Beau retour au Mexique pour ''El violin'' de Francisco Vargas

El Violin de Francisco VargasLe billet inaugural de maglm était consacré à El violin, film beau et émouvant du Mexicain Francisco Vargas sur la lutte contre la dictature menée par quelques paysans, dont le personnage principal était Don Plutarco, un vieillard estropié d’une main et dont la musique était la seule arme.

L’accomplissement de ce projet relevait presque du miracle.
El violin n’était au départ qu’un court métrage de fin d’études au Centre de Formation Cinématographique du Mexique, où Francisco Vargas, après avoir étudié l’art dramatique et la communication a fait son apprentissage de réalisateur.

Bien qu’il ait eu d’emblée l’idée d’en faire un long métrage, ce n’est que grâce à la présentation du film au festival de de Guadalajara, où il a été récompensé, puis à Toulouse, dans le cadre de "Cinéma en Construction", et enfin à sa sélection à Cannes, que Francisco Vargas a pu terminer la version longue du Violin.

Le film fut donc projeté en 2006 à Cannes dans la sélection Un Certain Regard (il concourait également pour la Caméra d’Or) où il reçut le prix d’interprétation masculine pour la prestation de Don Angel Tavira dans le personnage de Don Plutarco.

Lors de sa sortie en France, le 3 janvier 2007, Francisco Vargas regrettait que son film ne soit pas distribué dans son pays. Il déplorait notamment que l’industrie du cinéma ne mise que sur des films commerciaux, "à l’américaine", alors que le public avait envie d’autre chose, avait même besoin de revenir à la culture mexicaine traditionnelle.

Mais le film a été montré un peu partout ailleurs et a reçu pas moins de 36 prix.

Au printemps 2007, il sort enfin au Mexique.
Les grands médias nationaux le soutiennent. L’hebdomadaire Proceso, enthousiaste, affirme :
« Un ejemplo de cine deseable, del mejor cine que se ha hecho en México, es El violín. El violín la película que acabe de una vez por todas con el miedo de saber quiénes y cómo somos. »

Il s’ensuit alors un immense succès, un véritable « phénomène de société » comme le soulignait un article du journal Le Monde (1er juin 2007) :

« Avec seulement 20 copies dans la capitale, plus de 160 000 personnes ont déjà vu ce long métrage en noir et blanc sans acteur connu, et qui évoque un épisode souvent occulté de l’histoire du Mexique : la répression brutale des guérillas paysannes dans les années 1960-1970. Les trois grands circuits de salles multiplexes avaient jugé inopportun de l’accueillir en 2006, à cause des tensions de la campagne présidentielle, puis de la longue crise post-électorale.
Les Mexicains, pensait-on, étaient saturés de politique. Au contraire : les gens applaudissent à la fin des projections, des écoles y envoient leurs élèves par bus entiers, les universités organisent des débats devant des amphis archicombles. Ce film indépendant, qui a coûté à peine 1 million de dollars, a obtenu, début mai, les meilleurs résultats d’exploitation après Spiderman 3, bombardé dans 950 salles. (…)
Selon Vargas, la réponse du public "est significative de l’état du pays, mais aussi du désir de voir du bon cinéma mexicain, et pas seulement des superproductions américaines".
L’impact du film est d’autant plus fort que l’opinion publique s’interroge sur des "dérapages" de l’armée, engagée depuis cinq mois dans des opérations contre les narcotrafiquants. (…)
Vargas et Canana Films ( société fondée par les acteurs Gael Garcia Bernal et Diego Luna ) veulent ensuite conduire le film jusqu’à des villages isolés, grâce à une "charette cinématographique": sa carrière mexicaine ne fait sans doute que commencer. »

C’est tout le bien qu’on lui souhaite…

Les hispanophones pourront lire une interview de Don Angel Tavira dans Proceso.

Et merci au lecteur qui m’a précisé la date de l’article du Monde.

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Une vie divine. Philippe Sollers

Une vie divine de Philippe Sollers Contre la résignation, le nivellement par le bas, le triste et misérable bougli-bougla culturel et sexuel, le modèlement social, l’anxiété générale, voici le singulier, l’esprit, l’esthétique, la joie.

