Biedermeier, de l’artisanat au design. Musée du Louvre

Biedermeier, exposition au LouvreAprès les excès du rococo, les arts décoratifs marquent à la fin du XVIIIème siècle et au début du XIXème siècle un retour aux sources classiques grecques et romaines, inspirations majestueuses qui siéront à l’Empire avec ses marbres, ses bronzes dorées, ses soieries et ses damas de velours.
Alors que le style Empire français se répand en Europe, se développe à partir de 1815 en Autriche, dans cette mouvance néo-classique, un style original que l’on appellera rétrospectivement Biedermeier.
Il ne tardera pas à gagner les autres régions de l’Europe orientale et de l’Allemagne, où il perdurera jusqu’à 1850 environ.
Le nom de Biedermeier est celui d’un personnage de fiction créé tardivement pour un hebdomadaire satirique munichois pour parodier le mode de vie de la société bourgeoise d’Europe centrale. Si effectivement ce type de mobilier robuste et confortable évoque avant tout les milieux bourgeois conservateurs du début du XIXème siècle, l’on apprend en parcourant l’exposition que les idées esthétiques à l’origine de ce mouvement furent d’abord promues par la famille impériale autrichienne et par l’aristocratie. Celles-ci, après les guerres napoléoniennes, rejettent le grandiose et l’ostentatoire (qui avait cours en France) et mettent en avant un mode de vie replié sur les valeurs morales et la sphère familiale.
Et, contrairement à ce que ses lignes simples et sa faible ornementation laissent présumer, le mobilier et les arts décoratifs Biedermeier sont au départ des œuvres artisanales. Ce ne sera qu’à partir des années 1830-1840 que l’Empire Austro-Hongrois adoptera les modes de fabrication industriels développés plus précocement en Angleterre et que le style se diffusera alors dans les intérieurs bourgeois.
L’exposition vaut le détour tant il est vrai que le Biedermeier est un style singulier, une sorte de synthèse lointaine du Regency anglais et de l’Empire français, mais qui, surtout, annonce le design moderne adapté à la production de masse.
Cela est frappant avec les arts de la table : dès le début du XIXème siècle, les modèles d’orfèvrerie sont extrêmement dépouillés si bien que les plats et les théières paraissent étonnamment "d’aujourd’hui".
Les meubles sont certes imposants, parfois même un peu "mastoc", mais leur grandes lignes géométriques arrondies, leur sobriété évoquent un sens pratique, voire un souci d’ergonomie novateur et séduisant. Les bureaux révèlent des rangements astucieux, les tables deviennent multi-usages, les chaises s’équipent de dossiers en éventail, bas et courbés. L’austérité des formes était par ailleurs largement réchauffée et égayée par le choix des couleurs de garniture et de papier peint, avec des jaunes, des bleus et des verts très vifs.
La simplicité et l’épure, le pragmatisme voire l’audace confèrent au Biedermeier, deux siècles après son émergence, un aspect moderne tout à fait surprenant.

Biedermeier, de l’artisanat au design
Musée du Louvre
Aile Sully, 1er étage, salle de la Chapelle
Jusqu’au 14 janvier 2008
TLJ sauf le mar., de 10 h à 18 h, nocturne (22 h) mer. et vend.
Entrée 9 €, 6 € après 18 h mer. et vend. (billet collections permanentes)
Catalogue, en partenariat avec le musée de Milwaukee, le musée historique de Berlin et l’Albertina de Vienne (Coédition Musée du Louvre Éditions /Officina Libraria /Éditions Nicolas Chaudun), 240 p., 35 euros.

