The Social Network. David Fincher

The social network

Ce film procure une jubilation rare et entière : celle d’être comme une petite souris dans les coulisses du théâtre où est né le réseau planétaire réunissant, virtuellement, 500 millions d’individus : Facebook, valorisé, paraît-il, à 20 milliards de dollars. D’un côté, on parle de réseau social, de communauté humaine, d’un autre, on parle de gros, de très gros sous : toute l’ambiguïté de Facebook est là, et le film le montre magistralement.

En prenant l’angle (savoureux) du tribunal de conciliation visant à établir la part exacte de chacun dans la création du réseau, David Fincher, par flash-backs successifs, déroule l’histoire depuis son début.

La scène inaugurale annonce toute la suite. Mark Zuckerberg, étudiant à Harvard a une conversation avec sa petite amie ; elle finit par lui annoncer qu’elle le quitte. Les contours de Mark sont dès lors tracés : brillantissime, quasiment handicapé émotionnellement et extraordinairement assoiffé de reconnaissance sociale, déjà animé d’un désir de revanche. Il fait de son intelligence une arme redoutable, mettant en œuvre sa créativité, son audace, son opiniâtreté et son discernement dans le choix de ses complices au service de cette incroyable entreprise. Sa toile va très vite couvrir Harvard, puis les autres universités américaines, avant, tout aussi rapidement, de s’étendre au monde entier.
Le tout sans jamais sacrifier deux objectifs : que cela reste "cool" (= social, communautaire, sympathique) et, en même temps, que cela devienne grand, très grand : immense. Même si pour y arriver il faut au passage mentir, trahir ses amis et faire affaire avec les financiers de la Silicon Valley.
Avec sa narration efficace, ses rythmes alternés, ses gros plans édifiants, la mise en scène sert magnifiquement le propos, celui de la construction, brique après brique, d’un projet dont le dessin se décide au fur et à mesure, dans lequel Mark embarque sans états d’âme toutes les contradictions, et dont le résultat sera finalement à l’image de sa genèse : une histoire d’hommes, pour beaucoup dévorés d’ambition et de besoin de reconnaissance, à la fois amicale et minée de pièges. Comme ce tribunal de l’impossible conciliation où, malgré toute sa faconde et sa brillance, ce beau monde a du mal à dissimuler ses misères.

The Social Network
De David Fincher
Avec Jesse Eisenberg, Justin Timberlake, Andrew Garfield
Durée 2 h
Sorti en salles le 13 octobre 2010

Photo © Sony Pictures Releasing France

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Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants. Mathias Enard

Mathias Enard, Parle leur de batailles..., Goncourt des LycéensA l’heure où les prix littéraires tombent comme les feuilles arrachées par le vent de novembre, où l’on voit le jury du Goncourt récompenser l’auteur de sinistres romans, et applaudi en ce sens par des pelletés d’émerveillés, croyant découvrir le monde contemporain à travers l’œuvre de leur gourou atrabilaire, avec une complaisance pour son cynisme assez inquiétante, le temps et le besoin de lecture sont plus que jamais de saison.

A l’abri des bourrasques, l’on apprend avec joie que les jeunes aiment contempler de tout autres reflets : celui d’un excellent petit livre, ciselé comme une pierre précieuse, au merveilleux titre de Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants (1), pour lequel Mathias Enard, l’auteur de Zone vient de recevoir le Goncourt des Lycéens.
Sujet original, voyage dans le temps et l’Orient, écriture soignée et efficace, passion et sensualité, finesse et élégance : c’est l’anti-Houellebecq.