La corde à suivre : celle de Nietzsche.
Aux incompréhensions dont le philosophe a été victime de son temps ; à ce que, selon Philippe Sollers, il est devenu historiquement, les multiples récupérations et déformations, approches toutes fausses de sa pensée, l’auteur oppose la sienne, l’éternel retour vu comme le bonheur présent d’une "éternité vécue".
En parallèle, la démonstration par l’exemple positif : le narrateur sollersien vivant ses amours (et lesquelles !), écrivant à Paris, davantage encore à Venise (on a connu pire), dissimulant son être, jouissant de sa vie divine (on le croit).

Philippe Sollers fournit toute la matière nécessaire à l’agacement : contentement de soi, administration de leçons (ce qu’il ne cesse précisément de pourfendre), et surtout, joie trop souvent associée à un confort matériel confinant au luxe (il ne dort pas sous les ponts à Venise).

Mais on renonce vite à l’agacement lorsqu’on lit des passages de cette veine :

« Il y a bien des épisodes cocasses ou tragiques dans une existence, joies, attentes, sables mouvants, chutes, maladies, déceptions, ennuis – mais il y a aussi les souvenirs honteux, ceux qui vous font monter le sang au visage. Consternantes niaiseries, égoïsme, mensonges idiots, mauvaises actions, lâchetés, bêtises. C’est là que la Commandeuse Morale vous rejoint, se redresse, se gonfle, veut vous juger, réécrire l’histoire à votre place, vous rapetisser et vous écraser. Eh bien non, vous n’allez pas être écrasé, mais rire. « Repens-toi, scélérat ! » – « Non ! » – « Si ! » – « Non ! » – « Si, si ! » – « Non, vieille infatuée, non ! »

Beauté, liberté, quant-à-soi, soleil, présence au monde ici et maintenant, aménagements discrets pour échapper au vulgaire… bain souverain, divine proposition.

Une vie divine. Philippe Sollers
Folio Gallimard (2006, 2007 pour l’édition de poche)
503 p., 7,70 €
Site des Editions Gallimard

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L'aube le soir ou la nuit. Yasmina Reza

L'aube le soir ou la nuit Yasmina RezaCombien de temps a-t-il fallu à Yasmina Reza pour être séduite par Nicolas Sarkozy ? On ne le sait pas exactement.

En tout cas, à la page 40, elle semble déjà "cuite" : De temps en temps, il se tait et me détaille. Il a des yeux doux et rieurs
Cette phrase pourrait être extraite de n’importe quel roman d’amour, elle décrirait le moment où le lecteur est invité à comprendre que le narrateur commence à se sentir exister dans les yeux de l’autre.
Cette impression d’"histoire d’amour" (platonique), visiblement irrésistible conséquence de l’intimité qui se crée au fil de la campagne du candidat, dont l’auteur partage chaque instant, ne fera que se confirmer, l’auteur avouant, vers la fin du livre Pourtant, c’est souvent hors micro, hors caméra, livrant, sans y penser, la pleine mesure de sa liberté que je l’admire sans réserve.

On ne saurait dénier à Yasmina Reza l’authenticité de son intention artistique : connaître par soi-même ce personnage fascinant qu’est le probable futur président de la République, l’homme le plus médiatisé de France, celui qui fait couler le plus d’encre ("Je suis quand même une source inépuisable pour vos articles de merde !", aurait-il déclaré à des journalistes du Monde et du Figaro).

Donc, aller visiter les coulisses, faire de l’homme le sujet d’un roman, d’un récit, d’une pièce de théâtre, peu importe, le projet était excitant.
Et ne pouvait qu’être destiné à un colossal succès commercial compte tenu de la notoriété de l’auteur et de son sujet.

Mais le résultat révèle, hélas, bien peu de choses. Yasmina Reza fait de Nicolas Sarkozy un portrait attachant puisqu’elle souligne ce que le personnage a de profondément humain : l’enfance, la peur de la solitude, la peur du temps, de la mort… aspects dont on a pas attendu ce livre pour avoir un aperçu.

Seulement, en insistant sur l’humanité de l’animal politique extraordinairement puissant, ne commet-elle pas une hagiographie inespérée ?

