Anna-Eva Bergman. Passages

Alors que se tient au Musée d’art moderne de la Ville de Paris une rétrospective consacrée à Hans Hartung, le Musée des Beaux-Arts de Caen propose au même moment une exposition consacrée aux œuvres de son épouse, Anna-Eva Bergman (1909-1987), dans la continuité des deux voyages de l’artiste au nord de la Norvège, en 1950 et 1964.

Née en Suède, mais ayant vécu sa jeunesse chez sa mère en Norvège, Anna-Eva Bergman se destine très tôt à la carrière artistique. A l’occasion d’un séjour en France, elle fait la connaissance, à l’âge de 20 ans, d’Hans Hartung, qui en a cinq de plus. Ils se marient trois mois après leur première rencontre. Le couple se sépare en 1938, mais se retrouve en 1952 et se remarie en 1957. Les deux artistes ne se quitteront plus. En 1967, ils achètent un terrain sur les hauteurs d’Antibes dans l’intention d’y construire une maison. Ils s’installeront dans celle-ci, où chacun dispose d’un immense atelier, en 1973. Ce n’est que quelques années après la disparition d’Anna-Eva, en 1987, que son travail a commencé à susciter un grand intérêt. La création de la Fondation Hans Hartung-Anna Eva Bergman en 1994 est l’occasion de la découverte de la portée et de l’originalité de son œuvre.

L’exposition relate les deux voyages d’Anna-Eva Bergman dans le Grand Nord, le premier en 1950, le second en 1964, en compagnie d’Hans Hartung. Les œuvres de la première période évoquent encore l’Ecole de Paris, voire le surréalisme. Très graphiques, elles ne dissimulent pas la difficulté à rendre ces paysages ultimes. Les bleus voisinent volontiers avec des couleurs chaudes, le jaune surtout, le rouge ou l’ocre.

Entre 1950 et 1964, Bergman fait évoluer les grands principes de son œuvre : elle vise une extrême simplification, que la redécouverte du Grand Nord conforte. Désormais, le paysage se focalise dans ses tableaux sur un seul élément, massif et statique: fjords, glaciers, barques, falaises ou horizons. Les grands formats sont peints dans des gris ou, le plus souvent, des bleus sombres rehaussés par des feuilles de métal qui donnent à l’ensemble une très belle luminescence. En témoignent, par exemple, les superbes « Fjord n°2-1968 » et « Montagne transparente n°4-1967 ». Selon la formule d’Anna-Eva Bergman elle-même, cette utilisation très personnelle de métaux permet à ses toiles,  sans user du recours à des artifices de perspective, de bénéficier d’effets visuels inédits, effets que le spectateur est en mesure de provoquer en bougeant devant la toile.

L’exposition se termine par l’affichage de petits « acryliques et feuilles de métal », chefs d’œuvre de concision et de pureté.

Cette visite constitue donc une très belle introduction à l’œuvre d’Anna-Eva Bergman, qui invite à la méditation et au recueillement, dans l’attente de la rétrospective que le Musée d’art moderne de la Ville de Paris lui consacrera en 2021.

Jean-Yves

Musée des Beaux-Arts de Caen

Jusqu’au 1er mars 2020

Ouvert du mardi au vendredi de 9h30 à 12h30 et 13h30 à 18h, week-ends et jours fériés de 11h à 18h

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Hartung et les peintres lyriques

Jean-Yves nous ramène de Bretagne une belle idée d’excursion en cette fin d’hiver : l’exposition consacrée à Hartung et d’autres peintres lyriques à Landerneau. Merci Jean-Yves de nous faire partager ce coup de coeur !

Mag

Le Fonds pour la Culture Hélène et Edouard Leclerc qui avait organisé, à Landerneau, une très belle rétrospective Chagall en 2016, récidive dans la qualité en proposant, cet hiver et jusqu’au 17 avril, une exposition consacrée à Hans Hartung et à quelques autres peintres lyriques.

L’accrochage chronologique des œuvres de l’artiste commence par ses tableaux de jeunesse, dans les années 1930, quand il s’engage délibérément et sans retour vers la non-figuration. S’ils n’ont pas la maîtrise des œuvres ultérieures, ces tableaux, souvent moins exposés que le reste de la production d’Hartung, demeurent intéressants, notamment quand ils illustrent la technique du report adoptée alors par le peintre, consistant à reproduire exactement sur tableaux les dessins sur papier.

