Potiche. François Ozon

François Ozon, Potiche, Deneuve et Godrèche

Il faut voir Mme Suzanne Pujol – Catherine Deneuve – en survêtement rouge courant à foulées sages dans le parc, avant de rentrer non moins sagement servir le petit-déjeuner à son macho de mari, et encore en se faisant enguirlander pour avoir donné sa semaine à la femme de cuisine : voici une potiche de belle qualité, jolie, bien mise, souriante, dévouée, soumise sans état d’âme.

Et il faut voir la même, près de deux heures après, dans la scène finale du film : cheveux défaits, tailleur blanc et micro en main entonnant C’est beau la vie de Jean Ferrat (toute ressemblance avec une personnalité politique en vue ne pourrait être fortuite) : Suzanne vient d’être élue député et son sourire n’a plus rien de niais ; il est celui d’une femme épanouie, enfin rendue à elle-même.

Que de chemin parcouru ! Et avec quelle joie pour le spectateur !!
François Ozon a adapté la pièce écrite par Barillet et Grédy pour Jacqueline Maillan qui raconte comment, à la fin des années 1970, l’épouse d’un industriel, dont la vie se résume au foyer, aux enfants et à quelques pauvres poèmes, va se trouver, à l’occasion d’un conflit social, contrainte de prendre la tête de l’usine de parapluie de son époux. Et trouver là le commencement de sa réalisation et de son bonheur.

Le réalisateur de Huit femmes met les femmes une nouvelle fois à l’honneur, dirigeant ses comédiennes avec autant de soin qu’il les coiffe, les maquille et les habille. Catherine Deneuve est impressionnante : si son talent comique, ou pour jouer les maîtresses-femmes est plus qu’établi, la façon dont elle interprète la nigaude du début laisse admiratif. Il n’est pas donné à la première fine venue de composer, sans excès ni caricature, une potiche si juste.
Au plaisir du casting s’ajoute celui des répliques efficaces du boulevard dont certaines font mouche, sans compter celui de la reconstitution historique de ces années-là : costumes et décors, tout y est jusqu’aux chansons et à la R16 !
Il y a aussi l’émotion de retrouver le couple Depardieu-Deneuve ; et encore celle d’une certaine forme d’hommage au cinéma de Jacques Demy, avec l’explosion des couleurs et le ballet des parapluies, ou cette scène où Mme Pujol conseille sa fille, comme Madame Emery jouée par Anne Vernon, il y a quelques 45 ans, conseillait sa fille Geneviève, alors jouée par… Catherine Deneuve.

Potiche
Une comédie de François Ozon
Avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Fabrice Luchini, Karin Viard, Jérémie Renier, Judith Godrèche
Durée 1 h 43
Sorti en salles le 10 novembre 2010

Photo © Mars Distribution

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Michel Orion. Ferré, Baudelaire et moi

Michel Orion, théâtre l'Ile saint Louis Tant que les poètes sont là… novembre ne nous aura pas, ni décembre, ni aucune autre nuit, si ce n’est la nuit étoilée qu’évoque Michel Orion lorsque, sur le col de Vence où il a passé son adolescence, il a écouté Léo Ferré et s’en est trouvé marqué à jamais.

Ce souffle poétique, celui-là même dont le grand Léo parlait peu de temps avant sa mort pour désigner ce qui resterait alors de lui, "comme un vent…", Michel Orion le ravive, le soir venu, dans l’adorable théâtre de l’ïle Saint-Louis, sur le quai d’Anjou, une salle "très baudelairienne" pour reprendre ses mots.
Une quarantaine de places, un accueil discret et charmant, puis c’est piano-voix, chanson et poésie, et cela pourrait durer toute la nuit.

