René l'énervé au Théâtre du Rond-Point

René l'énervé, opéra bouffe de Jean-Michel RibesOpéra-bouffe, définition : opéra dont les personnages et le sujet sont empruntés à la comédie.
Illustration : René l’énervé ou comment Jean-Michel Ribes pris de malaise depuis plusieurs années "face à la gouvernance de notre pays et de la politique en général" écrit un spectacle enjoué pour dénoncer, rire et faire rire de l’univers politique actuel, bref produire, ainsi qu’il le déclare "une réponse drolatique à ce que j’ai souvent vécu comme une agression de la part de nos gouvernants".

Le spectacle ne fait en rien mentir l’intention du directeur du Théâtre du Rond-Point.

Vingt-et-un interprètes, comédiens-chanteurs plutôt brillants, y assument chacun trois rôles en moyenne, parfois plus, accompagnés par l’orchestre de Reinhardt Wagner, le tout mené avec entrain et bonne humeur.

René est l’épicier agité qu’un jour la majorité désigne homme providentiel pour gagner l’élection présidentielle et emporter tout et tous sur son passage.
Hurtzfuller est son conseiller de tous les instants, un peu excité par l’étranger et prompt à pousser toujours plus haut le ministère des hautes frontières. Ginette et Gaufrette sont les deux opposantes (et souvent opposées) du parti des Progressistes ; Caramella est l’épouse de René qui finit par craquer et se casser ; Bella Donna est la suivante, présentée par l’obséquieux, rusé et inoxydable Jessantout. Nous avons aussi trois nouveaux philosophes, plus préoccupés de télégénie que de pensée, des membres du parti aux noirs brassards Les Cons de la Nation, sans compter quelques écolos vite acquis, un humoriste du genre épais et un Ministre de la tête droite et du menton en l’air…

René l'énervé au Théâtre du Rond-PointIls y sont tous et toute ressemblance avec des personnages connus est parfaitement réussie. Le spectacle passe en revue tous les grands moments de l’actualité "politique" de ces cinq dernières années et n’épargne personne, à droite comme à gauche.

Certes, les ficelles sont parfois grosses et la tonalité assez potache, mais il n’empêche que c’est très bien vu. Les clins d’œil et les jeux de mots s’enchaînent, le rythme général est soutenu ; les idées de mise en scène, les décors et les costumes sont efficaces ; la musique est variée et très plaisante.
C’est donc un très bon moment de divertissement, mais qui n’exclut pas un léger malaise quand le rideau tombe et qu’une question nous assaillit : mais dans quel état de "misère" sommes-nous rendus pour avoir à ce point besoin d’un tel spectacle, pour rire de "ça" ?

René l’énervé
Écrit et mis en scène par Jean-Michel Ribes
Sur une musique de Reinhardt Wagner
Avec Sophie Angebault, Caroline Arrouas, Camille Blouet, Sinan Bertrand, Gilles Bugeaud, Claudine Charreyre, Benjamin Colin, Till Fechner, Emmanuelle Goizé, Sophie Haudebourg, Sébastien Lemoine, Jeanne-Marie Lévy, Thomas Morris, Antoine Philippot, Rachel Pignot, Alejandra Radano, Guillaume Severac-Schmitz, Fabrice Schillaci, Gilles Vajou, Jacques Verzier, Benjamin Wangermée
Théâtre du Rond-Point
Salle Renaud-Barrault – 2 bis, av. Franklin D. Roosevelt Paris 8°
A 21 h, le dim. à 15 h, durée 2 h 30 entracte compris
Places de 16 € à 34 €
Jusqu’au 29 octobre 2011

Photos © Giovanni Cittadini Cesi

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Festival d'Automne à Paris : ça va démarrer !

Le 40ème festival d'Automne à ParisA l’heure où l’on quitte, gonflé de regrets, ses vagues, ses cimes et ses feuillages, d’autres font chauffer les salles parisiennes pour nous préparer une rentrée tout en douceur : c’est l’équipe du Festival d’Automne qui, pour sa 40ème édition, nous a concocté cette année encore un programme aussi riche que pointu.
Plus de 60 propositions de théâtre, danse, musique, arts plastiques et cinéma nous feront sortir dans de multiples lieux parisiens et franciliens du 15 septembre au 31 décembre.

