Questo buio feroce – Cette obscurité féroce. Pippo Delbono

Pippo Delbono, Questo buio feroce, Cette obscurité féroceLe spectacle s’ouvre sur un homme squelettique quasiment nu allongé par terre, un masque africain cachant son visage.

La lumière augmente progressivement sur le décor de grands murs blancs, jusqu’à devenir aveuglante.
Puis une infirmière entre, s’assoit dos à la scène et commence à compter Uno, due, tre… Défilent alors en claudiquant des malades, corps estropiés, fauteuil roulant, attèle, vieillard. D’autres victimes viendront encore évoquer le mal physique et moral, parfois en se tordant de douleur.

Sur l’immense scène blanche, les personnages se déplacent au ralenti, mais comme pour mieux faire avancer l’effroi. Questo buio feroce, "Cette obscurité féroce" : cette perspective de la mort qui recouvre tout le spectacle.

La pièce a pour origine le livre du romancier américain mort du sida Harold Brodkey, que Pippo Delbono a découvert par hasard lors d’un séjour en Birmanie.
Il en a tiré un spectacle qui peut déranger par les corps qu’il montre (y compris celui d’un enfant trisomique) et par la crudité de certaines scènes et de certains mots.

Mais ce qui dérange le plus profondément est ailleurs, dans l’évocation de la vie, qui est aussi au coeur de Questo buio feroce. Ballet de masques et de costumes brillants, apparences excessives, postures, cinéma et figuration, brefs plaisirs des sens et extrême solitude. Eclat d’une chanson qui ne peut que s’éteindre sur son artifice. Vanité absolue de la vie.
Alors peur de la mort, bien sûr, mais qui semble tenir dans le même mouvement le dérisoire de la vie.

Le spectacle n’est pas seulement dur ; il est aussi très plaisant à regarder et à écouter, car il déborde de couleurs, de musique et de langue italienne. Et son rythme précis et lent participe de la fascination qu’il exerce.
Dans le dernier tableau, une douzaine de personnages en noir, qui sont autant d’évocations de la camarde tournent autour de la scène en se tenant par la main, encadrés par deux arlequins – un enfant et un vieillard. Ce carnaval semble concentrer toute la pièce dans son étrange danse et en constitue un magnifique épilogue.

Questo buio feroce – Cette obscurité féroce
Idée et mise en scène de Pippo Delbono
Jusqu’au 2 février 2008
Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt, Paris-8ème
A 21 h du mar. au sam., à 15 h le dim., représentation suppl. le sam. à 18 h 30
Durée 1 h 30 env. / En italien surtitré
Billets de 10 € à 33 €
Avec Dolly Albertin, Gianluca Ballaré, Raffaella Banchelli, Bobò,
Margherita Clemente, Pippo Delbono, Lucia Della Ferrera, Ilaria Distante,
Gustavo Giacosa, Mario Intruglio, Simone Goggiano, Nelson Larricia, Pepe Robledo, Gianni Parenti
Création au Teatro di Roma en octobre 2006

Tournée :
Du 5 au 7 février 2008 : Le Maillon – Strasbourg
Du 20 au 24 février 2008 : Prato
Les 27 et 28 février 2008 : Maison de la Culture d’Amiens
Du 4 au 8 mars 2008 : Théâtre National de Toulouse
Du 13 au 15 mars 2008 : Scène Nationale de Marseille
Du 18 au 20 mars 2008 : Le Duo de Dijon
Les 25 et 26 mars 2008 : Scène nationale de Saint-Nazaire
Le 29 mars 2008 : Scène nationale de Bayonne
Les 1er et 2 avril 2008 : Scène nationale de Clermont-Ferrand
Du 13 juin au 18 juin : Piccolo Teatro – Milano.

