Le rêveur de la forêt. Musée Zadkine

Dès l’entrée de ce musée intimiste, les œuvres de Zadkine, longs personnages de bois, sans tête, en forme de totems, rassemblés sur le même socle, évoquent la forêt. La thématique de l’exposition vient des mots mêmes de l’artiste (1888-1967), qui a sculpté le bois en laissant la matière exister après le passage du ciseau.

Parmi les quelques quarante artistes représentés ici, des plus anciens (Rodin, Gauguin…) aux plus jeunes (Hicham Berrada, Ariane Michel…), les rapports de l’humanité à la forêt se déclinent en plusieurs versions, suscitant la réflexion du visiteur d’aujourd’hui, qui a ainsi l’occasion de rêver à la place qu’il occupe dans une nature formatrice.

Pour Zadkine ou Giacometti le rapport est étroit entre les hommes et la forêt, par une représentation analogique : le second façonne des personnages-arbres, tandis que le premier fait surgir les corps des troncs. Avec le « Torse » Zadkine montre bien que c’est l’humanité qui reconnaît sa parenté avec les arbres. Laure Prouvost insiste en greffant des seins sur les branches.

Ce sont les productions de l’arbre qui intéressent d’autres plasticiens : une feuille d’aucuba est mise en valeur par Marc Couturier, tandis que Dubuffet signe un tableau d’écorces et de feuilles (« Chaussée boiseuse ») et Germaine Richier fait des ramures et du feuillage une chauve- souris. L’énergie dont fait preuve la croissance végétale est soulignée par les œuvres d’Arp, d’Hicham Berrada ou de Giuseppe Penone : celui-ci enserre l’arbre par une main de bronze et le laisse croître autour de la main.

Certains artistes éloignent la forêt de l’humanité : difficile de faire entrer les humains dans les forêts d’Hicham Berrada ou d’Eva Jospin, parce qu’elles semblent parfaitement se passer d’eux ou parce qu’elles apparaissent impénétrables. La « Dernière Forêt » de Max Ernst, envahie par les formes végétales n’a pour témoin que la lune.

Passé dans l’atelier de Zadkine en traversant le jardin, à côté d’autres œuvres, on retiendra l’installation d’Ariane Michel : une vidéo aux tons sombres montre un homme imitant les bruits de la forêt, la nuit, à l’aide de divers instruments. On retrouve ceux-ci déposés au pied de l’écran, la plupart objets d’un quotidien trivial qui contraste fortement avec l’image des mystères de la forêt, la nuit. Si la forêt est inimitable, c’est qu’elle est irremplaçable.

Andreossi

Le rêveur de la forêt

Musée Zadkine

100bis rue d’Assas Paris

Jusqu’au 23 février 2020

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L'ange du bizarre. Le romantisme noir de Goya à Max Ernst

L'Ange du bizarre, Musée d'OrsayA travers deux cents peintures, gravures et sculptures datées de la fin du XVIIIème au début du XXème siècles, mais aussi des films, L’ange du bizarre propose une large vision du « Romantisme noir ». Ce courant artistique européen est né en Grande-Bretagne au moment où, au siècle-même des Lumières, la toute puissance de la raison était déjà battue en brèche. Il s’est déployé au XIXème siècle, a été réactivé par les Symbolistes et enfin réinterprété par les Surréalistes dans l’Entre-deux-guerres.

Malgré la variété des artistes et des époques représentés, une grande unité se dégage des œuvres. Leur programme commun : mettre en exergue tout ce qui caché, enfoui, cadenassé, à savoir les vices, les peurs, la part sombre comme la part irrationnelle de l’Homme.

Les sujets de ce romantisme-là sont ainsi les anti-héros (Satan en premier chef), les atrocités tirées de la littérature, de la religion et de la mythologie, les lieux obscurs voire souterrains, la nuit, le rêve, la magie, la mort.