Comme à l’accoutumée, le 104, le Centre Pompidou, la Cité de la Musique, les théâtres de la Bastille, de la Ville et du Rond-Point, pour n’en citer que quelques uns accueilleront artistes renommés et nouveaux talents venus d’un peu partout dans le monde.

C’est le moment d’ouvrir grand ses yeux, de feuilleter le programme en ligne et de faire sa sélection : des chorégraphes américains aux dramaturges argentins, en passant par la musique mexicaine et les grandes scènes européennes, il y en a pour tous les goûts. Ce sera par exemple l’occasion de découvrir la compagnie DV8 (Dance & Vidéo 8) qui sous l’impulsion de Lloyd Newson agite la scène anglaise depuis 25 ans (théâtre de la Ville du 28 septembre au 6 octobre), ou encore de retrouver le danseur Sud-Africain Steven Cohen (déjà venu au Festival présenter Golgotha en 2009) avec sa pièce The Cradle of Humankind, un lien noué entre l’art contemporain et les origines de l’Homme, la danse faisant ici une incursion du côté des peintures rupestres… (Centre Pompidou du 26 au 29 octobre).

Autre bonne nouvelle, chers lecteurs, dès 3 spectacles réservés – au lieu de 4 – le Festival d’Automne offre aux lecteurs de maglm le tarif abonnés !
Pour en profiter, il suffit de cliquer sur le lien ci-dessous et de se laisser guider. Vous pouvez aussi réserver par téléphone, en précisant que vous êtes lecteur de maglm. Tout simplement !
Très beau Festival et très bel Automne à tous !

Programme, les dates, les lieux : tout savoir sur le Festival

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Ou par téléphone au 01 53 45 17 17 du lun. au ven. de 12h à 19h, sam. de 13h à 17h

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Pieds nus, traverser mon cœur. Michèle Guigon

Michèle Guigon, Pieds nus traverser mon coeurPour son quatrième solo, voici une Michèle Guigon effectivement pieds nus sur scène, au propre comme au figuré ; une Michèle Guigon désarmée, au sens le plus noble, pacifique du terme.

Elle a lutté contre la maladie, expérience qu’elle évoquait, entre crudité et pudeur, de façon très touchante dans son précédent spectacle La vie va où ?, joué 8 mois à Paris, au Lavoir Moderne Parisien, au Lucernaire puis au théâtre du Rond-Point, et dont la tournée continue (le texte est désormais édité en livre CD chez Camino Verde).

Après le combat et la peur, Michèle Guigon veut désormais passer à autre chose, ce qu’elle explique à son public (fidèle) et montre avoir parfaitement réussi. Elle traverse son cœur pour découvrir et faire partager ce qu’il contient : beaucoup d’amour.
Elle raconte son mauvais caractère et comment elle a réalisé à quel point elle pouvait se montrer meilleure.
Ce bien joli chemin, c’est peut-être à travers le deuil de ceux qu’elle a le plus aimés, ses parents, qu’elle peut enfin le suivre tranquillement.

Elle a ainsi compris pourquoi, alors qu’elle était tout enfant, son père qui avait perdu son propre père exécuté par la Gestapo, l’a emmenée voir un camp de concentration pour lui montrer de quoi l’homme était capable. Sa mère recueillant sa fillette effrayée par ce qu’elle voyait et entendait avait alors dit à son mari : "Mais tu es fou !". Michèle Guigon sans se départir de son merveilleux sourire conclut : "Oui, il était fou, il était fou de douleur", avant d’ajouter : "On est tous fous de douleur quelque part".
C’est parce que son père n’avait jamais trouvé les mots pour parler de ce tragique épisode qu’il l’avait conduite devant les douches funestes.