Facebooktwitter

Fragonard, Les plaisirs d'un siècle. Musée Jacquemart-André

Fragonard, La poursuite, expo, Jacquemart-AndréIl aurait pu devenir un peintre de l’Académie Royale et s’en tenir à la peinture de genre en vigueur à l’époque. Au lieu de quoi, il se consacre à une clientèle privée, qui lui permet, semble-t-il, de laisser libre cours à son bon plaisir.
Les tableaux les plus connus de Fragonard (1732-1806) montrent des sujets frivoles, emprunts de légèreté et de grâce. Ce sont d’adorables jeunes filles, femmes-enfants aux joues roses et rebondies, un peu coquines, tenant un chiot près du sein ; ce sont des couples s’embrassant tendrement ; des scènes se déroulant dans des cadres idylliques.
Et il y souffle souvent un air de liberté, comme dans La poursuite et La surprise, deux tableaux peints en 1771 dans la même veine, où les petites touches du peintre frôlent l’esquisse : les personnages sont venus se perdre dans des jardins où la maîtrise de l’homme est dépassée. Sur presque toute la hauteur des toiles, la végétation laissée à l’abandon s’épanouit et déborde ; la cascade et la sculpture se trouvent prises dans un écrin de feuillages à la superbe harmonie de verts et de roux.
Fragonard, peintre de la volupté amoureuse, a aussi peint beaucoup de scènes familiales, telles La visite à la nourrice, où il place le nouveau-né au centre d’une chaleureuse lumière.
Ainsi que le propos de l’exposition le souligne, l’artiste était également un passionné de littérature. Il s’est plu à lui rendre hommage en peignant les écrivains (voir le sombre et magnifique Songe de Plutarque par exemple), en illustrant les fables et contes de La Fontaine, mais encore en accomplissant une oeuvre graphique remarquable.
Les planches illustrant les seize premiers chants du poème de l’Arioste (1474-1533) l‘Orlando Furioso, marquées par un trait à la fois enlevé, lyrique et foisonnant, révèlent une inspiration bouillonnante.
Il se consacrera avec davantage de sobriété mais non moins d’efficacité au Don Quichotte de Cervantés : le coup de crayon est plus bref, plus stylisé, et souligne à merveille l’ironie du texte.
Preuve que Fragonard n’était pas seulement un virtuose du pinceau dont la manière libre et enlevée annonçait le XIXème siècle, mais également un graphiste exceptionnel, qui n’a cessé en toutes occasions de manifester une malice et une audace des plus réjouissantes.

Fragonard, Les plaisirs d’un siècle
Musée Jacquemart-André
158, boulevard Haussmann – Paris 8ème
M° St-Augustin, Miromesnil ou St-Philippe du Roule, RER Charles de Gaulle-Étoile
Jusqu’au 13 janvier 2008
TLJ de 10 h à 18 h, nocturne le lundi jusqu’à 21 h
Entrée 9,50 € (TR 7 €)
Catalogue de l’exposition préfacé par Pierre Rosenberg, de l’Académie française, président-directeur honoraire du musée du Louvre, 39 € (éditions Snoeck)

Image : Fragonard, La Poursuite, Musées d’Angers © Musées d’Angers, photo Pierre David

Facebooktwitter

Anselm Kiefer au Louvre : Athanor, Hortus Conclusus et Danaé

Athanor, Anselm Kiefer au Louvre, décorRévélé au grand public avec Chute d’étoiles, exposition organisée dans la nef du Grand Palais en juin dernier, Anselm Kiefer a désormais sa place à demeure dans l’immense Palais du musée du Louvre.
L’artiste allemand installé dans le sud de la France depuis de nombreuses années s’inscrit ainsi dans la liste de ceux qui, de Le Brun à Braque, ont orné l’architecture du Palais depuis le XVIIème siècle.

Découvrir Athanor, Hortus Conclusus et Danaé exige de se perdre au préalable dans les salles du département des Antiquités orientales entre Egypte, Mésopotamie et Iran. Puis, en haut de l’escalier nord, l’ensemble composé d’une toile et de deux sculptures se dévoile enfin, isolé de toutes autres œuvres. Le choc n’en est que plus saisissant.