Image : Questo buio feroce © Gianluigi Di Napoli

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Ferdinand Hodler au Musée d'Orsay

Ferdinand Hodler, exposition au Musée d'OrsayC’est l’excitant chemin de la découverte qu’empruntent la plupart des visiteurs de l’exposition organisée au Musée d’Orsay jusqu’au 3 février, tant la peinture du suisse Ferdinand Hodler (1853-1918) est restée dans l’ombre depuis près d’un siècle.
Un de ses tableaux, pourtant, lui a valu en 1890-1891 le scandale à Genève et la consécration à Paris : La Nuit, monumentale toile horizontale et sans couleur, dont la composition symétrique place un homme nu assailli par une silhouette couverte d’un voile noir, évocation de la mort, au milieu de six personnages, deux couples, un homme et une femme, également allongés mais eux endormis dans une cruelle indifférence.

Quelques années plus tard, en 1904, Hodler est l’invité d’honneur du Salon de la Sécession à Vienne : l’exposition laisse la conviction qu’il avait effectivement toute sa place dans l’avant-garde européenne du tournant du XXème siècle.

Le parcours met l’accent sur la personnalité mystique du peintre, lisible dans ses grands tableaux symbolistes, géométriquement composés et mettant en scène de grands corps nus qui se déploient dans une nature irréelle et magnifiée. Postures d’offrandes sur ces "îles" vert émeraude au milieu des cieux : on approche de près la dimension cosmique.
Mais l’ode à la nature est infiniment plus fine dans ses paysages, de toute beauté.
Dès les deux premiers, l’on voit bien que ce paysagiste-là n’était pas comme les autres. Voici le Bois des Frères (1885) : qu’est-ce donc que ce bois ? Ces branches fines et sinueuses, mortes mais pleines d’élan, décoratives et poétiques, dans un paysage d’hiver dont la lumière n’est pas celle de l’hiver ? Celui d’à côté, L’Avalanche (1887) fascine tout autant, avec sa neige épaisse, non pas simplement éclairée, mais saturée d’une lumière qui happe littéralement le regard.
Ils ne sont que la mise en bouche, si l’on peut dire, de la longue série de paysages qui se succèdent sans lasser jamais, tant ils expriment le regard amoureux que le peintre portait à la nature.
L’épure des compositions, faites de nuages, d’eau et de montagnes n’exclut pas l’onirisme, tel celui de l’écrin de brume qui entoure le Niesen vu de Heutrich comme une parure qui s’écarte doucement pour dévoiler la majestueuse montagne.
La stylisation, japonisante et poétique, frôle parfois l’abstraction.
Les bleus extraordinaires, de l’indigo au bleuet, harmonisés à des verts mousse tendres évoquent un sentiment de sérénité que la rigueur des lignes simples renforce.

Mais Ferdinand Hodler était également un saisissant portraitiste. Difficile de détourner les yeux de ses autoportraits où il nous interpelle de son regard pénétrant, mystérieux et interrogateur.
Malgré la mise en valeur de la peau, livide, orange vif, voire parfois presque fluorescente, c’est sur les mains, très présentes et longues à l’excès comme chez Schiele, et sur les yeux que Hodler s’attarde pour traduire avec force l’expression de ses personnages. Cette intensité atteindra son apogée avec la série de tableaux dit Le cycle de Valentine, témoignage vibrant de l’agonie de sa compagne malade.

Ferdinand Hodler. Musée d’Orsay
Musée d’Orsay
Jusqu’au 3 février 2008
TLJ sf le lun. de 9 h 30 à 18 h, le jeu. jusqu’à 21 h 45
Entrée 8 € (TR : 5,50 €)
Catalogue Ferdinand Hodler 1853-1918, collectif, sous la direction de Serge Lemoine et Sylvie Patry (Musée d’Orsay / Réunion des musées nationaux), 45 €

Image : Ferdinand Hodler Autoportrait© Musée d’Art et d’Histoire / photo Bettina Jacquot-Descombes

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Guy Bedos : Hier, aujourd'hui, demain

Guy Bedos, Hier, aujourd'hui, demainEmotion au théâtre du Rond-Point samedi soir pour le dernier solo de Guy Bedos. Avant, pendant et après le spectacle, il fut longuement applaudi. Salle en grande partie acquise, certes, mais sa prestation a prouvé que la retraite de ce type de "one-man-show" qu’il a décidé de prendre arrive bien trop tôt.
Son humour féroce, voire carrément noir parfois est toujours souverain.