Les mots, Michèle Guigon, elle, les chérit, les tourne dans tous les sens comme un joailler ses pierres précieuses. Et cela s’entend : ce spectacle est magnifiquement écrit (à quatre mains, avec son amie et complice de travail Susy Firth). C’est un petit bijou de délicatesse, d’élégance, de profondeur, de sagesse et, par la grâce de ces plumes inspirées, tout autant de légèreté.
Car Michèle Guigon ponctue cette façon de récit autobiographique de délicieux aphorismes qui, comme il se doit, disent juste tout en provoquant irrésistiblement rires et sourires. On n’en livrera ici aucun, tant doit rester entier le plaisir de les découvrir de la bouche de Michèle Guigon, cette artiste qui s’espère un peu poète – on la rassure – et trouve ainsi le moyen de transformer la douleur. En voici la preuve avec cette très poignante chanson que Michèle accompagne du souffle doux de l’accordéon :

Dis Maman
Cette cloche qui sonne le glas Maman
Voilà qu’aujourd’hui c’est pour toi Maman
Tu vas connaître l’Au Delà Maman
Peut-être tu me raconteras
(…)
Dis Maman
Maint’nant que t’as laissé ta place Maman
Je me prends le vent de pleine face Maman
J’sais pas toujours ce qu’i’faut qu’j’fasse Maman
Dis Maman
Cett’ vie qui coule entre nos doigts Maman
T’a permis de m’élever deux fois Maman
La premièr’ quand j’étais enfant Maman
Et la seconde maintenant

Pieds nus, traverser mon cœur
Texte Michèle Guigon et Susy Firth
Mise en scène Anne Artigau
Théâtre du Lucernaire
53, rue Notre-Dame des Champs 75006 Paris
Jusqu’au 23 octobre 2011
Du mardi au samedi à 20h, et à partir du 11 septembre, les dimanches à 17h
Durée 1 h 15
Places 30 € (TR à 15 € et 25 €)

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Un fil à la patte. Jérôme Deschamps

Un fil à la patte, Feydeau, Jérôme DeschampsPourquoi évoquer aujourd’hui un spectacle dont les représentations se sont achevées (à guichets fermés) le 18 juin dernier ?

D’abord, parce qu’on ne peut résister au plaisir de faire partager la joyeuse soirée passée en compagnie de la troupe du Français dirigée par Jérôme Deschamps – qui fut d’ailleurs lui-même dans les années 1970 pensionnaire de la Comédie-Française avant de créer les Deschiens – dans cet inoxydable texte de Georges Feydeau.

Mais surtout, pour signaler que la pièce sera à nouveau donnée dans la salle Richelieu en décembre 2011, avant d’être reprise à l’été 2012.

Dans les vaudevilles de Feydeau, c’est bien connu, tout est affaire de rythme. La situation de départ est classique – ici un Bois d’Enghien désargenté sur le point de faire un mariage de fortune, qui ne sait comment rompre avec sa maîtresse Lucette Gautier, chanteuse de café-concert très éprise.
Mais très vite, l’intrigue se complique de péripéties qui viennent bousculer tant et plus la narration, jusqu’à ne plus savoir, à la fin, comment on en est arrivé là.

Ce rythme trépidant, la mise en scène de Jérôme Deschamps l’imprime parfaitement et l’implacable mécanique roule à merveille.
Quant aux comédiens du Français, ils ont leur très large part dans ce succès. La distribution est parfaitement en place – on a pu entendre des réserves sur Hervé Pierre dans le rôle de Bois d’Enghien à la création de la pièce, mais c’était en décembre dernier et depuis, après plus de six mois de représentations, l’on voit un comédien des plus à son aise dans la puissance comique du Fil à la patte.
Evidemment, c’est Christian Hecq (justement récompensé du Molière du Meilleur comédien 2011) qui remporte les suffrages, mesurés aux éclats de rire et aux applaudissements pendant le spectacle. Jouant de son corps d’une façon étonnante, il fait du rôle de Bouzin – clerc de notaire mesquin et étriqué, à ses heures auteur de pauvres chansons et bouffi de prétentions – le bouffon qui sur scène exaspère son monde et dans la salle dynamite le public.
Florence Vial est une Lucette Gautier délicieuse du naturel qui est le propre du rôle. Ses comparses ne sont pas en reste, que ce soit Dominique Constanza en Baronne qui ne s’en laisse guère conter, mère de la future mariée, ou celle-ci, interprétée par Giorgia Scalett avec tout le mélange de lucidité et de naïveté requis, ou encore Guillaume Galienne, irrésistible en Miss Betting.
Les décors, classiques et lumineux sont tout à fait propos, alors que les costumes – robes longues froufroutantes pour ces dames – achèvent de nous plonger dans la gaité et la frivolité de la Belle Epoque.

