Into the wild. Sean Penn

Into the wild, Sean PennChristopher, fils de bonne famille prêt à entrer à Havard est promis à un brillant avenir.
Mais au matérialisme de son milieu, il préfère le dénuement d’un chemin solitaire.
A l’hypocrisie de ses parents, au mensonge originel sur lequel son identité s’est fondée, il oppose la fuite.
Son idée fixe : aller chercher la vérité dans le Grand Nord.

Après avoir traversé les paysages magnifiques de l’Arizona, de la Californie ou du Colorado, Chris atteint en Alaska son objectif : non pas simplement contempler la nature, mais vivre dans la nature et plus encore, vivre de la nature. Sa réserve de riz épuisée, et avant de recourir à de fatales cueillettes, il ne se nourrit plus que de chasse, mais en considérant comme un désastre tout gibier gâché, non consommé.

Sur sa route, les gens qu’il rencontre l’aident à préparer cette expérience matériellement improvisée : ici on lui fait cadeau d’un bonnet de laine, là de bottes, plus loin d’un couteau.
Pourtant Chris ne leur demande rien. Il leur offre simplement sa jeunesse, son irrésistible sourire, son élan vital hors du commun. Tous l’aiment et s’attachent à lui. Chris rependra toujours sa route, obstiné mais enrichi, car il trouve dans ces moments passés auprès de ces êtres simples mais exceptionnels une part de vérité qu’il ne réalisera que plus tard, au dernier chapitre du film intitulé La sagesse.
C’est ainsi qu’une fois en Alaska, après des mois passés dans la joie de se suffire, il écrit dans un des livres qu’il a emportés avec lui (Tolstoï, London et le philosophe américain Thoreau) : "Le bonheur n’est pas réel sans partage".

Mais à travers la recherche de l’autonomie physique, c’est celle de l’autonomie au sens large, qu’il a entreprise. Et dans cette quête de soi, il commence par se dépouiller de son patronyme, pour adopter celui de Supertramp, qu’il grave au fil de ses étapes, laissant partout des traces et tenant son journal de bord au plus près.
Son dernier mot est "trouver le nom juste". C’est là qu’il échoue, c’est ce qui l’a perdu. Mais auparavant, souriant à une nature superbe, il aura trouvé la paix et la liberté.

Into the wild, un film écrit et réalisé par Sean Penn
Avec Emile Hirsch, Marcia Gay Harden, William Hurt
Durée 2 h 27

Sean Penn a réalisé ce film magnifique à partir de l’histoire réelle de Christopher McCandless, relatée par le journaliste américain Jon Krakauer dans le livre Into the wild (publié en 1996) à l’aide de témoignages de personnes qui l’ont connu et des notes de son journal.
Ce document est édité en France par les Presses de la Cité dans une traduction de Christian Molinié (Into the wild, Voyage au bout de la solitude, 311 p., 19 €, réédition 2008).

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Howard Buten. Buffo

Howard Buten, BuffoBuffo est ce clown singulier inventé par Howard Buten bien avant qu’il ne devienne l’auteur de Quand j’avais cinq ans je m’ai tué et le psychologue clinicien pour enfants que l’on sait.

Ainsi qu’il l’explique dans ce livre simplement intitulé Buffo, c’est en France qu’il a révélé sa triple identité, établissant aux yeux du public les liens entre ses trois carrières, la scène, la littérature et la psychiatrie, jusqu’alors soigneusement séparées.

Sur les planches, par la seule force du mime ponctué de quelques notes de musique, Buffo créé des histoires absurdes qui, avec la grâce de l’ellipse, embarquent le spectateur dans un monde poétique.

Dans ce récit, Howard Buten livre sur un ton direct, "à l’américaine", souvent mâtiné d’humour, comment, au début des années 1970, il a donné naissance à Buffo avant de le faire évoluer et grandir.