Est-il mort, est-il simplement allongé, les yeux clos, au repos, en méditation ? Son corps est nu, livide, son crâne rasé. Les bras le long du corps, le visage parfaitement tourné à la verticale expriment-ils l’abandon ou au contraire l’extrême concentration sur soi, être dans le monde placé sous la voûte céleste, élément du cosmos ?
Toute l’ambiguïté du tableau Athanor est dans ce personnage, seule partie du tableau à hauteur d’homme, autoportrait de l’artiste qui renvoie le visiteur à lui-même. Le corps repose sur de l’argile rouge, dont la craquelure épaisse évoque l’écorce des arbres anciens. Au dessus, dans la monumentale verticale, un jaillissement de matière blanche, objets célestes, voies lactées, brumes grisâtres. En haut, au centre, on croit apercevoir une nuée dont s’échappe une pluie d’or et l’on imagine un soleil dans la nuit.
Sur chacun des murs latéraux, placées dans des niches, deux sculptures de l’artiste viennent compléter le décor. A gauche, Danaé, empilement de livres de plomb au dessus desquels se dresse une immense tige de tournesol, ensemble monochrome gris clair parsemé de pépites de tournesol tombées sur les livres. On songe évidemment à la pluie d’or du tableau, mais aussi à la magnifique bibliothèque de plomb et de verre de Chute d’étoiles.
A droite, Hortus Conclusus est un bouquet de douze tournesols dont les fleurs desséchées sont tournées vers le bas. Certaines ont la tige brisée. Elles ont poussé sur un sol de glaise, magmaesque, presque un tas de boue. L’impression morbide est très forte.
Chacune de ces sculptures semble répondre à la toile placée au centre : Danaé ajoute le verbe, le récit à la dimension philosophique, spirituelle du tableau ; de l’autre Hortus Conclusus renvoie à l’inévitable évocation de la mort qui se dégage d‘Athanor. Le jeu des lignes horizontales et verticales vient renforcer cette opposition – et cette attirance – entre ce qui gît et ce qui élève, ou ce qui s’élève.
Et cet ensemble de lignes franches s’harmonise parfaitement avec l’architecture monumentale du Palais.

Athanor, Hortus Conclusus et Danaé
Un décor d’Anselm Kiefer
à voir au Musée du Louvre
Aile Sully, escalier Nord, 1er étage de la Colonnade
TLJ sauf le mar., de 10 h à 18 h, nocturne (22 h) mer. et vend.
Entrée 9 €, 6 € après 18 h mer. et vend.
Catalogue Anselm Kiefer au Louvre, coédition Éditions du Regard/musée du Louvre Éditions, 64 pages, 35 €.

Image : Anselm Kiefer, Athanor (2007), émulsion, schellac, huile, craie, plomb, argent et or sur toile de lin © A. Dequier / Musée du Louvre

Facebooktwitter

L'Heure zéro. Pascal Thomas

L'Heure zéro de Pascal ThomasC’est un dessert délicieux à déguster attentivement ; il craque sous la dent bouchée après bouchée, au rythme des pièces du puzzle qui s’imbriquent parfaitement les unes dans les autres au fil de l’histoire.
Savoureux policier adapté d’Agatha Christie, L’Heure zéro est un film finement découpé. Pascal Thomas a trouvé le bon tempo, d’abord lent dans un prologue qui installe tranquillement la situation, adoptant ensuite avec assurance celui de l’intrigue qui avance pas à pas ; il n’a pas oublié l’humour, saupoudré à juste dose dans des moments furtifs, un peu à la dérobée. Il a tout autant soigné le décor – vieille demeure fourmillant de lampes posées, de boiseries cirées et de bouquets poudrés –, que les costumes, prolongements sur mesure de personnages dessinés à la perfection. Reinhardt Wagner y a ajouté sa musique, désuète et très réussie.
Quant au casting, il est impeccable : qui imaginer de meilleurs que Danielle Darrieux dans le rôle de la vieille tante riche, autoritaire et goûteuse des plaisirs de la vie, que Jacques Sereys dans celui de son ami ancien procureur, élégant et au verbe toujours bien ciselé ?
Du côté des plus jeunes, de Melvil Poupaud à François Morel en passant par la toujours juste Chiara Mastroianni, ils sont très convaincants aussi. Aucune raison de bouder son plaisir.

L’Heure zéro. Pascal Thomas
Avec François Morel, Danielle Darrieux, Melvil Poupaud, Laura Smet, Chiara Mastroianni, Alessandra Martines, Clement Thomas, Jacques Sereys
Musique de Reinhardt Wagner
Durée 1 h 47

Facebooktwitter

Le Rêve de Cassandre. Woody Allen

Le rêve de Cassandre, Woody Allen Le Rêve de Cassandre commence comme une comédie, mais qui cède vite le pas au drame, lorsque le poids lourd de la conscience vient charger l’envolée juvénile du début.