Mêlant sketches déjà connus, tels Si j’étais une femme… à une revue de presse forcément fraîche, le regard de l’humoriste sur la situation politique était évidemment très attendu.

Il n’a pas déçu, se déchaînant presque autant contre une gauche muette et/ou rachetée par la droite ("comme des joueurs de football", comparant à cette occasion les méthodes du Président à celles de Bernard Tapie) que contre les dirigeants actuels.
Hortefeux ? " Il sent trop le blanc ". Boutin ? " Je laisse Christine Boutin, catholique pratiquante, face à son miroir ". Il décoche aussi quelques flèches contre Johnny Hallyday " Réfugié fiscal suisse, belge, monégasque, on ne sait plus très bien ", et autres artistes de " la Concorde ", remarquant qu"on a les soutiens culturels qu’on mérite ".
Mais le point rouge de sa cible reste bien sûr celui qu’il appelle "le nain", " little big ", " Tom Pouce " ou encore " Nabot-léon ", le plus savoureux de ces qualificatifs étant sans doute " le cocu ontologique "

Guy Bedos affirme vouloir se consacrer désormais au théâtre, au cinéma et à l’écriture. C’est un choix que l’on regrette, tant il est peu évident que dans le domaine de la satire politique la relève soit assurée. (1)
" Sur ce point, ma vie est un échec absolu. Je n’ai jamais cessé de combattre le racisme, les discriminations, les injustices sociales, de plaider pour les déshérités et les sans-papiers. Or plus je radote, plus je m’énerve, et plus la situation empire (…) Je suis allé voir Mitterrand, Jospin, Chevènement, Sarkozy, et ça n’a servi à rien. Dans le privé et les salons dorés, tous ces hommes m’ont donné raison, et ils ont toujours fait le contraire. " expliquait-il récemment dans le Nouvel Observateur (2).
Que répondre à cela ?
Que son humour est nécessaire et qu’il nous manque déjà.

Hier, aujourd’hui, demain. Guy Bedos
Théâtre du Rond-Point
Textes de Guy Bedos et Jean-Loup Dabadie
Mise en scène Roger Louret

(1) Exception faite d’une poignée d’artistes dont un des représentants les plus cinglants pourrait être Didier Porte
(2) Le Nouvel Observateur du 13 au 19 décembre 2007, entretien avec Jérôme Garcin

Photo : Guy Bedos © Sandrine Roudeix

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Entrée libre au Musée National du Moyen-Age

La Dame à la Licorne, A mon seul désirLe Musée National du Moyen-Age fait partie des quatorze musées et monuments nationaux français pour lesquels la gratuité est expérimentée depuis le début de l’année et jusqu’au 30 juin prochain. (1)

Dès le premier week-end de janvier, Parisiens et touristes s’y sont pressés. Favorable a priori à l’accès le plus libre possible à la culture, l’on en sort en s’interrogeant sur le bien-fondé de la décision politique pour le musée du Moyen-Age en particulier.

La dimension modeste des salles, qui tient à l’architecture du bâtiment, la faiblesse de l’éclairage, l’entassement des oeuvres et le manque de lisibilité du parcours d’ensemble sont autant de facteurs d’embouteillage qui ne plaident pas en faveur de l’ouverture au plus grand nombre au même moment. Ajoutons à cela que les cartels sont tout petits (et vieillots), et que bien des fois l’on ne sait où se poser pour lire les fiches de salles, pourtant d’une grande qualité en matière d’explications.