Reste que Yasmina Reza avait une intention seconde (ou première) en entreprenant L’aube le soir ou la nuit : déceler chez Nicolas Sarkozy ce dans quoi elle pourrait se reconnaître : se regarder dans le miroir qu’il a accepté de lui tendre.
Le livre distille alors au fil des pages une sorte de quête de soi via le futur président, quête qui, dans ce cadre de référence, prend une ampleur incommensurable…

Malgré le talent et la finesse de Yasmina Reza, le résultat est sans surprise. Plus on avance dans l’ouvrage, plus on se demande "à quoi il sert."
Si on apprend quelques détails propres à satisfaire notre curiosité de grand public, d’un point de vue littéraire, ce journal de "l’accompagnatrice" est d’une vanité proche de l’absolu.

La fin en queue de poisson, où l’écrivain est censée avoir avec celui qui est désormais le nouveau président de la République sa première conversation réelle, mais dont elle affirme qu’elle ne peut rien tirer pour l’écriture a tendance à le confirmer furieusement.

L’aube le soir ou la nuit. Yasmina Reza
Flammarion (août 2007)
186 p., 18 €

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Le Musée de la Vie romantique accueille Jean-Jacques Henner

La liseuse de Jean-Jacques HennerDans la seconde moitié du XIXème siècle, alors que l’avant-garde impressionniste s’enflamme, la peinture officielle continue de remplir les Salons.

Si l’on s’est largement détourné, au XXème siècle, de ces peintres académiques, figures du conservatisme le plus repoussant, on redécouvre Jean-Jacques Henner aujourd’hui avec l’intime plaisir de se plonger dans les derniers soubresauts du romantisme.

Cet Alsacien, fils de cultivateurs, qui a suivi la voie classique (formation en province puis à l’Ecole des Beaux-Arts et dans les ateliers parisiens, fréquentation assidue du Louvre, Grand Prix de Rome et Villa Médicis) n’a certes contribué à aucune révolution.

L’oeuvre de ce peintre aux influences multiples (Renaissance italienne, Holbein, Ingres, Corot, Prud’hon…) ne se rattache à aucun courant pictural du XIXème siècle.
Régulièrement exposé et récompensé dans les Salons et les Expositions Universelles, ainsi qu’au musée du Luxembourg après l’achat de certaines de ses oeuvres par l’Etat, il fut également un portraitiste recherché dans la société bourgeoise du XIXème siècle.

Ses portraits ne passionneront guère les foules aujourd’hui.
L’Alsace. Elle attend (1871), qui fut l’emblème du deuil national après la perte de l’Alsace-Lorraine en 1870 et Alsacienne ou Eugénie Henner en Alsacienne tenant un panier de pommes (1869-1870) ne sont pourtant pas totalement assommants : ils sont même saisissants de pose et d’attente, de vie qui se résigne et se fige dans la fleur de l’âge…

Ce n’est pas pour elles qu’on se déplacera mais pour la belle nymphe rousse, déclinée en de multiples tableaux de tous formats, tantôt sa peau laiteuse prenant le nacré de la porcelaine, nu sophistiqué quelque peu ingresque, tantôt son corps de déesse se modelant par le jeu de l’ombre et de la lumière dans un léger flou propice au rêve et à l’abandon.
On retrouve cette veine, la plus touchante chez Henner, dans Le rêve ou Nymphe endormie (1892) et Paysage de Troppmann-Kinck (1879) où le coup de pinceau libre et fluide, ce que le peintre appelait les petits tons, les contrastes exagérés de l’eau et du ciel clairs avec la végétation brune, presque noire, expriment une nature très poétique, voire mélancolique.

De la peinture de Jean-Jacques Henner, qui compte également un grand nombre de tableaux religieux (dont les impressionnants Jésus au tombeau et Saint Sébastien), on retient donc surtout la magnifique sensualité de ses nus. La seule Femme qui lit dite La Liseuse (1883), avec toujours sa chevelure rousse et libre, son corps alangui doucement modelé, redressé au dessus d’un livre grand ouvert, dans une ambiance chaude et vaporeuse fera aimer cet "académique"-là.