C’est l’argent qui fait basculer la situation, au détour d’apparitions diaboliques, le prêteur usurier qui fait bruisser les liasses de billets et la femme belle mais trop généreusement tentatrice.
Pour cause de dette de jeu, pour cause d’amour passionné, les deux frères vont passer de leur condition de fils de la classe moyenne – dont les préoccupations sont tout ce qui a de plus ordinaire, installer son couple et faire plaisir à sa douce pour l’un, s’élever vers la classe supérieure pour l’autre – à celle de nécessiteux aux abois. Ressort de l’histoire : le sauveur, incarné par un oncle richissime, seule personne qui pourrait les aider, se fait à son tour maléfique…

Après l’entrée bondissante des deux frangins-à-la-mort-à-la-vie, le portrait familial croqué autour d’un repas aux dialogues délectables, la mise en place de l’histoire, avec des personnages et des situations teintés d’humour, bref, après une très agréable première partie, voici donc qu’à traits épais se dessine le drame.
Et force est de reconnaître qu’une fois le forfait attendu accompli, toute la fin du film a tendance à coller au sujet de la culpabilité un peu trop intimement, pour ne pas dire à l’engluer. Woody Allen se met alors à se répéter comme s’il ne savait qu’en faire pour finir sur une tragédie tout à fait prévisible.
Quel dommage ! Après un début des plus alertes qui ne pourra que ravir ses fans, le cinéaste se met à devenir ennuyeux, et ce malgré l’excellente prestation des deux comédiens, Ewan McGregor et surtout Colin Farrell.

Le Rêve de Cassandre. Woody Allen
Avec Colin Farrell, Ewan McGregor, Tom Wilkinson, Hayley Atwell
Durée 1 h 48

Facebooktwitter

Georges Vantongerloo, un pionnier de la sculpture moderne

Vantongerloo, Cateau-CambresisNatif d’Anvers installé très tôt en France, Vantongerloo (1886-1965), peintre et sculpteur peu connu du grand public est pourtant une figure importante de l’avant-garde européenne.

Formé à la statuaire traditionnelle, il entreprend dès 1917 un processus d’abstraction et de géométrisation des formes qui fait de lui avec ses constructions dans la sphère l’un des inventeurs de la sculpture moderne.
En peinture, dans la veine de Mondrian, Kandinsky et Malevitch, ses recherchent se portent sur la couleur, envisagée notamment comme vocabulaire musical, dans une approche théorique et doctrinaire fidèle à la "tradition" de l’avant-garde.

A la même période, dans les années 1920, son entreprise géométrique se porte également sur l’architecture et le mobilier, avec une approche mathématique aussi rigoureuse qu’utopique. Bien de son temps, il participe au groupe puis à la revue Cercle et Carré et fonde avec Herbin l’association Abstraction-Création qui donnera lieu à des publications entre 1932 et 1936.

A cette époque, l’abstraction géométrique de Vantongerloo se traduit par des tableaux "algébriques", où il joue avec les lignes, les formes et les nombres d’une façon radicale. Une extrême doctrinaire qui visiblement ne pouvait conduire qu’à la rupture. Celle-ci a lieu à la fin des années 30 ; le formalisme, épuisé, cède la place à une subjectivité enfin libérée.

Le choix de la courbe apparaît alors comme une évidence ; en peinture, de fines lignes sinueuses sur fond blanc autorisent la légèreté. Cette période annonce les dernières étapes, les plus séduisantes, de son parcours : à la fin des années 1940, ses sculptures en fil métallique puis, à partir de 1950, en plexiglas.
Avec ces objets très sphériques, spirales et astres en orbites, Vantongerloo adopte une vision cosmique, rendue proche grâce à la dimension réduite des oeuvres.
La transparence du plexiglas, qui en fait presque une non-matière dans la négation de la couleur apparaît comme l’aboutissement de la "poétisation" poursuivie par l’artiste depuis sa rupture avec l’abstraction-géométrique.
Cette poésie et cette beauté sont magnifiquement mises en valeur par les clichés en noir et blanc pris par Ernst Scheiddeger – connu pour ses photos de Giacometti – dans les années 1950.