Surtout, le manque d’espace sied particulièrement mal aux oeuvres médiévales, qui exigent souvent du recul, comme les statues ou les retables. Et que dire de la minuscule salle des vitraux, qui présente notamment des vitraux de la Sainte-Chapelle ? Le nez collé dessus, on balance entre rage et pitié.
Quant aux chapiteaux, ils mériteraient d’être isolés les uns des autres et de pouvoir être vus aisément sous leur quatre côtés.
Les frustrations qui en découlent, liées au lieu lui-même, deviennent plus aiguës lorsque le musée se remplit.
Mais le problème est le même pour les oeuvres plus petites dans les vitrines, telles ces petites châsses-reliquaires et autres objets liturgiques en ivoire sculpté au rez-de-chaussée. La finesse des décors mériterait tranquille observation…

Dans ces conditions, faut-il y aller ?
La réponse est oui, bien sûr, car le Moyen-Age est une période aussi longue (dix siècles !) que passionnante sur le plan artistique, qu’il s’agisse de l’architecture ou de de tout ce qui a trait à l’iconographie.
Donc, on y reviendra, ne serait-ce que pour admirer La Dame à la Licorne, chef d’oeuvre du XVème siècle, qui, elle, bénéficie d’une belle présentation, dans une salle semi-circulaire faite pour elle.
Mais l’on se rappellera aussi que la meilleure façon d’apprécier l’art médiéval est certainement d’aller le voir là où il est, à savoir dans les églises, les abbatiales et les cathédrales. La France (et pas seulement !) en déborde dans tous ses coins. On y admire in situ chapiteaux, vitraux, tympans, statues et trésors, dans l’ambiance pour laquelle ils ont été faits : celle de la déambulation pieuse ou rêveuse, du retrait et du recueillement.
Ce qui n’est pas forcément le programme réservé au Musée du Moyen-Age pour les six mois à venir.

Musée National du Moyen-Age
Thermes et hôtel de Cluny
6, place Paul Painlevé – Paris 5ème
M° Cluny-La Sorbonne / Saint-Michel / Odéon
Bus n° 21 – 27 – 38 – 63 – 85 – 86 – 87
RER C Saint-Michel / l B Cluny – La Sorbonne
TLJ sf le mardi, de 9 h 15 à 17 h 45
Entrée libre jusqu’au 30 juin 2008

(1) Participent à l’expérimentation :
A Paris et en région parisienne : le musée Guimet, le musée du Moyen-Age, le musée des Arts et Métiers, le musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), le musée national de la Renaissance d’Ecouen (Val-d’Oise) et le musée de l’Air et de l’Espace du Bourget (Seine-Saint-Denis).

En province : le musée de la Marine de Toulon, le musée national Adrien Dubouché à Limoges, le musée Magnin à Dijon, le palais du Tau à Reims, le palais Jacques Coeur à Bourges, le château d’Oiron, le musée national du château de Pau et le château de Pierrefonds.

Pour les 18-26 ans, accès gratuit dans quatre musées nationaux parisiens un soir par semaine entre 18h et 21h : le mercredi pour le musée d’art moderne du centre Pompidou, le jeudi pour le musée d’Orsay, le vendredi pour le Louvre et le samedi pour le quai Branly.

Image : Musée National du Moyen-Age, "La Dame à la Licorne, A mon seul désir", XVème siècle

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Les poèmes de Jacques Prévert en BD

Les poèmes de Prévert en BDOn a parfois tendance à considérer Prévert à partir de nos souvenirs d’école, lorsqu’on récitait en choeur et par coeur Le cancre : des textes au langage simple destinés aux enfants.

Méconnaissance quasi-totale : les poèmes illustrés dans ce recueil sont pour certains d’entre eux d’une grande violence. La charge contre la religion, la guerre et la morale est sans appel. Il n’y a par exemple qu’à relire Sur le champ pour goûter la verve anti-militariste de Prévert.

Quant à son humour, il est souvent noir, voire saignant : avec L’orgue de barbarie, les dessinateurs s’en donnent à coeur joie. Ce poème donne lieu à deux interprétations, l’une assez effrayante de Gwendal Blondelle, l’autre beaucoup plus douce et féminine de Sophie Chaumard (d’une grande beauté).

Il faut dire que l’inspiration surréaliste et l’imaginaire du poète, mais aussi son extraordinaire sens de la narration se prêtent merveilleusement à la bande dessinée, que ce soit avec la poignante Chanson des escargots qui vont à l’enterrement, la terrifiante Chasse à l’enfant ou les tendrement ironiques Quelqu’un (restitué dans un vieux Paris impersonnel et triste) et Pour toi, mon amour.

