1996-2006, De l'Inde au Japon dix ans d'acquisitions au musée Guimet (2/2)

Inde pendentif en forme d'oiseauPoursuite de la visite de l’exposition-parcours De l’Inde au Japon, dix ans d’acquisitions au Musée Guimet mise en place au Musée des Arts asiatiques jusqu’au 13 décembre pour valoriser plus de 200 acquisitions effectuées entre 1996 et 2006.

La galerie des arts décoratifs de l’Inde, (galerie Jean et Krishna Riboud, du nom des donateurs) rassemble textiles, armes, objets décoratifs et bijoux du XVIème au XIXème siècle. Ils mettent en évidence la splendeur des cours royales et princières de l’Inde et le savoir-faire de leurs artistes et artisans.

On y découvre ce pendentif en forme d’oiseau (peut-être Inde moghole, XVIIème siècle), en or, diamants, rubis, émeraudes, perles et cristal de roche. Il s’agit d’un perroquet aux ailes déployées, certainement doté d’un caractère emblématique, mais dont l’origine demeure matière à conjectures.
Sans nul doute, un splendide bijou.

On profite du passage à la galerie Riboud pour admirer également un lé de soierie avec scènes vishnuites (daté de la fin du XVIème au début du XVIIIème siècle). Provenant du Nord-Est de l’Inde, cette pièce a été retrouvée au Tibet. Elle servait à couvrir les autels ou à envelopper les manuscrits.

Autre beau textile, un Kalamkari avec scènes du Ramayana (Inde du Sud, fin du XVIIIème siècle) en toile de coton teinte, une tenture de temple décorée de scènes mythologiques.

Dans la section du Pakistan et de l’Afghanistan, la collection d’art Gandhara, souvent dit art gréco-bouddhique, s’est enrichie d’oeuvres rares, notamment d’une pièce unique à ce jour, un bodhisattva Avalokitesvara Gandhara (IIIème-Vème siècle) : superbe sculpture en bronze aux incrustations d’argent, montrant un bodhisattva au torse dévêtu et richement paré. (1)

En Chine, impossible de louper la monumentale statue d’un bodhisattva debout (VIème siècle) sculpture en grès rosé de 2,40 mètres de hauteur. Pièce-phare de l’art bouddhique chinois, fidèle à une iconographie fixée en Inde, le bodhisattva, être d’Eveil, distinctement des images du Bouddha, porte le costume et les attributs princiers.

Dans la salle consacrée à la peinture chinoise se déploie le Sûtra du Diamant (1477, « Sûtra de la Perfection de Sagesse coupante comme le diamant ») : livre plié en accordéon de 258 feuillets, il est la copie du Sûtra du Diamant tel qu’il fut donné dans sa première traduction chinoise du sanscrit en 402. Il s’ouvre par une grande illustration en frontispice, figurant le « Buddha prêchant son assemblée brillante ».

De la Chine, on passe à la Corée pour adorer le petit Roi-gardien ou musicien céleste (époque Silla, IX-Xème siècle), superbe sculpture en bronze de l’art bouddhique, représentant un roi gardien au visage enfantin coiffé d’une peau de lion, peut-être un Gandharva, musicien céleste. Une des pièces majeures de la section des arts de Corée.

Toujours en Corée, on peut prendre connaissance des Dix diagrammes du Savoir royal (1568), album de dix pages réalisé à l’époque Choson par Yi Hwang (1501-1570) pour le roi Sonjo, alors âgé de 17 ans. Le Confucianisme est alors érigé en idéologie officielle et Yi Hwang, l’un des artisans les plus actifs de cette « révolution » n’a de cesse de promouvoir le royaume idéal, qui ne peut se faire que par l’éducation du roi. Le système repose sur trois principes fondamentaux : piété filiale, fidélité conjugale et dévouement envers le prince.

On peut terminer ce beau parcours avec la peinture japonaise, devant par exemple le magnifique triptyque Le voyage de vers l’Est de Ariwara no Narihira, encre et couleurs sur soie de Maruyam Okyo (1733-1795), qui a joué un rôle déterminant sur le développement de la peinture japonaise d’époque Edo. Il illustre l’exil du poète Ariwara no Narihira quittant Kyoto et faisant halte au pied du Mont Fuji.
Superbe verticalité, paysage très poétique, on ne peut que savourer cet arrêt majestueux à pied de montagne.