Michel Orion chante Ferré, Baudelaire, mais aussi des textes et des notes de sa plume. Il a aimé Erik Satie, Boris Vian et cela se sent. De Satie, il raconte qu’à la fin de sa vie, retiré à Arcueil, il n’ouvrait plus les lettres qu’il recevait, mais qu’en revanche il y répondait toujours : "Anar, mais poli" remarque-t-il pour conclure.
Avec lui, l’on se sent si proche de ces artistes, si familier de la poésie, que l’on se dit que Baudelaire, Ferré et les autres sont hors le temps. Ils résonnent aujourd’hui comme ils résonnaient hier. Et ils vivront encore longtemps, à cette seule condition, que l’on sait infiniment gré à Michel Orion de faire respecter : qu’on dise la poésie, la chante, l’écoute. Encore et toujours, comme une grâce que l’on veut bien s’accorder à soi.

Michel Orion
Ferré, Baudelaire et moi
Théâtre de l’île Saint-Louis Paul Rey
39, quai d’Anjou – 75004 PARIS
M° Pont Marie ou Saint-Paul
Du mardi au samedi à 21 h, le dimanche à 17 h
Jusqu’au dimanche 28 novembre 2010
Places 15 € (étudiants de moins de 25 ans : 10 €)
Réservations au 01 46 33 48 65

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The Social Network. David Fincher

The social network

Ce film procure une jubilation rare et entière : celle d’être comme une petite souris dans les coulisses du théâtre où est né le réseau planétaire réunissant, virtuellement, 500 millions d’individus : Facebook, valorisé, paraît-il, à 20 milliards de dollars. D’un côté, on parle de réseau social, de communauté humaine, d’un autre, on parle de gros, de très gros sous : toute l’ambiguïté de Facebook est là, et le film le montre magistralement.

En prenant l’angle (savoureux) du tribunal de conciliation visant à établir la part exacte de chacun dans la création du réseau, David Fincher, par flash-backs successifs, déroule l’histoire depuis son début.

La scène inaugurale annonce toute la suite. Mark Zuckerberg, étudiant à Harvard a une conversation avec sa petite amie ; elle finit par lui annoncer qu’elle le quitte. Les contours de Mark sont dès lors tracés : brillantissime, quasiment handicapé émotionnellement et extraordinairement assoiffé de reconnaissance sociale, déjà animé d’un désir de revanche. Il fait de son intelligence une arme redoutable, mettant en œuvre sa créativité, son audace, son opiniâtreté et son discernement dans le choix de ses complices au service de cette incroyable entreprise. Sa toile va très vite couvrir Harvard, puis les autres universités américaines, avant, tout aussi rapidement, de s’étendre au monde entier.
Le tout sans jamais sacrifier deux objectifs : que cela reste "cool" (= social, communautaire, sympathique) et, en même temps, que cela devienne grand, très grand : immense. Même si pour y arriver il faut au passage mentir, trahir ses amis et faire affaire avec les financiers de la Silicon Valley.
Avec sa narration efficace, ses rythmes alternés, ses gros plans édifiants, la mise en scène sert magnifiquement le propos, celui de la construction, brique après brique, d’un projet dont le dessin se décide au fur et à mesure, dans lequel Mark embarque sans états d’âme toutes les contradictions, et dont le résultat sera finalement à l’image de sa genèse : une histoire d’hommes, pour beaucoup dévorés d’ambition et de besoin de reconnaissance, à la fois amicale et minée de pièges. Comme ce tribunal de l’impossible conciliation où, malgré toute sa faconde et sa brillance, ce beau monde a du mal à dissimuler ses misères.

The Social Network
De David Fincher
Avec Jesse Eisenberg, Justin Timberlake, Andrew Garfield
Durée 2 h
Sorti en salles le 13 octobre 2010

Photo © Sony Pictures Releasing France

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Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants. Mathias Enard

Mathias Enard, Parle leur de batailles..., Goncourt des LycéensA l’heure où les prix littéraires tombent comme les feuilles arrachées par le vent de novembre, où l’on voit le jury du Goncourt récompenser l’auteur de sinistres romans, et applaudi en ce sens par des pelletés d’émerveillés, croyant découvrir le monde contemporain à travers l’œuvre de leur gourou atrabilaire, avec une complaisance pour son cynisme assez inquiétante, le temps et le besoin de lecture sont plus que jamais de saison.