Howard était un enfant têtu et dégourdi, qui ne voulait pas "faire Zorro" mais "être Zorro", puis un adolescent qui se refusait le plaisir d’aller au concert des Beatles au motif que, à défaut d‘être lui-même les Beatles, il n’aurait pu y aller qu’en étant l’ami des Beatles. Il y eut ensuite l’école de cirque, à l’issue de laquelle un grand directeur le juge "trop subtil" pour se produire dans sa compagnie ; enfin, l’inspiration, très tôt aussi, du côté de Grock, clown suisse de music-hall des années 1920-1930 qui ne ressemblait à aucun autre. Et encore, ce qui pourrait étonner : sa profonde détestation des clowns ! En réalité, et on le comprend quand on connaît un peu le personnage de Buffo, ce sont les lieux communs attachés à l’image classique du clown que Buten tient en horreur.

Tel un album souvenirs, le livre est abondamment émaillé de photos, rendant encore plus vivantes les incroyables anecdotes et péripéties de Buffo à ses débuts.
Surtout, elles illustrent ce qui fait la force du récit d’Howard Buten : la manière dont Buffo est né, puis s’est affiné jusqu’à trouver l’aspect qu’on lui connait. Car ce qu’a cherché Buten très vite c’est "le chemin de l’âme de Buffo", "sa personnalité singulière", expliquant qu’il a mis des années à "débarrasser Buffo de toute trace de (lui)-même".
L’histoire de Buffo et des difficultés qu’il a eues à plaire est aussi attachante que le clown Buffo lui-même.
Mais celle de l’invention, puis du compagnonnage, qui dure depuis plus de trente-cinq ans, d’Howard Buten avec son personnage est elle très émouvante.

Howard Buten. Buffo
Traduit de l’américain par Jean-Pierre Carasso
Editions Actes Sud, 2005
256 p., 29 €

On peut voir en ce moment Buffo au Théâtre du Rond-Point à Paris (jusqu’au 3 février 2008).

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Marcel Duchamp, par Bernard Marcadé

Marcel Duchamp, Bernard Marcadé, Flammarion Marcel Duchamp est-il seulement celui qui renversa une pissotière pour en faire une fontaine ?
Bernard Marcadé nous incite à penser que cette réputation n’était pas pour déplaire à l’artiste.

Mais par ailleurs, explorer la vie de Marcel est une occasion extraordinaire de s’interroger sur le sens de l’activité artistique, sur la place de l’artiste dans la société, sur les rapports entre construction individuelle et réception sociale d’une œuvre.

Le livre de Marcadé déroule très classiquement cette biographie selon la chronologie, et c’est bien commode pour suivre la très grande cohérence du travail de Duchamp, qui reflète d’abord une belle fidélité à une conception de la vie fixée très tôt.

Le portrait de cet homme qui s’est défini comme paresseux, qui s’est appliqué au « détachement » vis-à-vis de la notoriété et des valeurs dominantes (argent, marché de l’art), constitue une brèche éblouissante pour le lecteur d’aujourd’hui assommé par les étalages de la société de la réussite.
On peut certes trouver excessif cet amour du non engagement durant la deuxième guerre mondiale mais l’antimilitarisme (mieux : l’antipatriotisme) datait pour lui de l’effroyable boucherie de 14-18.
Ce joueur d’échec obsessionnel prenait la vie comme un jeu, et l’art aussi sérieusement que la vie (« Seuls les échecs lui servent à se déprendre des contingences sociales de la vie, de l’art, et même de l’amour »).

Aucun mouvement artistique n’a pu l’annexer complètement et il a réussi à les traverser tous sans se fâcher avec quiconque. Ce qu’il privilégiait, c’était le geste : « c’est l’imagination du mouvement ou du geste qui fait la beauté » disait-il.
Nous restons curieux sur ses propres goûts : quel effet les œuvres d’art (anciennes, de ses contemporains) avaient-elles sur lui ? On le sait peu, même s’il a défendu certains artistes (Brancusi par exemple), s’il en a encouragé d’autres, s’il a organisé bien des expositions aux USA ou en Europe. Sa déclaration « L’art ne m’intéresse pas. Ce sont les artistes qui m’intéressent » répond en partie à notre curiosité.