Georges Vantongerloo : un pionnier de la sculpture moderne
"De la sphère à l’aurore boréale »
Jusqu’au 2 mars 2008
Musée Matisse Le Catau-Cambrésis
Palais Fénelon – 59360 Le Cateau-Cambresis
tél. : 00 33 (0)3 27 84 64 64
Tlj sauf le mardi, de 10 h à 18 h
Entrée 4,50 € (TR 3 €), gratuit les 1ers dimanches du mois
Visites guidées le samedi à 15 h et le dimanche à 10 h 30
Accès : à 90 km de Lille et 170 de Paris ; les week-ends et jours fériés un train Corail Intercités fait la liaison Paris/Le Cateau-Cambresis.

Image : Ernst Scheidegger, Photo de l’œuvre de Georges Vantongerloo Nucleus, 1946, Collection JaKob Bill © Neue Zürcher Zeintung, 2007

Facebooktwitter

Paupières Bleues (Párpados azules). Ernesto Contreras

Paupières bleues, Ernesto ContrerasLa solitude devient criante le jour où vous avez gagné un voyage dans un endroit idyllique, que vous n’avez personne pour vous accompagner… et que vous ne préférez pas partir seul.
Telle est la situation dans laquelle se trouve Marina, la transparente employée d’une entreprise de confection.
Marina vit à Mexico, elle a peut-être trente ans, mais l’apparence des éternelles vieilles filles, les gestes posés – pour ne pas dire anesthésiés – le visage impassible et résigné de ceux qui n’attendent plus.
Un soir, un jeune homme l’aborde : Victor, un ancien camarade du collège qui l’a reconnue. Elle, pas du tout ; elle ne le cache même pas.
Mais elle finit par lui proposer de partir avec elle en voyage…

L’inattendu du film est que l’histoire de Marina et Victor n’est pas montrée sous le soleil des tropiques. C’est au contraire le quotidien, le travail, les petites sorties, le retour dans l’appartement, ce qui fait la vie citadine des deux célibataires qui est ici extrêmement bien restitué.
Mais il y a plus inattendu encore : la situation de chacun des personnages évolue, alors que leur relation, elle, n’évolue pas vraiment.
On espère un réchauffement, une détente – disons-le : un élan -, qui ne viennent pas. Il y a bien pourtant une sorte de rapprochement, mais où est le désir ?
A cet égard, le personnage de Marina est le plus passionnant, le plus énigmatique. Son indifférence, ses maigres désirs, au demeurant artificiels, fabriqués pour les besoins de la cause, reflets de l’image du compagnon idéal, canon qu’elle s’est forgée dans la solitude et les salles de cinéma, ne semblent jamais être bousculés par la réalité, par Victor, lui davantage ancré dans le présent.

Film dérageant et amer, dont l’humour demeure obstinément noir, Paupières Bleues réserve de belles scènes, dont certaines arrivent par surprise, telles celles montrant le personnage de la vieille mais magnifique patronne de la société où Marina travaille – superbement interprété par Ana Ofelia Murguia.
De la solitude urbaine, Ernesto Contreras fait ici une démonstration magistrale, qui en pose aussi les limites, tant le Mexicain, qui réalise ici son premier long métrage, traite son sujet de façon monolithique.
Mais cette obstination contribue à faire de Paupières Bleues un film fort, étrange et très troublant.

Paupières Bleues (Párpados azules). Ernesto Contreras
Avec Cecilia Suarez, Enrique Arreola, Ana Ofelia Muguia, Tiaré Scanda et Luisa Huertas
Mexique, 2007
Durée 1 h 38

A Paris au Latina et à l’Espace Saint-Michel
A Toulouse à l’ABC
A Montpellier au Capitole
A Grenoble au Club
et à Dijon au Devosges

Facebooktwitter

Steichen, une épopée photographique

Expo Steichen, Jeu de Paume, Fred AstaireL’Américain Edward Steichen (1879-1973) semble avoir tout fait, et toujours premier parmi les premiers.
Influencé par le symbolisme, l’impressionnisme et l’orientalisme, il introduit l’art dans la photographie au tout début du XXème siècle. Ses images dites pictoralistes effleurent dans une atmosphère voilée des corps nus énigmatiques, évoquent plus qu’elles ne les montrent des paysages, arbres, neige et cours d’eau dans une ambiance floue et poétique proche de la peinture.

