La thématique du Goncourt 1955 fait écho à une question de la France d’aujourd’hui, celle de l’intégration des migrants. « Les eaux mêlées » se lit dans la suite de « La greffe de printemps », roman qui s’attache à suivre le parcours de Yankel Mykhanowitzki , parti de sa Russie natale avant la guerre de 14-18 pour fuir misère et pogrom, et se fixer à Paris comme casquettier. Le romancier nous plonge dans l’intimité d’un personnage qu’il sait rendre particulièrement attachant.
Ce sont finalement quatre générations de cette famille juive dont on suit les manières différentes de se mêler à la société française. Car Yankel est d’abord rejoint par sa femme et sa fille, puis par ses parents. Alors que son ambition était de devenir aussi français que possible, son épouse et son père, très accrochés à leur culture et leur religion, le poussent à revenir dans le quartier juif. La tension n’empêche pas les arrangements, mais ce n’est pas simple pour Yankel : « Parmi les Français, il regrettait la simplicité honnête et sans histoires de ses compatriotes ; parmi ceux-ci, vite agacé, il n’aspirait qu’à revenir vers les Français si largement ouverts sur le monde et la vie ».
Dans « Les eaux mêlées » il est davantage question des générations suivantes, des enfants et petits- enfants de notre héros. Yankel est fier du certificat d’études de son fils : « Voilà, Simon est vraiment français à présent ». Mais lorsque ce dernier choisit une épouse catholique, son père ne peut s’empêcher de penser : « Une juive, n’est-ce pas, c’est déjà une garantie ; les juifs sont des gens honnêtes, propres, simples. Naturellement, parmi les chrétiens aussi il y a d’honnêtes gens ; mais enfin on ne sait jamais. Et puis, même en écartant les mauvaises femmes, restent les innombrables sottes à cervelle d’oiseaux ; en tout goy sommeille le vieil antisémitisme, et il faut déjà un minimum d’intelligence pour ne jamais le laisser manifester ».
Arrive la période noire de l’Occupation. Une partie de la famille parvient à se cacher dans le sud de la France, tandis que d’autres périssent dans les camps nazis. Un petit-fils de Yankel est fusillé par les Allemands. Les réactions à la montée du nazisme ont été aussi différentes. Tandis que le fils Simon ne trouvait pas à s’inquiéter, le père n’était pas dupe : « Il ne savait pas que, comme le pigeon a le sens de l’orientation et la mouette le sens de la tempête, son père avait le sens du pogrom. En Simon, ce sens atavique s’était émoussé, sous l’effet de la France ».
Andreossi
Les eaux mêlées. Roger Ikor
La lecture du Goncourt 1946 nous montre comment l’interprétation de l’assassinat d’une épouse par son conjoint a évolué dans les esprits. Dans l’Histoire d’un fait divers Jean-Jacques Gautier s’évertue à faire comprendre la quasi légitimité de Lucien à tuer Fernande ! Pourtant le lecteur d’aujourd’hui peut découvrir ce que cet acte suppose de rapports asymétriques entre les hommes et les femmes.
Le Goncourt 1939 nous fait entrer dans le milieu de la haute bourgeoisie parisienne par le biais d’une thématique centrale pour cette classe, le mariage. La narratrice nous raconte son histoire de fille plutôt indocile, incapable toutefois de rompre avec les siens à cause de ce qu’elle appelle justement le marquage familial Boussardel.

Un roman amusant que le Goncourt 1927. Beaucoup de dialogues, une langue alerte, des caractères bien peu compliqués, une thèse simple, font qu’il se lit sans y penser ; et si au total l’intérêt paraît littérairement mince, on reconnaît qu’il est représentatif de ces années 1920, qui voulaient oublier les horreurs de la première guerre mondiale et ne pas envisager qu’il pourrait y en avoir une seconde.
Un Goncourt 1911 bien plaisant à lire, aux métaphores souvent originales et au vocabulaire parfois agréablement vieillot : « L’unique étage s’allongeait sous la carapace ensellée d’une haute et molle toiture, dont l’ardoise, niellée de verdures et de lichens safranés, venait faire visière sur des fenêtres à petits carreaux ; et les murailles étaient tout à fait de la couleur des vieux chemins ».
Le Goncourt 1907 n’est pas tout à fait le vrai Goncourt de l’année. C’est Jean des Brebis ou le Livre de la Misère qui avait été élu, mais les jurés se sont aperçus que celui-ci, paru en 1904, n’obéissait pas à un impératif des frères Goncourt : donner leur prix à un ouvrage sorti dans l’année. Ils se sont alors reportés sur Terres Lorraines, du même Moselly, en attribuant le prix aux deux ouvrages.
Le prix Goncourt 2003 est un portrait de femme, mais au bout des trois cent pages, Maria Eich garde largement ses mystères pour elle. Qu’est-ce qui a décidé vraiment cette jeune actrice à espionner, pour le compte de la Stasi, le dramaturge Bertold Brecht, en devenant sa maîtresse ? Réelle admiration pour le « Maître » ou rachat politique auprès des autorités de la R.D.A. pour avoir eu pour père et pour mari des nazis partis à l’étranger ? Ou peut-être encore pour l’obtention de facilités pour rendre visite à sa fille, à Berlin Ouest ?
Inspiré notamment du livre de David Foenkinos, ce très beau spectacle met en scène la courte vie de Charlotte Salomon, artiste peintre
Vite lu, le Goncourt 1994. C’est d’abord un roman court, et puis le lecteur ne perd pas de temps à s’installer dans une ambiance qui pourrait le déstabiliser pour l’amener sur les rivages d’une littérature de la rêverie. Les choses y sont ce qu’elles sont, les personnages, certes originaux, sont fabriqués de morceaux de stéréotypes. C’est l’humour qui fait tenir une histoire aussi errante que celle que vivent les personnages.