Sa volonté de détachement vis-à-vis des contraintes affectives a tenu jusqu’à l’âge de 59 ans. Un amour impossible révèle les limites de l’ambition de ne point se laisser prendre, en même temps qu’il provoque la passion de créer : pendant 20 ans, jusqu’en 1966, Duchamp travaille en secret sur son installation Etant donnés.

Bernard Marcadé a le talent de nous faire accepter les apparentes contradictions (et certaines peut-être bien réelles) de cet artiste devenu une référence majeure de l’art d’aujourd’hui.

Marcel Duchamp. Bernard Marcadé
Flammarion (2007), 595 p., 27 €

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Bruxelles : Bozar annonce son programme

Bozar, Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, exposition WallonieBozar, le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles n’est pas un musée doté de collections, mais un centre d’arts pluri-disciplinaire.
Sa programmation mêle musique, architecture, cinéma, littérature, théâtre, danse et expositions.

Ainsi, le bâtiment Art Déco conçu en 1928 par Victor Horta sous l’impulsion du mélomane Henry Le Boeuf, aujourd’hui largement rénové accueillera en 2008 des expositions originales. (1)

A l’instigation de Laurent Busine, le directeur du MAC’S (Musée des arts contemporains du Grand-Hornu en Belgique), Bozar présentera du 14 février au 18 mai 2008 Trésors anciens et nouveaux de Wallonie – Ce curieux pays curieux, ensemble de 140 oeuvres de la Wallonie du XIIème au XVIème siècles, à une époque où le nom de cette région n’existait pas (il n’est apparu qu’en 1844). L’idée de récit, de construction d’un pays a donc été le fil conducteur du commissaire pour organiser cette exposition d’oeuvres d’art d’inspiration essentiellement religieuse (peintures, tapisseries, gisants, châsses, reliquaires…), dont certaines s’annoncent comme des curiosités.

A partir du 1er mars, l’exposition de peintures et de dessins de Paul Klee, intitulée Le théâtre de la vie, d’après une précédente exposition présentée à Berne, mettra l’accent sur les affinités de l’artiste suisse avec les arts de la scène.

Dans le cadre de la manifestation multi-disciplinaire Iceland on the edge, l’exposition Dreams of Sublime and Nowhere mettra en lumière le regard d’artistes islandais sur la nature sauvage de leur pays à travers photographies et vidéos.

Cet été, l’Amérique Latine sera à l’honneur à travers une sélection de près de 200 oeuvres de photographes contemporains réunies par l’espagnol Alejandro Castellote sous le nom de Cartes sur table (du 27 juin au 14 septembre 2008).

Enfin, l’automne sera placé Sous le signe du Lotus avec une exposition consacrée à l’art bouddhique en Corée (à partir du mois d’octobre).

Pour en savoir plus, voir le très sympathique site
Bozar – Palais des Beaux-Arts de Bruxelles

(1) Le bâtiment Art Déco se visite également en lui-même.

Image : Henri Blès & Lambert van Noort, Saint-Jerôme dans un paysage, Musée des Arts anciens du Namu, pour l’exposition Trésors anciens et nouveaux de Wallonie

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Questo buio feroce – Cette obscurité féroce. Pippo Delbono

Pippo Delbono, Questo buio feroce, Cette obscurité féroceLe spectacle s’ouvre sur un homme squelettique quasiment nu allongé par terre, un masque africain cachant son visage.

La lumière augmente progressivement sur le décor de grands murs blancs, jusqu’à devenir aveuglante.
Puis une infirmière entre, s’assoit dos à la scène et commence à compter Uno, due, tre… Défilent alors en claudiquant des malades, corps estropiés, fauteuil roulant, attèle, vieillard. D’autres victimes viendront encore évoquer le mal physique et moral, parfois en se tordant de douleur.