En 1506, Michel-Ange, blessé par la façon dont il est traité à Rome, impayé par le pape Jules II pour qui il travaille au tombeau de la future basilique Saint-Pierre, détesté de Bramante et de Raphaël, débordant de haine pour le vieux Léonard de Vinci, accepte l’invitation de Bajazet à Constantinople, où le sultan lui passe commande d’un pont sur la Corne d’Or.
Animé d’un orgueil démesuré, capable de travailler comme un fou, homme d’une austérité incroyable, effrayé par l’idée d’impuissance, menacé de précarité matérielle, Michel-Ange découvre Istanbul, déambule dans ses rues bruyantes avec le poète Misihi, hésite devant les tavernes, avant de se laisse gagner par l’ivresse, puis par les charmes d’une danseuse ambigüe.

Ce roman prend d’abord par ses mots, des mots étranges et séduisants comme les listes que celui qui n’a pas encore peint la voûte de la chapelle Sixtine dresse inlassablement sur son carnet :

"Son carnet, c’est sa malle.
Le nom des choses leur donne la vie.
11 mai, voile latine, tourmentin, balancine, drisse, déferlage. (…)
14 mai, dix petites feuilles de papier lourd et cinq grandes, trois belles plumes, un encrier, une bouteille d’encre noire, une fiole de rouge, mines de plomb, porte-mine, trois sanguines.
Deux ducats à Maringhi, ladre, voleur, étrangleur.
Heureusement, la mie de pain et le charbon sont gratuits."

Puis, c’est l’approche d’énigmatiques facettes de la vie et de la personnalité de l’un des artistes les plus admirés de tous les temps, c’est ensuite, dans ses pas, la découverte des mystères, des couleurs et des parfums de l’Orient, l’envoûtement délicieux d’une ville entre toutes étrangère, et c’est enfin, dans des passages magnifiques, l’explosion des sentiments mêlés qu’elle fait naître :

"Cette deuxième ivresse, celle de la douceur des traits, des dents d’ivoire entre les lèvres de corail, de l’expression des mains fragiles posées sur les genoux, est plus forte que le vin capiteux qu’il engloutit pourtant à pleines gorgées, dans l’espoir qu’on le resserve, dans l’espoir que cette créature si parfaite s’approche de lui de nouveau.
Ce qui se produit, et se reproduit entre chanson et chanson des heures durant jusqu’à ce que, vaincu par tant de plaisirs et de vin, le sobre Michelango s’assoupisse au creux des coussins, comme un enfant trop bien bercé."

Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants
Mathias Enard
Actes Sud, 156 p., 17 euros
23ème prix Goncourt des Lycéens

(1) Le titre est extrait du livre de Rudyard Kipling Au hasard de la vie : « Puisque ce sont des enfants, parle-leur de batailles et de rois, de chevaux, de diables, d’éléphants et d’anges, mais n’omets pas de leur parler d’amour et de choses semblables. »

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Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu. Woody Allen

Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, Woody Allen

"Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu", telle est l’une des nombreuses prédictions que Cristal fait à Helena, octogénaire désespérée d’avoir été abandonnée par son mari. C’est que le vieil homme, refusant les outrages du temps, a décidé de vire comme un trentenaire célibataire, prêt à accueillir, dans sa garçonnière flambant neuve, de jeunes beautés. Pendant ce temps, Helena s’accroche aux positifs oracles de Cristal, à son verre de scotch et à sa fille Sally. Celle-ci n’est pas des plus satisfaite non plus : son mari traînasse à la maison dans l’attente d’une hypothétique publication de son dernier roman et, alors que Sally voudrait fonder une famille, le ménage dépend encore financièrement d’Helena. Ce n’est que le début ; l’un après l’autre, chacun de ces quatre personnages va mettre les pieds dans une romance et les choses vont délicieusement se compliquer.