A l’abri des bourrasques, l’on apprend avec joie que les jeunes aiment contempler de tout autres reflets : celui d’un excellent petit livre, ciselé comme une pierre précieuse, au merveilleux titre de Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants (1), pour lequel Mathias Enard, l’auteur de Zone vient de recevoir le Goncourt des Lycéens.
Sujet original, voyage dans le temps et l’Orient, écriture soignée et efficace, passion et sensualité, finesse et élégance : c’est l’anti-Houellebecq.

En 1506, Michel-Ange, blessé par la façon dont il est traité à Rome, impayé par le pape Jules II pour qui il travaille au tombeau de la future basilique Saint-Pierre, détesté de Bramante et de Raphaël, débordant de haine pour le vieux Léonard de Vinci, accepte l’invitation de Bajazet à Constantinople, où le sultan lui passe commande d’un pont sur la Corne d’Or.
Animé d’un orgueil démesuré, capable de travailler comme un fou, homme d’une austérité incroyable, effrayé par l’idée d’impuissance, menacé de précarité matérielle, Michel-Ange découvre Istanbul, déambule dans ses rues bruyantes avec le poète Misihi, hésite devant les tavernes, avant de se laisse gagner par l’ivresse, puis par les charmes d’une danseuse ambigüe.

Ce roman prend d’abord par ses mots, des mots étranges et séduisants comme les listes que celui qui n’a pas encore peint la voûte de la chapelle Sixtine dresse inlassablement sur son carnet :

"Son carnet, c’est sa malle.
Le nom des choses leur donne la vie.
11 mai, voile latine, tourmentin, balancine, drisse, déferlage. (…)
14 mai, dix petites feuilles de papier lourd et cinq grandes, trois belles plumes, un encrier, une bouteille d’encre noire, une fiole de rouge, mines de plomb, porte-mine, trois sanguines.
Deux ducats à Maringhi, ladre, voleur, étrangleur.
Heureusement, la mie de pain et le charbon sont gratuits."

Puis, c’est l’approche d’énigmatiques facettes de la vie et de la personnalité de l’un des artistes les plus admirés de tous les temps, c’est ensuite, dans ses pas, la découverte des mystères, des couleurs et des parfums de l’Orient, l’envoûtement délicieux d’une ville entre toutes étrangère, et c’est enfin, dans des passages magnifiques, l’explosion des sentiments mêlés qu’elle fait naître :

"Cette deuxième ivresse, celle de la douceur des traits, des dents d’ivoire entre les lèvres de corail, de l’expression des mains fragiles posées sur les genoux, est plus forte que le vin capiteux qu’il engloutit pourtant à pleines gorgées, dans l’espoir qu’on le resserve, dans l’espoir que cette créature si parfaite s’approche de lui de nouveau.
Ce qui se produit, et se reproduit entre chanson et chanson des heures durant jusqu’à ce que, vaincu par tant de plaisirs et de vin, le sobre Michelango s’assoupisse au creux des coussins, comme un enfant trop bien bercé."

Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants
Mathias Enard
Actes Sud, 156 p., 17 euros
23ème prix Goncourt des Lycéens

(1) Le titre est extrait du livre de Rudyard Kipling Au hasard de la vie : « Puisque ce sont des enfants, parle-leur de batailles et de rois, de chevaux, de diables, d’éléphants et d’anges, mais n’omets pas de leur parler d’amour et de choses semblables. »

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Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu. Woody Allen

Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, Woody Allen

"Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu", telle est l’une des nombreuses prédictions que Cristal fait à Helena, octogénaire désespérée d’avoir été abandonnée par son mari. C’est que le vieil homme, refusant les outrages du temps, a décidé de vire comme un trentenaire célibataire, prêt à accueillir, dans sa garçonnière flambant neuve, de jeunes beautés. Pendant ce temps, Helena s’accroche aux positifs oracles de Cristal, à son verre de scotch et à sa fille Sally. Celle-ci n’est pas des plus satisfaite non plus : son mari traînasse à la maison dans l’attente d’une hypothétique publication de son dernier roman et, alors que Sally voudrait fonder une famille, le ménage dépend encore financièrement d’Helena. Ce n’est que le début ; l’un après l’autre, chacun de ces quatre personnages va mettre les pieds dans une romance et les choses vont délicieusement se compliquer.