Face à l’impressionnisme
Jean-Jacques Henner, le dernier des romantiques
Musée de la Vie romantique
Hôtel Scheffer-Renan, 16 rue Chaptal – Paris 9ème
Jusqu’au 13 janvier 2008
TLJ sf lundis et jours fériés de 10 h à 18h
M° St-Georges, Blanche, Pigalle, Bus 74, 67, 68
Entrée 7 € (TR 5,50 et 3,50 €)
Entrée libre pour les collections permanentes

Avant de partir, on peut prendre un verre, un déjeuner léger ou un goûter dans le jardin du salon de thé (ouvert de mai à octobre de 11 h 30 à 17 h30), au milieu d’un fouillis végétal parsemé, en septembre, de rosiers remontants, de dahlias et de roses trémières.

Image : Femme qui lit dite La Liseuse (1883)

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Dunkerque l'Européenne : De Gerhard Richter à Markus Sixay, Particules d'histoire

Gunter Forg, Installatie 2Gunter Forg, Installatie 1Après l’Espagne en 2003, avec un programme parrainé par Jorge Semprun, puis l’Angleterre en 2005, pour sa troisième édition, la biennale de culture contemporaine Dunkerque l’Européenne se tourne vers l’Allemagne contemporaine.

Jardins d’artistes, théâtre, danse, musique, expositions, cinéma, rencontres et débats ponctuent cette manifestation qui se déroule du mois de mai à novembre 2007, sous la signature de Jérôme Clément, président d’Arte-France, vice-président d’Arte.

Au LAAC (Lieu d’Art et d’Action Contemporaine) de Dunkerque la création plastique allemande est mise en valeur à travers l’exposition De Gerhard Richter à Markus Sixay… Particules d’histoire.

Ni exposition explicitement thématique, ni panorama complet, elle propose un regard sur la diversité et la vitalité de la scène allemande de 1970 à nos jours en peinture, sculpture, photo, installation.
Cette approche permet au visiteur, au fil de huit espaces judicieusement aménagés, de retrouver des artistes connus, d’en découvrir d’autres, d’établir des correspondances… et d’être souvent surpris.

C’est le cas lorsqu’il voit à ses pieds un carré blanc immaculé d’une étonnante brillance, intitulée Pierre de lait (1978) : une plaque de marbre légèrement concave recouverte de véritable lait ! Influencé par la spiritualité orientale, Wolfgang Laib a conçu son oeuvre comme un rituel d’offrande. Chaque matin, le réceptacle minéral est rempli de deux litres et demi de lait…
Esthétique minimaliste, pureté, cette création, au-delà de son côté anecdotique, détonne et inspire à une contemplation toute méditative.

Audace, surprise toujours, dans l’espace consacré à Gerhard Richter, l’artiste de ces vingt dernières années le plus connu en Allemagne. Ses "tableaux photographiques", reproductions picturales aux contours flous de photographies, ses monochromes gris sont bluffants. A côté, un grand et très beau tableau abstrait, Athen (1985) avec son explosion de couleurs vives dégage une formidable énergie. La puissance créative de l’oeuvre de cet artiste difficile à "dater" et à classer l’impose au premier plan de l’exposition.

Plus loin, on retrouvera un artiste multidisciplinaire dont on a déjà parlé côté peinture (qui est montré jusqu’au 9 septembre à l’hôtel des Arts de Toulon), Günter Förg. Ici sont installées face à face deux grandes photographies qui se répondent (Intallatie, 1986), portraits d’une toute jeune fille à deux âges différents, qui se reflètent l’une dans l’autre : enfance, temps qui passe, souvenirs… un ensemble éloquent et très touchant.
Si on ne peut citer tous les artistes exposés ni la diversité de leurs inspirations, on ne peut faire l’impasse sur la photographie objective allemande, en particulier avec les oeuvres du couple Bernd et Hilla Becher, qui, dès 1959 ont commencé à photographier des bâtiments industriels tels les hauts-fourneaux, les fours à charbons, les châteaux d’eau… Pris de face, ils sont présentés en séries de sujets identiques et créent une typologie d’éléments de l’industrie minière en Allemagne, mais aussi dans le reste de l’Europe et aux Etats-Unis.