Il y a d’abord les citations shakespeariennes, comme Les trois sorcières de Füssli, tirées de MacBeth, mais aussi son propre et énigmatique Cauchemar, celles de Goethe (Méphistophélès dans les airs, une gravure de Delacroix pour Faust), sans oublier bien sûr Dante et sa Divine comédie, qui inspire Delacroix (La Barque de Dante) mais aussi, plus tard, le sage William Bouguereau. Quant à Géricault, avec son Radeau de la Méduse, il « ose ramener l’Enfer dantesque à la surface terrestre », comme le dit joliment un commentaire de l’exposition. Goya est bien entendu de la fête qui, perdant toute foi en l’Homme comme au reste, dit sans détour tout de l’ambiguïté de l’Homme (Les cannibales), son aveuglement (Les sorcières), son ignorance (la série des Caprices), sa cruauté (Les Désastres de la guerre).

Les paysagistes montrent une nature nouvelle où, la nuit venue, sous un clair de lune, tout semble possible. L’Homme recule, ne laissant que des ruines, qu’encore des montagnes étouffantes ou de profonds gouffres menacent. Avec les Symbolistes, loin des figures angéliques et victimes des premiers Romantiques noirs, la femme elle-même devient menaçante, se faisant vampire avec Munch, nature fatale avec Moreau, incarnant les figures mythologiques de la Méduse ou du Sphinx.
Même chez Bonnard les cauchemars viennent nous étouffer (Femme assoupie sur un lit), tandis que chez Ensor la mort rôde implacablement.

La liberté créatrice du Romantisme noir sera totalement réinvestie par les Surréalistes, photographes comme Brassaï ou Hans Bellmer, peintres comme Dali, Magritte, Masson ou Ernst, qui, à travers des paysages issus des rêves et des cauchemars, finissent de lâcher la bride à l’imaginaire, affranchis de toute référence explicite pour mieux représenter le spectre de l’irrationnel et de l’indicible.

Le Romantisme noir, Musée d'OrsayA l’instar des précédentes, cette nouvelle grande exposition du Musée d’Orsay est superbe, enrichissante, passionnante.
Sa scénographie est impeccable : sur des fonds gris et brun sourd, les œuvres sont précisément éclairées, créant une ambiance clair-obscur homogène qui fait corps avec le thème de l’exposition. Les cartels des tableaux sont – enfin ! – rendus lisibles par des lettrages nets. Last but no least, le didactisme du parcours laisse la place à la poésie, au détour de courtes citations, dont la dernière, signée Victor Hugo, est aussi la plus poignante : « L’homme qui ne médite pas vit dans l’aveuglement. L’homme qui médite vit dans l’obscurité. Nous n’avons que le choix du noir ».

L’ange du bizarre. Le romantisme noir de Goya à Max Ernst
Musée d’Orsay
1, rue de la Légion d’Honneur, 75007 Paris
De 9h30 à 18h les mar., mer., ven., sam. et dim. et jsq à 21h45 le jeu.
Fermeture tous les lundis et le 1er mai
Entrée 9 euros (TR 6,5 euros)
Jusqu’au 9 juin 2013

Images :
Carlos Schwabe (1866-1926), La Mort et le fossoyeur, Aquarelle, gouache, mine de plomb, 76 x 56 cm Paris, musée d’Orsay, RF 40162 © RMN (Musée d’Orsay) / Jean-Gilles Berizzi
Paul Ranson (1861-1909), La Sorcière au chat noir, 1893, Huile sur toile, 90 x 72 cm Paris, musée d’Orsay, RF 2012 6 © Musée d’Orsay, dist. RMN / Patrice Schmidt

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Jacques Prévert et Hervé Guibert à la MEP

Exposition Jacques Prévert, collage, MEPIl reste peu de temps pour aller voir les expositions Prévert et Guibert à la Maison européenne de la photographie à Paris : précipitez-vous-y d’ici le 10 avril car l’ensemble est absolument magnifique.