Sur l’immense scène blanche, les personnages se déplacent au ralenti, mais comme pour mieux faire avancer l’effroi. Questo buio feroce, "Cette obscurité féroce" : cette perspective de la mort qui recouvre tout le spectacle.

La pièce a pour origine le livre du romancier américain mort du sida Harold Brodkey, que Pippo Delbono a découvert par hasard lors d’un séjour en Birmanie.
Il en a tiré un spectacle qui peut déranger par les corps qu’il montre (y compris celui d’un enfant trisomique) et par la crudité de certaines scènes et de certains mots.

Mais ce qui dérange le plus profondément est ailleurs, dans l’évocation de la vie, qui est aussi au coeur de Questo buio feroce. Ballet de masques et de costumes brillants, apparences excessives, postures, cinéma et figuration, brefs plaisirs des sens et extrême solitude. Eclat d’une chanson qui ne peut que s’éteindre sur son artifice. Vanité absolue de la vie.
Alors peur de la mort, bien sûr, mais qui semble tenir dans le même mouvement le dérisoire de la vie.

Le spectacle n’est pas seulement dur ; il est aussi très plaisant à regarder et à écouter, car il déborde de couleurs, de musique et de langue italienne. Et son rythme précis et lent participe de la fascination qu’il exerce.
Dans le dernier tableau, une douzaine de personnages en noir, qui sont autant d’évocations de la camarde tournent autour de la scène en se tenant par la main, encadrés par deux arlequins – un enfant et un vieillard. Ce carnaval semble concentrer toute la pièce dans son étrange danse et en constitue un magnifique épilogue.

Questo buio feroce – Cette obscurité féroce
Idée et mise en scène de Pippo Delbono
Jusqu’au 2 février 2008
Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt, Paris-8ème
A 21 h du mar. au sam., à 15 h le dim., représentation suppl. le sam. à 18 h 30
Durée 1 h 30 env. / En italien surtitré
Billets de 10 € à 33 €
Avec Dolly Albertin, Gianluca Ballaré, Raffaella Banchelli, Bobò,
Margherita Clemente, Pippo Delbono, Lucia Della Ferrera, Ilaria Distante,
Gustavo Giacosa, Mario Intruglio, Simone Goggiano, Nelson Larricia, Pepe Robledo, Gianni Parenti
Création au Teatro di Roma en octobre 2006

Tournée :
Du 5 au 7 février 2008 : Le Maillon – Strasbourg
Du 20 au 24 février 2008 : Prato
Les 27 et 28 février 2008 : Maison de la Culture d’Amiens
Du 4 au 8 mars 2008 : Théâtre National de Toulouse
Du 13 au 15 mars 2008 : Scène Nationale de Marseille
Du 18 au 20 mars 2008 : Le Duo de Dijon
Les 25 et 26 mars 2008 : Scène nationale de Saint-Nazaire
Le 29 mars 2008 : Scène nationale de Bayonne
Les 1er et 2 avril 2008 : Scène nationale de Clermont-Ferrand
Du 13 juin au 18 juin : Piccolo Teatro – Milano.

Image : Questo buio feroce © Gianluigi Di Napoli

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Ferdinand Hodler au Musée d'Orsay

Ferdinand Hodler, exposition au Musée d'OrsayC’est l’excitant chemin de la découverte qu’empruntent la plupart des visiteurs de l’exposition organisée au Musée d’Orsay jusqu’au 3 février, tant la peinture du suisse Ferdinand Hodler (1853-1918) est restée dans l’ombre depuis près d’un siècle.
Un de ses tableaux, pourtant, lui a valu en 1890-1891 le scandale à Genève et la consécration à Paris : La Nuit, monumentale toile horizontale et sans couleur, dont la composition symétrique place un homme nu assailli par une silhouette couverte d’un voile noir, évocation de la mort, au milieu de six personnages, deux couples, un homme et une femme, également allongés mais eux endormis dans une cruelle indifférence.