Dans cette veine, appelée Ecole de Düsseldorf (du nom de l’académie où Bernd Becher enseigna), d’autres artistes leur ont emboîté le pas, tel Thomas Struth qui photographie les villes avec une objectivité poussée à l’extrême, montrant des immeubles sans leurs habitants mais dont l’architecture révèle les groupes sociaux qui les occupent. Ses photos froides et frontales l’inscrivent dans la mouvance de ceux qu’on pourrait appeler les "photographes-antropologues"…

De Gerhard Richter à Markus Sixay, Particules d’histoire
Dunkerque l’Européenne 3
LAAC de Dunkerque
Jusqu’au 28 octobre 2007
Jardin des sculptures – 59140 Dunkerque
parking rue des Chantiers de France
tél. : 03 28 29 56 00
mél. : art.contemporain@ville-dunkerque.fr
TLJ sauf le lundi
Mar., mer. et ven. : de 10 h à 12 h et de 14 h à 18 h 30
Jeu. de 10 h à 12 h et de 14 h à 20 h 30
Sam. et dim. de 10 h à 12 h 30 et de 14 h à 18 h 30

Image : Günther Förg, Installatie, 1986 © SMAK Gand

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Les Multiples de Beuys au Musée du dessin et de l'estampe originale

Les multiples de Beuys au musée de GravelinesIl n’existe en France qu’un seul musée exclusivement dédié à l’estampe originale.

Il est joliment installé à Gravelines, entre Dunkerque et Calais, dans la poudrière de l’ancien château de la ville ceinturée de remparts.

A travers l’exposition permanente Histoire et techniques de l’art de l’estampe, il explique les principales techniques de l’estampe, des origines, au XVème siècle, à nos jours (1).
Des oeuvres majeures de la riche collection du musée côtoient des outils de graveur et des presses : ce parcours esthétique est instructif rappelle que l’estampe est une oeuvre d’art à part entière et que, d’Albrecht Dürer à Picasso, en passant par Gustave Doré et Fernand Léger, des artistes très différents y ont recouru au fil des siècles.

Partie prenante de la manifestation Dunkerque l’Européenne 3, biennale de culture contemporaine qui se déroule jusqu’au mois de novembre 2007 sur le thème de l’Allemagne, le musée de Gravelines présente jusqu’au 28 octobre une exposition inédite consacrée aux Multiples de Joseph Beuys (1921-1986), artiste allemand qui n’avait pas été montré en France depuis 1994 (rétrospective au Centre Georges Pompidou).

Le Musée du dessin et de l’estampe est idéal pour valoriser les oeuvres (une centaine au total) d’un artiste qui, tenant que l’art devait être partagé et accessible au plus grand nombre, éditait ses oeuvres en grandes séries (pouvant aller jusqu’à 12 000 exemplaires), qu’il s’agisse d’estampes, de photographies, d’objet ou de vidéos.

C’est ainsi qu’à côté de différents multiples, où l’on peut souvent voir un hommage à Marcel Duchamp (de même que dans les tirages sur feuilles vinyles de photos retravaillés de ready-made de Duchamp), l’exposition met tout particulièrement en valeur l’oeuvre gravé et lithographié de Joseph Beuys.

On y découvrira, récemment acquis par le Musée, un très bel ensemble de neuf lithographies éditées en 1974 à partir de dessins réalisés dans les années 1950, ainsi que les émouvantes eaux-fortes de la Suite Larmes (1985), qui marquent un « retour aux sources » de l’artiste, le dessin ayant toujours eu chez ce grand admirateur de Leonard de Vinci une importance première, mais aussi la fidélité aux thématiques qui furent les siennes dès ses premières créations, notamment le monde animalier et la femme.