L’exposition se poursuit en survolant la production d’Hartung dans l’immédiat après-guerre pour s’attarder sur les réalisations de la fin des années 1950 et des années 1960 lorsque la technique du peintre évolue : plus sûr de son geste, l’artiste explore une nouvelle méthode de mise à distance et n’hésite pas à employer divers instruments inattendus (pistolets de carrossier, lames ou râteaux). La recherche constante de nouvelles méthodes le conduira plus tard à employer un spray pour pulvériser de la peinture acrylique sur la toile, voire à frapper celle-ci au moyen de balais de genêt…

Les accrochages rendent très bien compte de ces évolutions, les griffures et zébrures laissant progressivement la place aux masses sombres, puis à un renouveau jubilatoire de la gamme chromatique.

Hartung continuera à peindre quasiment jusqu’à la fin de sa vie, à 85 ans, dans une approche toujours très physique de son art… C’est dans son œuvre finale qu’il parvient à la plus grande amplification de son geste, dans des tableaux de grande taille.

La visite est ponctuée d’îlots ouverts à d’autres peintres lyriques. Le premier expose des œuvres de quelques représentants de la Nouvelle Ecole de Paris (Simon Hantaï, dont on retrouve avec plaisir deux tableaux, Gérard Schneider, Georges Mathieu) et met leurs contributions en résonance avec celle d’Hartung… Le second, occupé essentiellement par des peintres américains (Cy Twombly, Willem de Kooning, Helen Frankenthaler), annexe aussi Jean Degottex, dont on apprécie le très beau « L’adret ». Le dernier, enfin, permet de découvrir certains « héritiers » d’Hartung (Jaffe, Traquandi, Polke…), même si la filiation ne saute pas toujours aux yeux du néophyte.

L’exposition, la première de cette importance consacrée en France au peintre depuis 2008, souligne donc la grande diversité de la production d’Hartung et la hauteur de son influence. Elle permet de deviner comment, dans sa volonté d’exploration, la démarche du peintre reste marquée par une grande rigueur, davantage peut-être que par l’effusion qui s’attache souvent au lyrisme. Elle donne enfin à retrouver quelques-uns des principaux acteurs de ce mouvement, l’abstraction lyrique, qui constitue l’une des étapes majeures de la peinture au cours de la seconde partie du 20ème siècle.

Jean-Yves

Hartung et les peintres lyriques

Fonds Hélène et Edouard Leclerc pour la Culture

Les capucins – 29800 LANDERNEAU

Jusqu’au 17 avril 2017

 

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Amedeo Modigliani. L’œil intérieur

modigliani_femme_assise_robe_bleueNotre ami Jean-Yves s’est rendu au LaM dans le Nord pour visiter la rétrospective consacrée à Modigliani… Ce qu’il en dit nous fait pâlir d’envie ! Merci Jean-Yves de partager ainsi ce magnifique moment de peinture !

Mag

Le LaM à Villeneuve d’Ascq, qui détient une collection exceptionnelle de peintures, sculptures et dessins de Modigliani propose une très belle traversée de l’œuvre de l’artiste, né en Italie en 1884 et arrivé à Paris en 1906.

modigliani_lamCette présentation est construite en trois parties, à la fois thématiques et chronologiques. La première s’attache à démontrer la diversité des sources d’inspiration de Modigliani : il est fou d’art égyptien qu’il consulte régulièrement au Louvre, mais sa sensibilité s’imprègne aussi des références khmères, cycladiques et africaines. S’essayant à la sculpture malgré un manque de formation dans cette discipline, il s’entoure des conseils de Brancusi qu’il a rencontré à Montparnasse, mais il doit abandonner cet art pour des raisons de santé et financières (il ne parvient pas à trouver de mécène). De cette époque, on admire une très belle « Tête de femme », la seule sculpture en marbre de l’artiste, mais aussi des dessins et une superbe « Cariatide » sur fond bleu, dessinée au crayon et lavis d’encre.

tete_rouge_amedeo_modiglianiLa deuxième partie met en évidence l’importance du portrait d’artiste dans sa production. Dès 1915-1916, Modigliani cherche à définir son style, immédiatement reconnaissable : figures de forme ovoïde, yeux le plus souvent sans pupilles et de hauteurs distinctes, nez aux arrêtes tranchées, cous en pur cylindre, fonds minimaux et abstraits… Côtoyant les peintres de la future Ecole de Paris (Moïse Kisling, Chaïm Soutine, Pinchus Kremègne), Modigliani dresse leur portrait dans des tableaux et croque aussi (au crayon ou au graphite) Max Jacob, Pablo Picasso (qui le sous-estimait) et Jean Cocteau qui, n’aimant pas la représentation faite de lui par le peintre italien, s’en séparera rapidement. Toutes ces œuvres sont intéressantes, mais on se permettra une préférence pour la « Tête rouge » qui synthétise à la fois l’art africain, le cubisme, le fauvisme et l’art de Cézanne. L’exposition ne manque pas de rappeler que ce dernier est la référence absolue de Modigliani.