1996-2006, de l’Inde au Japon dix ans d’acquisitions au musée Guimet
Musée national des Arts asiatiques
Exposition-parcours du 13 juin au 13 décembre 2007
6, place d’Iéna – Paris 16ème
M° Iéna, Boissière – RER Pont de l’Alma
Tlj sauf le mardi de 10 h à 18 h
Entrée 6,50 € (TR 4,50 €)

(1) bodhisattva : dans la religion bouddhique, sage ayant franchi tous les degrés de la perfection sauf le dernier qui fera de lui un bouddha.

Image : pendentif en forme d’oiseau Inde moghole ( ?), XVII ème siècle ( ?). Donation Jean et Krishnâ Riboud, 2000 ( MA 6768) © Thierry Ollivier / RMN

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Check up au Théâtre des Mathurins

Check upFin de journée, fatigue, lassitude : assise à une table, la tête dans les mains, vêtue de noir, une vieille dame vient d’enterrer son mari.
Tristesse, désespoir ?

Verve gouailleuse et colère intacte, la fraîche veuve ne regrette au contraire rien du défunt.
A peine soulagée de son fardeau de mari, elle se lance dans une diatribe impitoyable contre cet époux « minable ».

Résigné, son fils – selon elle le pire portrait de son père – écoute le récit qu’il connaît par coeur : celui de la sinistre rencontre de ses parents et de leur non moins triste vie de couple.

Mais bientôt Micheline Dax, qui incarne cette veuve révoltée quitte le plateau : les scènes qui lui succèdent vont se charger de nous convaincre que si le mari ne brillait guère, ses ascendants étaient tout aussi gratinés…
En somme, une revue des hommes de la famille édifiante.

D’une réjouissante causticité, la pièce dépeint les hommes en êtres suffisants et terribles profiteurs des femmes.
Mais le meilleur est bien entendu la chute, où l’on voit que les victimes ne sont pas finalement celles que l’on croit !

Cette comédie riante et savoureuse se garde pourtant de la caricature de genre en n’omettant pas d’épingler au passage une certaine hystérie féminine…

Porté par des comédiens à l’ardeur communicative – Yvan Varco excelle à interpréter ces personnages masculins misérables –, ce Check up est merveilleusement conduit par une Micheline Dax qui, du haut de ses 83 ans paraît tout à fait déterminée à ne rien céder au temps.
On rit beaucoup ; et on est tout ému.

Check up
Théâtre des Mathurins
une comédie de Serge Serout
mise en scène : Daniel Colas, assistante : Sonia Sariel
avec : Micheline Dax, Yvan Varco, Anne Deleuze, Claire Chastel, Gaëlle Lebert
décors : Miguel Arents, costumes : Isa Demidoff
Du mardi au samedi à 21 h
Places : 28 € (TR : 15 €)

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Le cuir des arbres. Marc Fumaroli. Maison européenne de la photographie

Le cuir des arbres, Marc Fumaroli« Les arbres, a dit un sage un peu misanthrope, me consolent des hommes mieux que les animaux, avec lesquels ils ont trop de ressemblance.

J’ai été tenté de faire des portraits photographiques d’arbres. Aucun n’a répondu au sentiment qu’ils m’inspirent. Alors je me suis rabattu sur la vue rapprochée, et j’ai découvert que la photographie pouvait du moins fixer ce que l’on ne regarde le plus souvent qu’en passant et distraitement, le cuir des arbres.

Par la brève anthologie que propose cette exposition, je souhaite partager avec les promeneurs en forêt, les visiteurs de jardins botaniques, les explorateurs de pays lointains, les joies esthétiques que donne l’incroyable et infaillible génie plastique de la Nature, graveur et peintre " abstraits " sur le cuir de nos amis les arbres… ».

C’est ainsi que Marc Fumaroli présente lui-même ses clichés exposés à la Maison européenne de la photographie jusqu’au 2 septembre.

Tout semble être dit.
Il ne reste plus qu’à contempler tranquillement les très grands tirages en couleur et laisser son imagination prendre son envol à la surface des arbres.

Apparaîtront alors peut-être des vues du ciel, ici terre découpée et archipel d’îles vertes, là chemins ocres tracés dans la forêt.
Ou encore, dans un camaïeux de verts et de gris, la peau d’un serpent, à moins que cela ne soit celle d’un autre reptile ; ailleurs, couleur chair, voici une parcelle de peau humaine, quand plus loin deux photos côte à côte, « oeils » sur les troncs d’arbres forment ensemble un visage humain creusé de sillons et de rides.

Tout cela est peut-être gravé dans le cuir des arbres.
C’est aussi simple que poétique.
Il n’y a qu’à regarder.