Avec son inénarrable sens du récit, Woody Allen fait avancer ces différentes histoires, qui toutes ensemble se tressent les unes aux autres, puisque au départ les quatre protagonistes sont bel et bien liés. A l’origine du méli-mélo dans lequel ils se jettent, il y a de la peur, de la tristesse et de l’ennui, mais que viennent chasser de fabuleuses lueurs d’espoir si ce n’est d’illusions.
Evidemment, à l’arrivée, il y aura des déceptions, voire des désillusions mais, curieusement, c’est Helena qui semble s’en sortir le mieux. Alors que, perdue, elle n’a rien voulu d’elle-même, remettant ses décisions aux bonnes divinations d’un médium de pacotille, elle trouve finalement la grâce sur son chemin… Un joli tour de plus joué par le cinéaste new-yorkais qui se moque avec tendresse des affres de la vieillesse, maltraite les hommes, aime toujours autant les femmes et, pour son quatrième film britannique n’a rien perdu de sa verve et de son désopilant sens de l’humour.

Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu (You Will Meet a Tall Dark Stranger)
Woody Allen
Avec Naomi Watts, Antonio Banderas, Josh Brolin
Durée 1 h 38

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Hélène Ventoura. Le dernier numéro

Hélène Ventoura, Le dernier numéro, LucernaireCes femmes qui font les clowns, elles ont vraiment quelque chose de singulier… elles créent des univers décomplexés, où elles abordent sans détour tout ce qui dérange.

On a beaucoup aimé Michèle Guigon dans La vie va où ?…, découverte au Lucernaire en 2008, qui ose parler du temps qui passe et de la maladie avec autant de franchise que de délicatesse.
On peut d’ailleurs aller l’applaudir à nouveau puisqu’elle joue ce spectacle en ce moment même et jusqu’au 14 novembre 2010 au Théâtre du Rond-Point.

A découvrir aussi actuellement, au Lucernaire, Hélène Ventoura, clown 100 % pur jus qui, le temps de ce spectacle court et surprenant joue des numéros inspirés du cirque et du cabaret d’artistes dont c’est… le dernier numéro. Sur ce fond triste au possible – c’est la grâce des farceurs de son espèce – Hélène Ventoura nous fait rire, avec des tours dérisoires, quelques accessoires, trois notes de musique… Douée d’un talent comique irrésistible, auquel s’ajoute l’assurance tranquille d’une Valérie Lemercier, elle parle de la mort d’une façon si cruelle qu’on on redemanderait ! Ce doit être aussi à cela qu’elles servent, nos belles et courageuses clowns…

Hélène Ventoura
Le dernier numéro
Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs – 75006 Paris
A 21 h, durée 1 h
Places à 15 € et 22 €
Jusqu’au 4 décembre 2010

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Au revoir Pays. Manufacture des Abbesses

Au revoir pays, Manufacture des AbbessesDécouverte, création, émotion. Tel est le cocktail qui vous attend avec Au revoir Pays, un spectacle à voir jusqu’à demain 31 octobre à la Manufacture des Abbesses à Paris.

L’on y découvre une jeune auteur, metteur en scène et comédienne particulièrement douée, Thiane Khamvongsa, dont Au revoir Pays est la première création ; mais aussi une autre comédienne formidable, Na-Bi Shin, au milieu d’une distribution parfois inégale mais pleine de charme.
Le texte est marqué du sceau de la sincérité, puisqu’il s’agit de la propre histoire de la famille de Thiane Khamvongsa, d’origine laotienne, née en 1981 dans un camp de réfugiés en Thaïlande.

En 1975, au Laos, l’arrivée au pouvoir des communistes a bouleversé la vie de cette famille, faisant fuir le fils aîné, enrôlant le cadet de 14 ans dans l’armée révolutionnaire, menaçant de prendre aussi la fille adolescente et envoyant le père qui avait servi dans l’armée royale en camp de redressement. Quand la mère apprend qu’elle est enceinte, elle convainc son époux de fuir le pays pour ne pas donner leur nouvel enfant au régime.
Abandonnant leur pays dans la douleur, les parents, le fils, la fille et le bébé finissent par arriver en France, un pays dont ils ignorent tout, à commencer par la langue et la culture.