De ces motifs simplissimes mais éminemment symboliques, cerfs, cygnes, abeilles, de ces femmes (espiègle Jupons !), du trait parfois épuré, parfois violent, se dégage un grand lyrisme (poignante Tête de cerf, larme à l’oeil…).
Un sentiment que les teintes, lavis d’encre et aquarelle, véritablement naturelles à l’origine renforcent : Joseph Beuys utilisait en effet pour dessiner des matériaux organiques telles le sang ou la cire d’abeille.
Il était au demeurant fasciné par la nature et en particulier par la transformation de la matière, du liquide au solide notamment ; ainsi du sang qui se fige en séchant, de la cire d’abeille qui se fait miel…

Le film de l’interview donné par l’artiste au Musée des Beau-Arts de Calais en 1984 que l’on peut voir à la fin du parcours permettra d’en savoir plus sur cet artiste qui accordait à la spiritualité une place fondamentale.
Son discours humaniste, en appelant aux valeurs esthétiques, à la culture, à la créativité de chacun – même dans les actes les plus courants de la vie quotidienne -, considérés comme les seuls chemins d’accès à la liberté, s’écoute avec passion plus de 20 ans après sa mort : sa fraîcheur est souveraine.

Les Multiples de Beuys
Musée du dessin et de l’estampe originale
Château, Arsenal – 59 820 Gravelines
Tél. : 03 28 51 81 00
musee.de.gravelines@wanadoo.fr
TLJ sauf le mardi, de 14 h à 17 h
De 15 h à 18 h les samedi, dimanche et jours fériés
Entrée 2 € (TR : 1 €)
Gratuit chaque 1er dimanche du mois
Le 18 octobre prochain de 14 h à 16 h, une table ronde réunira Dominique Vieville, Directeur du Musée national Auguste Rodin, Jan Hoet, Directeur artistique du MARTa Herford (Allemagne), Maurice Blaussyld, Artiste, Yves Brochard, Professeur Agrégé, Université de Lille3 pour évoquer l’héritage de Joseph Beuys Plus de 20 ans après sa mort, quel héritage laisse Beuys ? Quelle place a t-il dans les musées ? Quelle influence a t-il sur les jeunes artistes ?

(1) Une estampe originale est une création artistique entièrement réalisée ou supervisée par l’artiste, puis attestée par la signature de ce même artiste.

Image : Non titré (Geyser, nymphe et cerf géant saignant), lithographie couleurs sur Zerkall gris-vert

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La fille coupée en deux. Claude Chabrol

Elle était adorablement enfantine dans 8 femmes, l’agaçante Petite Lili chez Claude Miller, craquante dans Les Chansons d’amour de Christophe Honoré.

Claude Chabrol en a fait une "princesse".
Ludivine Sagnier illumine totalement son dernier film, cette histoire de fille (Gabrielle) coupée en deux entre un écrivain d’âge mûr dont elle tombe amoureuse et qui ne l’aime pas, et un jeune dandy qu’elle n’aime pas et qui est non seulement fou d’elle, mais cinglé tout court.

Elle souffrira à cause du premier et épousera le second, qui…
Petite intrigue chabrolienne à souhait, le metteur en scène filmant à plaisir les parquets grinçants de la vie de province, sur lesquels tombent des dialogues ciselés, et des personnages cyniques à mourir (ils n’en meurent pas tous) joués par des acteurs magnifiques.

Tous sont très bons ; Benoît Magimel habite son rôle de bien-né dégénéré à la perfection et la "princesse" ne nous lasse jamais. Deux rôles de reines sont aussi bien pourvus : Mathilda May dans celui de l’éditrice qui en a vu et qui y revient avec plaisir, blindée d’expérience, et Marie Bunel, la mère de Gabrielle qui en a vu mais laisse sa fille faire la sienne…

L’histoire sera donc celle-là bien sûr : baignée trop pure dans la société des hommes, petite fille deviendra grande. (Quoique.)
Une histoire qui soufflée par Claude Chabrol devient aussi légère qu’une bulle de savon.

La fille coupée en deux. Claude Chabrol
Drame français
Avec Ludivine Sagnier, François Berléand, Benoît Magimel, Mathilda May…
Durée : 1 h 55

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L'aventure de la porcelaine au musée d'Orbigny-Bernon à La Rochelle

musée d'Orbigny-Bernon, ChineLa maîtrise de la fabrique de la porcelaine fut une histoire longue et compliquée en Europe.

Arrivées par le Moyen-Orient à la fin du Moyen-Age, les porcelaines chinoises suscitèrent immédiatement un grand intérêt en Europe.
On attacha à ce matériau à la fois dur, translucide et éclatant toutes sortes de vertus, dont celle de détecter les poisons…

Les Européens s’efforcèrent dès lors de reproduire cette matière exceptionnelle.
Cependant, ils ignoraient la composition de la pâte, ce qui constitua un obstacle permanent.
Ils réalisèrent d’abord les majoliques, puis la faïence, mais le support demeurait une terre cuite sans rapport avec la texture cristallisée dans la masse de la porcelaine chinoise.