Le cuir des arbres. Marc Fumaroli
Maison européenne de la photographie
Jusqu’au 2 septembre 2007
5-7, rue de Fourcy – Paris 4ème
M° Saint-Paul ou Hôtel de Ville
Du mercredi au dimanche de 11 h à 19 h 45
Entrée 6 € (TR 3 €)

Image : Le cuir des arbres, Marc Fumaroli, 2006

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Italie, doubles visions. Maison européenne de la photographie

Scanno, Henri Cartier-BressonAvec Italie, doubles visions, la Maison européenne de la photographie propose jusqu’au 30 septembre un enrichissant voyage en Italie.

Déclinée en dix thèmes organisés autour d’une centaine de photos, l’exposition propose deux regards différents sur un même site ou un même événement italien.

Les travaux d’un photographe autochtone et d’un photographe international présentés à proximité donnent lieu à de belles comparaisons.

Scanno, un village des Abruzzes, avec son église, sa place, ses enfants et ses vieillards, silhouettes, chapeaux et coiffes noires, fut photographié tour à tour par Henri Cartier-Bresson et Mario Giacomelli.
D’un côté les clichés impeccables, le regard fin et original de celui qui fut l’un, sinon le plus grand des photo-journalistes.
De l’autre, la singularité et la poésie du photographe italien le plus connu.
Deux variations profondément différentes dont la présentation simultanée ne fait que renforcer leurs beautés respectives.

Mais certaines de ces confrontations sont aussi l’occasion de souligner la puissance créative de photographes moins connus.
Ainsi du thème des volcans, classiquement interprété par l’Américian Roger Ressmeyer, avec des clichés très "National Geographic" (il y travailla de 1987 à 1995), mais totalement réinventé par Antonio Biasiucci qui photographie de très près lave, magma et fumée, pour saisir non pas le mouvement effrayant et spectaculaire de la lave incandescente, mais les plis, le lissé, les bulles et stries de la matière volcanique dans un noir et blanc très sensuel.

Ou encore, lorsque le brésilien Sebastiao Salgado fait un reportage sur les thoniers, il en restitue l’action et le formidable danger, alors que Giorgia Fiorio fait de ces pêcheurs des êtres de l’attente, émouvants et mélancoliques.

Une veine poétique décidément très présente chez les photographes italiens : coup de coeur pour la Venise de Luca Campigotto, qui photographie sa ville de nuit, tout en silence et mystère, ombres larges et lumières furtives, détours et dédales de pierres humides ; une promenade dans une Venise littéraire qui semble surgir d’un rêve profond.

Le thème le plus fort de l’exposition demeure certainement celui des reportages réalisés dans les hôpitaux italiens par Carla Cerati et Raymon Depardon.

A la fin des années 1960, afin de dénoncer les conditions de vie des malades mentaux dans les hôpitaux psychiatriques, Carla Cerati, avec Berengo Gardin, dresse de leur situation un tableau brutal. Les vues des patients sont frontales, presque choquantes, ce qui correspondait bien à la finalité du reportage.

Plus de dix ans après, Raymon Depardon photographie à son tour la vie dans les hôpitaux, notamment celui de San Clemente à Venise.
C’est avec son respect et sa délicatesse qu’il montre l’extrême solitude et l’abandon.
Sous son objectif, les corps se recroquevillent avec pudeur.
Clichés poignants qui disent mieux que bien d’autres la souffrance et la désolation.

Italie, doubles visions
Maison européenne de la photographie
Jusqu’au 30 septembre 2007
5-7, rue de Fourcy – Paris 4ème
M° Saint-Paul ou Hôtel de Ville
Du mercredi au dimanche de 11 h à 19 h 45
Entrée 6 € (TR 3 €)

Image : Henri Cartier-Bresson, Scanno, 1951 (Magum Photos)

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La collection Matisse au Musée Matisse du Cateau-Cambrésis

Vigne d'Henri MatisseTerre natale d’Henri Matisse (1869-1954), le Cateau-Cambresis (Nord) dispose d’un très beau musée grâce notamment à la donation de quatre-vingt-deux oeuvres que l’artiste fit à sa ville en 1952.

Le musée Matisse est l’occasion de suivre le parcours d’un peintre, sculpteur et dessinateur que l’on croit souvent à tort originaire du Midi de la France.

Une méprise qui n’est pas sans fondement tant ses créations sont associées aux couleurs, à la lumière et au soleil.