Quelques années plus tard, en 1904, Hodler est l’invité d’honneur du Salon de la Sécession à Vienne : l’exposition laisse la conviction qu’il avait effectivement toute sa place dans l’avant-garde européenne du tournant du XXème siècle.

Le parcours met l’accent sur la personnalité mystique du peintre, lisible dans ses grands tableaux symbolistes, géométriquement composés et mettant en scène de grands corps nus qui se déploient dans une nature irréelle et magnifiée. Postures d’offrandes sur ces "îles" vert émeraude au milieu des cieux : on approche de près la dimension cosmique.
Mais l’ode à la nature est infiniment plus fine dans ses paysages, de toute beauté.
Dès les deux premiers, l’on voit bien que ce paysagiste-là n’était pas comme les autres. Voici le Bois des Frères (1885) : qu’est-ce donc que ce bois ? Ces branches fines et sinueuses, mortes mais pleines d’élan, décoratives et poétiques, dans un paysage d’hiver dont la lumière n’est pas celle de l’hiver ? Celui d’à côté, L’Avalanche (1887) fascine tout autant, avec sa neige épaisse, non pas simplement éclairée, mais saturée d’une lumière qui happe littéralement le regard.
Ils ne sont que la mise en bouche, si l’on peut dire, de la longue série de paysages qui se succèdent sans lasser jamais, tant ils expriment le regard amoureux que le peintre portait à la nature.
L’épure des compositions, faites de nuages, d’eau et de montagnes n’exclut pas l’onirisme, tel celui de l’écrin de brume qui entoure le Niesen vu de Heutrich comme une parure qui s’écarte doucement pour dévoiler la majestueuse montagne.
La stylisation, japonisante et poétique, frôle parfois l’abstraction.
Les bleus extraordinaires, de l’indigo au bleuet, harmonisés à des verts mousse tendres évoquent un sentiment de sérénité que la rigueur des lignes simples renforce.

Mais Ferdinand Hodler était également un saisissant portraitiste. Difficile de détourner les yeux de ses autoportraits où il nous interpelle de son regard pénétrant, mystérieux et interrogateur.
Malgré la mise en valeur de la peau, livide, orange vif, voire parfois presque fluorescente, c’est sur les mains, très présentes et longues à l’excès comme chez Schiele, et sur les yeux que Hodler s’attarde pour traduire avec force l’expression de ses personnages. Cette intensité atteindra son apogée avec la série de tableaux dit Le cycle de Valentine, témoignage vibrant de l’agonie de sa compagne malade.

Ferdinand Hodler. Musée d’Orsay
Musée d’Orsay
Jusqu’au 3 février 2008
TLJ sf le lun. de 9 h 30 à 18 h, le jeu. jusqu’à 21 h 45
Entrée 8 € (TR : 5,50 €)
Catalogue Ferdinand Hodler 1853-1918, collectif, sous la direction de Serge Lemoine et Sylvie Patry (Musée d’Orsay / Réunion des musées nationaux), 45 €

Image : Ferdinand Hodler Autoportrait© Musée d’Art et d’Histoire / photo Bettina Jacquot-Descombes

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Guy Bedos : Hier, aujourd'hui, demain

Guy Bedos, Hier, aujourd'hui, demainEmotion au théâtre du Rond-Point samedi soir pour le dernier solo de Guy Bedos. Avant, pendant et après le spectacle, il fut longuement applaudi. Salle en grande partie acquise, certes, mais sa prestation a prouvé que la retraite de ce type de "one-man-show" qu’il a décidé de prendre arrive bien trop tôt.
Son humour féroce, voire carrément noir parfois est toujours souverain.

Mêlant sketches déjà connus, tels Si j’étais une femme… à une revue de presse forcément fraîche, le regard de l’humoriste sur la situation politique était évidemment très attendu.

