerie à Paris.

Avant d’arriver à ce résultat aux limites de l’abstraction, et depuis ses toiles impressionnistes du XIXème, l’évolution de l’oeuvre de Monet est bien lisible à travers les tableaux présentés ici : on y observe un travail de plus en plus précis sur la manière de transposer les changements de lumière, le fouillis et les couleurs du végétal, la transparence, les reflets et le miroitement de l’eau.

Giverny, les jardins de Claude MonetProlongement naturel ou introduction à cette didactique exposition, une promenade dans les jardins de Monet tout à côté nous plonge au cœur des paysages savamment et patiemment construits par l’artiste et ses nombreux jardiniers.
Une balade courte mais si belle que l’on prend le temps, en s’arrêtant à chaque changement de perspective, d’admirer les massifs d’iris et de roses et de mille autres espèces, le petit étang et ses saules si émouvants, le pont sous lequel s’étalent les nénuphars… Une visite qui permet aussi de renouveler son regard sur l’oeuvre de Monet, de l’apprécier mieux encore, rendue ainsi beaucoup plus vivante et attachante.

Le jardin de Monet à Giverny : l’invention d’un paysage Jusqu’au 15 août 2009
Musée des Impressionnismes
99, rue Claude Monet – Giverny (27)
Tel. : 02 32 51 94 65
TLJ de 10 h à 18 h (jusqu’au 13 juillet)
TLJ sf le lun. de 10 h à 18 h (du 14 juillet au 31 octobre)
Entrée 5,5 € (TR 3 € et 4 €)
Gratuit le premier dimanche du mois

Du 23 août au 31 octobre 2009, le musée des Impressionnismes accueillera une exposition consacrée à Joan Mitchell, peintre de l’abstraction lyrique qui a vécu à Vétheuil, tous près de Giverny

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