Après avoir fait ses classes aux Beaux-Arts dans l’atelier de Gustave Moreau, c’est à la suite de ses séjours à Saint-Tropez puis à Collioure en 1905 qu’Henri Matisse imposa son style, le fauvisme, caractérisé par l’emploi de larges aplats de couleurs violentes, sans souci de réalisme, dans un dessin et un modelé volontairement sommaires mais très expressifs.

En décembre 1917, il décide de s’installer à Nice, déclarant « Moi, je suis du Nord. Ce qui m’a fixé, ce sont les grands reflets colorés de janvier, la luminosité du jour ».

En 1930, il fait un séjour de trois mois à Tahiti, où la nonchalance et la lumière moelleuse le séduisent. Pendant la guerre, il s’installe à Vence, et à partir de 1949 commence à travailler au décor de la chapelle du Rosaire de Vence, qui sera consacrée en 1951.
Il passe ses dernières années à l’hôtel Régina à Cimiez (Nice), où son état de santé le contraint à dessiner au plafond, depuis son lit, à l’aide d’un fusain attaché à un long bambou.

Ce sont toutes ces étapes que le musée du Cateau-Cambresis permet de suivre pas-à-pas, des natures mortes de la période d’apprentissage (1892-1897) au plafond de sa chambre-atelier à Nice où, en 1950, il traça le portrait de Jacqueline, Claude et Gérard, ses petits-enfants venus fêter ses quatre-vingt-ans.

« Ce sont mes petits-enfants. J’essaie de me les représenter et quand j’y parviens, je me sens mieux. Alors, je les ai dessinés au plafond pour les avoir sous les yeux, surtout pendant la nuit. Ainsi, je me sens moins seul ».

Au long du parcours, on admirera tout particulièrement les superbes Coquelicots et iris (1912), le fauve Portrait de Marguerite (1906-1907), le sensuel Nu, étude d’un mouvement de jambes (lithographie, 1929) ou encore la voluptueuse sculpture du Grand nu assis, que Matisse ne cessa de modifier et retoucher durant sept ans (1922-1929).

On s’arrêtera longtemps devant la profusion de couleurs des tableaux peints dans le Midi dans les années 1940, avec leurs fleurs et plantes luxuriantes, leurs intérieurs lumineux, leurs teintes jaunes et rouges, telles ces Deux jeunes filles, robe jaune, robe écossaise, imprégnées de soleil, sereines et épanouies.

On appréciera toujours les belles gouaches découpées, comme cette Vigne (1953), un « vitrail » de bleu, rose, jaune et vert vifs tout en coeurs et volutes (image) ; ou le célèbre Jazz (1947), où vagues et coraux évoquent une drôle de frise végétale…

Mais le plus bel endroit du musée est certainement le cabinet de dessins, au rez-de-chaussée.
Dans cette salle agréablement cossue, garnie de bois foncé du sol au plafond, sont réunis les dessins et gravures donnés par Matisse à la ville en 1952.

Ambiance chaude, sombre et intime pour découvrir de très beaux nus d’hommes et de femmes, notamment les époustouflantes Odalisque à la culotte de satin rouge et Grande odalisque à la culotte bayadère (1925) mais aussi une série de portraits hyper féminins, sans oublier un bel Autoportrait réalisé en 1900.

« Mon dessin au trait est la traduction directe et la plus pure de mon émotion » affirmait-il.

C’est avec beaucoup de douceur que cette émotion est encore transmise au visiteur plus de cinquante ans après la donation de l’artiste, qui avait à l’époque déclaré :

« J’ai compris que tout le labeur acharné de ma vie était pour la grande famille humaine, à laquelle devait être révélée un peu de la fraîche beauté du monde par mon intermédiaire.
Je n’aurai donc été qu’un médium ».

Musée départemental Matisse Le Cateau-Cambrésis
Palais Fénelon – 59360 Le Cateau-Cambresis
tél. : 00 33 (0)3 27 84 64 64
mél. : museematisse@cg59.fr
Tlj sauf le mardi, de 10 h à 18 h
Entrée 4,50 € (TR 3 €), gratuit les 1ers dimanches du mois et Journées du Patrimoine
Audio-guide (gratuit)
Visites guidées pour tous le samedi à 15 h et le dimanche à 10 h 30
Ateliers pour les enfants en période scolaire et durant l’été
Accès : à 90 km de Lille et 170 de Paris ; les week-ends et jours fériés un train Corail Intercités fait la liaison Paris/Le Cateau-Cambresis.