La première présente des collages de Jacques Prévert, parmi les centaines qu’il a réalisés sur près de 50 ans.
L’exposition n’occupe qu’une salle de la MEP, et on ressort aussi séduit qu’affamé car on aimerait en voir beaucoup plus !
Ces extraits suffisent largement à démontrer que Prévert n’était pas moins poète de l’image qu’il ne l’était du verbe.
Son "truc" ? Il piquait des photos de ses amis photographes : Brassaï, Izis, André Villers… et même Alexandre Trauner qui, lui, était décorateur de cinéma, ce qui ne l’a pas empêché de photographier Paris avec un grand talent (on en avait déjà parlé ici).
Jacques Prévert transformait ce matériau "top niveau" à sa guise, en puisant dans sa réserve personnelle d’images, glanées ici ou là sur le bord du chemin : des pages de journaux ou de beaux magazines, des chromos, des gravures anciennes… Il cueillait ses motifs aux Puces, sur les quais de Seine, chez des marchands de la rive gauche… avant de s’en servir un jour ou l’autre pour ses collages.

Résultat ? Des images oniriques, dans une veine surréaliste qui à certains égards rappelle les collages de Max Ernst.
Prévert mélange avec bonheur des images souvent d’époques différentes, illustrant des thématiques humanistes (il se ressemble décidément très bien) : un couple d’amoureux assemblé à partir de planches d’anatomie – des cœurs ! – sur une photo de Brassaï, des images d’animaux qui nous entraînent du côté de La Fontaine, un autoportrait plein d’humour avec une frise guère avantageuse qui lui barre le visage, une belle frise végétale encadrant son épouse en plein élan…
Les photos d’origine, totalement dénaturées, sortent ainsi de leur contexte propre et les collages du poète paraissent sans âge.
Des livres ont été tirés de ces travaux, dans une parfaite osmose entre les mots et les images, les deux plein de gravité, de joliesse et de fausse naïveté.

Exposition Hervé Guibert à la MepChangement d’ambiance radical avec la superbe exposition de photographies d’Hervé Guibert. Petit format, noir et blanc, beaucoup de scènes d’intérieur, d’autoportraits et d’images de proches : on est ici dans le royaume de l’intime.
Avec Hervé Guibert, ce mot d’intimité se pare de lettres d’or, tant ses photos sont brillantes, tant elles relèvent presque toutes d’une idée singulière. Beauté des corps, sincérité des regards, sujets émouvants, on est aussi d’une certaine façon en plein humanisme, tout en restant en retrait du lyrisme, du trait trop marqué. Son œil si sensible se suffit, mais allié au génie esthétique. Tout est dans l’épure, dans la captation d’un moment dérobé à l’écoulement du temps, dans un cadrage un peu décalé, dans la saisie d’un instant inattendu qui fait mouche, mais aussi dans le regard frontal sur ce qui est, et sur ce qu’il est lui-même : un jeune homme beau et inquiet, un jeune homme amoureux, aimant et malade, et photographe et écrivain. En témoignent ses nombreuses photos de sa "table de travail" : machine à écrire, crayons, stylos, papier, entouré de livres et de cartes postales de peinture bien alignées. Tout un monde en somme, et en même temps, étrangement, malgré ses proches, ses amis, ses amours, une certaine idée de la solitude.

Maison européenne de la photographie
5/7 rue de Fourcy – 75004 Paris
M° Saint Paul ou Pont Marie, bus 67, 69, 96 ou 76
TLJ sf lun., mar. et jours fériés, de 11 h à 20 h
Entrée 7 € (tarif réduit 4 €)
Entrée libre le mer. de 17 h à 20 h
Jusqu’au 10 avril 2011

Images :
Jacques Prévert, Portrait de Janine, fragments de gravures rehaussés sur une photographie de Janine Prévert par Pierre Boucher (vers 1935) Collection privée Jacques Prévert © Fatras/Succession Jacques Prévert
Hervé Guibert, Eugène et les églantines, 1988 © Christine Guibert / Collection Maison Européenne de la Photographie, Paris

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Max Ernst. ''Une semaine de bonté''. Les collages originaux

Max Ernst, une semaine de bontéFondateur avec Jean Arp du mouvement Dada de Cologne, Max Ernst (1891-1976) s’installe à Paris au début des années 1920, où il participe à la première exposition surréaliste. Arrêté au début de la Seconde Guerre Mondiale, l’artiste allemand s’enfuit aux Etats-Unis avant de revenir définitivement en France dans les années 1950.