Un fil à la patte
de Georges Feydeau
Mise en scène Jérôme Deschamps
Avec Hervé Pierre, Florence Viala, Dominique Constanza, Christian Hecq, Thierry Hancisse, Georgia Scalliet, Guillaume Galienne, Claude Mathieu
Comédie Française
Salle Richelieu – Place Colette 75001 Paris
Du 2 décembre 2011 au 1er janvier 2012 puis du 26 juin au 22 juillet 2012
La pièce a été diffusée le 22 février 2011 en direct sur France 2

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Mille francs de récompense au Théâtre de l'Odéon

Mille francs de récompense mis en scène par Laurent Pelly

Alors que les feux sont braqués sur les écrans cannois, il se passe en ce moment sur les planches parisiennes un grand moment de théâtre, un de ces spectacles intelligents et populaires que l’on attend longtemps et ne vit que trop rarement.

Le texte a près de 150 d’âge et n’est presque jamais joué. Son auteur est pourtant illustre, mais allez savoir pourquoi cette pièce écrite par Victor Hugo en 1865 n’a été éditée qu’en 1934 et montée pour la première fois… en 1961.
Et elle a en tout cas gardé toute sa fraîcheur.

C’est à Laurent Pelly que l’on doit la grâce de (re)découvrir cette œuvre, avec un travail de mise en scène des plus réussis.

Dans cette vaste pièce trépidante, qui tient en quatre actes comme autant d’épisodes d’un feuilleton illustré, l’on croise un député qui parle davantage de finance que de politique, un nouveau riche dégoulinant de vanité qui retourne sa veste à chaque changement de régime, méprisant avec les faibles et obséquieux avec les puissants, un homme né dans le ruisseau qui a tâté trois ans de cachot pour douze sous de forfait et dort depuis à la belle étoile, une fausse veuve-vraie fille, une demoiselle aussi pauvre qu’amoureuse, un huissier vendu au plus offrant, un grand-père malade, musicien, aimant et faussement italien, sans compter un richissime banquier prétendument espagnol et un juge de bois vert…
Avec tout ça, une vraie intrigue, qui tourne autour de mille francs de récompense pour quatre mille à retrouver, mais pour mieux accompagner les véritables questions de la pièce, qui sont celles de la dissimulation, de l’identité et de la fidélité.

La pièce est merveilleusement écrite, pleine d’humour notamment grâce au personnage du vagabond Glapieu qui se fait aussi observateur et commentateur de l’histoire. Victor Hugo, défenseur de la liberté, de l’honneur, du pauvre, de la veuve, du vieux, de la fille et de l’orphelin, y dresse un formidable tableau social du Paris sous la Restauration… dans lequel, hélas, le spectateur de 2011 trouvera bien des thèmes d’actualité.

Ce qu’en fait Laurent Pelly est formidable, à la fois respectueux de l’époque à travers des costumes et des décors impeccables, évitant la surcharge du XIXème dans le premier acte – idée géniale de figurer l’appartement et ses annexes en décor filaire -, faisant tomber la neige nocturne du 2ème sur un somptueux décor, et capable de faire ressortir la modernité de la pièce grâce à un rythme et une direction d’acteurs des plus justes. Tous les comédiens excellent, qui dans l’humour, qui dans l’émotion la plus touchante, tout en mettant en évidence ce que la pièce a de plus classique : cette variété de mensonges petits et grands, bien et mal fondés, ce jeu permanent et cette hypocrisie qui donnent à la vérité toute sa valeur…

Mille francs de récompense
De Victor Hugo
Mise en scène Laurent Pelly
Théâtre de l’Odéon
Jusqu’au 5 juin 2011
Dramaturgie : Agathe Mélinand
Scénographie : Chantal Thomas
Costumes : Laurent Pelly
Lumières : Joël Adam
Son : Aline Loustalot
Avec Vincent Bramoullé, Christine Brücher, Emmanuel Daumas, Rémi Gibier, Benjamin Hubert, Jérôme Huguet, Pascal Lambert, Eddy Letexier, Laurent Meininger, Jean-Benoît Terral, Émilie Vaudou, avec la participation de François Bombaglia
Durée : 3h15 avec un entracte
Places : 10 euros à 32 euros