Avec son inénarrable sens du récit, Woody Allen fait avancer ces différentes histoires, qui toutes ensemble se tressent les unes aux autres, puisque au départ les quatre protagonistes sont bel et bien liés. A l’origine du méli-mélo dans lequel ils se jettent, il y a de la peur, de la tristesse et de l’ennui, mais que viennent chasser de fabuleuses lueurs d’espoir si ce n’est d’illusions.
Evidemment, à l’arrivée, il y aura des déceptions, voire des désillusions mais, curieusement, c’est Helena qui semble s’en sortir le mieux. Alors que, perdue, elle n’a rien voulu d’elle-même, remettant ses décisions aux bonnes divinations d’un médium de pacotille, elle trouve finalement la grâce sur son chemin… Un joli tour de plus joué par le cinéaste new-yorkais qui se moque avec tendresse des affres de la vieillesse, maltraite les hommes, aime toujours autant les femmes et, pour son quatrième film britannique n’a rien perdu de sa verve et de son désopilant sens de l’humour.

Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu (You Will Meet a Tall Dark Stranger)
Woody Allen
Avec Naomi Watts, Antonio Banderas, Josh Brolin
Durée 1 h 38

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Hélène Ventoura. Le dernier numéro

Hélène Ventoura, Le dernier numéro, LucernaireCes femmes qui font les clowns, elles ont vraiment quelque chose de singulier… elles créent des univers décomplexés, où elles abordent sans détour tout ce qui dérange.

On a beaucoup aimé Michèle Guigon dans La vie va où ?…, découverte au Lucernaire en 2008, qui ose parler du temps qui passe et de la maladie avec autant de franchise que de délicatesse.
On peut d’ailleurs aller l’applaudir à nouveau puisqu’elle joue ce spectacle en ce moment même et jusqu’au 14 novembre 2010 au Théâtre du Rond-Point.

A découvrir aussi actuellement, au Lucernaire, Hélène Ventoura, clown 100 % pur jus qui, le temps de ce spectacle court et surprenant joue des numéros inspirés du cirque et du cabaret d’artistes dont c’est… le dernier numéro. Sur ce fond triste au possible – c’est la grâce des farceurs de son espèce – Hélène Ventoura nous fait rire, avec des tours dérisoires, quelques accessoires, trois notes de musique… Douée d’un talent comique irrésistible, auquel s’ajoute l’assurance tranquille d’une Valérie Lemercier, elle parle de la mort d’une façon si cruelle qu’on on redemanderait ! Ce doit être aussi à cela qu’elles servent, nos belles et courageuses clowns…

Hélène Ventoura
Le dernier numéro
Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs – 75006 Paris
A 21 h, durée 1 h
Places à 15 € et 22 €
Jusqu’au 4 décembre 2010

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Au revoir Pays. Manufacture des Abbesses

Au revoir pays, Manufacture des AbbessesDécouverte, création, émotion. Tel est le cocktail qui vous attend avec Au revoir Pays, un spectacle à voir jusqu’à demain 31 octobre à la Manufacture des Abbesses à Paris.

L’on y découvre une jeune auteur, metteur en scène et comédienne particulièrement douée, Thiane Khamvongsa, dont Au revoir Pays est la première création ; mais aussi une autre comédienne formidable, Na-Bi Shin, au milieu d’une distribution parfois inégale mais pleine de charme.
Le texte est marqué du sceau de la sincérité, puisqu’il s’agit de la propre histoire de la famille de Thiane Khamvongsa, d’origine laotienne, née en 1981 dans un camp de réfugiés en Thaïlande.

En 1975, au Laos, l’arrivée au pouvoir des communistes a bouleversé la vie de cette famille, faisant fuir le fils aîné, enrôlant le cadet de 14 ans dans l’armée révolutionnaire, menaçant de prendre aussi la fille adolescente et envoyant le père qui avait servi dans l’armée royale en camp de redressement. Quand la mère apprend qu’elle est enceinte, elle convainc son époux de fuir le pays pour ne pas donner leur nouvel enfant au régime.
Abandonnant leur pays dans la douleur, les parents, le fils, la fille et le bébé finissent par arriver en France, un pays dont ils ignorent tout, à commencer par la langue et la culture.