Cette pièce bien fichue malgré un didactisme un peu trop systématique saisit le spectateur dès le début et ne le lâche pas d’une heure et demie. L’on s’attache très vite aux membres de cette famille, tant les personnages sont incarnés. On croit à leur histoire et elle nous émeut.
La mise en scène très simple, faite avec peu de moyens, porte la pièce avec une grande efficacité. Le talent des comédiennes jouant la mère – Thiane Khamvongsa – et la fille – Na Bi Shin – participe pleinement de l’agréable sentiment de justesse qui se dégage de ce spectacle fort mais jamais larmoyant, à la portée universelle.

Au revoir Pays
Auteur & metteur en scène : Thiane Khamvongsa
Assistantes à la mise en scène : Sophie O’Byrne & Charlotte Brédy
Avec Mathias Mégard, Thiane Khamvongsa, Fred Aklan, Na Bi Shin, Martin Nikonoff, Hugo Richet, Charlotte Brédy, Sophie O’Byrne
Du jeudi au samedi à 21h, le dimanche à 17h
Durée 1 h 30
Places 13 et 24 €
Manufacture des Abbesses
7 rue Véron 75018 Paris
Au revoir Pays a été récompensé du Prix Paris Jeunes Talents 2010

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Le Triptyque de Puccini à l'Opéra national de Paris

Philippe Jordan

Trois mots pour résumer ce spectacle, la première création de la saison de l’Opéra Bastille : très belles soirée.

Il Trittico est un ensemble de trois courts opéras d’une heure, que Puccini a composés pour être joués ensemble. Nécessitant beaucoup de chanteurs, il est rarement monté, et ne l’avait d’ailleurs pas été à Paris depuis près de vingt-cinq ans.

Ces trois pièces nous plongent dans des époques fort différentes. La première, Il Tabarro, se passe au début du XXème siècle sur une péniche à Paris, où l’infidélité de la femme du marinier conduit son époux à assassiner l’amant : c’est un mélodrame à l’intérêt narratif assez limité et d’humeur franchement sordide. La deuxième se passe au XVIIIème siècle, avec l’histoire tragique de Suor Angelica, fille de haut rang qu’un pêché de chair dont est né un enfant a conduit au couvent. Remontant encore le temps, Gianni Schicchi se passe au Moyen-Age à Florence, mais apparaît certainement comme la plus actuelle : il s’agit d’une farce, et les traits dont le personnage de Gianni Schicchi fait la satire – la cupidité et l’hypocrisie d’une famille endeuillée – sont bien éternels.

Du sombre Paris populaire d’il y a cent ans au flamboiement trompeur de l’Italie médiévale en passant par la cruelle clarté du couvent, les atmosphères se suivent et ne se ressemblent pas. Les décors portent ces ruptures – gris dans Il Tabarro puis blanc et bleu ciel d’un kitsch total dans Suor Angelica, rouge et noir enfin dans Gianni Schicchi – et ne dérangent pas.

Le reste est bien mieux que cela : une qualité vocale homogène, une direction d’acteurs des plus vivantes qui soutient la curiosité et le plaisir, et une direction musicale qui fait elle aussi ressortir les reliefs et les contrastes du Triptyque. Il est si merveilleux, après avoir commencé par le plus terne, de poursuivre dans l’émotion la plus bouleversante avant de finir dans l’amusement le plus débridé, digne de la Commedia dell’arte. Il est magnifique de vibrer sous la voix touchante de Tamar Iveri pour découvrir la douceur puis la douleur déchirante de Suor Angelica ; mais aussi de se laisser séduire par un autre inconnu, Saimir Pirgu dans le rôle du fiancé dans Gianni Schicchi, jeune homme à la voix très en place, puissante et suave, et au jeu d’acteur au plaisir communicatif – il faut dire qu’il s’agit pour ce ténor albanais de 29 ans de sa première distribution à l’Opéra de Paris.
Il est divin, enfin, d’écouter Puccini joué par l’orchestre à la fois posé et pétillant de Philippe Jordan, dont les mains sublimes qui s’agitent avec grâce constituent à elles-seules un spectacle chavirant.