Humaniste s’adressant à tous, Jacques Prévert est indémodable. Ses mots continuent de frapper par leur simplicité, leur musicalité, leur engagement et leur humour, comme dans Ne rêvez pas, dont l’actualité est mises en évidence par le dessin ultra-réaliste voire futuriste de Raphaël Gauthey :

Ne rêvez pas
pointez
grattez vaquez marnez bossez trimez
Ne rêvez pas
l’électronique rêvera pour vous
Ne lisez pas
l’électrolyseur lira pour vous
Ne faites pas l’amour
l’électrocoïtal le fera pour vous

Pointez
grattez vaquez marnez bossez trimez
Ne vous reposez pas
le Travail repose sur vous.

A découvrir dans :
Les poèmes de Jacques Prévert en bandes dessinées
Editions petit à petit
96 p., 15 €

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La Dame à la Licorne. Musée National du Moyen-Age

Chassons toute idée de l’oeuvre a priori, telle qu’elle peut résulter des pauvres reproductions plaquées ici ou là sur des tasses, des répertoires ou des serviettes en papier.
Ces choses-là n’ont évidemment rien à voir avec le chef-d’oeuvre du XVème siècle qu’est la La Dame à la Licorne, tenture composée de six tableaux, que l’on peut aller voir en vrai (et librement comme on sait) au Musée National du Moyen-Age à Paris.

Une salle lui est réservée, plongée dans la semi-obscurité comme il se doit (eu égard à la dimension onirique de l’oeuvre – en réalité pour des raisons de conservation bien sûr) mais éclairant notre Dame de façon satisfaisante.
Car cette tapisserie a tout pour susciter le rêve : son décor merveilleux fait d’une île bleue, d’un ciel rouge constellé de fleurs, de petits arbres mythiques (orangers, chênes, houx…). Mais aussi ses "personnages", animaux aux douces fourrures, familiers comme le lapin et le renard, ou sauvages comme le lion, la panthère et le guépard, mais au regard bienveillant. Et surtout, une licorne magnifique à l’air "intelligent" et attentif, mais non dénué d’ambigüité.

Au centre de chacun des six tableaux, une dame aux toilettes toutes différentes mais aussi élégantes et riches les unes que les autres, brocart, moire ou soie sans parler des bijoux… Elle évoque avec l’aide de ses compagnons, lion, singe et licorne chacun des cinq sens : le goût ; l’ouïe ; la vue ; l’odorat ; le toucher. La sixième tenture porte le beau nom de A mon seul désir. Elle est la plus mystérieuse et a donné lieu à de nombreuses interprétations.

Verticalité ; simplicité et splendeur des couleurs ; grâce des expressions ; innocence mêlée à un symbolisme très fort (1), ces scènes éblouissent et fascinent. On pourrait rester des heures à les contempler, comme pris au piège de ce monde fantasmatique et poétique imaginé il y a plus de cinq siècles par un dessinateur resté anonyme.

La Dame à la Licorne.
Musée National du Moyen-Age
Thermes et hôtel de Cluny
6, place Paul Painlevé – Paris 5ème
M° Cluny-La Sorbonne / Saint-Michel / Odéon
Bus n° 21 – 27 – 38 – 63 – 85 – 86 – 87
RER C Saint-Michel / l B Cluny – La Sorbonne
TLJ sf le mardi, de 9 h 15 à 17 h 45
Entrée libre jusqu’au 30 juin 2008

(1) Animal mythique, la licorne a un corps de chèvre et une tête de cheval surmontée d’une corne en forme de dent de narval. Douée d’une rapidité et d’une force prodigieuses, elle ne pouvait être capturée que grâce à une jeune fille. Fréquemment représentée dans l’iconographie médiévale, elle est à la fois un symbole religieux – une figure du Christ – mais aussi un symbole profane – celui de l’amant.