Image : Henri Matisse, Vigne, 1953, Papiers gouachés, découpés et collés, don de Pierre Matisse en 1982

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La fugitive. Le deuil d'Albertine

Marcel Proust La RechercheLe narrateur est terrassé de chagrin par la mort d’Albertine.

Mais petit à petit et inexorablement l’oubli fait son oeuvre :

« On n’est que par ce qu’on possède, on ne possède que ce qui nous est réellement présent, et tant de nos souvenirs (…) partent faire des voyages loin de nous-même, où nous les perdons de vue ! »

Les souvenirs s’en vont-ils pour autant définitivement ?

Ils ont des chemins secrets pour rentrer en nous. Et certains soirs, m’étant endormi sans presque plus regretter Albertine – on ne peut regretter que ce qu’on se rappelle – au réveil je trouvais tout une flotte de souvenirs qui étaient venus croiser en moi dans ma plus claire conscience, que je distinguais à merveille.

Au fur et à mesure que le souvenir d’Albertine s’éloigne, il se met à la voir autrement.

Il s’aperçoit alors seulement à quel point il l’aimait car « Une impression de l’amour est hors de proportion avec les autres impressions de la vie, mais ce n’est pas perdu au milieu d’elle qu’on peut s’en rendre compte ».

C’est avec beaucoup de tendresse et de respect qu’il pense alors à Albertine et à la dernière soirée qu’ils ont passé ensemble avant sa fuite :

Je tâchais d’embrasser l’image d’Albertine à travers mes larmes en pensant à toutes les choses sérieuses et justes qu’elle avait dites ce soir-là.

Dévoré par le remords, il refait le scénario, s’invente des « si » et leur suite plus favorable :

Or cette Albertine si nécessaire, de l’amour de qui mon âme était maintenant presque uniquement composée, si Swann ne m’avait pas parlé de Balbec je ne l’aurais jamais connue.

Réflexions qui immanquablement mènent à une culpabilité qui en rappelle une autre :

Et ainsi il me semblait que par ma tendresse uniquement égoïste j’avais laissé mourir Albertine comme j’avais assassiné ma grand’mère.

Très bel été, très belles lectures à tous.

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La fugitive. Les amis se marient

Marcel Proust La RechercheA la fin de La Fugitive, alors que son amour pour Albertine est éteint et qu’aucun autre n’est venu le remplacer, le narrateur apprend le mariage de deux de ses connaissances, son ami Robert de Saint-Loup et le fils Cambremer.

Il en éprouve une profonde peine, liée à un certain deuil à accomplir :

De ces deux mariages, je ne pensais rien, mais j’éprouvais une immense tristesse, comme quand deux parties de votre existence passée, amarrées auprès de vous, et sur lesquelles on fonde peut-être paresseusement au jour le jour, quelques espoir inavoué, s’éloignent définitivement, avec un claquement joyeux de flammes, pour des destinations étrangères, comme deux vaisseaux.

Le mariages de ces jeunes hommes alimentent abondamment les conversations dans les thés et les dîners, en particulier dans le milieu bourgeois du narrateur.

Ainsi se déroulait dans notre salle à manger, sous la lumière de la lampe dont elles sont amies, une de ces causeries où la sagesse non des nations mais des familles, s’emparant de quelque événement (…) et le glissant sous le verre grossissant de la mémoire, lui donne tout son relief, dissocie, recule et situe en perspective (…) les noms des décédés, les adresses successives, les origines de la fortune et ses changements, les mutations de propriété.

C’est que les familles auxquels les intéressés appartiennent sont anciennes, et appartiennent en quelque sorte à l’histoire :

Cette sagesse-là n’est-elle pas inspirée par la Muse qu’il convient de méconnaître le plus longtemps possible si on veut garder quelque fraîcheur d’impressions et quelque vertu créatrice (…), la Muse qui a recueilli tout ce que les Muses les plus hautes de la philosophie et de l’art ont rejeté, tout ce qui n’est pas fondé en vérité, tout ce qui n’est que contingent mais révèle aussi d’autres lois : c’est l’Histoire !

Belles lectures et bel été à tous.

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La Fugitive. La mort d'Albertine

Marcel Proust La RechercheAlbertine est partie et ne reviendra pas.

Elle s’est tuée au cours d’une promenade à cheval, ainsi que Mme Bontemps l’a annoncé dans une lettre.