Il n’a pas déçu, se déchaînant presque autant contre une gauche muette et/ou rachetée par la droite ("comme des joueurs de football", comparant à cette occasion les méthodes du Président à celles de Bernard Tapie) que contre les dirigeants actuels.
Hortefeux ? " Il sent trop le blanc ". Boutin ? " Je laisse Christine Boutin, catholique pratiquante, face à son miroir ". Il décoche aussi quelques flèches contre Johnny Hallyday " Réfugié fiscal suisse, belge, monégasque, on ne sait plus très bien ", et autres artistes de " la Concorde ", remarquant qu"on a les soutiens culturels qu’on mérite ".
Mais le point rouge de sa cible reste bien sûr celui qu’il appelle "le nain", " little big ", " Tom Pouce " ou encore " Nabot-léon ", le plus savoureux de ces qualificatifs étant sans doute " le cocu ontologique "

Guy Bedos affirme vouloir se consacrer désormais au théâtre, au cinéma et à l’écriture. C’est un choix que l’on regrette, tant il est peu évident que dans le domaine de la satire politique la relève soit assurée. (1)
" Sur ce point, ma vie est un échec absolu. Je n’ai jamais cessé de combattre le racisme, les discriminations, les injustices sociales, de plaider pour les déshérités et les sans-papiers. Or plus je radote, plus je m’énerve, et plus la situation empire (…) Je suis allé voir Mitterrand, Jospin, Chevènement, Sarkozy, et ça n’a servi à rien. Dans le privé et les salons dorés, tous ces hommes m’ont donné raison, et ils ont toujours fait le contraire. " expliquait-il récemment dans le Nouvel Observateur (2).
Que répondre à cela ?
Que son humour est nécessaire et qu’il nous manque déjà.

Hier, aujourd’hui, demain. Guy Bedos
Théâtre du Rond-Point
Textes de Guy Bedos et Jean-Loup Dabadie
Mise en scène Roger Louret

(1) Exception faite d’une poignée d’artistes dont un des représentants les plus cinglants pourrait être Didier Porte
(2) Le Nouvel Observateur du 13 au 19 décembre 2007, entretien avec Jérôme Garcin

Photo : Guy Bedos © Sandrine Roudeix

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Entrée libre au Musée National du Moyen-Age

La Dame à la Licorne, A mon seul désirLe Musée National du Moyen-Age fait partie des quatorze musées et monuments nationaux français pour lesquels la gratuité est expérimentée depuis le début de l’année et jusqu’au 30 juin prochain. (1)

Dès le premier week-end de janvier, Parisiens et touristes s’y sont pressés. Favorable a priori à l’accès le plus libre possible à la culture, l’on en sort en s’interrogeant sur le bien-fondé de la décision politique pour le musée du Moyen-Age en particulier.

La dimension modeste des salles, qui tient à l’architecture du bâtiment, la faiblesse de l’éclairage, l’entassement des oeuvres et le manque de lisibilité du parcours d’ensemble sont autant de facteurs d’embouteillage qui ne plaident pas en faveur de l’ouverture au plus grand nombre au même moment. Ajoutons à cela que les cartels sont tout petits (et vieillots), et que bien des fois l’on ne sait où se poser pour lire les fiches de salles, pourtant d’une grande qualité en matière d’explications.

Surtout, le manque d’espace sied particulièrement mal aux oeuvres médiévales, qui exigent souvent du recul, comme les statues ou les retables. Et que dire de la minuscule salle des vitraux, qui présente notamment des vitraux de la Sainte-Chapelle ? Le nez collé dessus, on balance entre rage et pitié.
Quant aux chapiteaux, ils mériteraient d’être isolés les uns des autres et de pouvoir être vus aisément sous leur quatre côtés.
Les frustrations qui en découlent, liées au lieu lui-même, deviennent plus aiguës lorsque le musée se remplit.
Mais le problème est le même pour les oeuvres plus petites dans les vitrines, telles ces petites châsses-reliquaires et autres objets liturgiques en ivoire sculpté au rez-de-chaussée. La finesse des décors mériterait tranquille observation…