Le XVIème siècle connut de nouvelles tentatives plus abouties avec la porcelaine dite des Médicis à Florence et son adaptation française de Saint-Porchaire.
C’est surtout à la fin du XVIIème siècle et au cours du XVIIIème siècle, avec la mise au point de la porcelaine tendre à fritte, ou porcelaine artificielle que les manufactures françaises (Vincennes-Sèvres, Chantilly, Mennecy…) et anglaise, associant les recherches des céramistes et verriers, imitèrent le mieux la porcelaine dure, sans parvenir néanmoins à obtenir véritablement le résultat recherché.

Les Allemands furent les premiers à identifier en Saxe, en 1709, le kaolin qui permettait de fabriquer la véritable porcelaine.
Auguste le Fort créa donc en 1710 la manufacture de Meissen et essaya de conserver secrète la fameuse formule de l’« arcane », que toute l’Europe lui enviait.
Mais la diffusion était irrésistible et la porcelaine dure finit par faire son apparition à Vienne en 1717, puis, vers le milieu du siècle, à Höchst, Wymphenberg, Berlin…
Le secret passa aussi à Strasbourg, mais les Français découvrirent à leur tour, en 1763, le kaolin à Saint-Irieix près de Limoges et nombre de manufactures françaises fabriquèrent simultanément des pièces en porcelaine dure et d’autres en porcelaine tendre, ces dernières tendant à disparaître à la veille de la Révolution.

La porcelaine dure avait alors conquis l’Europe entière : l’Italie avec Capodimonte, la Russie avec Saint-Pétersbourg, l’Angleterre, les Pays-Bas, la Suisse, l’Espagne, au point d’être répandue partout au XIXème siècle.

Les décors ne devront dès lors plus grand-chose à l’Extrême-Orient et, après le passage obligé du néo-classicisme international, les tendances les plus diverses se donneront libre cours.

Rappelant ainsi l’histoire de la porcelaine en Occident, le musée d’Orbigny-Bernon à La Rochelle présente une série porcelaines chinoises des XVIIIème et XIXème siècles, mais également un grand nombre d’objets décoratifs issus des manufactures européennes aux mêmes époques, permettant de mesurer, effectivement, la variété des inspirations.
Ainsi, dans les vitrines consacrées à la porcelaine de Meissen (Saxe) du XVIIIème siècle, on appréciera les efforts d’imagination des maîtres de l’époque : par exemple, avec la série de figurines intitulées L’Amérique, L’Afrique et L’Asie.
L’Afrique attire immanquablement l’attention, donnant à voir un nègre noir comme l’ébène, assis sur un lion, richement vêtu : peau ornée de plumes multicolores, drapé d’une cape lie-de-vin doublée de vert franc et fermée par un soleil, la tête coiffée d’un trophée de chasse–tête d’éléphant… un modèle qui vaut le détour !

Noter que le musée propose également un éclairage historique de la ville (notamment sur les célèbres sièges de la Rochelle ainsi que la Seconde Guerre mondiale).
D’autres salles sont consacrées aux arts d’Extrême-Orient (où on peut admirer une chambre chinoise du XIXème siècle), enrichis de dépôts du Musée Guimet (sur ce célèbre musée parisien, lire les billets du 27 et du 29 août dernier).

Pour tous les amateurs de porcelaines et autres chinoiseries, ne pas oublier le musée des Arts décoratifs à Paris. Consulter aussi quelques ouvrages consacrés à la matière.

Musée d’Orbigny-Bernon
2, rue Saint-Côme – 17000 La Rochelle
Tél. : 05 46 41 18 83
Fax : 05 46 29 22 60
Mél: musee-art@ville-larochelle.fr
Entrée : 3,50 €

Image : Bouteille, porcelaine "bleu et blanc", Chine, dynastie Ming, période de transition (1630-1640)

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Boarding Gate. Olivier Assayas

Boarding Gate de Olivier AssayasLe corps souple, la mobilité animale, le teint blafard et les yeux cernés, Sandra, l’héroïne du dernier film d’Olivier Assayas, interprétée par Asia Argento, est un "aimant" à hommes.