Cette pièce bien fichue malgré un didactisme un peu trop systématique saisit le spectateur dès le début et ne le lâche pas d’une heure et demie. L’on s’attache très vite aux membres de cette famille, tant les personnages sont incarnés. On croit à leur histoire et elle nous émeut.
La mise en scène très simple, faite avec peu de moyens, porte la pièce avec une grande efficacité. Le talent des comédiennes jouant la mère – Thiane Khamvongsa – et la fille – Na Bi Shin – participe pleinement de l’agréable sentiment de justesse qui se dégage de ce spectacle fort mais jamais larmoyant, à la portée universelle.

Au revoir Pays
Auteur & metteur en scène : Thiane Khamvongsa
Assistantes à la mise en scène : Sophie O’Byrne & Charlotte Brédy
Avec Mathias Mégard, Thiane Khamvongsa, Fred Aklan, Na Bi Shin, Martin Nikonoff, Hugo Richet, Charlotte Brédy, Sophie O’Byrne
Du jeudi au samedi à 21h, le dimanche à 17h
Durée 1 h 30
Places 13 et 24 €
Manufacture des Abbesses
7 rue Véron 75018 Paris
Au revoir Pays a été récompensé du Prix Paris Jeunes Talents 2010

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Le Triptyque de Puccini à l'Opéra national de Paris

Philippe Jordan

Trois mots pour résumer ce spectacle, la première création de la saison de l’Opéra Bastille : très belles soirée.

Il Trittico est un ensemble de trois courts opéras d’une heure, que Puccini a composés pour être joués ensemble. Nécessitant beaucoup de chanteurs, il est rarement monté, et ne l’avait d’ailleurs pas été à Paris depuis près de vingt-cinq ans.

Ces trois pièces nous plongent dans des époques fort différentes. La première, Il Tabarro, se passe au début du XXème siècle sur une péniche à Paris, où l’infidélité de la femme du marinier conduit son époux à assassiner l’amant : c’est un mélodrame à l’intérêt narratif assez limité et d’humeur franchement sordide. La deuxième se passe au XVIIIème siècle, avec l’histoire tragique de Suor Angelica, fille de haut rang qu’un pêché de chair dont est né un enfant a conduit au couvent. Remontant encore le temps, Gianni Schicchi se passe au Moyen-Age à Florence, mais apparaît certainement comme la plus actuelle : il s’agit d’une farce, et les traits dont le personnage de Gianni Schicchi fait la satire – la cupidité et l’hypocrisie d’une famille endeuillée – sont bien éternels.

Du sombre Paris populaire d’il y a cent ans au flamboiement trompeur de l’Italie médiévale en passant par la cruelle clarté du couvent, les atmosphères se suivent et ne se ressemblent pas. Les décors portent ces ruptures – gris dans Il Tabarro puis blanc et bleu ciel d’un kitsch total dans Suor Angelica, rouge et noir enfin dans Gianni Schicchi – et ne dérangent pas.

Le reste est bien mieux que cela : une qualité vocale homogène, une direction d’acteurs des plus vivantes qui soutient la curiosité et le plaisir, et une direction musicale qui fait elle aussi ressortir les reliefs et les contrastes du Triptyque. Il est si merveilleux, après avoir commencé par le plus terne, de poursuivre dans l’émotion la plus bouleversante avant de finir dans l’amusement le plus débridé, digne de la Commedia dell’arte. Il est magnifique de vibrer sous la voix touchante de Tamar Iveri pour découvrir la douceur puis la douleur déchirante de Suor Angelica ; mais aussi de se laisser séduire par un autre inconnu, Saimir Pirgu dans le rôle du fiancé dans Gianni Schicchi, jeune homme à la voix très en place, puissante et suave, et au jeu d’acteur au plaisir communicatif – il faut dire qu’il s’agit pour ce ténor albanais de 29 ans de sa première distribution à l’Opéra de Paris.
Il est divin, enfin, d’écouter Puccini joué par l’orchestre à la fois posé et pétillant de Philippe Jordan, dont les mains sublimes qui s’agitent avec grâce constituent à elles-seules un spectacle chavirant.