Créé le 14 janvier 2010 au TNT – Théâtre national de Toulouse Midi-Pyrénées, production TNT – Théâtre national de Toulouse Midi-Pyrénées

photo © Polo Garat-Odessa

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L’art d’être grand-père de Victor Hugo au Lucernaire

L'art d'être grand-père, Victor Hugo, par Vincent ColinVincent Colin a adapté, pour mieux les mêler, deux textes qui se répondent tendrement : celui de Victor Hugo, L’art d’être grand-père, ouvrage poétique de 1877, et celui de Georges, son petit-fils, qui a publié un texte de souvenirs de son aïeul en 1902.

A la mort prématurée de son fils Charles, Victor Hugo joue auprès de ses petits-enfants Jeanne et Georges à la fois le rôle de père et celui de grand-père. Surnommé par eux "Papapa", il en était totalement gâteau. Il leur racontait des histoires, dessinait pour eux des petites images qu’il leur donnait à titre de bon point, imitait les animaux, les promenait en forêt, et même essayait de leur décrocher la lune… Eux l’adoraient, ravis de trouver en cet adulte impressionnant un fidèle complice.

Ce lien magnifique, le travail de Vincent Colin le fait merveilleusement revivre, notamment grâce à un Albert Delpy étonnant de justesse dans sa barbe blanche et son ventre convexe : ses yeux roulent de malice, son sourire n’est que tendresse, sa voix veloutée se fait l’écrin idéal pour restituer la beauté des vers de Hugo.
Évoquant les souvenirs des enfants, la pétillante Héloïse Godet lui rend la réplique avec bonheur, tour à tour boudeuse, espiègle ou bondissante.
Dans un dispositif scénique très simple, le caricaturiste Victor Hugo est mis à l’honneur, quand, à d’autres moments, le même rond de lumière se prête aux jeux d’ombres chinoises pour mieux illustrer "le souvenir"…
Tout en émotions, voici un bel exemple de mise en scène de la poésie très réussie.

Extrait (La sieste) :

Elle fait au milieu du jour son petit somme ;
Car l’enfant a besoin du rêve plus que l’homme,
Cette terre est si laide alors qu’on vient du ciel !
L’enfant cherche à revoir Chérubin, Ariel,
Ses camarades, Puck, Titania, les fées,
Et ses mains quand il dort sont par Dieu réchauffées.
Oh ! comme nous serions surpris si nous voyions,
Au fond de ce sommeil sacré, plein de rayons,
Ces paradis ouverts dans l’ombre, et ces passages
D’étoiles qui font signe aux enfants d’être sages,
Ces apparitions, ces éblouissements !
Donc, à l’heure où les feux du soleil sont calmants,
Quand toute la nature écoute et se recueille,
Vers midi, quand les nids se taisent, quand la feuille
La plus tremblante oublie un instant de frémir,
Jeanne a cette habitude aimable de dormir ;
Et la mère un moment respire et se repose,
Car on se lasse, même à servir une rose.
Ses beaux petits pieds nus dont le pas est peu sûr
Dorment ; et son berceau, qu’entoure un vague azur
Ainsi qu’une auréole entoure une immortelle,
Semble un nuage fait avec de la dentelle ;
On croit, en la voyant dans ce frais berceau-là,
Voir une lueur rose au fond d’un falbala ;
On la contemple, on rit, on sent fuir la tristesse,
Et c’est un astre, ayant de plus la petitesse ;
L’ombre, amoureuse d’elle, a l’air de l’adorer ;
Le vent retient son souffle et n’ose respirer.
Soudain, dans l’humble et chaste alcôve maternelle,
Versant tout le matin qu’elle a dans sa prunelle,
Elle ouvre la paupière, étend un bras charmant,
Agite un pied, puis l’autre, et, si divinement
Que des fronts dans l’azur se penchent pour l’entendre,
Elle gazouille… — Alors, de sa voix la plus tendre,
Couvrant des yeux l’enfant que Dieu fait rayonner,
Cherchant le plus doux nom qu’elle puisse donner
À sa joie, à son ange en fleur, à sa chimère :
— Te voilà réveillée, horreur ! lui dit sa mère.