A Paris, chez Gertrude et Léo Stein, il rencontre Toulouse-Lautrec, Renoir, Manet, Cézanne, Matisse, Picasso, Brancusi et les fait connaître de l’autre côté de l’Atlantique en les exposant dans sa galerie new-yorkaise. Il photographie Richard Strauss à la façon d’un personnage sorti du fantastique, mais aussi Matisse, Jaurès, Roosvelt et bien sûr Auguste Rodin. A Meudon, il réalise d’étranges clichés du Balzac de Rodin, mi-homme, mi-fantôme surgissant dans une lumière crépusculaire effrayante.
Il réalise de lui-même, bel homme, d’étonnants et remarquables autoportraits.

Mais cette approche "romantique" ne sera qu’une période, qu’il abandonnera résolument au cours de la Première Guerre mondiale, alors engagé dans la photographie militaire.
Avec les années 1920 débute donc la seconde manière de Steichen, dite moderniste.
Nommé photographe en chef des magazines Vogue pour la mode et Vanity Fair pour les mondanités, il devient LE photographe es-célébrités et monde du luxe. Sous son objectif, les robes des grands couturiers semblent des oeuvres d’art dont la perfection laisse encore aujourd’hui pantois ; les portraits de personnalités (toutes y sont passées) sont systématiquement réussis. Il joue avec la lumière artificielle et les ombres avec une virtuosité sans appel. Son talent pour mettre en valeur avec art et précision s’exerce jusque dans la publicité.

Sa créativité dépassera le strict champ photographique. Pour le textile, il photographie des objets insolites (riz, haricots, lunettes, boutons, fil…) en plan rapproché ; une fois transposée en couleur, l’image est répété sur l’imprimé. Les motifs abstraits qui en résultent – d’un superbe style "Arts Déco" – connaissent un grand succès.

A la fin des années 1930, ce passionné d’horticulture sera aussi le premier à faire entrer ses fleurs dans un musées – et au MoMA s’il vous plaît ! Il en sera d’ailleurs nommé directeur du département de photographie en 1946.
Présentée en 1955 après trois ans de recherche en Europe et aux Etats-Unis, l’exposition qu’il a mise en place The Family of Man, destinée à promouvoir la solidarité entre les peuples par le rapprochement d’images du monde entier, circulera dans trente-huit pays. Plus de neuf millions de personnes l’auraient vue jusqu’en 1962. Une version restaurée est aujourd’hui installée de manière permanente au Luxembourg, pays où il est né.

Steichen, une épopée photographique
Jeu de Paume – site Concorde
1 place de la Concorde – Paris 8ème
Jusqu’au 30 décembre 2007
Mar. de 12h à 21h, mer. au vend. de 12h à19h, sam. et dim. de 10h à 19h
Tél. 01 47 03 12 50

Image : Fred Astaire dans le film Top Hat, New York, 1927, Edward Steichen, Courtesy Howard Greenberg Gallery, New York © 1927, Condé Nast Publications

Facebooktwitter

De Kuroda à Foujita – Peintres japonais à Paris

Foujita, MCJP, Cinq nus, expositionL’histoire est au départ un choc de culture ; elle se nourrit d’échanges, donne lieu à des tâtonnements et ne finit pas.
Il y a d’abord l’ouverture : après des siècles d’autarcie, le Japon, sous l’ère Meiji (1868-1912) s’ouvre à l’Occident.
D’un côté, des objets et des estampes japonaises débarquent en Europe. L’engouement est immédiat ; la mode du Japonisme vogue très vite, et bientôt naît l’Art Nouveau, sa stylisation, sa prédilection pour les motifs floraux et végétaux…