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Trésors de Slovaquie orientale aux Jacobins de Toulouse

Trésors de Slovaquie orientale, exposition aux Jacobins à ToulousePeu connues hors de leur pays d’origine, ces très belles oeuvres de l’art sacré slovaque du XIVème au XVIIIème siècles témoignent d’une histoire locale originale.

Contrairement au reste de l’Europe, cette région, pointe extrême du catholicisme en territoire orthodoxe, isolée du reste du continent en raison de nombreux conflits, n’a pas connu la Renaissance.
Ainsi l’art médiéval a subsisté jusqu’au XVIIIème siècle, époque où le gothique a directement cédé sa place au Baroque.

Puisant leur inspiration aux sources du gothique français et allemand, les artistes slovaques en ont donné de magnifiques interprétations, en particulier sur des sculptures en bois polychromé et doré et des meubles liturgiques.
Le thème de la Vierge à l’enfant est très présent. De ces statues de dimension modeste, au visage rond et bien dessiné, au nez fin, se dégage une grande douceur.
Les statues du Christ sur la croix, corps tordu et traits sobrement expressifs, sont également remarquables, notamment une statuette datée de 1400, dont la simplicité et l’économie de moyens n’ont d’égal que la beauté.
Au fil de l’exposition, le travail de sculpture sur bois suscite systématiquement l’admiration, que ce soit pour le rendu des draperies, la polychromie mais aussi pour l’émotion que l’on ressent à contempler ces oeuvres.
L’influence orientale est très visible, avec l’emploi de motifs géométriques et en arabesques, l’utilisation de l’or, notamment sur des stalles en bois peint du XVème siècle et une porte en fer forgé de la même époque.

Les exemples baroques en fin de parcours, style importé à partir de 1650 par des artistes venus d’Italie et d’Autriche, ont tendance à faire regretter ce gothique tardif slovaque. Les oeuvres deviennent massives et puissantes, comme pour mieux imposer la puissance de l’Eglise catholique. L’autel de près de quatre mètres de haut, daté de 1676 est presque caricatural avec son accumulation de statues et d’éléments décoratifs, présentant en son centre d’une façon quelque peu exubérante la scène de Daniel assis dans la fosse au milieu des lions rendus inoffensifs par l’intervention divine.
Une sculpture de Saint-Martin à cheval partageant son manteau réserve la surprise par sa représentation du pauvre bénéficiaire du don, éclopé au visage émacié et au regard implorant, dont on croit entendre le cri s’échapper de sa bouche grande ouverte. Saisissant.

Trésors de Slovaquie orientale – Du Moyen-Age au Baroque, XIVe – XVIIIe siècles Ensemble conventuel des Jacobins
Jusqu’au 24 mars 2008
TLJ de 10 h à 19 h
Entrée par l’église des Jacobins
Rue Lakanal – 31000 Toulouse
M° Capitole, Esquirol
Tarif 5 € (TR 2,50 €)

Image : Saint Ladislas, Statue en bois polychrome, 1520 (Kosice, Musée de Slovaquie Orientale)

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La graine et le mulet. Abdellatif Kechiche