L’art d’être grand-père
Textes de Georges et Victor Hugo
Le Lucernaire
53, rue Notre-Dame- des-Champs – Paris 6°
Du mardi au samedi à 20 h et dimanche 17 h
Compagnie Vincent Colin, adaptation et mise en scène : Vincent Colin
Avec Albert Delpy et Héloïse Godet
Scénographie : Marie Begel
Lumières : Alexandre Dujardin, costumes : Cidalia Da Costa
Durée : 1h10
Places : de 15 à 30 €
Jusqu’au 8 mai 2011
Texte publié aux Ed. de L’Harmattan

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Comment s'en sortir dans la vie avec une mauvaise étoile ?

Comment s'en sortir dans la vie, Melo d'Amelie La question est plutôt : comment passer une bonne soirée à rire de bon cœur en ce moment à Paris ?
En allant voir la dernière pièce de Jean-Christophe Barc, truffée de calembours et de bons mots "à l’ancienne" qui marchent formidablement bien, et drôlement interprétée par deux comédiens très convaincants.

L’histoire ? Dans l’entrepôt de stockage d’un magasin de grande distribution au fond d’une très provinciale province, Patrick Martin s’acquitte scrupuleusement de sa tâche : le rangement des cartons. On comprend vite qu’il est là au maximum de ses possibilités, c’est un ancien flic à qui une balle perdue reçue dans le crâne a laissée quelques cases manquantes. Il est joué par Dominique Bastien, hilarant en neu-neu dès les premières minutes.
Arrive un deuxième Patrick Martin, lui a encore toute sa tête, mais a aussi perdu quelque chose : sa splendeur passée d’animateur vedette de la "tévé", comme il dit, aujourd’hui rendu à de pauvres animations de supermarchés. Obligé de se changer entre les cartons, il fait la connaissance de notre simplet, et réciproquement.

Sur ce fond de back-office ordinaire des grands magasins (qui ne manque pas de sel), on assiste à la découverte de deux hommes aux tempéraments opposés, l’un humble, l’autre bouffi de prétention, mais qui ont en commun d’avoir connu la lumière avant de se retrouver dans les "arrière-cours".
La pièce a quelque chose d’intemporel, une force comique qui repose sur un duo improbable, des quiproquos et des jeux de mots savoureux. C’est très efficace et couronné comme les fables d’une jolie morale : le plus lucide n’est pas toujours celui que l’on croit…

Comment s’en sortir dans la vie avec une mauvaise étoile ?
Une comédie de Jean-Christophe Barc
Mise en scène par Jean-Christophe Barc
Avec Dominique Bastien et Jean-Christophe Barc ou Thierry Liagre
Le Mélo D’Amélie
4, rue Marie Stuart – 75002 Paris
M° Etienne Marcel, Sentier ou Châtelet-Les Halles
Du mardi au samedi à 20 h, matinée le samedi à 17 h 30
Durée 1 h 25

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Romain Duris, Chéreau, Koltès

La nuit juste avant les forêts, Duris, Chéreau, Koltès

On connaissait l’excellent acteur de cinéma, on découvre un extraordinaire comédien de théâtre : Romain Duris fait sa première apparition sur les planches avec La nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès, mise en scène par Patrice Chéreau, montée au Louvre à l’automne et donnée jusqu’au 20 mars au théâtre de l’Atelier.

La pièce est un long monologue, entre récit, discours de révolte et litanie. Un texte qui respire peu, oppressant, difficile. Ce qu’en fait Romain Duris est proprement époustouflant : il devient cet homme dont on ignore l’âge mais que l’on sait usé, qui vit dans la rue, qui est "un peu" étranger, qui a travaillé mais ne travaille plus, refuse l’usine et la domination, qui a connu la guerre et les sombres forêts, subi le racisme et la violence, connu la douceur et la sait dangereuse, s’est blindé petit à petit, ou plutôt a essayé, entretient l’espoir d’un monde meilleur, d’une société plus solidaire.