Le Triptyque (Il Trittrico)
Trois opéras en un acte composés par Giacomo Puccini
Opéra national de Paris
Prochaines représentations les 25 et 27 octobre 2010
A 19 h, durée 3 h 45 avec 2 entractes
Places de 5 € à 180 €

Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène Luca Ronconi
Décors Margherita Palli
Costumes Silvia Aymonino
Lumières Gianni Mantovanini
Chef de Chœur Alessandro Di Stefano
Orchestre et Choeur de l’Opéra national de Paris
Maîtrise des Hauts-De-Seine / Choeur d’enfants de l’Opéra national de Paris
Décors et Costumes du Teatro Alla Scala, Milan
en coproduction avec Le Teatro Real, Madrid

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Le pavement de l'église San Michele à Anacapri

Pavement de majolique de l'église San Michele à Anacapri, CapriImaginez une petite église baroque au plan octogonal, dont le sol est entièrement couvert d’un pavement polychrome en faïence napolitaine.

Ce ravissement d’art presque naïf a été réalisé par Leonardo Chiaiese en 1761 à Naples.

Jaunes, verts, bleus, c’est une illumination de couleurs douces, dont on fait délicatement le tour sur un rebord de bois longeant les murs.
Les dessins se lisent aisément : ovins, bovins, cheval, licorne, dromadaire, singe, tigre et lion, mais aussi canard, faisan, autruche, paon, porc-épic, ours et éléphant. Tous les animaux sont là, c’est le Paradis terrestre, dont Adam et Eve sont déjà chassés, couverts de peaux félines.
En haut, au centre, l’Arbre de la connaissance du bien et du mal sur lequel repose un hibou, tandis qu’autour de son tronc s’enroule le terrible serpent. De part et d’autre, la lune et le soleil, et au dessus, l’azur constellé d’étoiles.

Pour admirer la majolique dans son ensemble, empruntez le petit escalier de fonte qui s’élève en colimaçon depuis l’entrée de l’église. Vous surplombez alors le tout pour contempler tranquillement le Paradis…

Eglise San Michele
Place San Nicola, Anacapri
Capri, Italie

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La Villa San Michele à Capri

Vue depuis la Villa San Michele, Anacapri, CapriLa Villa San Michele est l’un des joyaux soigneusement conservés de l’île de Capri – laquelle est, dans son ensemble, et conformément à sa réputation, un joyau en tant que tel.

Arrivé sur cette île de la baie de Naples en 1876, le médecin suédois Axel Munthe acquit une chapelle en ruines et une vieille ferme situées à 327 mètres d’altitude pour y construire une villa entourée de jardins. Amoureux de l’île, de sa villa et de la nature, cet humaniste déploya à Capri ses multiples talents : scientifique, écrivain, architecte, collectionneur d’art…
Ainsi, sa maison, sa chapelle et ses jardins recèlent aussi bien des antiquités égyptiennes, des sculptures romaines, des meubles du XVIIIème que des espèces végétales protégées. L’on apprend aussi que ce protecteur des animaux a beaucoup fait pour le développement de l’ornithologie sur l’île et que ce gourmet délaissait volontiers la viande pour se nourrir de mets simples comme les légumes et les pâtes.
De son œuvre à San Michele, il a tiré une autobiographie quelque peu romancée, Le Livre de San Michele publié en 1929, largement traduit et très lu à l’époque.

La villa n’est ni immense ni somptueuse, mais à parcourir ses pièces intimement aménagées, sa cuisine d’époque, son patio d’antiquités, sa loggia de sculptures et ses délicieux jardins, à admirer la vue imprenable depuis la chapelle, au dos de laquelle il a fait installer, face à la mer, un sphinx dont on ne peut voir le visage, on devine la passion brûlante de cet homme venu du froid qui, bien avant de nombreux autres nordiques, a dû trouver dans le calme, la lumière et la sensualité de Capri, les moyens de se réaliser.