modigliani_jeune_filleLa fin de l’exposition est consacrée aux dernières années de l’artiste. Soutenu par le marchand d’art Léopold Zborowski, dont il dressera deux beaux portraits, accrochés aux murs du musée, Modigliani parvient à une peinture plus sereine. Les couleurs s’éclaircissent, la ligne des corps s’arrondit et devient plus voluptueuse, comme en témoigne le « Nu assis à la chemise », dont le dessin raffiné et la touche délicate restituent toute la fragilité de la femme. La présentation de ses nus lors d’une exposition de décembre 1917 fera scandale. Mais la préoccupation première du peintre reste le visage. Modigliani continue à représenter ses amis artistes et ses proches, mais il donne aussi une place plus importante aux anonymes. Il ne peindra des paysages (qui demeureront rares dans sa production) qu’à partir de 1918, lors d’un séjour dans le sud de la France organisé par Zborowski.

modigliani_nuL’exposition rend également hommage à Roger Dutilleul que Modigliani rencontre en 1919 et qui deviendra un collectionneur assidu du peintre (il achète et échange 35 peintures et 26 dessins) et ne cessera de défendre son œuvre bien au-delà de la mort de l’artiste en 1920. La donation par son neveu Jean Masurel de quatorze pièces de la collection est à l’origine de la création du LaM, qui a donc toute légitimité pour monter cette rétrospective, la première d’importance depuis celle organisée au Musée du Luxembourg en 2002. Au-delà de la qualité des pièces présentées, l’exposition est passionnante par son côté didactique qui permet de suivre l’évolution du parcours de l’artiste au travers de ses influences, de ses rencontres…

La visite donne aussi l’occasion de s’attarder dans les collections permanentes du musée, riches de quelques tableaux cubistes de Picasso et de Braque, d’œuvres de Fernand Léger, de Miro, de Jenkins, et de pièces représentatives de l’abstraction lyrique : Manessier, Poliakoff, Staël, Estève, Ubac…

Amedeo Modigliani. L’œil intérieur

LaM

1, allée du Musée – Villeneuve d’Ascq (59)

Jusqu’au 5 juin 2016

Jean-Yves

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Manessier. Du crépuscule au matin clair

Alfred Manessier Petit port au matin clair
Alfred Manessier
Petit port au matin clair

Connaissez-vous le Musée Mendjisky à Paris ?… Une exposition consacrée à Alfred Manessier y est organisée jusqu’au 15 octobre. Heureusement que la curiosité et le flair de Jean-Yves sont là pour nous inciter à emprunter des chemins de traverse… Merci à lui !

Mag

Le Musée Mendjisky – Ecoles de Paris, ouvert en 2014, rend un bel hommage à Alfred Manessier (1911-1993), peintre majeur de l’art abstrait et figure tutélaire de la Seconde Ecole de Paris.

L’exposition, la première à Paris depuis la rétrospective au Grand Palais en 1992, illustre bien le parcours de cet artiste. Elle témoigne de la sensibilité aux variations de la lumière de cet homme du Nord dont la vocation de peintre se dessina, vers douze ans, devant la baie de Somme où il passait ses vacances. Sans particulièrement respecter un ordre chronologique, les accrochages affichent, dans la première salle, des œuvres peintes entre 1943 et 1956, dont les noms sont évocateurs : « Espace matinal », « Formes au crépuscule », « Nocturne marin »… et surtout un grand tableau « La nuit » (1956), qui fit partie, comme des Modigliani, Miro ou Dubuffet, de la collection d’Otto Preminger.

A l’invitation de ses amis le poète Camille Bourniquel et la peintre Elvire Jan, Manessier découvre la Provence en 1958, puis en 1959. Sous l’effet d’une « frénésie de dessiner », sa palette devient alors plus colorée et son expression plus mouvementée : « Aube sur la garrigue », « La nuit au mas ». La même veine lumineuse traverse son œuvre lorsqu’il découvre l’Espagne en 1963 (« Vent du soir sur Tolède »). On peut admirer tous ces tableaux sur les cimaises du musée.

L’exposition évoque également la période surréaliste de Manessier (fin des années 30), et elle rassemble aussi d’émouvantes œuvres de jeunesse des années 20, sous la forme d’études figuratives de petits formats, peintes sur le motif, autour du port du Crotoy.

Cherchant à « exprimer la prière intérieure de l’homme, à atteindre aux arts sacrés », Manessier considérait son œuvre comme indissociable de son engagement spirituel. Nous savons qu’il fut le premier artiste à proposer des vitraux non figuratifs dans une église. L’exposition propose ici des répliques de vitraux posés dans l’église du Saint-Sépulcre à Abbeville, la ville de son enfance. Une grande tapisserie suspendue, s’inspirant de « La nuit », démontre aussi combien Manessier est à l’aise dans les œuvres monumentales, en laine (tapisseries) et en verre (vitraux).