De l’abattement sur son lit d’hôpital où il est allongé au début de la pièce, il se trouve progressivement, très progressivement, tiré par des moments d’espoir ou de colère. L’on suit cette évolution, happé par la voix, le regard, le corps de Romain Duris. L’incarnation est totale, le travail sur le corps – où l’on retrouve bien la signature de Patrice Chéreau – très convaincant. Vers la fin, il est débout, mais baisse lentement la tête ; en un instant, après l’animation qui l’a soulevé, l’on découvre toute la tristesse de cet homme : en quelques mots, en un geste, éclate sous nos yeux son désarroi profond, et qui soudain ne semble avoir d’autre nom qu’humiliation. Stupéfiant, et bouleversant.

La nuit juste avant les forêts
De Bernard-Marie Koltès
Avec Romain Duris, mise en scène de Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang
Jusqu’au 20 mars
Du mercredi au samedi à 19 heures
Durée 1 h 20
Théâtre de l’Atelier
1, place Charles Dullin – Paris 18°
Places de 15 € à 30 €

© Pascal Victor

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Harper Regan au Théâtre du Rond Point

Harper Regan, Simon Stephens, Théâtre du Rond-PointCe qui se passe au Théâtre du Rond-Point est à ne rien y comprendre. Après avoir vu, au cours de ces dernières saisons, la salle Renaud-Barrault pleine à craquer s’esclaffer à la moindre réplique à peine digne d’un comique troupier, après avoir été tirée d’un profond sommeil par les délirantes ovations mettant un terme à des représentations d’un incommensurable ennui, voici que, ce jeudi 27 janvier, face à un spectacle de très grande qualité, la salle n’était pleine qu’à moitié, arrivée visiblement froide et repartant tout juste tiédie. Insondable mystère !

Simon Stephens, dramaturge britannique de 40 ans, est l’auteur d’une quinzaine de pièces. Depuis la première en 1998, Bluebird, un grand nombre d’entre elles ont été récompensées en Grande-Bretagne. Celle-ci, créée en Londres en 2008, puis en Israël et aux Etats-Unis, avant d’être produite en France, donne envie de suivre le nom de Simon Stephens.

L’histoire ? En scène d’ouverture, une femme d’une petite quarantaine d’années, assise en train de fumer, demande à un grand monsieur bedonnant à chemise rayée l’autorisation de s’absenter quelques jours pour aller voir son père plongé dans le coma. Le patron refuse, semble vouloir éviter de creuser le sujet, digresse longuement. Elle, malgré une certaine réserve, répond avec naturel. Elle est Harper Regan, interprétée par Marina Foïs, à qui son père a donné son prénom en hommage à Harper Lee, l’auteur de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur.

Dès les premières secondes, la présence de Marina Foïs laisse coi. Corps, regard, voix : tout y est ; elle incarne Harper avec une présence incroyable et la fascination va durer tout au long des 2 h 10 que dure la pièce.
Fin de la première scène, noir, le plateau tourne, et on retrouve Harper qui aborde un adolescent au bord du canal, parle de sa vie, de sa fille, de son mari, de son père.
Un peu plus tard, on découvre le mari (Louis Do de Lencquesaing) faisant réciter son cours de géologie à sa fille Sarah – Alice de Lencquesaing, jouée par la propre fille de Louis-Do (1). Harper rentre, conversation à trois. Comme au bureau, on sent Harper à la fois très à sa place, et en même temps coincée par son entourage, peut-être pas si bien en place que cela. Comme s’il y avait un trop-plein, ou peut-être quelque chose d’avalé de travers. Malgré le sourire d’Harper, la légèreté de ton, on sent une inquiétude profonde.

On suit Harper au fil de ses rencontres, un inconnu dans une chambre d’hôtel, les retrouvailles avec sa mère. Petit à petit son histoire se dessine, s’éclaire, au fil de dialogues simples et bien ficelés.
Le dispositif scénique, un plateau tournant, s’appuie sur des décors de verre et des meubles sobres, un éclairage choisi et efficace. Tout est fluide, évident. La distribution est très homogène, impeccablement dirigée. Quatre, dont le grand Gérard Desarthe, jouent plusieurs personnages avec un talent égal.