Le sphinx de la Villa San Michele à Anacapri

Villa San Michele
Anacapri, viale Axel Munthe
Capri, Italie

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La Cerisaie. Théâtre de l'Odéon

La Cerisaie, théâtre de l'Odéon, mise en scène J Brochen

On lui en veut un peu, à Julie Brochen – et aussi à sa scénographe Julie Terrazzoni.
Pourquoi faire dire le texte à toute vitesse ? Pourquoi faire crier les comédiens ? Pourquoi couvrir parfois leur voix de musique, au point de rendre les mots inaudibles ?
Et non contente de nous troubler l’ouïe, pourquoi nous priver également de la vue ?

Julie Brochen fait courir les acteurs dans tous les sens sans que le procédé en ait toujours un, les dirige de façon outrancière (cris perçants des uns, minauderies de Jeanne Balibar dans le rôle de Lioubov) et, de surcroît, les conserve soigneusement dans une demi-pénombre, réservant sans doute le plaisir de les voir aux deux premiers rangs de l’orchestre.

C’est vraiment dommage. Le talent des comédiens n’est pas en cause, ni la beauté de la musique, encore moins celle des décors – les superbes volumes du plateau sont majestueusement occupés par d’anciennes verrières venant évoquer la splendeur révolue de la Cerisaie et les ravages du temps à travers des vitres brisées.
Le problème est que La Cerisaie est un texte magnifique, montrant des personnages passionnants, atypiques et attachants qui forment un ballet émouvant et amusant à la fois. Or, cette direction d’acteurs, qui sans doute se veut énergique et inventive, alors qu’elle n’est souvent que chichiteuse et ostentatoire, vient gâcher bien des passages, en particulier les longues tirades de Trofimov l’éternel étudiant, et de Lioubov la propriétaire, mais aussi les échanges avec et entre ses filles Ania et Varia. La pièce y perd donc beaucoup.

Deux personnages sont bien-heureusement tout à fait sauvés. Jean-Louis Coulloc’h interprète Lopakhine avec toute la netteté qui sied à ce personnage de fils de moujic devenu riche marchand, incarnant le triomphe de la vulgarité sur la poésie, du travail sur l’oisiveté, mais aussi de l’acquis sur le reçu. Il se trouble à merveille lorsqu’il se fait "bûcheron" (il était d’ailleurs déjà celui de Lady Chatterley dans le film de Pascale Ferran) et fossoyeur de la Cerisaie : la scène de retour de la vente aux enchères est sans doute la plus réussie de la soirée. Quant à André Pomarat, il fait de chacune des apparitions de Firs, le vieux serviteur, des moments d’humour et d’émotion souverains. Dans la scène finale – dont à nouveau l’on ne comprend guère le choix de mise en scène donnant à lire les didascalies au lieu de faire résonner pour de bon les coups de hache qu’elles indiquent -, il bouleverse en exprimant l’anéantissement de ce monde fait d’héritages, de splendeurs et d’asservissement.

La Cerisaie
Anton Tchekhov
Théâtre de l’Odéon
Place de l’Odéon – Paris 6e
Durée 2h10, sans entracte
Places 10 € à 32 €
Jusqu’au 24 Octobre 2010

Mise en scène Julie Brochen
Texte français André Markowicz & Françoise Morvan
Scénographie Julie Terrazzoni
Lumières Olivier Oudiou
Costumes Manon Gignoux
Musique Carjez Gerretsen & Secret Maker (Gérard Tempia Bondat & Martin Saccardy)
Avec Abdul Alafrez, Muriel Inès Amat, Jeanne Balibar, Fred Cacheux, Jean-Louis Coulloc’h, Bernard Gabay, Carjez Gerretsen, Vincent Macaigne, Gildas Milin, Judith Morisseau, Cécile Péricone, André Pomarat, Jean-Christophe Quenon, Hélène Schwaller

