On découvre en ce moment à Paris la dernière pièce de Yasmina Reza, créée en Allemagne et rodée en province avant d’y poursuivre sa tournée fin 2014-début 2015.
On se demande d’ailleurs si l’accueil est différent, dans ces villes de province, dont l’une d’entre elles – fictive en son nom ,Vilan-en-Volène, mais partout réelle – est le lieu de la pièce. Car dans la salle Renaud-Barrault du théâtre du Rond-Point à Paris, pourtant comble, le public est de bout en bout figé. Endormi ou pétrifié ? On l’ignore, mais cette sorte d’indifférence a du mal à s’expliquer tant la pièce, plus corrosive qu’elle n’y paraît, fait mouche. Et rire.
Yasmina Reza, qui assure également la mise en scène, y montre une écrivaine célèbre, Nathalie Oppenheim (Zabou Breitman) qui se rend à Vilan-en-Volène pour participer à une rencontre littéraire organisée en son honneur par Roland (Romain Cottard) jeune responsable culturel local. Nathalie est interviewée par Rosanna (Dominique Reymond), critique littéraire très en vue et originaire du bourg en question. Le maire (Michel Bompoil ce soir du 14) apparaît au moment du pot qui conclut la soirée. Quatre rôles aux dialogues ciselés que l’excellence de leur interprétation rendent délectables.
Tout dans le jeu des comédiens comme dans la mise en scène bien tenue contribue à la mise en relief de ce texte mordant. Car c’est la réalité que l’on croit voir en découvrant les joutes entre Rosanna la journaliste et Nathalie l’écrivaine. Rosanna apparaît en effet comme la star davantage que ne l’est l’artiste. Ou comment le brillant et le creux l’emportent sur la pensée et la création. C’est que, snob et suffisante, Rosanna veut avoir la vedette et ne s’en prive pas. Tics de langage en vogue (comme elle dit : « Nathalie Oppenheim, … », en accentuant le grave de sa voix, la virgule et le silence qui suivent…), prononciation prétentieuse (cette manière de dire « thriller » ou « Philip Roth »…), façon de regarder le public en coin pour créer avec lui une (fausse) complicité, détournement, en définitive, de l’interview pour en faire un moment d’auto-promotion de sa culture et de sa célébrité… Rosanna semble la parfaite synthèse de différentes personnes vues et entendues dans le monde médiatique réel.
En face d’elle, Nathalie, qui habituellement fuit les interviews et les causeries, est très mal à l’aise pour répondre aux questions de la journaliste de plus en plus agressive au fur et à mesure que l’écrivaine résiste en quelque sorte à l’exercice malgré sa bonne volonté de pour une fois s’y soumettre. Que ce soit pour lire un extrait de son livre, pour le commenter ou pour parler d’elle-même, on voit bien la vanité, voire pire, qu’elle trouve à tout cela (ne s’écrit-elle pas dans un moment de découragement « Chaque fois que je parle de mon livre je l’affaiblis ! »).
Entre les deux, Roland, l’animateur culturel, est moins snob que le départ le laisser présumer. Il apparaît comme une victime – mais encore vibrante d’authenticité – de la mode (de pensée comme syntaxique) culturelle actuelle dans son mouvement de décentralisation et de démocratisation : ce qui à Vilan-en-Volène peut paraître comme précieux et prétentieux n’est en réalité que la déclinaison locale et récente d’un snobisme centralisé et ancien. Car en réalité Roland est avant tout un amoureux des lettres, admirateur de Nathalie et de bien d’autres, poète à ses heures et passionné par son travail de médiateur. On peut dire qu’entre lui et Nathalie, la rencontre a vraiment lieu. Avec le maire aussi, d’une certaine manière, dont une forme de mélancolie rejoint la solitude de Nathalie. Il incarne le terrien qui se réclame du bon sens et du bien être de ses administrés, et dont la sensibilité à la littérature, réelle, ne veut s’étaler. Forme de pudeur, ou de timidité.
Mais c’est finalement une autre forme d’art, plus populaire, qui réunira tout le monde, un peu enivré, fatigué, las, peut-être aussi et surtout lucide et enfin décomplexé dès lors qu’il est mis à nu : la chanson « Nathalie » à quatre voix, achevée dans une désopilante chorégraphie. Qui a dit que la salle polyvalente de Vilan-en-Volène était sinistre ?
Comment vous racontez la partie
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt – Paris 8°
Jusqu’au 6 décembre 2014
Puis en tournée