La graine et le mulet, Abdellatif KechicheC’est peut-être le film qu’on attendait sans le savoir. Celui qui surprend parce qu’il parvient à exprimer ce qu’on n’aurait osé espérer : le courant de la vie même, son côté imprévisible, ce qu’elle contient de brouillon sans jamais laisser la possibilité de refaire "au propre".
Ce moment pris sur le vif se passe à Sète, où l’activité portuaire et ses difficultés laissent Slimane sur le carreau. Travailleur immigré des années 1970, on lui fait comprendre qu’à soixante ans passés il est devenu trop usé pour suivre les rythmes exigés.
Il décide alors d’installer un restaurant sur un vieux rafiot. Spécialité : couscous au poisson. Autour de lui : ses amis issus du travail et/ou de la communauté, ses enfants, son ex-femme, sa compagne et la fille de celle-ci, Rym.
La graine et le mulet n’est donc pas simplement l’histoire de Slimane. Il est aussi celle de sa famille et de ses amis qui vont l’aider à aller au bout de son projet, sa réussite devenant plus ou moins spontanément l’affaire de tous.
Mais elle est d’emblée surtout celle de Rym, très décidée à pousser les portes administratives, politiques et financières qui auraient naturellement tendance à vouloir laisser Slimane sur son quai d’ouvrier des chantiers navals.
Très décidée aussi à contrer le vent des grands fistons, qui renverraient bien leur père au bled.
Bref, une graine d’intelligence et de sensibilité, un brin de caractère trempé, enrobés d’une irrésistible spontanéité qui sait se policer quand il faut.
Interprétée par une Hafsia Herzi qui crève l’écran, Rym forme avec Slimane un duo filial très attachant. Mais c’est à tous ses personnages qu’Abdellatif Kechiche nous attache. Car il prend le temps de les faire exister, de nous les montrer manger et vivre, de nous les faire entendre parler et crier.
Il prend tout le temps qu’il faut. Et il a raison, car dans la vie certains moments durent longtemps. Un déjeuner dominical, cela dure longtemps. Une crise conjugale, cela dure longtemps. Un couscous qui n’arrive pas au restaurant, cela peut être long aussi.
Mais le spectateur ne s’ennuie pas une seconde, non seulement parce qu’il est embarqué dans cette vie-là, mais encore parce qu’il a aussi la place de vivre en tant que spectateur : pendant la dernière scène, aussi longue que géniale, il imagine différentes possibilités, différentes issues.
Il est bien là et n’a aucune envie que le rythme accélère.
Il faut un sacré culot pour filmer cela, et de cette façon-là.

La graine et le mulet. Abdellatif Kechiche
Avec Habib Boufares, Hafsia Herzi, Faridah Benkhetache…
Durée : 2 h 31 mn
Distribué par Pathé Distribution

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Le Dernier voyage du juge Feng. Liu Jie

Le dernier voyage du juge FengLe juge Feng part rendre la justice dans les communautés reculées de la République populaire de Chine.
Une femme et un jeune homme l’accompagnent : ils sont la greffière bientôt mise en retraite anticipée et le juge stagiaire tout droit sorti de l’Université. Un vieux cheval de bât porte les dossiers et l’insigne national.
Drôle d’équipée que ce tribunal itinérant qui parcourt les montagnes pour rendre au nom de l’Etat une justice acceptable par les paysans dont les attentes et la notion d’équité sont aussi diverses que le sont les coutumes des différents villages.
Ici, deux belles-soeurs ne se parlent plus à cause d’un vase ; là, le cochon de l’un a déterré les ossements des ancêtres de la famille voisine. Plus loin, c’est une épouse abandonnée qui ne veut pas quitter l’ex-domicile conjugal qui pourtant appartient à la famille de son ancien conjoint.
Il faut un talent infini pour non pas imposer, mais faire accepter une décision "juste", c’est-à-dire ressentie comme légitime par les parties opposées dans ces communautés repliées sur elles-mêmes, qui se déchirent à grands cris et dont les conflits non réglés se transmettent de génération en génération.
Le juge Feng a ce talent-là, mélange d’écoute, d’observation, de connaissance et de respect des rites, de recherche obstinée du dialogue, mais aussi d’autorité. La greffière l’épaule, le complète, le prolonge et prend carrément le relais avec sa propre sensibilité quand la diplomatie et la patience du juge trouvent leur limite.
Le tout jeune magistrat ressemble à première vue au "juge en bois brut" fraîchement moulé par l’école.
Tous trois vont alors former un passionnant trio : sorte de couple pour les deux plus anciens, "filiation" plus refusée qu’acceptée entre eux et le stagiaire. Le soir autour du feu, lorsqu’ils s’étendent pour dormir à même le sol, après avoir dîné d’une pomme de terre cuite sous la cendre, les conversations glissent imperceptiblement du professionnel au personnel. Ces moments donnent lieu à des scènes magnifiques, où les visages ne sont éclairés que par les éclats des flammes de l’âtre, où l’humour et la taquinerie dissimulent avec pudeur une grande tendresse.
Le film soulève beaucoup de questions : sur les rapports Etat-communautés, la laïcité et les croyances, la culture moderne urbaine et les cultures traditionnelles rurales, sur ce qui est dit et ce qui est tu ; mais aussi sur les relations hommes-femmes, sur la transmission, sur le rapport au travail, sur la justice bien sûr et sur les sentiments familiaux, amicaux et amoureux.
Une richesse de thèmes traités avec finesse, où le rire côtoie une émotion contenue, où toutes les scènes sont filmées avec délicatesse, où l’on voyage très loin avec des personnages et dans des lieux auxquels on croit, et où la beauté des montagnes de Chine ne devient jamais prétexte à esthétisme.
Ce que l’on appelle un très, très beau film.