Durant l’été 1933 il séjourne dans le nord de l’Italie où, en trois semaines seulement, il réalise une nouvelle série de collages selon une technique qu’il a initiée à l’époque Dada et poursuivie à partir de 1929 sous forme de romans graphiques avec La femme 100 têtes et Rêve d’une petite fille qui voulut entrer au Carmel. Puisant dans la bibliothèque de ses hôtes, il découpe dans des livres illustrés de la fin du XIXème siècle les motifs qui l’inspirent pour en tirer pas moins de 184 collages, réunis dans Une semaine de bonté, roman graphique en sept parties publié en cinq cahiers l’année suivante à Paris.

Le public peut enfin découvrir ces collages originaux, présentés au Musée d’Orsay jusqu’au 13 septembre 2009. Parler de première serait inexact, mais de peu : ils n’ont été exposés qu’une seule fois. C’était à Madrid en 1936.

Une semaine de bonté, titre ironique tant le décalage avec son contenu est grand, se lit effectivement comme un roman. Le parcours suit l’ordre des sept chapitres, chacun représentant un jour de la semaine, auquel est associé un élément et un exemple. Les cinq volumes étaient revêtus d’une reliure de couleur vive que l’exposition reprend pour chacune des salles : mauve pour Dimanche, vert pour Lundi, rouge pour Mardi, bleu pour Mercredi et jaune pour le tome réunissant Jeudi, Vendredi et Samedi.

Ici chez Max Ernst, le premier jour est en effet Dimanche, et sa semaine commence fort. Avec la boue pour élément et le Lion de Belfort pour exemple, l’artiste met en scène la domination constante des faibles, des (belles) femmes en particulier. La bête humaine triomphante à tête féline enchaîne, menace, effraie, torture, tue. Ernst l’a muni de toutes sortes d’armes et a placé ça et là des serpents, crânes et autres éléments symboliques.
Le deuxième jour a pour élément et exemple l’eau. Ce Lundi n’en est pas moins chargé de violence, de peur et de mort : il envoie des flots jusqu’en haut des monuments parisiens, aux pieds des lits ou se trouvent de belles prisonnières, parfois endormies.
Ici aussi Ernst joue avec les corps et leurs positions, insère l’ambigüité et l’érotisme.
La narration, toujours aussi critique, se poursuit avec Mardi et sa Cour du Dragon, où, alors que dans l’ombre un reptile est toujours prêt à se déployer, la bourgeoisie est montrée dans soute son hypocrisie, son désordre intérieur et ses luttes.
Mercredi raconte le mythe d’Oedipe tandis que Jeudi place les menaces dans le signe du coq gaulois – l’Etat français. Vendredi et Samedi sont eux beaucoup plus symboliques et même proprement surréalistes avec L’intérieur de la vue et La clé des chants (ah, ces titres !) où les femmes, enfin libérées, s’envolent vers les cieux, au bord de l’extase, portées par l’étoffe, les nuages et le vent.

La qualité des collages, le soin que Max Ernst a mis à découper et à coller les motifs est tel qu’il est le plus souvent impossible d’en déceler les "coutures". Mais l’extraordinaire tient naturellement aux œuvres elles-mêmes, par lesquelles l’artiste a inventé des scènes allant du quasi-rationnel au totalement onirique, reliées entre elles par des thématiques et des éléments symboliques récurrents.
On peut également voir des planches des livres dont sont issus les motifs prélevés par Ernst, présentées à côté du collage réalisé : la façon dont il retourne les corps, ajoute des personnages, créé des relations entre eux et insère les mouvements est passionnante. Son imagination, son audace, sa férocité et les thèmes traités font de sa Semaine de bonté un livre indispensable. A dévorer des yeux tout l’été à Orsay.

Max Ernst. "Une semaine de bonté". Les collages originaux
Jusqu’au 13 septembre 2009
Musée d’Orsay
1, rue de la Légion d’Honneur – Paris 7ème
TLJ sf lun. de 9 h 30 à 18 h, le jeu. jusqu’à 21 h 45
Entrée 8 € (TR 5,50 €)

Exposition organisée en partenariat avec l’Albertina de Vienne, le Max Ernst Museum de Brühl, la Kunsthalle de Hambourg et la FUNDACION MAPFRE de Madrid

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