La nouvelle de la mort d’Albertine, aussi brutale qu’inattendue laisse le narrateur complètement « sonné », dans un de ces états où l’on ne parvient ni à bouger, ni à rester vraiment immobile :

L’élan de ces souvenirs si tendres, venant se briser contre l’idée qu’elle était morte, m’oppressait par l’entrechoc de flux si contrariés que je ne pouvais rester immobile ; je me levais, mais tout d’un coup, je m’arrêtais, terrassé.

A partir de ce jour, même l’aurore est différente ; elle n’est plus désormais que lumière froide et blafarde venant rappeler avec cruauté la chaleur de l’aube au temps d’Albertine :

Le même petit jour que je voyais au moment où je venais de quitter Albertine encore radieux et chaud de ses baisers, venait tirer au-dessus des rideaux sa lame maintenant sinistre dont la blancheur froide, implacable et compacte me donnait comme un coup de couteau.

Le profond chagrin dans lequel le narrateur s’enfonce lui fait renoncer à ses désirs les plus anciens et pourtant demeurés les plus vifs :

Cette Venise où j’avais cru que sa présence me serait importune (sans doute parce que je pensais confusément qu’elle m’y serait nécessaire), maintenant qu’Albertine n’était plus, j’aimais mieux ne pas y aller.

Bel été et belles lectures à tous.

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Le temps retrouvé. Les regrets et l'oubli

Marcel Proust La RechercheAu début du Temps retrouvé, le dernier tome de A la recherche du temps perdu, le narrateur retourne à Combray.

Les années ont passé.

Gilberte, son premier amour, est désormais mariée à son ami Robert de Saint-Loup.
Mais celui-ci la délaisse et la confie plutôt aux soins du narrateur.

Se promenant et bavardant avec elle sur les terres de son enfance, il se rend compte qu’il n’a pas su connaître et comprendre les femmes qu’il a aimées :

Et tout d’un coup, je me dis que la vraie Gilberte, la vraie Albertine, c’étaient peut-être celles qui s’étaient au premier instant livrées dans leur regard, l’une devant la haie d’épines roses, l’autre sur la plage.

Viennent alors les regrets :

Et c’était moi, qui, n’ayant pas su le comprendre, ne l’ayant repris que plus tard dans ma mémoire, après un intervalle où par mes conversations tout un entre-deux de sentiment leur avait fait craindre d’être aussi franches que dans la première minute, avait tout gâté par ma maladresse. Je les avais « ratées »…

Mais son amour pour Gilberte est définitivement enterré car plus fort encore est l’oubli, qui ensevelit tout, y compris la peine :

Car il y a dans ce monde où tout s’use, où tout périt, une chose qui tombe en ruine, qui se détruit encore plus complètement, en laissant encore moins de vestiges que la Beauté : c’est le Chagrin.

Bonnes lectures et bon week-end à tous.

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La Fugitive. L'oubli d'Albertine à Venise

Marcel Proust La RechercheLe narrateur finit par faire avec sa mère le voyage à Venise dont il rêvait si fort et depuis si longtemps, auquel il avait même un temps renoncé après la mort d’Albertine.

Mais progressivement, il oublie Albertine et peut à nouveau aimer.

C’est ainsi qu’il profite des ses après-midi pour explorer une Venise « intime » :

J’y trouvais plus facilement en effet de ces femmes d’un genre populaire, les allumettières, les enfileuses de perles, les travailleuses du verre (…) que rien ne m’empêchait d’aimer, parce que j’avais en grande partie oublié Albertine, et qui me semblaient plus désirables que d’autres, parce que je me la rappelais encore un peu.

Mais ce ne sont que les derniers soubresauts, l’agonie d’un amour bientôt mort :

De sorte que cet amour, après s’être tellement écarté de ce que j’avais prévu d’après mon amour pour Gilberte, après m’avoir fait faire un détour si long et si douloureux, finissait lui aussi, après y avoir fait exception, par rentrer, tout comme mon amour pour Gilberte, dans la loi générale de l’oubli.

Pourtant un tableau de Carpaccio dans une salle de l’Académie de Venise, Le Patriarche di Grando exorcisant un possédé faillit faire échouer cet oubli définitif, parce qu’il y a reconnu, sur le dos de l’un des personnages, un manteau lui rappelant un de ceux qu’il avait offerts à Albertine :

J’avais tout reconnu, et, le manteau oublié m’ayant rendu pour le regarder les yeux et le coeur de celui qui allait ce soir-là partir à Versailles avec Albertine, je fus envahi pendant quelques instants par un sentiment trouble et bientôt dissipé de désir et de mélancolie.

Belles lectures et bel été à tous.

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