Dans ces conditions, faut-il y aller ?
La réponse est oui, bien sûr, car le Moyen-Age est une période aussi longue (dix siècles !) que passionnante sur le plan artistique, qu’il s’agisse de l’architecture ou de de tout ce qui a trait à l’iconographie.
Donc, on y reviendra, ne serait-ce que pour admirer La Dame à la Licorne, chef d’oeuvre du XVème siècle, qui, elle, bénéficie d’une belle présentation, dans une salle semi-circulaire faite pour elle.
Mais l’on se rappellera aussi que la meilleure façon d’apprécier l’art médiéval est certainement d’aller le voir là où il est, à savoir dans les églises, les abbatiales et les cathédrales. La France (et pas seulement !) en déborde dans tous ses coins. On y admire in situ chapiteaux, vitraux, tympans, statues et trésors, dans l’ambiance pour laquelle ils ont été faits : celle de la déambulation pieuse ou rêveuse, du retrait et du recueillement.
Ce qui n’est pas forcément le programme réservé au Musée du Moyen-Age pour les six mois à venir.

Musée National du Moyen-Age
Thermes et hôtel de Cluny
6, place Paul Painlevé – Paris 5ème
M° Cluny-La Sorbonne / Saint-Michel / Odéon
Bus n° 21 – 27 – 38 – 63 – 85 – 86 – 87
RER C Saint-Michel / l B Cluny – La Sorbonne
TLJ sf le mardi, de 9 h 15 à 17 h 45
Entrée libre jusqu’au 30 juin 2008

(1) Participent à l’expérimentation :
A Paris et en région parisienne : le musée Guimet, le musée du Moyen-Age, le musée des Arts et Métiers, le musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), le musée national de la Renaissance d’Ecouen (Val-d’Oise) et le musée de l’Air et de l’Espace du Bourget (Seine-Saint-Denis).

En province : le musée de la Marine de Toulon, le musée national Adrien Dubouché à Limoges, le musée Magnin à Dijon, le palais du Tau à Reims, le palais Jacques Coeur à Bourges, le château d’Oiron, le musée national du château de Pau et le château de Pierrefonds.

Pour les 18-26 ans, accès gratuit dans quatre musées nationaux parisiens un soir par semaine entre 18h et 21h : le mercredi pour le musée d’art moderne du centre Pompidou, le jeudi pour le musée d’Orsay, le vendredi pour le Louvre et le samedi pour le quai Branly.

Image : Musée National du Moyen-Age, "La Dame à la Licorne, A mon seul désir", XVème siècle

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Les poèmes de Jacques Prévert en BD

Les poèmes de Prévert en BDOn a parfois tendance à considérer Prévert à partir de nos souvenirs d’école, lorsqu’on récitait en choeur et par coeur Le cancre : des textes au langage simple destinés aux enfants.

Méconnaissance quasi-totale : les poèmes illustrés dans ce recueil sont pour certains d’entre eux d’une grande violence. La charge contre la religion, la guerre et la morale est sans appel. Il n’y a par exemple qu’à relire Sur le champ pour goûter la verve anti-militariste de Prévert.

Quant à son humour, il est souvent noir, voire saignant : avec L’orgue de barbarie, les dessinateurs s’en donnent à coeur joie. Ce poème donne lieu à deux interprétations, l’une assez effrayante de Gwendal Blondelle, l’autre beaucoup plus douce et féminine de Sophie Chaumard (d’une grande beauté).

Il faut dire que l’inspiration surréaliste et l’imaginaire du poète, mais aussi son extraordinaire sens de la narration se prêtent merveilleusement à la bande dessinée, que ce soit avec la poignante Chanson des escargots qui vont à l’enterrement, la terrifiante Chasse à l’enfant ou les tendrement ironiques Quelqu’un (restitué dans un vieux Paris impersonnel et triste) et Pour toi, mon amour.