Le Triptyque (Il Trittrico)
Trois opéras en un acte composés par Giacomo Puccini
Opéra national de Paris
Prochaines représentations les 25 et 27 octobre 2010
A 19 h, durée 3 h 45 avec 2 entractes
Places de 5 € à 180 €

Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène Luca Ronconi
Décors Margherita Palli
Costumes Silvia Aymonino
Lumières Gianni Mantovanini
Chef de Chœur Alessandro Di Stefano
Orchestre et Choeur de l’Opéra national de Paris
Maîtrise des Hauts-De-Seine / Choeur d’enfants de l’Opéra national de Paris
Décors et Costumes du Teatro Alla Scala, Milan
en coproduction avec Le Teatro Real, Madrid

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Le pavement de l'église San Michele à Anacapri

Pavement de majolique de l'église San Michele à Anacapri, CapriImaginez une petite église baroque au plan octogonal, dont le sol est entièrement couvert d’un pavement polychrome en faïence napolitaine.

Ce ravissement d’art presque naïf a été réalisé par Leonardo Chiaiese en 1761 à Naples.

Jaunes, verts, bleus, c’est une illumination de couleurs douces, dont on fait délicatement le tour sur un rebord de bois longeant les murs.
Les dessins se lisent aisément : ovins, bovins, cheval, licorne, dromadaire, singe, tigre et lion, mais aussi canard, faisan, autruche, paon, porc-épic, ours et éléphant. Tous les animaux sont là, c’est le Paradis terrestre, dont Adam et Eve sont déjà chassés, couverts de peaux félines.
En haut, au centre, l’Arbre de la connaissance du bien et du mal sur lequel repose un hibou, tandis qu’autour de son tronc s’enroule le terrible serpent. De part et d’autre, la lune et le soleil, et au dessus, l’azur constellé d’étoiles.

Pour admirer la majolique dans son ensemble, empruntez le petit escalier de fonte qui s’élève en colimaçon depuis l’entrée de l’église. Vous surplombez alors le tout pour contempler tranquillement le Paradis…

Eglise San Michele
Place San Nicola, Anacapri
Capri, Italie

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La Villa San Michele à Capri

Vue depuis la Villa San Michele, Anacapri, CapriLa Villa San Michele est l’un des joyaux soigneusement conservés de l’île de Capri – laquelle est, dans son ensemble, et conformément à sa réputation, un joyau en tant que tel.

Arrivé sur cette île de la baie de Naples en 1876, le médecin suédois Axel Munthe acquit une chapelle en ruines et une vieille ferme situées à 327 mètres d’altitude pour y construire une villa entourée de jardins. Amoureux de l’île, de sa villa et de la nature, cet humaniste déploya à Capri ses multiples talents : scientifique, écrivain, architecte, collectionneur d’art…
Ainsi, sa maison, sa chapelle et ses jardins recèlent aussi bien des antiquités égyptiennes, des sculptures romaines, des meubles du XVIIIème que des espèces végétales protégées. L’on apprend aussi que ce protecteur des animaux a beaucoup fait pour le développement de l’ornithologie sur l’île et que ce gourmet délaissait volontiers la viande pour se nourrir de mets simples comme les légumes et les pâtes.
De son œuvre à San Michele, il a tiré une autobiographie quelque peu romancée, Le Livre de San Michele publié en 1929, largement traduit et très lu à l’époque.

La villa n’est ni immense ni somptueuse, mais à parcourir ses pièces intimement aménagées, sa cuisine d’époque, son patio d’antiquités, sa loggia de sculptures et ses délicieux jardins, à admirer la vue imprenable depuis la chapelle, au dos de laquelle il a fait installer, face à la mer, un sphinx dont on ne peut voir le visage, on devine la passion brûlante de cet homme venu du froid qui, bien avant de nombreux autres nordiques, a dû trouver dans le calme, la lumière et la sensualité de Capri, les moyens de se réaliser.

Le sphinx de la Villa San Michele à Anacapri

Villa San Michele
Anacapri, viale Axel Munthe
Capri, Italie

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