Que demander de plus ?
Un public plus fourni pour accueillir comme elle le mérite cette pièce contemporaine très juste, mise en valeur sans tapage par la vision claire de Lukas Hemleb et ses merveilleux comédiens.

Harper Regan
de de Simon Stephens
Mise en scène Lukas Hemleb
Avec Caroline Chaniolleau, Gérard Desarthe, Marina Foïs, Alice de Lencquesaing, Louis Do de Lencquesaing, Pierre Moure
Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris
Salle Renaud-Barrault
A 21 h, le dimanche à 15 h
Jusqu’au 19 février 2011

(1) Mia Hansen-Love avait déjà réuni père et fille au cinéma en 2009 dans Le père de mes enfants

Photo © Giovanni Cittadini Cesi

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Rêve d'automne. Jon Fosse

Rêve d'automne de Jon Fosse, par Patriche Chéreau

Drôle de pièce que ce Rêve d’automne du Norvégien Jon Fosse, mise en scène par Patrice Chéreau, d’abord donnée en novembre au Musée du Louvre, puis actuellement au Théâtre de la Ville.
Le dispositif scénique y reprend le décor du Louvre : grandes et hautes salles aux murs rouges hantées de sombres tableaux.
L’unité de lieu de la pièce est un cimetière ; sa transposition dans le vieux musée, propice à la déambulation, aux voyages dans le passé et à la célébration des morts que sont les peintres est plutôt une bonne idée, respectueuse du propos du texte.

Malgré tout, le spectacle laisse une impression mitigée ; un balancement que le temps laisse finalement en suspens. Ce rêve fascine et ennuie à la fois. Le texte est peut-être ainsi, répétitif au point de lasser, alors qu’il exprime en même temps des sentiments très forts. Une sorte de petite musique lancinante, qui vient battre la mesure ancienne, inlassable, de la mort qui rôde, des disparus menacés d’oubli, des désirs inassouvis, inavoués, indicibles, des relations familiales entêtantes, de la fausse liberté et, surplombant le tout, de la culpabilité.

Pour servir ce texte, Chéreau a choisi Pascal Greggory et Valeria Bruni-Tedeschi dans les rôles centraux de l’Homme et de la Femme, Bernard Verley et Bulle Ogier dans celui des parents, l’émouvante Marie Bunel jouant le rôle secondaire de la première épouse. Peut-être ces choix n’étaient-ils pas tous les meilleurs. Valeria Bruni-Tedeschi est parfaite (une fois définitivement acceptée sa voix de crécelle) et Bulle Ogier va très bien, avec tout l’allant qu’on lui connaît. En revanche, Pascal Greggory n’enchante guère et semble manquer de fraîcheur pour jouer ce rôle d’un homme de quarante ans.

Si l’ensemble reste du bel ouvrage, précis et bien huilé, Patrice Chéreau aurait peut-être dû préférer, à la direction d’acteurs tout en mouvements et en cris, un rythme plus posé et des voix plus profondes.
Peut-être aurait-on aimé retrouver l’intimité éprouvée à la lecture de la pièce, en particulier dans les scènes ou l’Homme et la Femme se retrouvent sur ce banc à la nuit tombée. Peut-être regrette-t-on, dans le fond, de n’avoir pu vibrer davantage.

Rêve d’automne
De Jon Fosse, mise en scène de Patrice Chéreau
Traduit du norvégien par Terje Sinding (pièce publiée chez L’Arche Éditeur)
Avec Valeria Bruni-Tedeschi, Pascal Greggory, Bulle Ogier, Bernard Verley, Marie Bunel, Michelle Marquais, Alexandre Styker
Décor : Richard Peduzzi, costumes : Caroline de Vivaise
Lumière : Dominique Bruguière, conception sonore : Éric Neveux
Théâtre de la Ville 2, place du Châtelet – Paris 4°
Jusqu’au 25 janvier 2010, puis en tournée
Du mardi au vendredi à 20 h 30, le dimanche à 15 h
Places de 24 € à 33 €

Création Théâtre de la Ville, avec le Festival d’Automne à Paris

Photo © Pascal Victor/Artcomart

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