Miles, celui qu’à force de trop aimer, elle finit par liquider au sens propre, et Lescer, celui qu’elle laisse filer, en sont incontestablement fous. Mais l’aiment-ils ?
Non, dit-elle, ils la désirent seulement. Ils font semblant de croire que c’est la même chose, mais elle n’est pas dupe. N’est plus dupe.

Car il s’agit bien de cela, de l’histoire d’une fille "perdue" : Boarding Gate est un thriller dont l’intrigue n’est que le prétexte pour tracer les contours de son personnage, une jeune femme toujours en danger, même lorsque c’est elle qui a l’arme en main.

Le reste, hormis le piment nécessaire à la cause, et des dialogues le plus souvent convenus, n’est que jeu de caméra, virtuosité du metteur en scène : Olivier Assayas est extrêment doué, son dernier film ne fait que confirmer.

Il demeure qu’on regarde le film comme on regarde passionnément un bel objet.
Il y a une vitre infranchissable entre Sandra et le spectateur ; de bout en bout, elle ne se brisera pas.

Pour autant, cet esthétisme tourne-t-il à vide ?
L’affirmer serait indifférence feinte.
On sort troublé de ce film, troublé par cette femme victime d’un homme, victime de son amour, victime du monde, victime d’elle-même.
Même si tant de froide beauté finit par glacer.

Boarding Gate. Olivier Assayas
Thriller franco-hongkongais
Avec Asia Argento, Michaël Madsen, Carl Ng.
Durée 1 h 43

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A la recherche du temps perdu. Le temps retrouvé. Les personnages, fils de trame de la vie

Marcel Proust La RechercheA la fameuse matinée Guermantes, au cours de laquelle des réminiscences successives lui donnent enfin la clé du livre à écrire, le narrateur est frappé par la transformation physique des convives qui, comme lui, pendant ces longues années où il ne les a pas vus, éloigné de Paris qu’il était dans une maison de santé, ont terriblement vieilli.

Mais si ces êtres, qui l’ont entouré tout au long de sa vie, ont changé avec l’âge, il voit bien aussi ce qui en eux est resté identique.

« Revisitant » ces personnages, il se rend compte que chacun d’eux a joué, à différentes époques de sa vie, des rôles fort différents :

Et combien de fois ces personnes étaient revenues devant moi au cours de leur vie, dont les diverses circonstances semblaient présenter les mêmes êtres, mais sous des formes, pour des fins variées !

Mais malgré cette diversité, ils ont fini par constituer un tout, peut-être la trame de sa vie :

Et la diversité des points de ma vie par où avait passé le fil de celle de chacun de ces personnage avait fini par mêler ceux qui semblaient le plus éloigné, comme si la vie ne possédait qu’un nombre limité de fils pour exécuter les dessins les plus différents.

Une simple relation mondaine, même un objet matériel, si je le retrouvais au bout de quelques années dans mon souvenir, je voyais que la vie n’avait pas cessé de tisser autour de lui des fils différents qui finissaient par le feutrer de ce beau velours inimitable des années, pareil à celui qui dans les vieux parcs enveloppent une simple conduite d’eau d’un fourreau d’émeraude.

Malgré l’évolution des situations et des relations, notamment la fréquentation régulière de personnages « divinisés » par le narrateur, qui les a finalement rendus à leur prosaïsme, l’auréole de mystère dont il les entourait avant de les connaître demeure intacte dans le passé :

C’est pendant des années que Bergotte m’avait paru un doux vieillard divin, que je m’étais senti paralysé comme par une apparition devant le chapeau gris de Swann, le manteau violet de sa femme, le mystère dont le nom de sa race entourait la duchesse de Guermantes jusque dans un salon : origine presque fabuleuse, charmante mythologie de relations devenues si banales ensuite, mais qu’elles prolongeaient dans le passé comme en plein ciel, avec un éclat pareil à celui que projette la queue étincelante d’une comète.

Excellent week-end et excellente lecture à tous.

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