Alfred Manessier La petite source nocturne
Alfred Manessier
La petite source nocturne

Le peintre attachait une grande importance à l’amitié qu’il entretenait d’autres artistes. Un espace leur étant réservé, on pourra admirer des compositions de Jean Bazaine, Jean Le Moal, Jean Bertholle, Elvire Jan…

Enfin, la visite au musée donne l’occasion de découvrir ce lieu édifié, en 1932, comme atelier d’artiste par l’architecte Robert Mallet-Stevens pour son ami, le maître verrier Louis Barillet. Cette maison, attachée à la naissance des avant-gardes dans la première moitié du XXème siècle, apparaît comme représentative de l’art total dont se réclamait Mallet-Stevens. On y admirera les vitraux et les mosaïques, tout comme l’omniprésence du verre sous toutes ses formes. L’exposition ne manque pas de rappeler, par ailleurs, que Manessier vécut et travailla longtemps en voisin, rue de Vaugirard.

Jean-Yves

Manessier. Du crépuscule au matin clair

Musée Mendjisky – Ecoles de Paris

15 square de Vergennes – Paris 15°

(Accès à hauteur du 279, rue de Vaugirard)

Jusqu’au 15 octobre 2015

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Chaïm Soutine à la Pinacothèque de Paris

Chaim Soutine, vue de Cagnes, Pinacothèque de ParisNé à la fin du XIXème siècle en Biélorussie, Chaïm Soutine émigre à Paris en 1913.

A la Ruche, atelier de Montparnasse, ses contemporains sont Chagall, Kikoïne, Lipchitz – le groupe appelé Ecole de Paris.

Il noue avec Modigliani une amitié qui durera jusqu’à la mort du peintre italien en 1920.
Le même Modigliani le présente au marchand d’art Léopold Zborowski : grâce à lui, tiré de la misère la plus noire, Soutine pourra vivre confortablement de son art durant le reste de sa vie, jusqu’à ce que son estomac malade ait raison de lui en 1943.

Ce parcours n’explique pas la tourmente qui caractérise la peinture de Soutine, qualifiée souvent d’expressionniste. Enfance très pauvre dans une famille juive orthodoxe, souffrances passées, repli sur soi, solitude et dépression : beaucoup de choses ont été écrites, parfois tout et son contraire, sur un artiste qui n’a laissé aucun écrit pour confirmer ou infirmer les hypothèses, lever ce voile de mystère qui couvre en grande partie sa vie intime.

Restent ses tableaux. Il en a peint et détruit beaucoup.
De l’exposition visible à la Pinacothèque de Paris jusqu’au 27 janvier prochain, les plus fascinants sont les paysages peints à Cagnes et à Céret. Au départ, des coups de brosse aux aplats larges et rapides, un sens de la composition très séduisant, des couleurs éclatantes et des contrastes très maîtrisés : point de tourmente encore, mais des paysages singuliers, un peu bousculés, où l’élément central, route montante ou escalier monumental, fait déjà tanguer les constructions.

Puis, à partir des années 1920, les couleurs et la matière se densifient, s’entremêlent ; les coups de pinceau sont de plus en plus mouvants. Sous les rafales du mistral, les arbres se tordent et poussent les maisons vers l’extérieur du cadre, carrément menacées d’effondrement.
Il frise alors parfois l’abstraction, mais au bénéfice d’une formidable puissance. Et l’énergie dévastatrice est bien souvent contrariée par des couleurs chaudes ici ou là qui viennent évoquer un élan vital qui refuse de céder.

Si le thème de la violence, ou du moins de la menace, est constant dans une grande partie de l’oeuvre de Soutine – comme en témoignent ses personnages osseux à l’oeil noir et aux longs doigts noueux, ses animaux morts et parfois même écorchés –, dans les années 1930 puis 1940, le peintre semble avoir trouvé la voie de l’apaisement. Âne, porc, taureau sont désormais montrés vivants et tranquilles dans leur milieu naturel.

Surtout, le très beau Paysage de Champigny (1942-1943) vient contredire tout ce que Soutine a exprimé des années auparavant : sur la crête d’une montagne, un enfant assis dans un cadre idyllique aux splendides couleurs froides regarde une blanche chèvre paître paisiblement.
Comme ici la tourmente semble loin…

Chaïm Soutine
Pinacothèque de Paris
28, place de la Madeleine – Paris 8ème
L’exposition est prolongée jusqu’au 2 mars 2008
Tlj de 10 h 30 à 18 h
Entrée 9 € (TR 7 €)

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