Humaniste s’adressant à tous, Jacques Prévert est indémodable. Ses mots continuent de frapper par leur simplicité, leur musicalité, leur engagement et leur humour, comme dans Ne rêvez pas, dont l’actualité est mises en évidence par le dessin ultra-réaliste voire futuriste de Raphaël Gauthey :

Ne rêvez pas
pointez
grattez vaquez marnez bossez trimez
Ne rêvez pas
l’électronique rêvera pour vous
Ne lisez pas
l’électrolyseur lira pour vous
Ne faites pas l’amour
l’électrocoïtal le fera pour vous

Pointez
grattez vaquez marnez bossez trimez
Ne vous reposez pas
le Travail repose sur vous.

A découvrir dans :
Les poèmes de Jacques Prévert en bandes dessinées
Editions petit à petit
96 p., 15 €

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La Dame à la Licorne. Musée National du Moyen-Age

Chassons toute idée de l’oeuvre a priori, telle qu’elle peut résulter des pauvres reproductions plaquées ici ou là sur des tasses, des répertoires ou des serviettes en papier.
Ces choses-là n’ont évidemment rien à voir avec le chef-d’oeuvre du XVème siècle qu’est la La Dame à la Licorne, tenture composée de six tableaux, que l’on peut aller voir en vrai (et librement comme on sait) au Musée National du Moyen-Age à Paris.

Une salle lui est réservée, plongée dans la semi-obscurité comme il se doit (eu égard à la dimension onirique de l’oeuvre – en réalité pour des raisons de conservation bien sûr) mais éclairant notre Dame de façon satisfaisante.
Car cette tapisserie a tout pour susciter le rêve : son décor merveilleux fait d’une île bleue, d’un ciel rouge constellé de fleurs, de petits arbres mythiques (orangers, chênes, houx…). Mais aussi ses "personnages", animaux aux douces fourrures, familiers comme le lapin et le renard, ou sauvages comme le lion, la panthère et le guépard, mais au regard bienveillant. Et surtout, une licorne magnifique à l’air "intelligent" et attentif, mais non dénué d’ambigüité.

Au centre de chacun des six tableaux, une dame aux toilettes toutes différentes mais aussi élégantes et riches les unes que les autres, brocart, moire ou soie sans parler des bijoux… Elle évoque avec l’aide de ses compagnons, lion, singe et licorne chacun des cinq sens : le goût ; l’ouïe ; la vue ; l’odorat ; le toucher. La sixième tenture porte le beau nom de A mon seul désir. Elle est la plus mystérieuse et a donné lieu à de nombreuses interprétations.

Verticalité ; simplicité et splendeur des couleurs ; grâce des expressions ; innocence mêlée à un symbolisme très fort (1), ces scènes éblouissent et fascinent. On pourrait rester des heures à les contempler, comme pris au piège de ce monde fantasmatique et poétique imaginé il y a plus de cinq siècles par un dessinateur resté anonyme.

La Dame à la Licorne.
Musée National du Moyen-Age
Thermes et hôtel de Cluny
6, place Paul Painlevé – Paris 5ème
M° Cluny-La Sorbonne / Saint-Michel / Odéon
Bus n° 21 – 27 – 38 – 63 – 85 – 86 – 87
RER C Saint-Michel / l B Cluny – La Sorbonne
TLJ sf le mardi, de 9 h 15 à 17 h 45
Entrée libre jusqu’au 30 juin 2008

(1) Animal mythique, la licorne a un corps de chèvre et une tête de cheval surmontée d’une corne en forme de dent de narval. Douée d’une rapidité et d’une force prodigieuses, elle ne pouvait être capturée que grâce à une jeune fille. Fréquemment représentée dans l’iconographie médiévale, elle est à la fois un symbole religieux – une figure du Christ – mais aussi un symbole profane – celui de l’amant.

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