Le Dernier voyage du juge Feng
Un film chinois de Liu Jie
Avec Baotian Li, Yulai Lu, Yang Yaning
Durée : 1 h 41
Sorti le 3 octobre 2007
Encore projeté dans 11 salles en France (voir sur allocine.fr)

Distribué par Pierre Grise Distribution
On peut lire sur ce site un entretien avec Liu Jie, ancien directeur de la photo et dont Le Dernier voyage du juge Feng est le premier long métrage en tant que réalisateur. Sélection officielle Orizzonti Venise 2006, Prix Premiers Horizons

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Les statues-menhirs du musée Fenaille à Rodez (Aveyron)

Les statues-menhirs du musée Fenaille à Rodez, Notre-dame-de-st-SerninLe musée Fenaille est au cœur de la ville, et il faut monter au dernier étage du bâtiment pour découvrir le trésor du musée : 17 statues-menhirs, bien plantées dans le sol, et certaines de belle taille (2 mètres).

Il s’agit de véritables statues, qu’on a pris l’habitude d’appeler aussi menhirs parce qu’elles se trouvaient, comme leurs cousines non sculptées ou gravées, dressées dans les champs et prés du Rouergue des alentours. Elles sont datées de l’âge du cuivre dit-on, c’est-à-dire pour cette région de 3000 ans avant le Christ.
Ce sont incontestablement des statues. Certes les artistes ont décidé de ne pas dégager les têtes : les visages sont dans les épaules. Mais on reconnaît les yeux, parfois le nez, les jambes et les pieds, les bras et les mains, des scarifications ou tatouages sur le visage, les seins pour les « féminines ». Les personnages sont assis, portent de longs vêtements, une ceinture parfois avec une boucle.

Ce ne sont pas des individus qui sont représentés, mais des fonctions, qui nous demeurent inconnues. On sait cependant que l’on peut nettement distinguer les deux genres : le fourreau du poignard, parfois arc et flèches caractérisent les statues masculines. Les colliers, les pendeloques en Y ne sont présents que sur celles où sont sculptés ou gravés des seins.

Ces pierres nous parlent encore. La disposition des œuvres, l’ambiance du musée, permettent le face à face. C’est le peintre Pierre Soulages, Rouergat comme ces statues, qui dit l’essentiel : « Ces statues-menhirs se présentent comme des œuvres hors d’un temps, d’une consistance indéfectible. C’est la densité, la frontalité, l’impression d’une puissance permanente » (1).
En redescendant les étages, on parcourt le Rouergue gallo-romain, puis moyenâgeux, et Renaissant (dans le bel hôtel de Jouery). Mais les puissances de pierre ne nous lâchent pas. Parions que c’était bien là l’intention de ceux qui ont voulu « arracher au bloc inerte une présence humaine ».

Musée Fenaille
14 place Raynaldy à Rodez (Aveyron)
mar., jeu. et ven. de 10 h à 12 h et de 14 h à 18 h
mer. et sam. de 13 h à 19 h, dim. de 14 h à18 h
Entrée 3 € (TR 1,50 €)

(1) Statues-menhirs, sous la direction d’Annie Philippon, Editions du Rouergue, 2002.

Image : Notre-Dame-de-Saint-Sernin

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