En même temps – c’est ce que l’exposition visible à la Maison de la culture du Japon à Paris jusqu’au 26 janvier prochain met en évidence – au Japon, des artistes aspirent à sortir de leur culture ancestrale.
A partir de la fin du XIXème siècle, ils débarquent en petit nombre à Paris, puis de plus en plus nombreux dans la première partie du XXème siècle.
Ils ont découvert la peinture à l’huile seulement à l’ère Meiji grâce à l’ouverture économique de l’archipel. Ils viennent voir en Europe ce que les Occidentaux ont fait de ce qui est pour eux un nouveau matériau.
Ici, c’est l’impressionnisme, c’est Van Gogh, Cézanne, puis Picasso, Kandinksy… Les mouvements bouillonnent, les recherchent aboutissent à des formes d’expression picturale nouvelles.
Les plus belles oeuvres des avant-gardes d’hier sont depuis longtemps devenues des canons pour l’amateur d’art occidental du début du XXIème siècle.
Découvrir aujourd’hui ce que peignaient les artistes japonais à la même époque lorsqu’ils ont cherché à "occidentaliser" leur peinture provoque une étrange sensation tant ces tableaux semblent maladroits, faire pâle figure. On y lit les inspirations les plus diverses qui vont du Greco au surréalisme en passant par l’école de Fontainebleau, l’impressionnisme, Ingres, Manet, Renoir ou Picasso, traduisant la foule des maitres occidentaux que les artistes japonais ont découverts d’un seul coup. Le résultat semble bien souvent "en dessous" de leurs inspirateurs. Ce ne sont donc pas toutes les oeuvres en tant que telles qui méritent le détour, mais plutôt les recherches qu’elles traduisent, menées par des artistes qui ne connaissaient que l’estampe japonaise et se sont soudain ouverts à tout ce qui se faisait en Europe, dans une période de frénésie picturale particulièrement vive, et qui, en quelques décennies, se sont appropriés ces "modèles" totalement nouveaux pour eux.

Restent en tout état de cause des oeuvres belles et très intéressantes, telles celles, mi-académiques, mi-impressionnistes, du premier d’entre eux, Kuroda (1866-1924), chez qui la culture du levant demeure bien visible, avec ses tonalités claires et fondues, ses verts céladon et jaunes pailles éthérés, ses silhouettes impassibles et ses motifs végétaux décoratifs.

L’exposition est aussi l’occasion d’admirer les tableaux magnifiques de Foujita (1886-1868), la délicatesse de ses couleurs et de ses sujets, sa manière de souligner les contours d’un trait fin, oeuvres qui résonnent comme autant d’odes à la féminité et à la sensualité, au fantastique, au rêve et aux contes.

De Kuroda à Foujita – Peintres japonais à Paris
Maison de la culture du Japon à Paris
101bis, quai Branly – Paris 15ème
M° Bir-Hakeim, RER Champ de Mars
Jusqu’au 26 janvier 2008
Du mar. au sam. de 12 h à 19 h, le jeu. jusqu’à 20 h
Fermeture annuelle du 23 déc. au 3 janv. inclus
Entrée 6 € (TR 3 €)
Catalogue de l’exposition : 40 € (Ed. Fragments international)

Facebooktwitter

Les Voisines. Théâtre de Nesle

Les voisines au théâtre de NesleLa dernière scène peut être vite oubliée, elle ne gâche pas le bon moment passé en compagnie de ces Voisines. Le théâtre dans le théâtre, ça ne s’écrit pas sur un coin de table ; ça s’inscrit dans un contexte. Or, cette soirée a le contexte léger.

Succession de tableaux mettant en scène des femmes en proie à des difficultés nécessitant sans délai le secours de sa prochaine, la pièce brode avec humour sur l’épineuse question des hommes et de leur virilité : c’est toujours trop ou pas assez.

Il y a celui qui se prend pour un saint, celui qui en honore deux ; celui qui préfère une blonde, celui qui se prend pour un chien…
Pour résoudre ces cas fort problématiques, solidarité féminine oblige, ces dames trouveront bien des arrangements…

Les scènes cocasses voire farfelues tirent leur force du talent comique des comédiennes, en particulier celui de Chantal Delatour, Christine Herivan et Nathalie Geoffroy.
Un regret toutefois : que ces potentialités ne soit pas suffisamment exploitées. L’auteur-metteur en scène a tendance à faire jouer chacune d’entre elles de façon relativement monolithique d’une saynète à une autre.
C’est dommage, car il est bien évident qu’il y a "de la réserve", du talent, quoi !

Les Voisines
Comédie de Franck d’Ascanio
Théâtre de Nesle
8, rue de Nesle – Paris 6ème
Mercredi, jeudi, vendredi et samedi à 21 h
Jusqu’au 24 novembre 2007
Places : 15 € / 20 €

Facebooktwitter