Créé le 27 avril 2010 au Théâtre national de Strasbourg
Production Théâtre National de Strasbourg
coréalisation Odéon-Théâtre de l’Europe, Festival d’Automne à Paris

Photo Franck Beloncle

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Heinrich Kühn. Musée de l'Orangerie

Heinrich KUHN Nature morte : verres et carafe, Musée d'OrsayVoici une exposition aussi inédite que fascinante.
Heinrich Kühn (1866-1944), photographe allemand du courant pictoraliste, proche des groupes Photo-Club de Paris et Linked Ring à Londres, participant de la Sécession viennoise, demeure en effet relativement peu connu, contrairement à ses contemporains d’avant-garde Alfred Stieglitz et Edward Steichen.
La toute nouvelle exposition de l’Orangerie à Paris, visible jusqu’à fin janvier, est d’ailleurs la première grande rétrospective consacrée à l’artiste. Il est heureux de voir ce long oubli enfin réparé tant les travaux de Kühn témoignent d’expérimentations audacieuses aux résultats très emballants.

Les techniques d’impression photographique qu’il utilise ont pour noms gomme bichromatée, platinotypie, gommogravure, photypie ou encore tirage et report à l’huile… Une pause à mi-parcours les explique.
Malgré leur lecture, pour une grande part, et pour les non-initiés aux secrets du pictoralisme, le mystère reste entier.
Dans quelle mesure s’agit-il de tirages photographiques au sens classique du terme, dans quelle mesure ont-ils été peints ? L’œil a du mal à le déterminer et ce doute, et le léger trouble qu’il engendre, accroissent encore l’attention des visiteurs – assez remarquable de bout en bout.

Après avoir présenté un panorama de ses axes d’investigation, l’exposition suit un fil thématique autour de ses différents modèles, des portraits d’atelier, des natures mortes et des paysages, pour finir avec les autochromes, premier procédé photographique en couleur inventé par les frères Lumières.

Le « plein air » est chez Heinrich Kühn particulièrement enthousiasmant. Les nuances de lumière, les ambiances de clair-obscur à la fin du jour, la « matérialité » des végétaux, l’impression de proximité d’un paysage de montagne, alors même qu’un léger flouté peut border les contours confèrent à ses photographies une admirable force poétique.
L’esthétique est encore sublimée par un sens du cadrage très assuré – le rapprochement avec la peinture de Manet saute aux yeux. On retrouve cet art de la composition dans les portraits, notamment ceux de Mary Warner, qui fut la gouvernante de ses enfants, sa maîtresse et son modèle. Une robe, un sofa, un miroir : alors que la prise risquait le déjà vu ou le surchargé, le résultat est au contraire magnifique d’équilibre, dans les courbes, dans les volumes comme dans l’éclairage.

Lorsqu’il travaille plus intensément sur les effets de lumière – on est chez les impressionnistes ici encore -, il crée des natures mortes simplissimes autour d’un verre d’eau ou d’une carafe, d’une coupe en étain. La transparence scintille, c’est à la fois précis et ouaté, domestique et surnaturel.

Contrairement au célèbre Edward Steichen, Kühn ne s’est lui jamais tourné vers le spectaculaire et le glamour, que ce soit pour ses paysages ou ses portraits ; il a choisi uniquement des sujets familiers. Le regard qu’il leur a porté, inventif, noble et amoureux rend ses œuvres plus émouvantes encore.

Heinrich Kühn
Musée national de l’Orangerie
Jardin des Tuileries – 75001 Paris
TLJ sf mardi de 9 h à 18 h
Entrée (avec musée) 7,5 € (TR 5 €)
Jusqu’au 24 janvier 2010
Exposition organisée par l’Albertina de Vienne en collaboration avec les musées d’Orsay et de l’Orangerie à Paris et le musée des Beaux Arts de Houston

Image : Heinrich Kühn, Nature morte : verres et carafe © DR – RMN (Musée d’Orsay) – Béatrice Hatala

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